Therrien, Marie-Josée. 2005. Au-delà des frontières. L’architecture des ambassades canadiennes 1930-2005

Caroline Cloutier
Université Laval

Compte rendu de Therrien, Marie-Josée. 2005. Au-delà des frontières. L’architecture des ambassades canadiennes 1930-2005. Québec : Presses de l’Université Laval.
Pp. 231, ISBN 9782763781952

1 Combien de Canadiens peuvent-ils prétendre avoir déjà franchi les portes de l’une de nos ambassades ? Mis à part ceux qui y travaillent et quelques voyageurs curieux ou en péril, sans doute très peu. Ces édifices demeurent généralement méconnus du grand public canadien. D’une part, cette méconnaissance relève de leur éloignement physique. D’autre part, leurs fonctions administratives et celles assocées à des activités secrètes – qui exigent des niveaux de sécurité élevés – eur confèrent l’apparence de lieux clos, voire énigmatiques. Paradoxalement, les ambassades se veulent ouvertes au public tant canadien qu’étranger, puisqu’elles constituent les portes d’entrée à l’immigration et qu’elles jouent un rôle de diffuseur culturel. En ce sens, la typologie de l’ambassade paraît difficile à définir. C’est pourtant ce que tente Marie-Josée Therrien dans son ouvrage Au-delà des frontières. L’architecture des ambassades canadiennes 1930-2005.

2 L’ouvrage de 231 pages, consacré aux édifices construits essentiellement pour servir d’ambassades, couvre une période de 75 ans, depuis la chancellerie construite en 1930 à Tokyo jusqu’à la dernière ambassade érigée dans la même ville en 2005. L’évolution de cette typologie architecturale est présentée à travers six chapitres, chacun correspondant à une étape de changement dans les politiques canadiennes en matière d’affaires étrangères et de relations internationales du pays.

3 L’étude de Marie-Josée Therrien repose essentiellement sur des arguments politiques. Si cette approche a le mérite de lever le voile sur un pan peu connu de l’histoire canadienne, elle le fait au détriment, cependant, du véritable objet d’étude de l’ouvrage : l’architecture.

4 Ainsi, le livre foisonne de renseignements captivants sur la politique étrangère canadienne qui auraient mérité d’être davantage commentés. À cet égard, le chapitre deux, qui traite des ambassades érigées durant la période de la Guerre froide, est des plus éloquents. On y apprend, entre autres, que la défection d’Igor Gouzenko, un crypto-analyste soviétique travaillant à l’ambassade de l’URSS à Ottawa, en 1945, a influencé la conception des ambassades. C’est en effet à partir de ce moment que le gouvernement canadien a revu les mesures de sécurité de ses édifices diplomatiques. Davantage de détails concernant cette affaire auraient été souhaités. Ils auraient permis de mieux saisir toute l’importance et les conséquences qu’a eu cet événement sur l’architecture diplomatique, car cette histoire constitue somme toute l’un des cas d’espionnage les plus importants que le Canada ait connus.

5 Par ailleurs, on apprend que le ministère des Affaires étrangères travaillait en collaboration avec l’Office national du film et que des salles de projection étaient aménagées dans les ambassades les plus importantes. Mais en quoi consistait cette collaboration ? Qui utilisait ces salles ? Comment celles-ci étaient-elles aménagées ? Voilà le type de questions suscitées tout au long du livre et qui demeurent, au grand regret du lecteur, sans réponse.

6 Certes, l’absence de plusieurs réponses à ces questions peut être mise sur le compte de la difficulté d’accès à la documentation, car, comme le mentionne l’auteur, les plans des ambassades sont soumis à la loi sur l’accès à l’information pour des raisons de sécurité. Par conséquent, on comprend aussi que la recherche comparative dans les ambassades d’autres pays se soit avérée pratiquement impossible. Il aurait toutefois été intéressant d’établir un parallèle avec des édifices gouvernementaux situés au pays et construits durant les mêmes périodes. On aurait pu, par exemple, se pencher sur les nombreux chantiers des années 1950, 1960 et 1970, comme le réaménagement des collines parlementaires d’Ottawa et de Québec, la construction des grands campus universitaires ainsi que les concours d’architecture pour les célébrations du centenaire de la confédération. Tous ces grands projets ont été riches en construction d’immeubles aux fonctions administratives, et ce, d’un bout à l’autre du pays. De fait, cette réflexion, correspondant à l’un des objectifs de l’étude et annoncés en introduction, aurait permis de déterminer si l’architecture des ambassades s’inscrit dans la production architecturale courante au Canada ou si elle s’en distingue.

7 À la lecture de cet ouvrage, on apprend qu’un programme type de chancelleries a été élaboré, à la fin des années 1950, pour servir de guide aux concepteurs. Ce n’est pas la première fois que le gouvernement canadien procède de la sorte, puisqu’il a élaboré, tout au long de son histoire, des plans types notamment pour les palais de justice, les prisons et les bureaux de poste. Cette fois, il ne s’agit pas de plans, mais bien d’un programme type qui, selon l’auteur, fixe des normes relativement, par exemple, au nombre d’étages que doit com-porter une ambassade et à l’organisation de l’espace à l’intérieur de l’édifice. Malheureusement, un seul paragraphe est consacré à ce sujet qui semble pourtant fondamental dans une étude typologique, d’autant plus que le programme en question était toujours en vigueur en 2005.

8 La difficulté de tracer l’évolution de la typologie de l’ambassade canadienne réside peut-être dans le fait que celle-ci est relativement récente au pays, puisque la première ambassade n’a été construite qu’en 1930. Par ailleurs, comme il s’agit d’une typologie du XXe siècle, il aurait été souhaitable que la question de l’architecture moderne soit davantage développée. Hormis quelques considérations générales et des idées discutables sur les courants architecturaux, notamment le style international et le brutalisme, ce sujet n’a été qu’effleuré.

9 Encore trop peu d’ouvrages traitent de l’architecture et des architectes canadiens. Celui de Marie-Josée Therrien a le mérite de faire avancer les connaissances sur le sujet, particulièrement grâce à sa valeur d’inventaire. Malgré ses lacunes, cette étude fait figure de pionnière en ouvrant les portes à des recherches subséquentes sur l’architecture moderne qui n’en sont encore qu’à leurs débuts. À cet égard, on ne peut qu’apprécier un tel travail de défrichage.