Book Reviews / Compte rendus de livres
À la découverte d’une identité

Martin Racine
l’Université Concordia

Compte-rendu de Choko, Marc H., Paul Bourassa et Gerald Baril. Le design au Québec. Éditions de l’homme, 2003.

1 Après son très bel ouvrage sur l’affiche au Québec (« L’affiche au Québec, des origines à nos jours », Éditions de l’homme, 2001) Marc H. Choko, le directeur du Centre de design de l’UQAM, récidive en proposant un livre écrit en collaboration avec Paul Bourassa et Gérald Baril, qui présente les origines et l’état actuel du design au Québec. Ce dernier est à nouveau édité aux Éditions de l’homme et s’adresse avant tout à un large public et non uniquement à des spécialistes. Dès le premier coup d’œil, on est séduit par ce beau livre qui fait honneur à son titre : la mise en page, ainsi que la qualité des images et des photographies sont remarquables. Cet ouvrage attirera d’autant un public varié qu’il présente trois domaines de création: le design industriel, le design graphique et le design de mode.

2 Pour chacune des trois disciplines, on présente les origines historiques, le travail des pionniers ainsi qu’une abondante documentation en image démontrant le talent et l’originalité des créations réalisées par des designers du Québec. Par ailleurs, à la suite de chaque chapitre, il y a une biographie des designers cités. En fait, ce livre s’attarde aux créateurs et à leurs œuvres plutôt qu’à une analyse détaillée du contexte historique et social dans lequel ils ont évolué. Ainsi, c’est en « montrant du design » que le lecteur pourra apprécier la prolificité de la création québécoise et la mettre en perspective par rapport à la production internationale.

Le design industriel

3 Cette première partie traite du domaine du mobilier et de « l’architecture des objets ». De l’influence de l’art déco dans le mobilier en passant par le génie inventif de Joseph-Armand Bombardier, on voit se profiler une nouvelle discipline au Québec, celle que l’on nommait alors l’esthétique industrielle. C’est à la suite de la seconde guerre mondiale que l’industrie qui s’était développée pour les besoins militaires est amenée à se convertir en industrie civile. Le gouvernement canadien perçoit alors le design comme un moyen efficace de relancer l’économie et mettre en marché des nouveaux matériaux. En 1951, le Comité national de l’esthétique industrielle organise, en collaboration avec l’Aluminum Company of Canada et la Galerie nationale, un des premiers concours de design, visant l’exploitation de l’aluminium. Deux créateurs Montréalais, l’architecte Norman Slater et le sculpteur Julien Hébert vont s’illustrer à ce concours et ainsi orienter leur carrière vers cette nouvelle discipline. On montre d’ailleurs la superbe chaise longue créée par Hébert pour ce concours et l’on s’étonne de la pureté de ses lignes. Suit la présentation d’autres précurseurs tels Henry Finkel, Jacques Guillon et Sigrun Bulow-Hübe, une designer de mobilier d’origine suédoise qui s’installa au Québec dans les années cinquante pour y fonder sa propre entreprise. L’auteur Paul Bourassa souligne l’importance de l’Expo 67 et décrit à quel point le rôle joué par les designers y fut déterminant. En regardant les caractéristiques du design d’une époque donnée, on peut dénoter l’esprit du temps - les créations d’inspiration pop art de François Dallegret dans les années 70 ou le mobilier dit postmoderne de Jean-François Jacques au début des années 80- influencé par le courant italien Memphis, en sont d’ailleurs les meilleurs exemples.

Le design graphique

4 Dans la seconde partie du livre, on présente les précurseurs de la modernité en design graphique au Québec. On ne peut qu’être impressionné par la richesse et la force visuelle retrouvées parmi les affiches, couvertures de livres et publicités présentées. Choko rappelle toutefois la difficulté qu’ont eue les premiers graphistes d’ici à imposer leurs idées, souvent jugées trop avant-gardistes par leurs clients de l’époque, avant tout préoccupés par leur chiffre d’affaires. C’est lors d’événements comme Expo 67 ou lors des Jeux olympiques de 1976 que les designers verront leur travail enfin diffusé et reconnu dans les médias d’ici et sur la scène internationale. On note par ailleurs l’influence de créateurs étrangers venus faire carrière à Montréal, tel Ernst Roch, Rolf Harder ou Fritz Gottschalk, dont les œuvres sont caractérisées par un modernisme géométrique, parfois ludique, et par des aplats de couleurs à fort contraste. Tout comme en design d’objet, les créations graphiques s’inscrivent dans leur époque et dans leur contexte. Le Québec n’échappe pas au débat entre les « Suisses » (les formalistes internationaux) et les « anti-Suisses » cherchant à briser les mises en pages trop structurées. Les exemples contemporains montrent des approches plus conceptuelles, influencées à la fois par l’apport des technologies numériques et par une démarche plus éclectique.

Le design de mode

5 La partie du livre qui traite de la mode, rédigée par l’anthropologue Gérald Baril, se distingue en ce sens qu’elle présente des entrevues des créateurs les plus connus du grand public: Michel Robichaud, Jean-Claude Poitras et Marie Saint Pierre ; on a ainsi droit à un rapport plus direct avec les designers. La présentation historique nous remémore l’époque de la Haute Couture et de l’influence des créateurs parisiens sur Montréal, capitale de la mode au Canada. On découvre d’ailleurs qu’un certain nombre des pionniers de la mode au Québec étaient d’origine européenne et qu’ils ont contribué à la mise sur pied des premières associations de couturiers au Canada. Puis dans les années soixante vint la transformation des structures établies avec l’avènement du prêt-à-porter ; la mode se démocratise et devient accessible à un plus large public. Encore une fois, Expo 67 apparaît comme un moment charnière puisque les designers les plus en vue de l’époque – Michel Robichaud, Serge et Réal, John Warden -vont êtres appelés à dessiner les tenues pour les hôtes et hôtesses de diverses installations. Au fil des années, l’industrie de la mode évolue au Québec, des designers vont s’intéresser à la fourrure par exemple; on voit également apparaître des entreprises spécialisées dans les vêtements d’hiver (Kanuk, Louis Garneau, Orage). Enfin, de jeunes créateurs québécois vont atteindre une réputation du plus en plus internationale au courant des années 90.

6 Il ne fait pas de doute qu’une telle publication sur le design manquait au Québec. Cette discipline a été marquée par une production remarquable et des créateurs de talent qui méritent d’être enfin mis à jour. La préface du designer industriel Michel Dallaire rend d’ailleurs hommage aux pionniers de la discipline et questionne le caractère spécifique du design québécois par rapport à ce qui se fait ailleurs dans le monde. Cette question n’est toutefois guère approfondie à travers le livre et il reste à souhaiter que d’autres ouvrages viendront compléter ce panorama du design au Québec, en portant un regard et une analyse plus pointues visà-vis du domaine. Il demeure que cet ouvrage accessible permettra aux étudiants, aux enseignants et à toute la communauté qui gravitent autour du design de s’imposer comme référence. Cet ouvrage a également le mérite de démontrer que le design a sa place à part entière parmi les domaines de créations qui façonnent et déterminent l’espace culturel au Québec.