Valérie Rousseau. 2007. Vestiges de l’indiscipline. Environnements d’art et anarchitectures

Marie-Ève Bonenfant
Université Laval

Compte rendu de Valérie Rousseau. 2007. Vestiges de l’indiscipline. Environnements d’art et anarchitectures. Collection Mercure, Études culturelles no 81. Gatineau, QC: Société du Musée canadien des civilisations.
Pp. 208, d’illus. 106, ISBN 978-0-660-97232-9, 34,95$ (reliure souple).

1 Art indiscipliné, art populaire, art insolite, art naïf, art autodidacte, autant de termes différents pour tenter de désigner le travail d’artistes oeuvrant à l’extérieur des réseaux traditionnels de l’art. Entre 1996 et 2004, Valérie Rousseau a mené une recherche sur les environnements d’art populaire québécois. L’ouvrage intitulé Vestiges de l’indiscipline. Environnements d’art et anarchitectures présente les sites de sept créateurs « indisciplinés » figurant parmi la quinzaine étudiés. Appelés tantôt artistes « du bord des routes », bricoleurs ou patenteux, ces créateurs ont développé des environnements artistiques dont l’envergure est étonnante. Ils se nomment Léonce Durette, Richard Greaves, Charles Lacombe, Roger Ouellette, Émilie Samson, Adrienne Samson-Fortier, Palmerino Sorgente et Arthur Villeneuve.

2 L’ouvrage se divise en trois sections. La première présente un portrait de chaque artiste et de son environnement artistique ; la seconde est formée d’un dossier photographique et la dernière propose une réflexion et une analyse autour de thèmes précis. Le parti pris de Rousseau quant à l’ordre de présentation de ces trois sections sert efficacement le sujet. D’abord, les créateurs sont présentés à tour de rôle à partir d’informations recueillies lors de visites répétées de leurs sites de création et d’entretiens réalisés avec eux et certains de leurs proches. On découvre ainsi des environ-nements d’art aussi différents que surprenants. Léonce Durette a tapissé, au fil des ans, les murs et les plafonds de sa maison d’œuvres réalisées à partir de matériaux récupérés. Son environnement d’art comprend également de nombreuses installations extérieures, dont certaines sont animées, qui occupent toutes les surfaces disponibles du terrain et les façades de sa résidence. Pour sa part, Richard Greaves construit des anarchitectures à partir de matériaux provenant, entre autres, de granges et de garages démolis. Ces structures de nature architecturale sont dispersées en pleine nature, sur sa vaste terre, et tapissées à l’intérieur des archives personnelles du créateur. L’environnement d’art de Charles Lacombe, créé à partir de matériaux récupérés, possède quant à lui un caractère plus éphémère. Outre les œuvres conçues pour l’intérieur de sa maison, celles installées sur son terrain sont exposées aux intempéries et connaissent une existence relativement courte, en fonction des matériaux dont elles sont constituées. Roger Ouellette a installé des sculptures en ciment et en bois sur son terrain, exhibées à la vue des passants. Il a également créé un environnement d’art sur un terrain qu’il appellait la « Montagne de la fée », composé d’un chemin de croix parsemé de sculptures et de visages peints sur les roches. L’univers de création d’Adrienne Samson-Fortier s’inscrit dans le sillage de celui de sa mère, Émilie Samson. Il se compose d’objets créés à partir de matériaux divers, tels que des rebuts domestiques, de vieux vêtements et des pierres trouvées, saturant l’espace intérieur de la maison. Palmerino Sorgente, originaire d’Italie, tient une boutique-atelier de brocante où il expose et vend des objets de piété. Il confectionne notamment des couvre-chefs inspirés de ceux utilisés par des représentants de l’Église catholique ainsi que des objets portatifs, tels que des porte-clefs ornés d’une photographie de lui posant en tenue de cérémonie, qu’il offre aux visiteurs. Enfin, s’il est un environnement d’art célèbre, c’est celui d’Arthur Villeneuve, qui se compose de peintures murales couvrant toutes les surfaces intérieures de sa résidence. Sa maison a été déménagée à la Pulperie de Chicoutimi afin d’assurer la préservation de l’œuvre peint. Chaque portrait de créateur, en évoquant brièvement son parcours de vie et en s’attardant sur certains moments charnières, situe le processus de création dans une évolution. D’entrée de jeu, la présentation des créateurs et de leurs environnements d’art permet de plonger rapidement dans leur univers de création et de saisir le contexte inhérent à ces productions « hors normes ». La compréhension du phénomène se fait ainsi au rythme des sept portraits qui, juxtaposés, révèlent l’individualité et la particularité de chaque individu en même temps qu’ils permettent au lecteur de faire des rapprochements et d’observer certaines récurrences dans la démarche de chacun des créateurs.

3 La seconde partie de l’ouvrage est constituée d’un important dossier photographique. Celui-ci regroupe, par créateur, des photographies montrant certaines parties, objets, installations, anarchitectures et/ou peintures composant leur environnement d’art. Plus d’une centaine de photographies révèlent des univers plus grands que nature, colorés, surchargés, indisciplinés. Indispensables à la compréhension des univers décrits précédemment, ces photographies rendent cependant compte d’un état particulier d’une œuvre en constante évolution. En effet, ces environnements d’art sont caractérisés entre autres par leur transformation continuelle, au gré des envies de leur créateur et parfois en raison de la détérioration de certaines composantes, qui sont alors réparées ou remplacées. Aussi ces sites possèdent-ils un caractère éphémère, se dégradant jusqu’à la complète disparition souvent à la suite du décès de leur auteur. Ainsi, le dossier photographique de cet ouvrage prend une autre dimension, celle d’un témoignage.

4 Enfin, dans la dernière section de son ouvrage, Rousseau propose, à partir de différents thèmes, une lecture plus globale et théorique des environ-nements d’art et d’anarchitectures en se référant à la littérature déjà existante sur le sujet. Elle expose entre autres la méthodologie de sa vaste étude du phénomène, elle présente différentes définitions du sujet et relève les caractéristiques communes aux créateurs et à leurs environnements d’art respectifs en situant ces derniers dans une perspective sociale et symbolique. Ainsi, la compréhension des environnements d’art des Durette, Greaves, Lacombe, Ouellette, Samson et Samson-Fortier, Sorgente et Villeneuve s’inscrit dans la perspective plus large du phénomène de l’art indiscipliné.

5 Malgré une qualité d’ensemble indiscutable, la publication souffre d’un trop grand nombre de coquilles. Cependant, Vestiges de l’indiscipline. Environnements d’art et anarchitectures présente des environnements d’art étonnants, créés par des individus tout aussi surprenants qui se situent en marge des réseaux de création. Les différents sites présentés, qui ignorent les conventions artistiques traditionnelles, révèlent une idéologie et une vision du monde propres à leur créateur.