1 Tout le long du XIXe siècle, les villes nord-américaines, tant au Canada qu'aux Etats-Unis, dont Québec en 1845, Montréal en 1852 et Toronto en 1904, furent dévastées par des conflagrations affichant après leur passage un sombre record de pertes matérielles et de personnes sans foyer. Et depuis, c'est l'accalmie. De nombreux auteurs ont attribué ce revirement à plusieurs facteurs issus de la conscientisation de divers groupes et paliers gouvernementaux aux problèmes causés par ces sinistres, notamment l'organisation de services d'incendie permanents et l'amélioration de la technologie de lutte contre les incendies, un meilleur système d'approvisionnement en eau ainsi que l'implantation de diverses réglementations au niveau du code du bâtiment et en urbanisme.
2 Dans son étude The Fireproof Building, Sara Wermiel reconnaît l'importance des facteurs qui viennent d'être énumérés dans la lutte contre les incendies majeurs dans les villes américaines du XIXe siècle. Toutefois, selon elle, l'amélioration est surtout attribuable aux caractéristiques de construction « incombustible » des nouveaux édifices érigés dans les centres-villes américains, dont l'évolution culmina vers la fin du XIXe siècle dans la construction à charpente d'acier qui allait rapidement devenir la norme du bâtiment commercial au XXe siècle. L'auteure est historienne de la technologie et a été urbaniste pendant plusieurs années. Son étude repose non seulement sur l'analyse d'un nombre impressionnant de sources documentaires, mais aussi sur l'examen de la structure de vrais bâtiments. En fait d'archives, elle a consulté des documents de sociétés manufacturières, des brevets, des catalogues et des documents reliés à la construction d'édifices. Elle a aussi puisé dans des monographies d'auteurs contemporains sur le sujet, de même que dans des périodiques d'associations d'architectes et des biographies d'architectes.
3 En premier lieu, Sara Wermiel nous présente son sujet de façon claire et succincte. Par la suite, son travail se divise en six chapitres reflétant l'évolution des divers concepts architecturaux de structures de bâtiments incombustibles, des matériaux et des produits conçus par des architectes et des ingénieurs pour protéger les édifices et leur contenu du feu et empêcher la propagation de celui-ci aux structures voisines. Son ouvrage est illustré de plusieurs croquis et de quelques photographies, et s'accompagne d'un glossaire de termes architecturaux.
4 Le premier chapitre, intitulé « The Solid Masonry Fireproof Building, 1790-1840 », présente aux lecteurs la première forme de construction à l'épreuve du feu, celle de voûte en maçonnerie, ainsi que ses principaux concepteurs et clients. Cette forme de construction incombustible donna lieu à un nouveau système, celui de l'édifice à structure en fer et briques, en vogue de 1840 à 1860, expliqué dans le deuxième chapitre. Toutefois, en raison de leur coût élevé, les édifices construits pour résister au feu demeuraient peu nombreux et, conséquemment, avaient pour seule clientèle les gouvernements fédéral et municipaux, certaines institutions financières et quelques manufacturiers. Les conflagrations étaient encore une menace à envisager, comme le prouvèrent les grands feux de Chicago et de Boston, respectivement en 1871 et 1872, relatés au chapitre 3.
5 Ces deux incendies ont démontré qu'aucun édifice, même parmi ceux définis à l'époque comme incombustibles grâce à leurs poutres de fer, ne pouvait vraiment être considéré comme tel. En réponse à ce problème, les architectes et les sociétés expérimentèrent et développèrent de nouveaux produits plus efficaces et résistants au feu, tels les blocs de tuiles creuses et le béton pour les planchers et les revêtements, afin de protéger les poutres de fer des variations de température. Puis, au cours des années 1880, une autre solution moins coûteuse, qui fait l'objet du quatrième chapitre, fut proposée. Il s'agit de la construction à faible indice de combustibilité dérivée de la norme de construction des filatures telle que définie par les compagnies d'assurances mutuelles. Graduellement, les autorités civiles et les syndicats d'assurances contre le feu (Fire Underwriters) commencèrent aussi à légiférer en matière de normes de résistance au feu des édifices en hauteur et des théâtres. Cette réglementation encouragea le développement des connaissances sur la construction à l'épreuve du feu, d'où découla finalement, vers la fin desannées 1890, une nouvelle méthode de construction en hauteur, celle de la charpente en acier. Rapide, exigeant peu d'espace et moins coûteuse, cette méthode fut vite adoptée dans la construction des édifices en hauteur des centres-villes américains, ce qui mena à l'éradication des conflagrations. L'auteure termine son survol au chapitre 6 en présentant les normes établies pour protéger aussi les occupants des édifices lors d'incendies, les sorties d'urgence et leur indication visuelle, les systèmes de gicleurs, les escaliers de secours ainsi que les normes d'occupation.
6 Tout le long de l'ouvrage, Sara Wermiel présente très bien son argumentation en partant des premières expériences individuelles de protection d'édifices contre le feu jusqu'à la généralisation de cette protection par obligation après l'adoption de lois. D'autres ouvrages ont été écrits sur le développement du design des structures de bâtiments et décrivent très bien les concepts, les matériaux et les produits (voir Cecil D. Elliott, The Development of Materials and Systems for Buildings [Cambridge, Mass., MIT Press, 1994] et Donald Friedman, Historical Building Construction : Design, Materials and Technology [New York, W. W. Norton & Co., 1995]). Mais ils ne portent pas exclusivement sur les constructions résistant au feu. L'étude de Sara Wermiel se distingue aussi de ces ouvrages par son analyse du rôle des différents intervenants — propriétaires, architectes, manufacturiers, gouvernements, compagnies d'assurances — et par son établissement d'un lien entre l'évolution des systèmes de construction à l'épreuve du feu, dont le perfectionnement est représenté par la construction à charpente d'acier, et la fin des conflagrations.
7 L'auteure nous laisse cependant un peu sur notre faim dans l'étude des rapports entre les syndicats d'assurances contre le feu et les autorités civiles lors de la mise en place de normes. Mon étude récente de l'industrie canadienne des véhicules d'incendie me porte à croire que leur rôle fut très important. Sara Wermiel semble aussi avoir omis un point important dans l'évolution des bâtiments résistants au feu, soit les normes établies pour la résistance du verre des fenêtres. L'incendie de l'édifice de la Home Life Insurance à New York, en 1898, avait démontré avec succès la résistance de sa charpente d'acier mais révélé du même coup la faiblesse du verre des fenêtres qui, sous l'effet de la température élevée du bâtiment en feu, avait éclaté et permis la propagation du feu d'étage en étage. Par conséquent, le verre de bâtiments à l'épreuve du feu donna aussi heu à une nouvelle norme de résistance au feu Qohn T. O'Hagan, High Rise : Fire and Life Safety [New York : Dun-Donnelley Pub. Corp., 1977], p. 6).
8 Somme toute, malgré ces deux dernières remarques, je recommande fortement la lecture de l'ouvrage de Sara Wermiel. Ce livre très bien documenté et rédigé apporte un éclairage nouveau à l'histoire architecturale des centres-villes américains en relation avec la protection contre les incendies.