Lapointe, Camille. (2007). Un passé plus-que-parfait

Nathalie Hamel
Compte rendu de Lapointe, Camille. (2007). Un passé plus-que-parfait, Québec : Éditions Sylvain Harvey.
Pp. 139, ISBN 978-2-921703-7-96, 46,95 $.

1 Un passé plus-que-parfait est un livre presque inclassable, oscillant entre la vulgarisation scientifique d’une recherche archéologique et le guide touristique orné de magnifiques photographies. Comme l’écrit le géographe Henri Dorion en pré-face, le livre « est à la fois un guide, une évocation, une invite et un souvenir, un plaisir pour l’esprit et un régal pour l’œil ». L’ouvrage présente l’histoire du site de l’actuelle Auberge Saint-Antoine, un hôtel luxueux situé dans le quartier historique qu’est le Vieux-Québec. L’hôtel a tiré parti de l’ancrage historique du site en mettant en valeur, à l’intérieur de ses murs, les artéfacts trouvés lors des fouilles archéologiques sur ses terrains.

2 Comment décrire ce livre singulier ? Un grand format (33,7 x 24,5 cm) à couverture rigide, qui propose sur 139 pages l’histoire d’un site archéologique et de son évolution au fil de quelque 350 années, jusqu’à son occupation actuelle par l’Auberge Saint-Antoine. L’histoire est racontée de manière très accessible par l’archéologue et historienne de l’art Camille Lapointe, qui a collaboré au projet par la rédaction des textes accompagnant les objets exposés dans l’hôtel. L’ouvrage comprend plus de 150 illustrations alternant entre l’iconographie ancienne et les photographies récentes. Elles montrent tour à tour les objets trouvés sur le site, les bâtiments anciens ou l’hôtel actuel, ou reproduisent des documents anciens (aquarelles, cartes).

3 L’ouvrage se divise en huit sections principales, outre la préface et une brève mise en contexte du projet de l’hôtel. Le premier chapitre introduit le lecteur à l’Auberge Saint-Antoine en présentant son histoire récente, ses concepteurs, ainsi que le projet de recherche archéologique réalisé en partenariat avec l’Université Laval et la ville de Québec. Le quartier entourant l’auberge y est décrit brièvement. Ce chapitre expose le concept décoratif de l’hôtel, concept très contemporain élaboré en s’inspirant des vestiges archéologiques. La « signature archéologique » associe chaque étage de l’hôtel à une couche stratigraphique du site. « Toutes les chambres, précise-t-on, ont leur nom, leurs artéfacts, leur histoire ». Un plan de localisation des vitrines dans l’auberge (35) permet à l’éventuel client de ne rien manquer. Citons de nouveau Henri Dorion : « Ce livre est en quelque sorte un guide pour une visite éclairée d’un musée – car l’auberge en est un au sens noble du terme –, un musée qui a le très rare avantage de loger ses visiteurs » (9). La qualité du restaurant y est vantée. Dans cette première section, l’ouvrage adopte vraiment un mode promotionnel.

4 Les six chapitres suivants nous conduisent au cœur de l’histoire du site. Chacun des étages de l’hôtel étant associé à une période d’occupation des lieux, le livre est divisé de la même manière. Chaque section est introduite en une page qui présente brièvement le contexte historique de la période et donne des informations sur l’étage associé dans l’hôtel (nombre de chambres, noms des suites). À chaque période est rattaché un personnage principal. Des informations historiques complémentaires renseignent sur d’autres personnages dont les noms désignent certaines pièces de l’hôtel (par exemple, Gaultier de Comporté, 54). Au fil des pages, le lecteur découvre les diverses occupations du site ou des informations sur les matériaux composant les objets (plâtre, 55), les traces d’aliments (noyaux de framboises, 71), et ce que ces objets révèlent de l’histoire et de la vie quotidienne sur le site (présence de pièces de tonneaux, 88-91). Quelques pages expliquent des interventions de restauration et les défis rencontrés par les restaurateurs (cuir, 55). Enfin, chacun des chapitres se termine sur l’hospitalité au passé, en présentant les activités d’aubergiste sur le site ou à proximité, et sur la page suivante, des artéfacts associés à chacune des chambres de l’hôtel actuel. Le dernier chapitre se clôt sur l’hospitalité au présent, ancrant ainsi l’Auberge Saint-Antoine dans une longue tradition hôtelière, et reprenant dès lors le ton promotionnel du début de l’ouvrage.

5 À quel public s’adresse ce bel ouvrage ? Si les chercheurs en culture matérielle ou en archéologie peuvent y trouver quelques informations intéressantes sur le site et la culture matérielle à différentes époques à Québec, l’ouvrage vise avant tout la clientèle qui séjourne à l’Auberge Saint-Antoine et qui pourra mettre ce bel ouvrage dans ses bagages, pour se remémorer ce cadre enchanteur.... Il faut reconnaître le potentiel de ce type d’ouvrage à sensibiliser les visiteurs aux trésors archéologiques, à ce qu’ils peuvent révéler de la vie quotidienne d’autrefois lorsqu’ils sont étudiés par des spécialistes. Quant aux chercheurs, ils pourront davantage assouvir leur soif de connaissances en consultant les rapports de fouilles et d’analyse du matériel produits dans le cadre de plusieurs mémoires de maîtrise ou de thèses de doctorat à l’Université Laval.

6 Ce livre singulier reflète bien toute l’ambiguïté qui accompagne la mise en valeur du patrimoine dans les contextes hôteliers comme l’Auberge Saint-Antoine : on s’y trouve constamment à la frontière entre un projet commercial et la participation au développement et à la diffusion des connaissances archéologiques et historiques, chacun nourrissant l’autre et le rendant possible. À cet égard, le projet de la famille Price est exemplaire et constitue un cas remarquable de cette longue tradition de mise en valeur du patrimoine dans les hôtels du Québec. Rappelons quelques-uns de ces projets. L’auberge de Thomas Del Vecchio, qui ouvre ses portes à Montréal en 1824, abrite sa collection de spécimens d’histoire naturelle et de curiosités. Dès 1893, le Château Frontenac offre à sa clientèle la possibilité de loger dans une suite « habitant », dont la décoration s’inspire du pays. De 1929 jusqu’à 1970, le Manoir Richelieu présente sur ses murs une importante collection d’œuvres à sujet historique canadien. En 1942, l’Hôtel Tadoussac est aménagé avec des meubles anciens et divers objets mettant en valeur la vie traditionnelle et l’artisanat canadien-français. Une suite canadienne est disponible au Ritz-Carlton à Montréal à compter de 1949. Plusieurs autres exemples d’intégration du patrimoine à des établissements hôteliers existent. Le plus récent est offert par l’hôtel-musée de Wendake qui a ouvert ses portes en 2008. Ces projets d’intégration du patrimoine au décor des espaces hôteliers mériteraient d’être étudiés en profondeur. Volonté d’éducation, instrument promotionnel, façon de situer le visiteur dans un espace historique, les arguments sont multiples, mais sont toujours les mêmes. Il s’agit certes d’un moyen efficace de donner un cachet unique, d’ancrer l’hôtel dans l’histoire locale, de montrer au visiteur qu’il est dans un lieu exceptionnel…

7 Étonnant à bien des égards, le projet de mise en valeur à l’Auberge Saint-Antoine offre un exemple assez unique de collaboration entre un homme d’affaires et une équipe scientifique. Généralement bien vu par les Nord-américains, ce genre de collaboration (ou selon l’expression désormais consacrée, de « partenariat public-privé ») semble souvent déroutant pour nos collègues européens. Car cela soulève forcément des questionnements –fort bienvenus – quant aux responsabilités respectives de l’État et des gens d’affaires dans la conservation et la mise en valeur du patrimoine. Et il faut reconnaître que l’histoire du patrimoine au Québec a plusieurs fois démontré le rôle essentiel des entreprises privées dans la conservation et la mise en valeur des trésors du passé.