Le visiteur des musées sous le regard des sociologues

Yves Laberge
Université Laval

A propos des trois livres suivants :

Durant, John, dir. 2002. Museums and the Public Understanding of Science. London: Science Museum.
Pp. 112, ISBN 978-0901805492.

Xanthoudaki, Maria, Les Tickle et Véronica Sekules, dirs. 2003. Researching Visual Arts Education in Museums and Galleries. An International Reader. Dordrecht et Boston: Kluwer Academic Publishers.
Pp. 242, ISBN 1-4020-1636-0.

Lucie Daignault, dir. 2001. Le Passé et l’avenir des « Ados ». Québec: Musée de la civilisation.
Pp. 75, ISBN 2-551-21407-6.

1 Les ouvrages abordant les aspects sociologiques de l’art et de la muséologie reçoivent parfois une attention moindre de la part des historiens de l’art et des muséologues. Ainsi, les trois ouvrages que nous présenterons successivement ici sont pratiquement passés inaperçus, en dépit de leur intérêt et de leur originalité.

2 Publié sous la direction de John Durant (du Science Museum de Londres), Museums and the Public Understanding of Science a été réimprimé à plusieurs reprises. Cet ouvrage collectif d’une centaine de pages comprend des interventions d’une vingtaine de spécialistes britanniques, dont Peter Briggs et Patrick Sudbury, mais aussi de trois experts venus d’outre-Manche : les Parisiens Dominique Ferriot, Joël de Rosnay et l’Américain Joel Bloom. Comme l’indique le titre du livre, ces chercheurs et conservateurs s’interrogent sur la compréhension du public face à la science, dans un contexte muséologique.

3 Dans le meilleur article du livre, Roger Miles et Alan Tout proposent un modèle pour saisir et catégoriser les impressions que peuvent retirer les visiteurs lors d’une exposition sur un thème qui leur serait au départ assez peu familier. L’objet, l’artefact en soi ne suffit pas toujours à faire comprendre une idée ; celui-ci doit prendre un sens en étant contextualisé par son environnement muséologique (pp. 30-31). Plus loin, Roger Silverstone s’inspire de la nouvelle muséologie pour étudier la construction de la temporalité dans l’exposition et sur le concept de « visiteur consommateur » (consuming visitor, p. 41).

4 Les textes sont brefs (cinq pages environ) et semblent d’abord destinés aux professionnels des musées. Signalons toutefois que la présente publication, lancée à l’occasion du congrès du COPUS (Committee on the Public Understanding of Science) tenu en 1992, a été réimprimée à six reprises, ce qui constitue en soi un signe de succès et de rigueur, mais hélas ! sans jamais avoir été mise à jour depuis plus de dix ans. Ceci signifie que les propos et les références bibliographiques datent d’avant 1992. Une nouvelle postface ou un nouveau chapitre sur l’évolution récente dans ce secteur me sembleraient essentiels pour une prochaine édition, car ce domaine de recherche est en constante évolution.

5 Par ailleurs, le livre sous la direction de Maria Xanthoudaki adopte également une perspective internationale et comparative, sous le titre Researching Visual Arts Education in Museums and Galleries. An International Reader. Ce deuxième titre de la collection « Landscapes : The Arts, Aesthetics, and Education Series » présente quatorze études de cas et articles théoriques inédits sur l’initiation aux arts faite dans des musées et galeries d’art. Comme l’expliquent les auteurs du chapitre d’ouverture, les musées offrent dans leurs salles des séries d’artefacts qui peuvent – individuellement ou collectivement – être interprétés de diverses manières par les visiteurs. Cette prise de conscience exige de la part des chercheurs, praticiens et muséologues une réflexion théorique particulière sur des aspects comme les parcours de visite, la création du sens, les modes d’appropriation par le visiteur, et plus globalement sur le constructivisme, l’identité, les impressions laissées par une exposition (p. 17).

6 La première moitié de ce collectif est centrée sur des expériences spécifiques dans des musées d’art aux Pays-Bas, en Irlande, en Grèce, à Singapour. Quelques chapitres brefs (ceux de Silvia Mascheroni, de Maria Xanthoudaki) portent spécifiquement sur des projets-pilotes d’éducation artistique au niveau primaire (en Italie, en Angleterre). Bien qu’inégale, la deuxième moitié me semble plus stimulante sur le plan théorique. L’excellent chapitre de Marjo Räsänen sur la construction du récit d’une exposition à partir d’une toile du XIXe siècle évoquant un mythe finlandais s’inscrit dans une réflexion originale sur la fonction du musée en tant que vecteur narratif, en images et en textes (« Visual and verbal narratives »), pour décrire et illustrer une identité nationale donnée.

7 L’ouvrage collectif Researching Visual Arts Education in Museums and Galleries ne prétend pas servir de guide pratique pour concevoir une exposition éducative, mais rend plutôt compte de diverses expériences et de recherches empiriques sur les modalités de l’initiation aux arts en contexte muséologique.

8 Le rapport de Lucie Daignault (du Musée de la civilisation à Québec) porte sur la réception des expositions et les perceptions des musées par les adolescents. Intitulé Le Passé et l’avenir des « Ados », ce rapport d’enquête de près de cent pages porte sur la perception qu’ont des adolescents de la région de Québec du Musée de la civilisation. Fait intéressant, ces entretiens réalisés avec les 260 répondants ont tous eu lieu dans des lieux publics (comme un casse-croûte, une salle de cinéma, une Maison de jeunes) et jamais dans un musée. Les résultats sont d’un grand intérêt pour mieux identifier cette clientèle particulière (entre 12 et 17 ans), qui se rend le plus souvent au Musée par contrainte et non de manière spontanée (habituellement pour accompagner leurs parents ou pour suivre leur groupe scolaire).

9 Les réponses fournies sont révélatrices de leurs attentes, de leurs préférences, de l’image du Musée de la civilisation et des intérêts des adolescents pour la science, la musique, le sport ou d’autres formes de loisir. Si les impressions premières à propos du Musée sont parfois injustes, par exemple lorsque les jeunes déplorent ne pas pouvoir toucher les objets exposés ou ne pas pouvoir parler fort dans les salles, ils apprécient néanmoins leur visite dans une très large proportion. Or, les éléments préférés de ces jeunes étaient d’abord les coulisses (la salle des costumes) et les jeux, puis, seulement en troisième place, les expositions. Les conclusions de ce rapport donnent matière à réflexion sur les pratiques culturelles des auditoires et sur leurs modes d’appropriation des musées. Ainsi, doit-on répondre aux attentes du public, ou au contraire lui montrer ce qu’il ne connaît pas et qu’il serait susceptible d’apprécier ? Le Musée doit-il éduquer et ouvrir des horizons ou simplement correspondre à ce que les visiteurs conçoivent de leur représentation de la visite d’un musée ? Avec prudence, on conclut qu’il importe d’adapter les visites guidées aux groupes d’âge et de planifier des activités spécifiquement conçues pour les jeunes. Toutefois, on constate que ces activités en marge des expositions restent parfois mieux gravées dans la mémoire des jeunes visiteurs. À la limite, on se souviendrait davantage du bricolage que l’on a conçu au Musée mais pas des œuvres qui y étaient exposées. Comme on peut le constater, le débat sur les stratégies éducatives dans les musées reste entièrement ouvert.

10 Ce rapport de recherche a été réalisé par une équipe du Service de la recherche et de l’évaluation du Musée de la civilisation, à Québec. Les résultats obtenus concernent uniquement cette institution. Du point de vue méthodologique, ce document pourra certainement être utile à d’autres institutions qui voudront sonder leurs clientèles, car on trouve en annexe le questionnaire très étoffé de quatre pages qui avait été utilisé pour effectuer les entretiens.

11 Je crois que ces trois ouvrages pourront inspirer des étudiants diplômés à la recherche d’un sujet de thèse ou d’approches théoriques et méthodologiques misant sur l’interdisciplinarité. Ces ouvrages méconnus devraient normalement faire partie de toute bibliothèque universitaire.