Book Reviews / Comptes rendus de livres
Routes : Éloge de l’autonomadie. Une anthropologie du voyage, du nomadisme et de l’autonomie

Célia Forget
l’Université Laval

Compte-rendu de
MICHEL, Franck. 2009. Routes : Éloge de l’autonomadie. Une anthropologie du voyage, du nomadisme et de l’autonomie. Québec : Presses de l’Université Laval.

Pp. 603, ISBN: 978-2-7637-8794-7, 42,95 $.

1 Le nouvel ouvrage de Franck Michel regroupe deux de ses publications aujourd’hui épuisées, Voyage au bout de la route. Essai de socio-anthropologie et Autonomadie. Essai sur le nomadisme et l’autonomie, actualisées et adaptées à cette nouvelle publication. Le lecteur comprendra alors la césure qui s’opère dans l’ouvrage avec les trois premiers chapitres consacrés à la route et les cinq autres dédiés au nomadisme, au loisir et aux politiques actuelles liées à la mobilité. Dans une première partie, la route est examinée minutieusement sous plusieurs angles, son histoire, ses formes, ses moyens de locomotion et ses évocations, afin de comprendre son évolution au fil des années. Par la suite, l’auteur s’intéresse à plusieurs formes de nomadisme à travers les exemples des Roms, des sans-abri et des nomades du loisir, afin de montrer les perceptions étiques et émiques du nomadisme contemporain dans les sociétés occidentales. Franck Michel, ayant à maintes reprises pratiqué les chemins asiatiques, s’aventure ensuite dans une comparaison Orient/Occident dans les manières de penser la mobilité. Enfin, c’est à travers un aperçu des politiques mondiales sur le tourisme, le loisir, l’environnement, le déplacement que l’auteur affirme ses conceptions et justifie sa manière de penser le voyage en toute liberté et en toute simplicité.

2 Franck Michel démontre tout le long de cet ouvrage une grande connaissance du monde de la route quel que soit le continent et quel que soit le mode de transport utilisé, connaissance dont on ne peut être qu’admiratif. Mêlant analyse scientifique et perceptions personnelles, l’auteur nous livre ses préférences de transport ; on découvrira ainsi qu’il est un fervent amateur d’auto-stop, et ses conceptions politiques et idéologiques. On retrouve ainsi à plusieurs reprises des petites phrases, souvent entre parenthèses (ex : Édouard Balladur, l’homme du XVIe [arrondissement, quoique le siècle également]), des jeux de mots (ex : con-quête), qui en disent long sur le point de vue de l’auteur. Fervent amateur de la route, il n’hésite pas à dénoncer les politiques actuelles qui tendent à travestir la liberté des voyageurs, à profiter du marché du voyage sans se préoccuper des conséquences sur l’environnement et sur la dépendance économique et culturelle des peuples visités. Plusieurs exemples cités par Franck Michel témoignent d’une réalité honteuse dont le lecteur ignore l’existence ou dont il ne peut avoir conscience. Ainsi nous apprenons qu’il existe un tourisme de la terreur (ex  : des touristes défraient 5000$ pour manier des armes en territoire palestinien) et un tourisme des sans-abri (ex : aux Pays-Bas, une agence de voyage propose un circuit « spécial découverte de la vie des SDF » où le touriste peut dormir sous des cartons dans la rue, le tout pour 450€).

3 À travers les nombreux exemples dont fait part Franck Michel, il est possible de déceler chez l’auteur une richesse bibliographique hors pair sur le sujet. Ces exemples, utilisés pour appuyer ses propres expériences de terrain, ses réflexions et ses analyses, permettent au lecteur de parcourir les quatre coins du monde, ce qu’appréciera tout amateur de voyage. Si maints auteurs sont cités, quelques-uns font l’admiration de l’auteur comme c’est le cas d’Alexandre Romanès, de Nicolas Bouvier et de Henry David Thoreau dont les citations se retrouvent au fil des pages. Cependant, la prolifération des exemples vient parfois alourdir la thèse soutenue et le lecteur pourra regretter qu’une plus grande sélection n’ait pas été opérée, ce qui aurait évité quelques redites au cours des 603 pages que contient l’ouvrage. Un autre regret concerne la comparaison qu’il émet entre l’Orient et Occident qui se révèle tout à fait justifiée sur de nombreux points mais qui tend parfois à prendre une forme quelque peu manichéenne. Cela étant dit, l’ouvrage de Franck Michel est un outil essentiel à tout nouveau chercheur dans le domaine de la mobilité et du voyage. L’analyse historique de chaque moyen de déplacement que l’auteur propose facilite grandement les recherches historiographiques du nouveau venu dans le domaine. De même, les grandes tendances réflexives mondiales quant à la mobilité sont analysées et les références bibliographiques citées par l’auteur constituent une véritable mine d’or pour parfaire ses connaissances sur le sujet. Le chercheur appréciera l’indépendance des chapitres qui relatent tous un sujet bien déterminé, facilitant ainsi les recherches dans l’ouvrage ; la table des matières est pour cela très bien construite. Pour le spécialiste des cultures de la mobilité qui a déjà goûté aux écrits de Michel, l’ouvrage amène de nouvelles références et quelques pistes de réflexion nouvelles mais reste fidèle aux deux anciens ouvrages qui sont ici regroupés.

4 Franck Michel, critiquant notamment les formes du tourisme actuel et la place que revêt de nos jours l’automobile dénuée de rêve, rappelle que « la pratique du voyage est une approche émotive du monde. Se réapproprier l’instant présent qui tend à nous échapper, réapprendre à ne rien faire pour mieux se rendre disponible, se laisser guider par la seule flânerie source de découvertes fortuites et spontanées. […] Défier le diktat de l’agenda, refuser l’ordre dicté par le temps qu’on ne cesse de compter au lieu de le conter, la tâche paraît plus que jamais ardue à celle ou à celui qui fait le choix d’une délicate liberté » (p. 530). Véritable manifeste du loisir et de la liberté, Franck Michel signe un ouvrage qui se révèlera utile pour toute personne souhaitant se plonger dans l’univers des cultures de la mobilité.