1 Les «sciences pures» jouissent actuellement d'un prestige bien supérieur à celui des « humanités ». Pourtant, il n'en a pas toujours été ainsi - la culture de l'éducation québécoise peut en témoigner. Par leurs oeuvres, certains scientifiques du siècle dernier ont contribué à préparer cette transition. Léon Provancher se trouve certainement parmi ceux-ci.
2 L'abbé Léon Provancher est né le 10 mars 1820 dans la paroisse de Bécancour, située dans le comté de Nicolet, au Québec. En 1844, après des études au Séminaire de Nicolet, il est entré au service du ministère paroissial. En 1854, il est devenu curé de Saint-Joachim, près de Québec. C'est là qu'il a commencé à s'intéresser plus activement aux « petites sciences ». Par la suite, il a été transféré à Portneuf. Ultramontain au dialogue parfois un peu trop opiniâtre, Provancher a reçu, à l'âge de 49 ans, l'autorisation de prendre sa retraite. Dès lors, il a décidé de se consacrer pleinement à l'étude des sciences, composant avec ses faibles ressources financières2. Pour ce faire, il s'est installé à Cap-Rouge, où il est finalement décédé le 23 mars 1892, léguant à sa province un impressionnant héritage scientifique.
3 L'oeuvre de l'abbé Léon Provancher s'avère étonnamment diversifiée. Du domaine de la botanique à celui des insectes et des mollusques, il n'existe littéralement aucun champ qui n'ait suscité la curiosité du scientifique de Nicolet. Parallèlement à ses intérêts proprement scientifiques, Provancher apparaît aussi comme un homme profondément préoccupé par la vie socio-économique et spirituelle de la population du Bas-Canada. Dans les pages du Naturaliste canadien, un périodique de vulgarisation scientifique plus que centenaire qu'il a fondé en 1868, il n'hésitait pas à exprimer ses opinions concernant des sujets aussi divers que l'éducation, l'information, l'histoire et, bien entendu, la religion, à laquelle il rapportait constamment la science. En somme, au-delà de toute autre caractéristique, il semble que son côté « touche-à-tout » ait formé la trame de fond de sa personnalité autant que de son oeuvre.
4 L'historiographie actuelle ne reconnaît généralement pas la contribution de Léon Provancher au développement du mouvement scientifique canadien-français. Cette situation se traduit par le fait que, depuis plusieurs années, elle véhicule des représentations ayant pour effet de positionner Léon Provancher à l'arrière-scène de la vie scientifique canadienne-française du XIXe siècle. L'article de Francine Descarries-Bélanger, Marcel Fournier et Louis Maheu, publié en 1979 dans le périodique Recherches sociographiques, illustre pleinement cette situation : « A la fin du ⅩⅨ siècle, il y a bien quelques notables, membres du clergé et intellectuels qui s'intéressent, le plus souvent par dilettantisme, à la science. Des initiatives, telles la création [...] en 1869 du Naturaliste canadien par l'abbé Léon Provancher illustrent l'apparition d'un intérêt nouveau, du moins pour les sciences naturelles. Mais ces initiatives demeurent parcellaires et isolées et ne réussissent ni à engendrer une tradition ni à créer un climat favorable à l'essor d'un mouvement scientifique »3. La position de ces auteurs, qui découle alors de plusieurs années de représentations historiographiques fixes, ne fait qu'attribuer à Provancher un intérêt scientifique, en lui refusant toutefois une participation prépondérante au développement du mouvement scientifique canadien-français.
5 Il faut mentionner que cette position est également conditionnée, en grande partie, par le fait qu'elle accorde le pôle de vulgarisateur scientifique par excellence au Frère Marie-Victorin, un titre que la postérité a malheureusement tendance à refuser à Provancher par méconnaissance de son oeuvre. L'ensemble de ces représentations se trouve institutionnalisé à l'intérieur de l'ouvrage de Luc Chartrand, Raymond Duchesne et Yves Gingras, publié en 1987, qui fait figure d'autorité en matière d'histoire des sciences au Québec4. En conséquence, l'oeuvre de l'abbé Provancher tend aujourd'hui à demeurer méconnue, voire oubliée. À cela, notons cependant que Jean-Marie Perron, professeur émérite du département de biologie de l'Université Laval et conservateur de la Collection Léon-Provancher de l'Université Laval, tâche actuellement, par diverses contributions signifiantes, de susciter une réinterprétation de l'oeuvre de Provancher5.
6 En raison du dialogue créateur qu'elle entretient avec l'objet, la démarche ethnologique peut certainement apporter un éclairage bénéfique sur l'action de Provancher, aider à restituer cette dernière et, ainsi, tenter de la réhabiliter aux yeux de l'historiographie actuelle6. Depuis plusieurs années, voire depuis la parution des ouvrages de André Leroi-Gourhan7, l'attention des chercheurs en culture matérielle se porte surtout sur les objets de prime abord apparentés à l'univers culturel, car on considère que ceux-ci, une fois pris dans leurs dimensions symboliques, possèdent la capacité de révéler les systèmes de pensée, notamment ceux des couches populaires. Cependant, cette préoccupation à l'égard de l'objet culturel relègue depuis longtemps l'objet naturel (biologique, botanique, etc.) au second rang. Étant donné l'étendue du domaine relevant pourtant de la culture matérielle, il apparaît essentiel de privilégier l'étude de l'objet naturel - précisément ce que l'abbé Léon Provancher tâchait de faire dans son oeuvre.
7 Au moment où Provancher se documentait, où il herborisait, analysait, compilait, observait au microscope, prenait la plume, etc.. bref au moment où il réalisait l'essentiel de son oeuvre, certaines lignes directrices sous-tendaient son action. Parmi celles-ci, il importe de noter son désir de participer non pas uniquement au développement des connaissances scientifiques générales, mais d'offrir des méthodes permettant d'appliquer ces connaissances et de participer de façon tangible à l'instruction du peuple8. Cette motivation a amené Provancher à constituer des collections, tout comme à écrire des traités de vulgarisation scientifique et à rassembler une impressionnante bibliothèque. A l'intérieur de ce cadre, la notion même de « collection » ne lui était donc pas étrangère ; Provancher saisissait la portée de la « collection » par rapport à son oeuvre9. Aussi pensait-il directement ses collections en fonction de leur mouvance au sein de différentes institutions, au rang desquelles venaient les musées10. Ainsi, plus qu'un simple complément à ses travaux, les collections de l'abbé Provancher participaient visiblement de la construction de son oeuvre. Par ailleurs, même avant son décès (ou très tôt après celui-ci), elles ont commencé à se disperser : des collections ont été cédées au Collège de Lévis, d'autres ont été rapidement acquises par le Séminaire de Chicoutimi, pour ne nommer que ceux-ci. À l'intérieur de ce contexte de diffusion d'un héritage scientifique, c'est le Musée de l'Instruction publique qui a hérité de la plus grande partie des collections de l'abbé Provancher : bibliothèque, collections entomologiques, objets ayant appartenu au naturaliste, etc. De ce fait, l'institution a hérité d'une collection portant en elle-même l'essence de l'oeuvre de l'abbé Provancher. Elle a hérité d'une collection dont la construction, ponctuée d'un long cheminement qui avait commencé avec les premières manifestations scientifiques de l'abbé et s'est poursuivi jusqu'à aujourd'hui, permet justement de restituer cette essence, éclairant du même coup la « tangente institutionnelle » qui découle de sa récente intégration aux collections de l'Université Laval.
8 La collection Provancher que possède aujourd'hui l'Université Laval est surtout constituée de la bibliothèque du savant, de la plupart de ses collections entomologiques (taxonomiques) et de certains de ses objets d'expérimentation et personnels. Sur le plan physique, elle comprend notamment plus de 500 volumes ainsi que le millier de « types » identifiés par le naturaliste de son vivant. Ces « objets » attendent d'être questionnés afin de libérer la signification qu'ils portent et véhiculent en silence. Ce sont eux qui permettent la restitution de l'oeuvre de Provancher. Leur valeur d'exception peut être obtenue à partir du scheme élaboré par Susan Pearce, un scheme qui vise à soumettre l'objet à une analyse matérielle, temporelle, spatiale et interprétative (qualitative)11. Pour ce faire, il semble important de reconnaître d'emblée à l'abbé Léon Provancher des caractéristiques se trouvant constamment à la base de son accumulation d'« objets », principalement ses ressources financières plus que limitées et sa propension à 1'« international ». Ce type de regard possède l'avantage de distinguer Léon Provancher du contexte scientifique précaire du Canada français d'alors et, ainsi, d'obtenir toute la valeur d'exception d'un groupe d'objets donnés. Finalement, notons que sept thèmes dominent chronologiquement l'oeuvre de Provancher, proposant un intéressant traitement opératoire : les insectes nuisibles, la flore, l'histoire et les sciences naturelles, les oiseaux, l'entomologie, les mollusques et, finalement, la géologie.
9 Le profond intérêt que manifestait Léon Provancher à l'égard du développement des sciences et de L'essor de l'éducation l'incitait à se bâtir des collections qui, comme en témoigne la portion originellement transmise à l'Université Laval, n'ont pas tardé à devenir une partie prépondérante de son oeuvre.
10 Homme de savoir, l'abbé Provancher aimait s'entourer de livres. Il lisait notamment le français et l'anglais, ce qui lui ouvrait les portes de l'Europe et de l'Amérique du Nord toutes entières. D'ailleurs, étant donné le contexte scientifique provincial précaire qui prévalait au début de sa création scientifique, il n'avait pas réellement le choix de s'entourer d'ouvrages rédigés en anglais : les Etats-Unis et le Canada anglais comptaient plusieurs spécialistes reliés aux questions des sciences naturelles. Le premier domaine qui a réellement retenu l'attention de Léon Provancher est celui des insectes nuisibles. L'abbé s'intéressait particulièrement aux effets néfastes qu'avaient les insectes sur les récoltes12. Aussi souhaitait-il pouvoir contribuer à enrayer cette « calamité ». À l'intérieur de ce cadre, il a d'abord acquis un certain nombre de livres. Noxious, Beneficial and Other Insects of the State of Missouri, de Charles Ⅴ. Riley13, en constitue un des plus importants. Cet ouvrage a modelé et influencé considérablement la perception qu'avait Provancher de la nature du problème auquel son intérêt scientifique le confrontait14. Le livre provenait des Etats-Unis. Il portait en lui-même une « histoire des idées » qui lui était propre et contenait une argumentation américaine. En ce sens, à l'image de la plupart des livres sur lesquels le naturaliste a sérieusement pris appui au cours de sa vie, il témoignait de la capacité qu'avait Provancher de se bâtir un monde de références non uniquement canadiennes françaises, ce qui s'avère exceptionnel, compte tenu du contexte scientifique de l'époque. De même, il s'agit d'un ouvrage que le naturaliste a acheté, en dépit de ses faibles moyens financiers, comme il l'avait fait pour certains des livres qu'il possédait.
11 Homme d'action tout autant que de réflexion et d'expérimentation, l'abbé Provancher a pris la plume à d'« innombrables » reprises au cours i le sa vie. À cet effet, la collection de l'Université Laval possède une copie de sa toute première oeuvre écrite : Essai sur les insectes et les maladies qui affectent le blé (fig. 2), un livre signé du pseudonyme Emilien Dupont15. En soi, cet ouvrage complète bien Noxious Insects : à une prise de conscience personnelle puis documentée du problème des insectes nuisibles, Provancher proposait, par le biais de sa première publication, ses propres solutions. De ce fait, le naturaliste posait les bases de son intérêt « pluridisciplinaire », en plus d'affirmer son désir d'aider de façon concrète à la résolution de problèmes tout aussi concrets. C'est en cela que réside la valeur d'exception de l'objet. À cet effet, la collection joue d'ailleurs un rôle prépondérant : le livre qui a été conservé en son sein depuis sa cession au Musée de l'Instruction publique, en 1893, jusqu'à son transfert au département de biologie de l'Université Laval, en 1976, sous l'initiative de Jean-Marie Perron, rend possible la restitution d'une partie de l'oeuvre de Provancher. La collection continuera de le faire pour tous les autres objets qu'elle comprenait à la base et dont elle a assuré la pérennité (livres, spécimens, objets, etc.).
12 L'intérêt qu'entretenait l'abbé Provancher envers les insectes nuisibles l'a amené très tôt à se pencher sur le domaine plus général de la flore. Même si, aux yeux de la critique passée et présente, cette expérience est jugée peu concluante16, elle n'en rejoint pas moins l'essence de l'oeuvre que Provancher était attelé à bâtir. Comme pour ce qui a trait aux insectes nuisibles, l'entreprise en question a débuté par la consultation de livres écrits par des spécialistes étrangers. A cet effet, c'est le curé Gariépy, de Samt-Joachim, qui a d'abord retenu l'intérêt de Provancher en lui offrant l'ouvrage Le Bon jardinier, écrit sous la direction de M. Poiteau17. Cet ouvrage français contenait plusieurs réflexions reliées à la pratique de l'horticulture. Il affirmait entre autres que des principes résident à la base de l'horticulture et il percevait la culture comme un art18. Ainsi, son essence s'arrimait remarquablement bien avec l'esprit propre à Provancher. C'est pourquoi il constitue un ouvrage prépondérant ayant sensiblement influencé Provancher dans sa conception et son étude de l'horticulture19. Loin de se limiter au Bon jardinier, Léon Provancher allait s'abreuver des études de plusieurs autres spécialistes reconnus.
13 Parmi les ouvrages que Provancher a consultés en rapport avec l'étude de l'horticulture, ceux des spécialistes américains occupent une place majeure. Ainsi, Provancher disposait notamment de plusieurs livres de Asa Gray20. Attaché à l'Université Harvard, Gray était alors reconnu comme un grand spécialiste nord-américain de la taxonomie. En s'entourant des ouvrages de Gray, Provancher démontrait sa capacité de s'ouvrir à une argumentation internationale - une argumentation faisant autorité en la matière - tout autant qu'à surmonter ses faibles possibilités financières, puisqu'il achetait fort probablement ces livres. C'est également cette faculté qu'il démontrait en s'entourant de l'ouvrage de John Darby, Botany of the Southern States in Two Parts21. Cette étude sérieuse portait en elle-même un système de références émanant d'un monde scientifique alors bien éloigné de l'univers canadien-français, ce qui, à l'image des travaux de Gray, lui conférait une valeur d'exception.
14 La collection « originale » dont a hérité le Musée de l'Instruction publique et qui a transité par les inventaires du Musée de la province de Québec avant d'être transférée à l'Université Laval comprend certains objets d'expérimentation jadis recueillis par Provancher. Dans cette optique précise, elle permet donc globalement de reconstituer le cheminement de Provancher à l'égard de l'horticulture : elle ajoute aux livres de référence un objet particulier d'expérimentation, qui dénotait une seconde phase, plus pratique, de l'étude de Provancher. Ainsi, une loupe d'herborisation (L.B. 1558), vraisemblablement liée à la collection « originale », rend compte des expérimentations pratiques du naturaliste. Ces expérimentations donnaient inévitablement suite à ses lectures théoriques et précédaient ses propres publications. Elles s'inséraient donc à l'intérieur d'une démarche scientifique.
15 L'aboutissement du raisonnement, de la démarche et de l'oeuvre de Provancher à l'égard de la botanique s'est matérialisé dans ses principales publications horticoles, que possède heureusement la collection initialement transmise à l'Université Laval. À ce sujet, son Traité élémentaire de botanique à l'usage des maisons d'éducation et des amateurs qui voudraient se livrer à l'étude de cette science sans le secours d'un maître, sa Flore canadienne ou description de toutes les plantes des forêts, champs, jardins et eaux du Canada, vol. Ⅰ et Le Verger canadien ou culture raisonnée des fruits qui peuvent réussir dans les vergers et les jardins du Canada22 constituent les trois ouvrages qui offrent le fruit de sa réflexion. À l'image de la première publication de Provancher, ils venaient clôturer un scheme d'ensemble caractérisé par des préoccupations horticoles. De même, en raison des cadres et des références théoriques et pratiques sur lesquelles ils s'appuyaient23, ces ouvrages témoignaient du déplacement d'idées scientifiques et de leur intégration par un naturaliste canadien-français pourtant à l'écart du domaine de l'enseignement universitaire - un des seuls milieux permettant, à l'époque, d'établir des contacts internationaux avec des spécialistes scientifiques.
16 L'oeuvre de l'abbé Léon Provancher peut aujourd'hui être redécouverte grâce à la contribution de scientifiques comme Jean-Marie Perron qui, en plus d'en assurer la pérennité, contribuent directement, par leur action, à la prolonger.
17 L'étude de l'entomologie et de l'horticulture a certes occupé les deux premières périodes de l'oeuvre de l'abbé Provancher. Ce dernier n'a cependant pas négligé de parfaire ses connaissances générales en rapport avec le vaste domaine de l'histoire et des sciences naturelles. D'ailleurs, cet intérêt l'a progressivement mené à élaborer son propre périodique d'« histoire naturelle », le Naturaliste canadien, publié dès 1869.
18 Provancher recevait fréquemment des périodiques européens d'histoire naturelle qui jouissaient d'une grande réputation. Parmi ceux-ci, on note Suites à Buffon, Œuvres complètes de Buffon, Varia sur l'histoire naturelle, Le Naturaliste et Histoire naturelle de la France24. Si la provenance des quatre premiers s'avère difficile à déterminer (peut-être les recevait-il gratuitement de la part des éditeurs concernés ou, après 1869, les obtenait-il en échange du Naturaliste canadien), celle de Histoire naturelle de la France l'est moins : il s'agit d'un périodique que Provancher achetait régulièrement au fil de sa correspondance avec Emile Deyrolle, qui en était l'éditeur25. Ainsi, l'abbé Provancher a accumulé des connaissances à l'égard du domaine général de l'histoire et des sciences naturelles. C'est à partir de cette solide trame de connaissances qu'il s'est lancé dans la rédaction et dans l'édition du Naturaliste canadien,son oeuvre majeure, entamée dès 1869, par laquelle il a englobé et décrit plusieurs réalités qui lui étaient chères.
19 Le premier numéro du Naturaliste canadien est paru en 1869. Il représentait le début d'une oeuvre scientifique considérable que Provancher mènerait jusqu'à son décès, avec très peu de moyens financiers et sans véritables collaborateurs stables. Aux yeux de V.-A. Huard, qui se considérait comme le disciple du naturaliste, Provancher a littéralement donné vie à la première revue scientifique francophone d'Amérique26. Que cet énoncé soit exact ou non - il se rapporte, après tout, à un point de vue conditionné par des critères subjectifs -, il rend compte de la portée et de la signification de l'action posée.
20 Ses intérêts allant au delà de la seule science, Provancher n'a pas tardé à se servir de son périodique pour aborder des domaines très divers. Parmi ceux-ci, on retrouve d'abord l'instruction. Comme le démontre l'ensemble de son oeuvre, Provancher se souciait beaucoup de l'instruction du peuple. C'est d'ailleurs ce qu'il exprimait en 1872 dans le numéro Ⅰ du volume Ⅳ de son périodique, en émettant un commentaire sur la nature de l'instruction généralement dispensée dans les écoles de la province de Québec.
21 La postérité reconnaît à Provancher de fortes convictions ultramontaines ainsi qu'une opinion parfois trop directe. Il demeure que le naturaliste de Nicolet (on l'appelle également « naturaliste de Cap-Rouge ») aimait se questionner sur la société qui l'entourait, un peu comme le faisaient alors de trop rares intellectuels qui, de toute façon, demeuraient globalement sous l'emprise de l'Eglise catholique. À l'intérieur de ce cadre, le numéro de juillet 1873 du Naturaliste canadien contenait un plaidoyer sur l'information diffusée par des journaux canadiens-français de l'époque.
22 C'est bien connu, au cours de la seconde moitié du ⅩⅨ siècle (tout comme pendant la première moitié du ⅩⅩ siècle), les sciences ont occupé une place reculée à l'intérieur des paradigmes sous-tendant la culture. Elles tendaient à être perçues de façon utilitariste par les hautes autorités morales. En conséquence, on redoutait généralement leurs effets et leurs répercussions sociales. Provancher avait à coeur de revaloriser les disciplines scientifiques et surtout d'insister sur le lien étroit qui les unissait à la religion. Il l'a fait tout au long de sa vie. De façon plus précise, en 1877, dans le numéro Ⅴ du volume IX du Naturaliste canadien, il militait en faveur de l'organisation d'une semaine religieuse, une activité qui lui a apporté de la notoriété. Deux ans plus tard, dans le numéro Ⅻ du volume Ⅺ de ce même périodique, il a publié un plaidoyer en faveur de la reconnaissance, du développement et de l'essor des sciences. Ainsi, une grande cohérence d'ensemble caractérise son « esthétique personnelle » et les prises de positions « extra-scientifiques » que contient généralement le Naturaliste canadien.
23 Le Naturaliste canadien possède donc une dimension qui transcende le dévouement habituel du scientifique envers sa discipline. À la base, cependant, il se consacrait directement à la cause de l'étude et de la diffusion (sous forme de vulgarisation) de la science. C'est dans cette optique que les périodiques généraux traitant d'histoire naturelle que Provancher a réussi à se procurer ont contribué à cette partie de son oeuvre. Porté par son constant désir d'instruire27, Provancher a publié en 1881, dans le volume XII du Naturaliste canadien, ses propres tableaux d'histoire naturelle à l'usage des maisons d'éducation.
24 L'ensemble de ces numéros du Naturaliste canadien figure dans la collection que possède l'Université Laval. Ces numéros permettent de restituer la diversité des intérêts de l'abbé Provancher, de même que ses soucis éducatifs, offrant en quelque sorte une compensation pour la « perte » d'un ouvrage aussi signifiant que son Histoire du Canada28. Sous un autre aspect, il importe de noter qu'au fil des années (soit de la mort de Provancher à l'an 2001), les conservateurs en charge de la collection Provancher ne se sont pas contentés de garder les numéros du Naturaliste canadien publiés du vivant de Provancher, mais ils ont aussi complété la série déjà colligée par l'entomologiste de Cap-Rouge. Ainsi se manifeste une composante primordiale de la construction de la collection : aux objets originalement inclus à l'intérieur de la collection (à savoir la grande majorité des livres, des spécimens et des objets qu'elle contient aujourd'hui et dont fait mention le catalogue), d'autres articles sont venus s'ajouter. De ce fait, la collection intégrait automatiquement les préoccupations d'autres conservateurs et intervenants. Le phénomène qui entoure ce développement dénote une construction qui permet heureusement de restituer avec beaucoup plus de précision les différents schemes à la base de l'oeuvre de Provancher.
25 Par la profondeur qui les caractérisait, les pages du Naturaliste canadien ont suscité la convoitise de plusieurs spécialistes internationaux. La revue n'a donc pas tardé à représenter une bonne monnaie d'échange pour obtenir d'autres périodiques précieux. De cette façon, Provancher a pu, dans un premier temps, augmenter le contenu de sa bibliothèque scientifique de périodiques comme American Naturalist, Canadian Entomologist et Entomologists Monthly Magazine29. De même, il a ensuite pu franchir une autre étape de son oeuvre en parvenant à en exporter l'essence, inversant ainsi quelque peu le scheme habituel soutenant l'ensemble de sa création. C'est ce dont témoignent ces trois périodiques étrangers, qui ont valeur d'exception.
26 Provancher possédait-il des livres de référence faisant autorité sur le sujet des oiseaux? La collection de l'Université Laval n'en comprend pas réellement. Le naturaliste allait peut-être puiser les connaissances dont il avait besoin au sein des nombreux périodiques d'histoire et de sciences naturelles qu'il recevait. Toujours est-il que la collection comprend quelques-uns des spécimens d'oiseaux du naturaliste, comme un petit fuligule (L.B. 1209). Ces spécimens ont été rassemblés, transférés puis conservés à l'Université Laval sous l'initiative de quelques chercheurs, au premier plan sous celle de Jean-Marie Perron. Ils ne faisaient pas partie de la collection originale. En conséquence, à l'image de certains numéros du Naturaliste canadien, ils s'inscrivent dans le processus de construction duquel émane la collection actuelle de l'Université Laval. Il importe, à ce sujet, de noter que cette collection permet visiblement de restituer l'oeuvre de Provancher à l'égard des oiseaux : elle comprend plusieurs spécimens d'oiseaux recueillis par le naturaliste, qui portent en eux-mêmes un cheminement scientifique rappelant une phase de documentation soutenue et une expérimentation à la croisée desquelles se trouvent les spécimens. La collection permet d'ailleurs, par son contenu original, de compléter ce cheminement scientifique, car elle contient le livre Les oiseaux insectivores et les arbres d'ornement et forestiers, paru en 187430. En somme, bien que la collection compte moins d'objets se rapportant au thème des oiseaux qu'à celui de la botanique, par exemple, son contenu permet tout de même de restituer une partie signifiante de l'oeuvre de Provancher.
27 La postérité se souvient généralement de Provancher comme de « l'entomologiste de Cap-Rouge ». Cette image n'est pas tout à fait absurde si l'on considère qu'il s'agit d'un domaine auquel l'abbé Provancher a accordé beaucoup de temps et d'efforts, laissant une oeuvre considérable derrière lui.
28 C'est au cours des années 1860, sous le coup des critiques qu'il avait reçues en rapport avec sa Flore, que Provancher a progressivement délaissé la botanique pour l'entomologie31. Il a alors commencé à s'entourer systématiquement d'ouvrages de référence en rapport avec le sujet. À cet effet, la bibliothèque de l'abbé Léon Provancher contenait plusieurs ouvrages de premier plan pour l'étude de l'entomologie. Il en est ainsi des livres de Thomas Say, A Description of the Insects of North America, de A.S. Packard, Guide to the Study of Insects, et de Hermann Hagen, Synopsis of the Neuroptera of North America32. Ces études démontrent elles aussi la faculté qu'avait le scientifique canadien-français doté de petits moyens financiers de s'entourer d'une argumentation internationale et d'en intégrer l'essence dans sa propre oeuvre. Elles font donc valeur d'exception.
29 En s'intéressant à l'entomologie et comme pour ce qu'il en était des autres « petites sciences » qu'il étudiait, Provancher désirait diffuser ses connaissances et ainsi favoriser l'instruction du peuple. Il désirait en outre participer à l'accroissement des connaissances entomologiques en tant que telles. À ce sujet, une motivation de « globalité » sous-tendait son cheminement : il entreprenait une démarche au terme de laquelle il souhaitait pouvoir en arriver à classifier et à décrire toutes les espèces d'insectes du pays (principalement des territoires du Bas-Canada et du Haut-Canada)33. Pour ce faire, il entendait « descendre sur le terrain ».
30 Léon Provancher prenait plaisir à partir à la « chasse aux insectes ». Il y mettait à profit le sens de l'observation aigu qui le caractérisait instinctivement. Aussi a-t-il acquis, dans un premier temps, certains outils de travail adaptés à la prise des insectes. La collection originalement transmise à l'Université Laval réunit certains de ces objets. Elle contient d'abord un filet à papillons (fig. 3) ainsi qu'une pincette (L.B. 1552,fig.4) destinée à effectuer des manipulations scientifiques délicates. Il importe de préciser que cette pincette a été déposée dans la collection subséquemment au transfert de celle-ci à l'Université Laval34. Elle possède donc mie histoire propre qui, à un moment particulier, est venue s'ajouter à celle de la collection et a permis, en conjonction avec le filet à papillons, de restituer une partie suffisante de la démarche de Provancher à l'égard de la prise et de la manipulation de certains insectes. C'est à cela que donnent suite les quatre instruments d'observation que possède la collection.
31 La collection de l'Université Laval contient heureusement des instruments d'observation inhérents à l'achèvement de la démarche scientifique de Provancher en rapport avec le domaine de l'entomologie ; ces instruments sont tous très bien conservés. D'abord, elle contient une lunette télescopique et son coffret (L.B. 1527, fig. 5). Cette lunette possède une histoire complexe. Ayant d'abord appartenu à Léon Provancher, elle est passée aux mains de V.-A. Huard et par la suite d'autres naturalistes. En 1981, Jean-Marie Perron, alors professeur au Département de biologie de l'Université Laval, en a appris l'existence et a réussi à l'acheter de son propriétaire. Une fois en possession de la lunette, il l'a cédée à l'Université Laval, contribuant de nouveau à élargir et à construire la collection.
32 La Collection Léon-Provancher contient d'autres objets qui permettent de compléter la démarche expérimentale de Provancher à l'égard de l'entomologie. La plupart de ces objets accompagnent la collection depuis sa constitution originale et sa cession au Musée de l'Instruction publique. Ainsi, la collection comprend d'abord une loupe tripode (L.B. 1551, fig. 6) et un microscope de campagne (L.B. 1528, fig. 7). Ces deux objets s'avèrent bien conservés. Par leur taille, ils sont facilement maniables et constituent des outils d'observation auxquels, à l'époque, Provancher pouvait recourir sans se trouver nécessairement en « milieu de travail », voire en laboratoire. Ils étaient notamment liés à l'identification des insectes et occupaient en conséquence une place prépondérante dans la démarche expérimentale du scientifique. D'ailleurs, par son mode de construction particulier, la collection possède un instrument clôturant cette démarche expérimentale. Il s'agit d'un microscope de format régulier, en bon état. Identifié sous le nom pratique de « microscope du ⅩⅨ siècle » (L.B. 1526, fig. 8), il correspond aux microscopes standard d'aujourd'hui, à cela près qu'il ne contient que deux oculaires. Il a été déposé dans la collection par Jean-Marie Perron, ce qui confère de nouveau à ce chercheur le mérite d'en rehausser le pouvoir d'évocation.
33 Aux objets d'expérimentation entomologique, la collection propose un intéressant complément : les spécimens (« types ») récoltés par Provancher. Ceux-ci se divisent en plusieurs catégories, parmi lesquelles se trouvent les Coléoptères, les Orthoptères, les Névroptères, les Hémiptères, les Lépidoptères et les Hyménoptères. Cette dernière catégorie recouvre la majorité des insectes de la collection Provancher. En conséquence, elle a attiré l'attention de certains chercheurs. Parmi ceux-ci, il importe de noter J. R. Barron, chercheur d"Ottawa qui, au milieu des années 1970, a reconstitué la collection d'Hyménoptères de Provancher en compagnie de Jean-Marie Perron, à partir des catalogues jadis établis par le naturaliste35. Ainsi, un autre apport extérieur - qui participe directement à la construction de la collection - est venu restituer une partie de l'oeuvre de Provancher en respectant sa constitution historique.
34 Au cours de sa période entomologique, Léon Provancher a établi des relations avec différents spécialistes internationaux. C'est notamment le cas de Ezra T. Cresson, spécialiste américain membre de l'Academy of Natural Sciences of Philadelphia. La relation entre les deux scientifiques a commencé sur une note plutôt sombre : Cresson avait sévèrement critiqué les analyses et la « portée » des descriptions réalisées par le naturaliste de Cap-Rouge. Nonobstant son « esprit bouillant », Provancher a accepté avec humilité les commentaires du spécialiste américain et s'est dès lors engagé dans une correspondance soutenue avec ce dernier. Au terme de cette correspondance, la description des Hyménoptères du Canada s'est trouvée consolidée36. Ceci démontre à nouveau la capacité qu'avait le naturaliste canadien-français de s'élever au-delà de sa condition et d'influencer, à sa façon, l'oeuvre de spécialistes internationaux qui disposaient pourtant, la plupart du temps, de moyens et d'une visibilité beaucoup plus considérables.
35 Tout au cours de sa période entomologique. Provancher a décrit plus de 1000 nouvelles espèces d'insectes peuplant les territoires du Bas-Canada et du Haut-Canada. Les « types » en question se trouvaient dans la collection originale. Evidemment, à l'image de la bibliothèque et des objets, leur transfert à l'Université Laval a nécessité une attention et des interventions diversifiées. Dans la démarche du savant, la cueillette de ces types constituait une étape préalable aux nombreuses publications de la Petite faune entomologique du Canada, considérée comme l'oeuvre majeure de Provancher37.
36 La Petite faune entomologique possède une histoire relativement complexe qui émane principalement du fait que Provancher publiait périodiquement, à l'intérieur du Naturaliste canadien, plusieurs des descriptions qu'il effectuait de divers insectes pour ensuite les reprendre à l'intérieur de ses livres38. Ses publications en ce domaine possèdent néanmoins un certain ordre. Ainsi, on note le volume Ⅰ, Les Coléoptèn's (rédaction : 1877-1879, le volume Ⅱ, Les Orthoptères, les Névroptères et les Hyménoptères (1878-1899), le volume Ⅲ. Les Hémiptères (1886), et le volume Ⅳ, Les Lépidoptères, rassemblé et édité par Ⅴ.-A. Huard après le décès de Provancher. Les Coléoptères possède une valeur symbolique : premier ouvrage (édition originale de 785 pages) d'une longue série qui a fait la « réputation » de l'abbé Provancher, ce livre témoigne également, en quelque sorte, de l'aboutissement de la démarche du scientifique en rapport avec l'entomologie. À une phase de réflexion, documentée par des ouvrages étrangers, puis une autre d'expérimentation, a succédé une phase de production intellectuelle écrite par laquelle Provancher a donné suite à son souci de base, favoriser l'instruction du peuple, et de laquelle a résulté l'accroissement de sa collection personnelle. À l'image des autres domaines considérés jusqu'à maintenant, la restitution de cette partie signifiante de l'oeuvre du naturaliste est rendue possible grâce à l'essence de la collection dont dispose aujourd'hui l'Université Laval.
37 Travailleur infatigable tout autant que scientifique consciencieux, Léon Provancher s'est également adonné à l'étude des mollusques. À ce sujet, la collection de l'Université Laval possède heureusement les pièces essentielles à la restitution de son oeuvre.
38 La « bibliothèque originale » de l'abbé Provancher contenait certaines références de premier plan dans le domaine de la malacologie, ce qui démontre à nouveau la faculté qu'avait Provancher, « isolé » à Cap-Rouge, de s'entourer d'ouvrages de spécialistes internationaux. Ainsi, le livre de W. Tryon, Structural and Systematic Conchology, et celui de Paul Fischer, Manuel de Conchyliologie et de paléontologie conchyliologique ou histoire naturelle des mollusques vivants et fossiles, constituent deux de ces ouvrages clés39. Placés en relation avec d'autres sources prépondérantes, ils contribuaient à documenter les réflexions de l'abbé et préparaient celui-ci à une phase d'expérimentation un peu comme celle qui était à la base de son étude entomologique.
39 L'identification des mollusques comprend inévitablement un processus d'observation. À ce sujet, afin de saisir les moindres détails des spécimens qu'il récoltait, Provancher possédait sans doute des instruments convenant parfaitement à cette activité. La collection de l'Université Laval n'en compte visiblement pas. Peut-être le scientifique avait-il simplement recours à certains des instruments qu'il utilisait déjà afin d'identifier les insectes, comme sa loupe tripode. Nonobstant cette imprécision, il demeure que Provancher a colligé plusieurs spécimens de mollusques. La collection de l'Université Laval comprend donc ses Pélécipodes et ses Gastéropodes. Il importe de noter qu'à l'image des collections entomologiques d'insectes, les spécimens de mollusques qui se trouvent maintenant sous la responsabilité de l'Université Laval respectent la classification originale de Provancher.
40 L'étude de l'oeuvre générale de Provancher l'illustre bien : à une réflexion documentée par les ouvrages de grands spécialistes a d'abord succédé une phase d'expérimentation scientifique, puis une phase de production écrite par laquelle le naturaliste a complété sa démarche en publiant un ouvrage destiné à participer à l'instruction du peuple. Son dernier ouvrage, Les mollusques de la Province de Québec40, s'inscrit également à l'intérieur de ce scheme41, clôturant une oeuvre très diversifiée.
41 La postérité se souvient notamment de Léon Provancher comme d'un ultramontain aux positions religieuses parfois dogmatiques ou, à tout le moins, farouches. Lorsqu'est survenue la rupture de l'évolutionnisme découlant de la théorie darwiniste (1859), Provancher y a vu une menace réelle à l'endroit de la foi, même si l'ensemble des scientifiques du Canada français a adopté, à son image, une position de méfiance à l'endroit du « matérialisme » darwiniste42. Le naturaliste a donc entrepris une véritable croisade contre toute mouvance des paradigmes scientifiques en faveur de la théorie de Darwin.
42 À ce sujet, son action a notamment pris forme autour de la géologie. Dès 1872, Provancher a commencé à publier à l'intérieur des pages du Naturaliste canadien des études qu'il avait menées concernant les roches volcaniques et les roches métamorphiques. Ainsi, comme le rappellent Luc Chartrand, Raymond Duchesne et Yves Gingras, il ne visait pas qu'à réaliser une série d'exposés scientifiques, mais il cherchait à démontrer l'« impiété » des théories évolutionnistes, insistant constamment sur le fait que la science n'était pas du tout en opposition ou en désaccord avec la Révélation43. C'est de l'ensemble de cette position que rend compte sa bibliothèque, qui possède un ouvrage aussi signifiant que Geology and Revelation44.
43 Toute tentative de restitution de l'oeuvre de Provancher n'aurait sans doute pas été complète sans le recours à sa composante géologique et au rapport qu'entretenait cette dernière avec la foi et, partant, avec l'identité même de Léon Provancher. Encore une fois, une telle approche est rendue possible grâce à la composition de la collection de l'Université Laval, qui a su, au fil de son histoire mouvementée, préserver l'essentiel de l'oeuvre du naturaliste.
44 Ainsi que le démontre ce rapport, au cours de sa vie, l'abbé Léon Provancher s'est intéressé à de nombreux domaines de la connaissance, allant de l'histoire à la malacologie. Constamment poussé par le désir de participer à l'instruction du peuple, il réfléchissait, se documentait, colligeait, collectait et écrivait des traités de vulgarisation scientifique « à l'usage des maisons d'enseignement ». C'est d'ailleurs ce souci qui l'a amené à constituer des collections, entomologiques ou autres, qu'il savait être porteuses d'une partie de son oeuvre.
45 En vertu du rapport qu'entretenait Provancher avec ses collections et de la signification qu'il leur accordait, il est donc pertinent de tâcher de restituer l'essence de son oeuvre à travers leur construction. À l'intérieur de ce cadre, la collection dont a hérité le Musée de l'Instruction publique en 1893 - de loin la plus considérable des collections de Provancher, avec sa bibliothèque, certains de ses objets d'expérimentation et la plupart de ses spécimens naturels constitue un « lieu » d'analyse privilégié. Par son contenu original, elle permet de rappeler plusieurs des intérêts propres au naturaliste. Mais elle possède une véritable identité modelée par des ajouts et des contributions postérieures d'intervenants lui étant originalement étrangers, comme Jean-Marie Perron. De ce fait, elle contribue réellement à restituer l'essence de l'oeuvre de Provancher et a même pour effet de conférer aux intervenants en question une place indéniable au coeur cette dernière. C'est en ce sens qu'elle possède une valeur d'exception globale.
46 On l'a vu, les historiens ne reconnaissent généralement pas la contribution de Léon Provancher au développement du mouvement scientifique canadien-français. Dans une très large proportion, ils ne reconnaissent pas non plus la portée de son rôle de vulgarisateur, le pôle de premier plan revenant généralement en ce domaine au Frère Marie-Victorin. Le « récent » transfert de la collection Provancher à l'Université Laval pourrait fort bien inverser cet ordre des choses : intégrée à une collection favorisant la recherche et l'enseignement, enfin institutionnalisée, l'oeuvre de Provancher est susceptible d'attirer les chercheurs et ainsi de susciter une réinterprétation. Les conclusions de l'étude de Raymond Duchesne, qui suggèrent l'idée que les collections scientifiques les plus complètes du siècle dernier seraient liées aux « amateurs » comme Provancher45, marquent-elles le début de ce processus? Probable. Dans un cas comme dans l'autre, c'est la collection, véhiculant en elle-même une partie de l'oeuvre de Provancher, qui invite le passé à refaire surface, encore une fois.