Micheline Senécal. 2008. Les Tableaux d’Ozias Leduc à la cathédrale Saint-Charles-Borromée de Joliette, 1892-1894

Yves Laberge
Université d'Ottawa

Compte rendu de Micheline Senécal. 2008. Les Tableaux d’Ozias Leduc à la cathédrale Saint-Charles-Borromée de Joliette, 1892-1894. Québec : Les Éditions GID.
Pp.175, 34,95 $.

1 Ce livre souple s’inspire d’un mémoire de maîtrise en études des arts déposé en 2007 à l’Université du Québec à Montréal. En 1892, un peintre alors inconnu, Ozias Leduc (1864-1955), s’est vu confier une commande de 23 tableaux devant illustrer l’intérieur de la nouvelle cathédrale de Joliette (à ne pas confondre avec la très belle église Saint-Charles-Borromée de Charlesbourg). Pour situer rétrospectivement ce paradoxe d’un travail méconnu mais de grande qualité réalisé par un peintre important, Micheline Senécal affirme qu’il s’agit de « la première commande d’envergure du jeune artiste, alors à ses débuts, qui deviendra par la suite le plus célèbre peintre d’église au Canada » (35). En effet, comme on le sait, Ozias Leduc allait par la suite décorer une trentaine d’églises au Canada et jusqu’en Nouvelle-Angleterre.

2 L’ouvrage Les Tableaux d’Ozias Leduc à la cathédrale Saint-Charles-Borromée de Joliette se concentre sur ces trois années de création (de 1892 à 1894) et se subdivise en trois parties. Le premier chapitre situe à grands traits le contexte socioculturel régnant au Québec à cette époque, pour ensuite discuter de la situation de l’art religieux au Québec à la fin du XIXe siècle, avec ses influences (et ses artistes) provenant d’Italie. L’énumération des sources d’inspiration des toiles est particulièrement intéressante et donnera lieu à des comparaisons bien documentées. Le deuxième chapitre est plus ambitieux et analyse individuellement les 23 œuvres selon une étude formelle et comparative, à partir des tableaux antérieurs ayant pu inspirer le jeune Ozias Leduc. Plusieurs des sujets examinés sont bien connus des historiens de l’art et ont été classés thématiquement : les mystères joyeux (l’Annonciation, la Visitation, la Nativité, etc.), les mystères douloureux (dont l’agonie au Jardin des Oliviers, le Portement de la Croix), les mystères glorieux (la Résurrection, l’Ascension, la Pentecôte, l’Assomption, le Couronnement de la Vierge), et enfin huit scènes célèbres de la vie du Christ, des paraboles et miracles (comme le Bon Pasteur, la Pêche miraculeuse, Jésus calmant la tempête). Un plan de l’intérieur de la cathédrale Saint-Charles-Borromée permet de visualiser la disposition des tableaux selon ces quatre grands thèmes (83).

3 Beaucoup plus bref, le dernier chapitre tente d’évaluer la part créatrice d’Ozias Leduc dans toutes ces adaptations et remaniements d’œuvres déjà connues ; pour Micheline Senécal, « Leduc reproduit une partie seulement de la source d’inspiration qu’il insère dans un décor de sa propre création en insistant sur la nature ou sur les objets du quotidien, ou il puise à différentes sources pour en faire un agencement harmonieux » (156). D’ailleurs, Micheline Senécal a dressé la liste de quatre types de sources d’inspiration : copies partielles, copies intégrales, sources existantes mais inconnues, mais on trouve aussi quelques œuvres originales créées pour l’occasion par Ozias Leduc à partir de ses propres esquisses (157-58). Il est intéressant de constater que cinq tableaux étudiés ici peuvent probablement être considérés comme des créations authentiques d’Ozias Leduc, par exemple « Le Recouvrement de Jésus au Temple », « La Sainte-Famille en Égypte », « Le Christ chez Marthe et Marie ». En somme, on confirme que dans tous ces cas, il ne s’agissait pas vraiment de plagiat, même dans les exemples les plus flagrants, mais plutôt de réinterprétation, d’adaptation d’œuvres d’art déjà existantes, selon une pratique courante et largement acceptée de cette époque. En outre, le fait de devoir se conformer au récit biblique ne fait que confirmer la nécessité pour chaque artiste de demeurer fidèle à la tradition picturale déjà existante dans le domaine de l’art chrétien.

4 L’ouvrage est instructif et son analyse souvent minutieuse. J’ai apprécié les nombreux détails fournis dans les notes en fin de chapitre (surtout dans celui consacré aux circonstances entourant la commande initiale du curé Beaudry faite à Ozias Leduc). Le travail de révision linguistique est impeccable : je n’ai pas décelé une seule coquille dans tout le livre. En revanche, en dépit de son analyse rigoureuse de ces 23 toiles, le texte laisse néanmoins plusieurs zones floues : on ignore toujours les détails du contrat passé entre Leduc et le curé Prosper Beaudry et le document en tant que tel pourrait bien ne jamais avoir existé (56) ; par ailleurs, on ne peut qu’énoncer des hypothèses quant aux raisons du choix de Leduc comme peintre devant être responsable d’un aussi important engagement (57). Quant à la raison véritable, on ne la connaît pas. Mais le principal défaut de ce livre réside dans le rendu de ses illustrations : si plusieurs reproductions en couleurs nous enchantent par leur indéniable qualité (voir le cahier en couleurs non paginé contenant plusieurs reproductions, entre les pages 120 et 121), d’autres reproductions en noir et blanc sont malheureusement imprécises, trop petites, ou trop peu contrastées (52, 62, 90, 102, 114, et 132). C’est d’autant plus dommage que la quantité impressionnante d’illustrations réunies dans ce livre exigeait un traitement à la hauteur de l’ampleur de cette recherche iconographique, avec des images provenant de sources variées (surtout pour les toiles ayant inspiré Leduc). Mais on peut sans doute soupçonner que le coût de production d’un livre d’art (ou dans ce cas, sur l’art) représente pour tout éditeur un effort financier considérable, surtout s’il s’agit d’un ouvrage savant à petit tirage, destiné à un lectorat restreint par définition.

5 Tout travail universitaire sur l’art catholique exige une connaissance préalable de l’histoire religieuse, et Micheline Senécal prouve ici qu’elle maîtrise très bien cet héritage ; par conséquent, son ouvrage y gagne en qualité et en finesse, surtout dans son étude de la dévotion au Rosaire (80). Les liens entre les Évangiles et les tableaux de Leduc sont clairement établis. De plus, malgré sa brièveté, j’admire la conviction de sa conclusion engagée, dans laquelle elle plaide pour un retour à l’enseignement de l’art religieux et la revalorisation dans les écoles de ce patrimoine, à la fois incompris, négligé et pourtant irremplaçable, véritable vecteur identitaire pour le Québec (169). Les nouvelles générations ont grandement besoin d’outils conceptuels afin de comprendre la richesse et la signification de notre patrimoine religieux.