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Construire une histoire basque au Québec

Denis Laborde
Centre national de la recherche scientifique à Paris
Laurier Turgeon
Université Laval

Abstract

Archaeological excavations carried out from 1990 to 1993 on île aux Basques (Quebec), in the middle of the St Lawrence River, have revealed objects testifying to a Basque presence as early as the sixteenth century. This discovery is considered a confirmation of long repeated oral narratives that have associated Basque fishermen with the founding of the city of Trois-Pistoles. It was decided to exhibit these objects in an interpretation centre with an adjoining fronton, for playing Basque pelota, and a restaurant. This article examines what is involved in this transfer of objects from the island to the museum. How were these artifacts changed into identity markers of a whole region, of which the only referent to Basque culture is a tenacious myth and an island situated six kilometres offshore?

Résumé

Entre 1990 et 1993, une équipe d'archéologues réalise des fouilles au milieu du Saint-Laurent, à l'île aux Basques (Québec). Elle y découvre des objets qui attestent d'une présence basque dès le XVIe siècle. Cette découverte est perçue comme une confirmation de ce que disent, depuis longtemps, les récits de tradition orale qui associent les pêcheurs basques à la fondation même de la ville de Trois-Pistoles, en des temps reculés. Il est alors décidé d'exposer ces objets dans un centre d'interprétation qui jouxtera un fronton de pelote basque et un restaurant. L'article propose d'étudier ce qui s'est joué dans ce transfert des objets, de l'île vers le musée. Comment ces artefacts ont-ils été érigés en marqueurs identitaires de toute une région, qui n'a d'autre réfèrent à la culture basque qu'un mythe tenace et cette île, à six kilomètres des côtes ?

L'empreinte est un indice et non un symbole. Elle est dénuée de propriété sémantique. Elle n'existerait pas sans sa cause [...]. Un symbole a un sens parce qu'il peut être employé par erreur. La possibilité de l'erreur est la condition du sens.
Pierre Jacob, Pourquoi les choses ont-elles un sens?

1 Une bague en laiton, des clous restaurés, deux coulures de plomb, des projectiles en plomb, des débris de taille, des grattoirs, des pointes de projectiles, une pierre à aiguiser, une pierre à fusil, un percuteur, une pierre de four incrustée de graisses carbonisées, deux tuiles fragmentaires, deux fragments de tuiles fragmentaires, des tessons de col d'un petit contenant, un tesson de rebord de jarre avec le début d'une anse, une marmite à bande moletée, un vase amérindien, un verre à boire, le goulot d'une fiole en verre, une perle en verre blanc, une deuxième, ronde, en verre turquoise, une troisième en verre rouge foncé. Voilà.

2 Voilà ce qu'une intense campagne de fouilles archéologiques, menée par l'équipe de Laurier Turgeon entre 1990 et 1993, a permis de tirer des quatre fours de l'île aux Basques, au large de Trois-Pistoles, dans le bas du fleuve Saint-Laurent au Québec. À ces objets s'ajoutent d'autres pièces à conviction, comme cette mandibule d'une baleine franche boréale, enfouie dans le sable et repérée, à marée basse, au sud du site Hoyarsabal. Au moment de leur découverte, ces objets furent regardés comme les indices d'une occupation de l'île par des marins basques, au XVIe siècle. Mais ces indices ne faisaient que confirmer ce qu'à Trois-Pistoles on savait depuis longtemps.

3 Des récits de tradition orale circulaient, en effet, « depuis toujours » dans le bas du fleuve. Certains d'entre eux associaient les Basques à la fondation de la ville. De la baie de Biscaye à l'anse aux Basques en passant par les Escoumins (« mal aux mains », en basque), la toponymie en porte d'ailleurs une trace confondante. Cette familiarité acquise avec les récits de tradition orale et avec les noms des lieux fit que le résultat des fouilles ne surprit personne. Par ailleurs, les recherches menées activement par Selma Huxley-Barkham dans les archives de l'université d'oñate, en Pays Basque, livraient des renseignements précieux sur l'activité des ports basques à la fin du XVe et au début du XVIe siècle (notamment à Motrico, Deba, Zumaia, Getaria, Zarauz, Pasaia, Saint-Jean-de-Luz et Ciboure). D'autre part, à proximité de l'île Saddle, la levée des plans de site des trois mille pièces du San Juan, par les équipes de Peter Waddell et de Manuel Izaguirre, avait donné lieu à quelques prouesses d'archéologie sous-marine en eau froide. Ces prouesses furent largement médiatisées. Nul n'ignorait plus l'existence de ce navire basque de 1565 échoué au large de Red Bay, au Labrador. Puis vinrent les fouilles conduites non loin de là, à Chateau Bay, entre 1985 et 1989, par l'équipe d'Agustin Azkarate, de José Antonio Hernandez et de Julio Nunez. Ces fouilles permirent de découvrir d'autres fours et l'on commença à mesurer l'ampleur de cette présence basque sur les côtes du Labrador au XVIe siècle, notamment dans le détroit de Belle Isle, jusque vers Pleasure Arbour et même plus au nord, en direction de Cape Charles. Les découvertes archéologiques furent alors si nombreuses qu'elles incitèrent le Musée canadien des civilisations à inaugurer à Hull, le 29 juin 1989, une importante exposition consacrée aux seuls baleiniers basques du Labrador.

4 Au Québec, on connaissait donc bien ces marins basques du XVIe siècle. On connaissait bien ces fours dans lesquels, selon une technologie largement éprouvée en Biscaye, ils faisaient fondre la graisse des baleines pour la transformer en cette huile précieuse qu'ils rapportaient sur le vieux continent. La découverte des épaves n'avait alors fait que renforcer une familiarité acquise de longue date avec eux. Chacun savait que les navires basques péchaient la morue à Terre-Neuve et la baleine au large du Labrador. Mais, à Trois-Pistoles, on savait aussi qu'ils avaient suivi les baleines dans leur remontée du fleuve, pendant plus de deux cents kilomètres, jusqu'à cette petite île stratégique vers laquelle convergent les courants violents du Saguenay venu du nord. C'est sur cette île que les marins installaient leur campement, année après année, et qu'ils commerçaient avec les Amérindiens. Les Basques étaient bien remontés jusque-là, cela se savait. D'ailleurs, en enquêtant dans les archives notariales de Bordeaux, Laurier Turgeon ne venait-il pas de retrouver trace de La Marie de Saint-Vincent, ce baleinier du capitaine Micheau de Hoyarsabal dont parlaient tant de livres et qui était venu dans ces régions pour « la pêche et la traite des fourrures », une première fois en 1581, puis à nouveau en 1584 ?

5 Pour les Pistolois, les objets trouvés dans l'île ne pouvaient être de simples indices. Donc, de la conjonction des récits mythiques, des objets trouvés, des travaux des archéologues et des historiens, et d'une volonté de développement touristique du bas du fleuve est né le Parc de l'Aventure basque en Amérique du Nord, inauguré le 13 juillet 1996. Que sont alors devenus les objets trouvés dans l'île ?

6 Transportés dans le parc, ils ont été érigés en emblèmes, dans cette triple structure que forment désormais le musée d'ethnographie (ou centre d'interprétation), le restaurant et le fronton. Ainsi ces artefacts participent-ils d'un processus d'affirmation identitaire dans lequel s'est engagée toute une région du Québec qui n'a pas d'autre réfèrent basque que cette île et son mythe, à six kilomètres des côtes.1

Positionnement

7 La région des Basques est aujourd'hui une petite entité administrative du Québec située sur la rive sud de l'estuaire du Saint-Laurent à environ 200 kilomètres en aval de la ville de Québec. Cette entité administrative a été créée en 1979 par une loi adoptée par le Parti québécois, qui formait alors le gouvernement provincial du Québec2. Cette Loi sur l'aménagement et l'urbanisme a divisé le Québec en une centaine de régions ou, plus exactement, une centaine de municipalités régionales de comté (MRC). Chacune a alors dû se choisir un nom. Ici, dans le bas du fleuve, les municipalités décidèrent de se nommer Municipalité régionale de comté des Basques, MRC des Basques. Cela s'est fait dans un élan unanime, comme une évidence. Il faut dire qu'en 1972 déjà, la commission scolaire, l'une des plus importantes institutions de la région, s'était affichée comme Commission scolaire des Basques. Cette fois, l'ethnonyme s'étend à la région elle-même. Jean-Marc D'Amours, qui était maire de Trois-Pistoles en 1979, nous a affirmé que les municipalités étaient unanimes : ce choix fut adopté dans un élan d'enthousiasme. Cette MRC des Basques s'étend sur une vingtaine de kilomètres le long du littoral et compte une population de 11 000 personnes vivant dans 11 municipalités, entre Saint-Siméon et Saint-Éloi. Trois-Pistoles, le chef-lieu, se trouve au centre. La MRC des Basques est la plus petite MRC du Québec. Mais pourquoi une telle prégnance de l'ethnonyme ?

8 En effet, si l'on parcourt la rue principale de Trois-Pistoles, on rencontre une Commission scolaire des Basques, un CLSC des Basques, une Maison de retraite des Basques, une Compagnie de navigation des Basques, une Boutique de sport des Basques, une Fromagerie des Basques, un Légumier des Basques et même une Récupération des Basques, entreprise spécialisée dans le recyclage des ordures ménagères.

9 Comment une petite collectivité en est-elle venue à constituer un espace public saturé de signes faisant référence aux Basques ? Et comment nous positionner « face à » cet espace public saturé de références ? D'autant que, loin d'être homogène et figé une fois pour toutes, cet espace, que Iouri Lotman propose de nommer « sémiosphère », est en mutation constante3. Jamais érigée en une série finie d'éléments, jamais bloquée en totalité close, cette sémiosphère est elle-même construite d'emprunts et de transformations, de transferts de signes issus d'autres sémiosphères.

10 Ce positionnement implique de considérer qu'une tradition n'est pas un stock de connaissances ou de savoir-faire qui se transmettrait de génération en génération, mais un regard rétrospectif qui donne lieu à une multiplicité d'actualisations référentielles. Ceci a incité Eric Hobsbawm et Terence Ranger à parler d'une « invention de la tradition » (1983), Gérard Lenclud à évoquer la tradition comme « un mode d'emploi du passé sous forme argumentée » (Lenclud, 1994, p. 43) et Pascal Boyer à soutenir que la tradition, si elle se conjugue au singulier, fédère en réalité une multiplicité de perceptions différenciées, ce qui laisse penser qu'il y aurait des récurrences comportementales sans transmission4 (1990). Pour le dire ici avec les mots de Lotman, la stabilité apparente d'une sémiosphère est précisément ce qui nous permet de la repérer comme telle et de la couvrir d'un nom. Ce n'est rien qu'un équilibre passager de relations faites et refaites à chaque instant dans la prolifération des relations de coprésence5.

11 Mais repérer une sémiosphère n'est pas expliquer l'investissement dont elle est l'objet. Or, il en va de l'attachement à un lieu comme de l'affichage ostentatoire de referents basques : il est fuyant, fragile, toujours changeant. Un lieu n'existe pas sans être constamment réinvesti, c'est-à-dire constamment réinventé. Chacun de nous mobilise, pour cela, des marques et des signalétiques qui façonnent une gamme de rituels, de fêtes, de récits, de bâtiments ou d'aménagements de l'espace public. Cette fabrication d'une intimité sociale produit des acteurs locaux détenteurs de savoirs particuliers. Cette sensibilité trace un lien d'intériorité6.

Fig. 1 La Commission scolaire des Basques a été nommée ainsi en 1972.
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Fig. 2 La rue des Basques de Trois-Pistoles a reçu son nom en 1954.
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Fig. 3 La Fromagerie des Basques est située à l'entrée de la ville de Trois-Pistoles.
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Fig. 4 Récupération des Basques est une entreprise spécialisée dans le recyclage.
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12 À ce stade, les travaux d'Arjun Appadurai s'avèrent précieux. Ils nous invitent en effet à considérer que, plus qu'une structure sociale ou politique, cet attachement à un lieu, qu'on nommerait « localisme », est un mouvement de la sensibilité. Ce point de vue n'est autre que celui de l'esthétique, au sens large que lui confère Gérard Genette et qui sera ici notre point d'ancrage7. Cette attitude devrait nous permettre de désenclaver notre étude des présupposés fixistes qui caractérisent la plupart des travaux sur le régionalisme conduits jusqu'ici au Québec et qui ont privilégié une approche positiviste, notamment par le biais de l'histoire et de son fétiche, l'archive8. Les spécialistes du domaine ont constitué d'amples bases de données historiques dans le but de montrer que les particularités culturelles des régions du Québec viennent de la spécificité de leur histoire : du peuplement, des structures économiques et sociales, des pratiques rituelles, voire des mentalités9. Avec le temps, par des processus diffus d'adaptation et de sédimentation, une population régionale aurait fini par élaborer une tradition culturelle propre, c'est-à-dire caractérisable.

13 Nous avons choisi d'emprunter un autre itinéraire, en considérant que les fouilles archéologiques tiraient leur sens des récits de tradition orale aussi bien que des récits des historiens, des discours des politiciens aussi bien que de ce mouvement de patrimonialisation qui nourrit un développement touristique du bas du fleuve. C'est de cette manière que nous avons cherché à comprendre la construction du Parc de l'Aventure basque ou la façon dont ces quelques objets, de simple indices qu'ils étaient dans l'île, sont devenus des emblèmes, que l'on expose.

Des récits historiques

14 Le récit de la fondation basque de la région est largement d'origine orale. Il demeure, aujourd'hui encore, le récit de référence. Il situe l'occupation basque de l'île fort antérieurement à la fondation de Québec, en 1608, par Samuel de Champlain. Si l'on en croit ces récits, les Basques seraient même remontés dans l'estuaire du Saint-Laurent bien avant la découverte du Canada par Jacques Cartier (1535). L'île serait ainsi inscrite dans un temps premier, dans une temporalité antérieure à l'histoire, fondée par un peuple mythique de navigateurs. Les gens de la région n'ont donc pas construit leur mémoire autour de la familiarité acquise (par la filiation linguistique et par l'histoire officielle) avec Jacques Cartier, l'explorateur breton, mais à partir de l'étrangeté radicale de l'Autre, à partir de cette figure idéalisée du Basque pêcheur de baleine, à la langue incompréhensible dont on sait seulement qu'elle est très antérieure aux autres langues parlées sur le continent européen, ce qui vaut aux Basques d'être considérés comme les plus anciens habitants du vieux continent. Ainsi, une projection au loin sur un axe géographique coïncide-t-elle ici avec une projection au loin sur un axe historique. C'est ce réfèrent lointain et mystérieux, cette origine ethnique non identifiée qui se voient pris en charge et érigés en marqueur identitaire sur les rives du Saint-Laurent.

15 Le plus souvent, les récits de tradition orale associent les Basques à l'origine même de la ville de Trois-Pistoles. Voici ce récit de fondation tel qu'on peut l'entendre lors de la visite guidée de l'île aux Basques par Jean-Pierre Rioux :

Les marins basques étaient installés dans l'île pour la campagne dépêche. Ils commerçaient avec les Amérindiens. Deux d'entre eux avaient traversé le fleuve. Ils étaient remontés le long de la rivière Trois-Pistoles. Fatigué, l'un d'eux voulut se rafraîchir. Il sortit son gobelet pour boire l'eau de la rivière. Mais voilà qu'il lâche le gobelet d'argent. Aussitôt, l'autre se précipite pour le récupérer dans l'eau vive. « Laisse donc le gobelet, lui dit son compagnon, il ne vaut pas trois pistoles ». Et c'est ainsi que la rivière fut appelée rivière Trois-Pistoles. Plus tard, ce serait le nom de la ville.

16 Cette histoire est rehaussée par la géographie singulière du lieu de fondation : une petite île boisée, d'une longueur de deux kilomètres, située dans l'estuaire du Saint-Laurent à six kilomètres au large de Trois-Pistoles. Cette île représente un trait insolite du paysage, un point de référence visible depuis tous les recoins de la région. Mais cette île, vers laquelle convergent tous les regards, est un lieu interdit. Depuis 1929, l'île aux Basques appartient à la Société Provancher d'histoire naturelle du Canada, une société à but non lucratif dont la vocation est la conservation de la faune, de la flore et des vestiges archéologiques de l'île. Suivant sa devise, « J'aime, j'instruis, je protège », la Société Provancher s'est consacrée d'abord à protéger les oiseaux migrateurs menacés par une pêche excessive et les sites archéologiques perturbés par l'exploitation forestière10. Pour accomplir cette œuvre de conservation, la Société a choisi d'interdire l'accès à l'île en dehors des visites guidées strictement réglementées. Devenu un sanctuaire pour des espèces en voie de disparition, donc rares, le lieu est dès lors entré dans le domaine du sacré.11

17 À vrai dire, le récit mythique de la participation des Basques à la fondation de la région est récent. Les histoires locales et les publications commémoratives du XIXe et du début du XXe siècle se sont bien davantage préoccupées de la fondation de la première seigneurie de la région par Jean Rioux en 1697 et de l'origine des premier colons. Ces récits officiels ne parlent pas, ou alors peu et avec mépris, de la présence basque12. La construction de la mémoire basque du lieu est l'œuvre de Sylvio Dumas, un homme d'affaires de Trois-Pistoles qui, dans les années 1930, cultivait sa curiosité pour les fours de l'île aux Basques et, plus généralement, pour l'activité des Basques dans le golfe du Saint-Laurent. Sylvio Dumas a parcouru attentivement les relations de voyage de la Nouvelle-France. En 1935, il est entré en contact avec le représentant des Archives publiques du Canada à Paris, Edmond Buron, pour le convaincre de mener des recherches dans les archives basques13. Ses demandes réitérées sont restées sans réponse, mais Sylvio Dumas s'est obstiné. Il a publié deux longs articles l'année suivante dans le Courrier de Rimouski. Aussitôt lus par la population locale, ces articles ont reçu un accueil enthousiaste et l'on s'est pris d'admiration pour ces marins d'un autre temps. Quelques années plus tard, un autre érudit local, Damase Pot vin, a rédigé La petite histoire de l'Ile-aux-Basques et des Iles Razades, ouvrage inspiré de la tradition orale dans lequel apparaît pour la première fois par écrit l'idée que les Basques y sont venus pêcher la baleine « avant même Jacques Cartier » (Potvin, 1940, p. 4). Cette idée a été reprise par René Bélanger, dans son étude Les Basques dans l'estuaire du Saint-Laurent, 1535-1635 parue en 1971, et par la plupart des auteurs locaux depuis. Elle est aujourd'hui agrémentée de quelques formules que l'on raconte aux visiteurs de l'île : « Savez-vous ce qui est plus fort qu'un Basque ? Dix Basques en train de traverser l'Atlantique en buvant trois pintes de vin par jour (chacun). »

Des fouilles archéologiques

18 Bien loin de contredire ce récit mythique, les fouilles archéologiques menées sur l'île ont, au contraire, contribué à le nourrir, à le répandre et à le renforcer. En effet, les fouilles ont donné lieu à la mise au jour de quatre fours utilisés pour la fonte des huiles de baleine et de nombreux artefacts semblables à ceux trouvés sur des sites basques bien connus du Labrador14. Aucun doute n'est désormais permis : des pêcheurs basques ont bien occupé l'île au XVIe siècle. La présence basque sur l'île ne peut plus être contredite.

Fig. 5 Les vestiges d'un four basque à l'île aux Basques.
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(site Hoyarsabal)
Fig. 6 Tableau de Léo-Paul D'Amours représentant une scène de la fonte des huiles de baleine à l'île aux Basques.
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(Caisse populaire Desjardins de Trois-Pistoles)

19 Par ailleurs, ces fouilles ont mobilisé un grand nombre de curieux, tant de la région que de l'extérieur, et les médias nationaux et internationaux. Les recherches scientifiques sont venues confirmer et amplifier le récit oral en lui fournissant des relais par les journaux, la radio et la télévision. Cependant, elles remettaient en cause un des éléments fondamentaux du récit, l'ancienneté de l'occupation. Les recherches, aussi bien dans les archives que sur le terrain, n'ont pu démontrer que l'occupation était antérieure à 1580 et donc à la découverte du Canada par Jacques Cartier. Tout semble indiquer que la présence basque s'est faite sur une base saisonnière, pendant une période de cinquante ans, allant de 1580 à 1630. En résumé, les fouilles ont montré que les Basques étaient présents à partir de 1580, mais elles n'ont pas pu démontrer qu'ils étaient absents avant cette date. Or, une absence de preuve n'est pas une preuve. Le récit oral a donc repris ses droits : les Basques ont connu les Amérindiens avant tous les autres visiteurs. D'ailleurs, il n'est que d'observer la toponymie.

Une toponymie basque

20 Les références aux Basques sont extrêmement nombreuses dans la région. Certains toponymes ont emprunté le mot basque : Les Escoumins, Gaspé, Aspé ... Ainsi, sur l'autre rive, à une longueur de traversier de Trois-Pistoles, les marqueurs référentiels basques prolifèrent. À cet endroit, la plupart des toponymes sont de langue française. Dans l'estuaire du Saguenay, nous sommes en Nouvelle Biscaye et, face à l'île aux Basques, nous trouvons Chaffaud aux Basques, l'anse aux Basques, le cap du Basque, le lac du Basque, la montagne du Basque, la rade du Basque, le récif du Basque, la pointe aux Basques...

21 Si nous continuons à descendre le fleuve, nous franchissons le cours d'eau du Basque, dans la région de Matane (pourvoyeuse de saumons réputés), avant d'accoster à Port Navarre ou, un peu plus en aval, à Port Savalette, à l'approche de Gaspé. Nous quittons alors le fleuve et sa vaste embouchure. Nous sommes sur la côte et, cette fois, les toponymes en langue basque prolifèrent. En voici quelques-uns, repérés plus au nord, en direction des côtes du Labrador : Orignac, Martingo, Gabe, Escatari, Ascaigne, Irla Xumea, Balea Portu, Baleetaco baya, Barrachois, Uliçillho, Burin... et aussi, en français ou en anglais, Basques Cove, la baie de Biscaye, l'île de Baccalieu (de bakailua). cap de Grat, Ingornachoix Bay, Cape Ray15...

22 Cette prolifération de toponymes basques dans l'estuaire et sur la côte a incité les autorités de Trois-Pistoles à nourrir l'espace urbain de marqueurs référentiels semblables, de sorte que cette toponymie trouve également à s'investir en ville, éclairée cette fois par un discours d'exégèse. C'est aussi une manière de rendre tangible le récit d'une fondation basque du lieu.

Marquer l'espace urbain

23 Dès 1938, la Société Provancher entreprend la restauration des fours de l'île aux Basques et érige une plaque commémorative dans l'île, sur la plage présumée du débarquement des pêcheurs de baleines.

24 Sur la plaque de bronze apparaît en relief un court texte, en français et en anglais, qui explique que l'on voit encore, dans l'île, les vestiges de fourneaux construits par les Basques. Le texte rend hommage au père Jean Nouvel, un jésuite retiré dans l'île avec ses compagnons. Il est suivi d'une fleur de lys et de la devise du Québec, « Je me souviens » :

Sur l'île aux Basques, on voit encore les vestiges des fourneaux construits parles Basques. Le Père Nouvel et ses néophytes Papinachois se sont retirés sur l'île aux Basques en 1666 pour se protéger contre les Iroquois.

25 Une réplique de cette plaque est ensuite érigée par la municipalité de Trois-Pistoles devant l'église et à l'angle du principal carrefour, en plein centre de la ville. Quelques années plus tard, le Conseil de ville nomme l'une des rues de lïois-Pistoles « rue des Basques ». Les artistes locaux commencent alors à peindre des scènes de la pêche à la baleine et de la fonte des huiles sur l'île. Le tableau le plus célèbre qui représente cette scène primitive est sans aucun doute celui de Léo-Paul D'Amours. Il est exposé à la Caisse populaire Desjardins de Trois-Pistoles, principale institution financière de la région. Cette sensibilité artistique pour le fait basque se manifeste encore dans le pseudonyme « le Basque », adopté par l'un des artistes contemporains les plus réputés de la région, Léonard Parent. On notera cependant que, dans ce contexte, le mot est véhiculé en français, non en basque16.

Un centre muséographique

26 Mais l'expression la plus récente et la plus achevée de ce nouveau paysage ethnoscopique est assurément le Parc de l'Aventure basque en Amérique du Nord. Le projet de construction du centre s'est réalisé dans l'enthousiasme et avec une rapidité étonnante, compte tenu d'une conjoncture économique plutôt défavorable. C'est encore la population locale qui a pris les devants en organisant une campagne de financement par des bingos, des tirages, des concours et la sollicitation de dons. En quelques années, elle a réuni plus de 300 000 $, soit le quart de la somme requise. Devant un tel élan, les gouvernements du Québec et du Canada n'ont pu rester longtemps inactifs. Ils ont versé, sous forme de subventions, les 1,2 million de dollars nécessaires à la réalisation du projet. Le Parc de l'Aventure basque allait donc être réalisé. Mais quel bâtiment ériger?

27 Le choix d'un projet architectural et muséal a suscité, lui aussi, une forte mobilisation. Un concours fut organisé. Un jury de six personnes, dont quatre étaient originaires de Trois-Pistoles, fut chargé de la décision. Deux projets architecturaux se détachaient des autres : l'un représentait une maison traditionnelle basque, l'autre évoquait une baleine. Après de longs débats, le jury fit le pari de l'audace et choisit le second projet, jugé plus novateur. Par la place prééminente que le complexe formé par le centre d'interprétation, le restaurant et le fronton occupe dans la descente qui mène au port de Trois-Pistoles, le Parc s'inscrit massivement dans le paysage. Il marque une référence. Et il contient, dans les salles d'exposition du centre d'interprétation, les artefacts trouvés dans l'île, entourés d'un discours qui organise leur réception par les visiteurs. L'histoire, domestiquée, de l'île est représentée dans un espace clos, sur la terre ferme. Il s'agit d'une traduction qui est aussi un exercice de mise à distance, l'île étant maintenue à distance du mythe. Ici s'opère un travail de miniaturisation, d'élaboration d'une forme d'intelligibilité, rien d'autre que l'effort de construction d'un sens, une prise de risque. Avec son architecture, ses objets, sa manière d'exposer, ses discours d'exégèse, le centre d'interprétation fonctionne comme un modèle réduit de l'histoire locale, un modèle réduit dont « la vertu intrinsèque [...] est qu'il compense la renonciation à des dimensions sensibles par l'acquisition de dimensions intelligibles » (Lévi-Strauss, 1962, p. 39).

28 À ce déplacement physique s'ajoute une inversion de l'écologie du lieu. « En ces temps là », les Basques chassaient et dépeçaient les baleines. Aujourd'hui, l'espèce est menacée, la pêche interdite. Par son architecture et par les objets qu'il expose, le Parc ne proposerait-il pas, aussi, une trajectoire écologique qui reconstituerait symboliquement cette baleine en prônant sa protection ? On affiche, dans le lieu d'exposition, des mandibules et des côtes de baleine trouvées dans l'île, lors des campagnes de fouilles successives, mais aussi des restes de fanons, des gravures d'époque, des pièces d'archives, bref, un ensemble d'objets qui reconstitueraient, tant bien que mal, cette baleine idéale dont l'existence est aujourd'hui menacée. Sur fond de mobilisation écologique, ce travail de monumentalisation serait-il destiné à laver une faute originelle naguère commise par les pêcheurs basques ?

29 À l'extérieur du bâtiment est aménagé un terrain de jeux pour enfants qui reproduit les principaux artefacts du site : la chaloupe, le four, l'abri et la baleine qui fait office de toboggan. Il y a aussi un fronton, seul fronton en place libre d'Amérique à être homologué par la Fédération internationale de pelote basque, ce qui constitue un atout pour attirer des compétitions internationales (comme le championnat du monde junior, en 1997) et sensibiliser la population régionale à la pelote basque.

Une région des Basques sans Basques

30 Sans doute le plus surprenant, dans cette affichage ostentatoire de l'ethnonyme « Basques », c'est l'absence de Basques dans la région. En effet, si l'on consulte le bottin, on ne rencontre aucun Arregi, aucun Arrospide, aucun Urrutikoetxea, mais des Rioux, des Gagnon, des Beaulieu, des Pelletier, des Ouellet, des Côté et des D'Amours en grand nombre, c'est-à-dire des noms originaires de l'ouest de la France. Aucun nom basque. La revendication de l'ethnonyme « Basques » marquerait-elle la revendication d'une ethnicité virtuelle, une sorte d'ethnicité basque sans Basques ?

Fig. 7 Vue du Centre muséographique du Parc de l'Aventure basque en Amérique du Nord en cours de construction. La forme du bâtiment évoque une baleine.
Thumbnail of Figure 7Display large image of Figure 7

31 Dans les années 1980, les Pistolois ont décidé de remédier à cette lacune en déclenchant des enquêtes généalogiques. Plusieurs d'entre eux ont entrepris de savantes recherches. Jean-François Beaulieu, généalogiste de grande compétence, s'en est chargé le premier et Pierre Rioux a pris le relais.

32 Le groupe est parvenu à élaborer une banque de données informatique qui ne cesse, aujourd'hui encore, de s'enrichir. Cette banque de données permet de reconstituer les arbres généalogiques des familles de la région, dans le but d'identifier quelques ancêtres basques. Sachant qu'il n'y avait pas de noms basques dans la région, les recherches généalogiques se sont axées sur les filiations maternelles. C'est ainsi qu'en admettant généreusement que toute personne quittant un port du Pays Basque était Basque (ce qui ne va pas de soi), l'enquête généalogique a révélé que quelques familles pistoloises avaient bien de lointains ancêtres euskariens.

33 Cependant, toutes ces familles identifiées comme ayant une ascendance basque se sont installées récemment, c'est-à-dire depuis la colonisation française de la région. Jusqu'à présent, aucune filiation directe n'a pu être établie avec les premiers pêcheurs de l'île aux Basques. Les pêcheurs venaient pour la campagne de pêche et repartaient à l'apparition des premières glaces. Pourtant, au Parc de l'Aventure basque, les généalogistes ne désarment pas. ils disposent de leur propre salle et poursuivent leurs investigations avec une grande avidité et le soutien inconditionnel du conseil d'administration. Au deuxième étage du bâtiment, la salle de généalogie est la mieux éclairée, la plus confortable et la seule qui offre une vue sur le port et le fleuve. C'est dire toute la sollicitude qui entoure les généalogistes et leurs enquêtes. Mais la filiation demeure, obstinément, incertaine.

L'inauguration du Parc

34 La fête d'inauguration du centre muséal, le 13 juillet 1996, mieux connue sous le nom de Rendez-vous basque, peut être interprétée comme une autre manifestation de la volonté d'incorporer dans le paysage culturel de la région une ethnicité manquante. La fête ne donnait-elle pas l'occasion de mettre en scène de « vrais Basques » venus du Pays Basque? Rejouerait-on la scène primitive ?

35 Toute inauguration est d'abord un événement, un événement programmé. C'est un moment de la vie sociale qui instaure une séparation : il y a un avant et un après l'inauguration. En même temps, cet événement programmé est un « événement public », c'est-à-dire, aussi, un « événement rendu public ». L'inauguration, en ce qu'elle est un rite d'institution, se présente donc en partie comme le produit d'une programmation initiale, c'est-à-dire d'une organisation sociale de sa publicisation17.

36 Le programme de cette inauguration a été établi par André Kerouac, directeur du Parc, qui avait effectué de nombreuses missions de préfiguration, aussi bien en Pays Basque qu'auprès de la diaspora basque des Etats-Unis (dans les Maisons basques - Euskal Etxe - du Nevada et de Californie notamment). André Kerouac avait invité les groupes Begiraleak (musiciens de Saint-Jean-de-Luz) et Tapia eta Leturia (joueurs d'accordéon et de tambour basque - trikilari - de Saint-Sébastien), des joueurs de pelote basque de Saint-Pierre et Miquelon et de Montréal, ainsi que quelques universitaires pour une table ronde sur la culture basque. Ainsi, les trois « espaces » du Parc de l'Aventure basque seraient-ils occupés : Begiraleak, Tapia eta Leturia et les joueurs de pelote sur la cancha, les habitants de Trois-Pistoles sur la terrasse et dans le café à l'entrée du musée, d'où l'on peut regarder les parties de pelote, et les universitaires dans leur lieu d'élection, le musée. Ces trois entités, ces trois « espaces » (fronton, café, musée) forment le Parc de l'Aventure basque. Par ailleurs, la chorale de l'amicale laïque d'Urrugne, qui effectuait un voyage touristique en Gaspésie, était venue spécialement à Trois-Pistoles, ce samedi 13 juillet 1996, pour prendre part à l'inauguration.

37 Le Courrier de Trois-Pistoles avait annoncé l'événement dès le dimanche précédent, 7 juillet. L'annonce ressemblait à une convocation :

Toute la population est invitée au quai de Trois-Pistoles pour accueillir nos visiteurs qui arriveront à bord d'un majestueux voilier deux mâts en provenance du pays basque. Il faut se rendre sur le quai pour les accueillir. Des joueurs de txistu (flûte basque) nous lanceront le mot d'amitié en musique. Du quai. on se rendra au Parc de l'Aventure basque... où tout va commencer sans vraiment vouloir s'arrêter...

38 Dans le cadre, on voyait une baleinière du XVIIe siècle. Prévenue par Le Courrier de Trois-Pistoles, chaque personne pouvait donc légitimement s'attendre à voir accoster sur le quai de Trois-Pistoles, ce samedi 13 juillet 1996, une baleinière surgie du XVIIe siècle, pareille à celle des marins basques qui avaient forgé l'histoire des lieux. Il n'en fut rien. En fait de corsaires et de baleiniers, nous vîmes, vers 13 heures, approcher du quai un petit voilier de 12 mètres barré par un seul marin avec, à son bord, deux musiciens jouant respectivement du txistu et de l'accordéon. Nous nous attendions à ce que la déception générale produise une émeute sur le quai. Il n'en fut rien, au contraire : tout le monde a applaudi l'équipage qui s'était embarqué dans l'île aux Basques. On se pressait sur le quai. Dans la cohue générale, le marin, qui avait tout de même franchi l'Atlantique à la voile quelques semaines plus tôt (il venait de Saint-Jean-de-Luz), fut ovationné et, devant les caméras de télévision, fait citoyen d'honneur de Trois-Pistoles : on venait de rejouer la scène primitive, la première rencontre, l'apparition des marins basques, surgis de l'Océan. Évidemment, le bateau, le marin, l'équipage, les musiciens... rien n'était vraisemblable et personne n'était dupe. Chacun savait bien que le bateau de 12 mètres n'était pas le baleinier promis par le journal mais, en même temps, chacun faisait « comme si ». La « fonction imaginative » qui accompagne toute économie symbolique était largement sollicitée. Ce 13 juillet 1996, sur le quai de Trois-Pistoles, on joue aux marins basques, et chacun veut y croire. Au prix d'un savant calcul interprétatif, chacun adapte cet événement, dont il participe, à ce qu'il a en tête d'une présence des pêcheurs basques au XVIIe siècle, là-bas, dans l'île qu'on aperçoit au large.

Fig. 8 José Maria Munoa, représentant du gouvernement basque, au Rendez-vous Basque du 13 juillet 1996.
Thumbnail of Figure 8Display large image of Figure 8

39 Les autres membres du groupe Begiraleak viennent rejoindre les deux musiciens du navire. Un cortège est formé. Il nous conduit vers le Parc de l'Aventure basque. Sur la place du fronton : la cancha. C'est là qu'après les mots de bienvenue prononcés par Denis Leclerc et Laurier Turgeon ont lieu les discours officiels devant les drapeaux du Québec, du Pays Basque, de la France, de l'Espagne, du Canada et de la ville de Trois-Pistoles.

Des discours pour faire sens

40 Grâce à l'inauguration de ce Parc de l'Aventure basque, Jean-Philippe Tardif, pro-maire de Trois-Pistoles, voit sa ville prendre place dans l'histoire de l'Amérique du Nord, une histoire qui, grâce aux Basques, « n'est pas entachée de guerre et de sang ». Mario Dumont, député provincial et chef du Parti de l'action démocratique, dresse pour sa part un parallèle entre l'aventure des Basques, qu'il situe au XVIe siècle, et l'aventure de Trois-Pistoles, aujourd'hui : un défi. Paul Crête, député fédéral, lance une ode aux « peuples qui ont des démarches originales » et en appelle à « la richesse des diversités culturelles ».

41 José Maria Castroviejo, consul d'Espagne à Montréal, est venu lui aussi dire que, « plutôt qu'au passé, il vaut mieux s'intéresser à l'avenir », alors que José Maria Munoa et Inaki Aguirre, représentants du gouvernement basque, expliquent que le pari de l'aventure et l'esprit d'entreprise sont les caractéristiques des Basques et qu'il en va aujourd'hui comme il en allait au XVIe siècle : les Basques savent utiliser les techniques de pointe pour aller loin et, s'ils sont, plus qu'à tout, attachés à leur pays et à leurs racines, ils savent, où qu'ils aillent, entretenir de bons rapports avec les populations locales.

42 Bref, chacun se présente sous son meilleur jour et Mathias Rioux, représentant du gouvernement du Québec, clôture la série des discours en célébrant la bonne entente entre ceux qui appartiennent à des cultures minoritaires. Il est 14 h 45 quand Jean-Louis Harguindeguy, président de l'association Eskualdunak de Québec, déclare ouvert le « premier Rendez-vous basque de Trois-Pistoles ».

43 Au fronton, Begiraleak a installé la sono, des photocopies sont distribuées au public et l'on chante des chansons basques qui, depuis Matalas (XIe siècle), présentent une histoire du Pays Basque en langue basque. Pendant que les chanteurs chantent, les drapeaux disparaissent les uns après les autres, jusqu'à ce qu'il ne reste plus que le drapeau basque et le drapeau québécois. Puis commencent les parties de pelote basque.

44 Qu'est-ce que le public peut comprendre de ces traits culturels basques qu'André Kerouac est allé prélever sur place et qu'il a décidé d'afficher ostensiblement ici en ce jour d'inauguration ? Peut-être rien. Peut-être chacun comprend-il simplement que c'est la fête. Pourtant, cette fête n'est pas une fête comme une autre. L'adjectif lui confère sa particularité, il la désigne comme basque. Alors, pour aider au décodage des pratiques, André Kerouac commente au micro chacune des séquences rituelles. Il présente chacun des intervenants, commente chaque chanson, commente les différentes parties de pelote basque, explique ce que sont ces jeux, explique leur origine, leurs règles.

45 En tant que directeur du Parc de l'Aventure basque, André Kerouac a été chargé d'un double devoir de formation (d'information) et de conseil en tant qu'expert. Il est donc allé là-bas, lui. H a vu. Il est celui qui sait. Alors, il explique : il livre chacune des séquences rituelles qu'il a lui-même programmées, avec le code qui permet de les déchiffrer. Il montre la pratique en même temps qu'il en livre le mode d'emploi : ce qui fait qu'elle est « basque ».

Argumenter de la vraisemblance

46 La stratégie de persuasion d'André Kerouac ne s'articule plus, alors, sur une grossière fiction historique, elle se mue en argumentation de la vraisemblance. Ce n'est plus « Nous voici au XVIe siècle, les marins basques ont débarqué à 13 h de leur baleinière », mais « Nous sommes ici aux fêtes d'Espelette et nous parcourons les rues au son du txistu »... Ce faisant, il brouille encore le cadre spatio-temporel de référence. Sa rhétorique argumentative voudrait nous déplacer à Espelette, aujourd'hui : « Regardez bien, dit-il, c'est comme là-bas ». Et l'autorité de sa fonction fait l'autorité de sa parole.

47 C'est alors que se dessine un curieux paradoxe. Ce 13 juillet 1996, pour la première fois, une « identité basque » est donnée à voir à Trois-Pistoles. Des marqueurs avaient été prélevés en Pays Basque et transposés (transportés) sur place. Les séquences rituelles qui marquent l'inauguration du Parc de l'Aventure basque prennent donc place dans une configuration résolument ethnique (à ceci près - et ça n'est pas rien - que la composante amérindienne de la population locale est totalement absente du rituel). Leur mise en scène est maîtrisée par l'institution : débarquement du marin sur le port, défilé des bandas, parties de pelote et, plus tard, dans la soirée, avant les muxikos (danses basques), dégustation de gâteau basque, dont l'authenticité a au préalable été garantie au prix d'une minutieuse enquête sur Internet et de quelques interminables vérifications gustatives. Bref, une identité basque se (re)compose dans cette triple structure (fronton, café, musée). Pour autant, l'ethnonyme est-il davantage investi de signification après l'inauguration qu'il ne l'était avant ?

48 Le rite d'inauguration n'est pas univoque. À vrai dire, il fédère une multiplicité de perceptions différenciées. L'événement n'est pas le même pour les habitants de Trois-Pistoles, pour les autorités municipales soucieuses de développement touristique, pour la délégation du gouvernement basque appelant à une coopération économique, pour les musiciens de Saint-Jean-de-Luz animant le défilé, pour Tapia eta Leturia, venus de Saint-Sébastien avant leur tournée à Vancouver, pour cette chorale d'Urrugne, qui fait coïncider un voyage annuel avec l'ouverture du Parc, ou pour ces descendants de la diaspora basque immigrée en Amérique du Nord au seuil des années cinquante, venus de Miami, de Reno, de Vancouver ou de Saint-Pierre dans l'espoir de rencontrer d'autres Basques de la diaspora et de sceller de nouvelles amitiés.

49 L'inauguration propose de nouvelles pistes d'identification, enrichit le stock de représentations mentales possibles, mais on comprend bien que ces représentations ne se substituent pas aux croyances qui faisaient, bien avant le 13 juillet 1996, cette culture partagée localement. La dichotomie eux/nous restait d'ailleurs parfaitement fonctionnelle au lendemain de l'inauguration. Cela tient à ce que les séquences rituelles qui font l'inauguration sont autant de représentations libres des contraintes d'adéquation à la réalité. La question qui intrigue alors l'ethnologue (et aussi l'historien) est la suivante : comment ces représentations parviennent-elles à façonner « quelque chose de basque », c'est-à-dire à constituer une classe logique qui serait définie par le prédicat « basque » ?

« Quelque chose de basque »

50 Ce que ces observations tendent à montrer, c'est que la classe logique définie par le prédicat « basque » n'est pas homogène. Elle ne constitue donc pas une unité d'analyse pertinente. Rechercher ce qui serait - ou ne serait pas — basque dans cette inauguration serait faire fausse route. À cette perspective nomothétique, on préférera celle qui consiste à repérer la forme des interactions mises en jeu dans la ritualisation : des interactions verbales, certes, mais aussi des attitudes, des gestes, des comportements et des objets qui, pour reprendre la façon dont Claude Lévi-Strauss les identifie, « interviennent in loco verbi ; ils remplacent les paroles » (Lévi-Strauss, 1971, p. 600).

51 Dans cette perspective, l'épreuve de qualification qui désigne telle forme d'interaction comme étant « basque » est, à la fois, dérisoire et cruciale. Dérisoire, parce que, sans doute, chacune d'elles pourrait exister avec un tout autre réfèrent que celui-là, cruciale, parce que c'est par cette épreuve de qualification, et par cette épreuve de qualification seulement, que telle pratique (telle séquence rituelle) existe, dans l'espace social de représentation de ce 13 juillet 1996, comme basque.

52 Ce que cette Aventure basque racontée et son parc signalent, au contraire, c'est que les Pistolois entendent affirmer un attachement à une altérité radicale, qui est aussi une ouverture au monde. Ici, l'ethnonyme « Basque », qui sature ce que nous avons choisi d'appeler une sémiosphère locale, semble revêtir une double fonction identitaire et identificatrice. L'ethnonyme organise une double mise en série : il désigne, à la fois, l'unique et l'identique.18

53 D'une part, le mot « basque » permet de repérer cette MRC comme MRC « des Basques ». Dans cette acception, le mot « basque » confère à la région sa singularité, ce qui permet de la distinguer clairement de toutes les autres MRC du Québec, puisqu'aucune autre ne porte le même nom. Voilà pour l'unique.

54 En même temps, le mot « basque » permet de désigner cette MRC comme l'une des MRC du Québec. Dans cette acception, il organise l'insertion de la région des Basques dans la série des MRC du Québec. C'est un moyen d'afficher, aussi, que cette MRC est une MRC « comme les autres » et qu'elle participe « comme les autres » à l'aventure de la construction d'un Québec d'aujourd'hui, ce que Jean-Philippe Tardif, pro-maire de Trois-Pistoles, a tenu à rappeler dans son discours du 13 juillet. Voilà pour l'identique.

55 Ainsi le mot « basque » permet-il, à la fois, d'afficher cette région comme faisant pleinement partie de l'ensemble des autres régions du Québec et comme occupant, dans cette série, une place singulière, c'est-à-dire comme ayant son propre rôle à jouer dans l'aventure collective. Sans doute pourrait-on présenter les choses autrement. Parler, par exemple, d'identité au singulier pour désigner, selon une distinction canonique de la philosophie, la composante qualitative de l'identité. On parlerait alors d'identités pour référer à la mise en série, comme le suggère Bernard Williams (1995), c'est-à-dire pour évoquer une composante quantitative. Dans tous les cas, le mot est une manière d'articuler un destin local à une aventure plus large.

56 Car le Parc de l'Aventure basque procure aux Pistolois une ouverture sur le monde. Il attire des voyageurs du Pays Basque, qui, à travers l'épopée des pêcheurs du Saint-Laurent, constituent leur propre histoire. Il attire aussi dans le bas du fleuve des Basques de Miami, de Reno, de Vancouver, de Montréal ou de Saint-Pierre, qui entendent organiser à Trois-Pistoles un rendez-vous annuel de la diaspora basque en Amérique du Nord. Le Parc de l'Aventure basque attire enfin ces touristes qui, sur la route de la Gaspésie, font le détour par Trois-Pistoles pour en apprendre sur cette curieuse aventure. En 1996, l'inauguration du Parc de l'Aventure basque avait attiré plus de 3 000 personnes, venues d'Europe et d'Amérique. Dans sa première année de fonctionnement, le Parc de l'Aventure basque a accueilli 8 000 visiteurs, un nombre deux fois supérieur à la population de Trois-Pistoles. Comment saisir ce que chacun vient chercher à Trois-Pistoles?

57 Gageons que les motivations des visiteurs sont difficilement commensurables. Mais, précisément, arrêtons-nous sur ce faisceau de perceptions différenciées, pour conclure. La découverte d'artefacts lors des campagnes de fouille dans l'île a marqué le signal de l'édification du Parc. Les objets existaient. Il fallait un lieu pour les conserver. Pourquoi ne pas les exposer? Pourquoi ne pas les exposer dans un centre d'interprétation ? Et pourquoi ne pas en faire un lieu de vie pour la population locale ? Pourquoi pas un parc? Et un fronton pour marquer d'une manière insolite, ici, une singularité et une identification ?

58 Cette chaîne logique, dont nous construisons la cohérence après coup, se présente comme un dispositif visant à donner un sens aux artefacts trouvés dans l'île. Une bague en laiton ou des grattoirs sont des empreintes. La bague ou les grattoirs renvoient à des campagnes de pêche. Ils ne font sens pour personne. Mais, avec le travail de l'archéologue et de l'historien s'opère un changement de régime. La bague n'est plus seulement une empreinte. Elle renvoie à « autre chose » (une technologie, une audace, un savoirfaire...) dont elle dépend et dont elle est, aujourd'hui, déconnectée. Une archéologue avisée ou un historien expérimenté s'efforcent d'en établir une origine, une datation, d'écrire une histoire. Mais l'une et l'autre risquent de se tromper. Dans cette prise de risque se glisse la formation du sens. La référence, alors, n'est plus limpide. Elle devient incertaine, gagne en intentionnalité, c'est-à-dire en opacité sémantique19. Mais une opacité sémantique n'est-elle pas, d'abord, une disponibilité sémantique ?

59 Si la bague, dans l'île, est une simple empreinte, c'est-à-dire un indice, il en va autrement de cette même bague montrée dans le centre d'interprétation. Donné à voir, l'objet est livré avec un code d'accès. Libre à chacun ou chacune d'adhérer, ou pas, au code d'accès, mais il y a une manière (conseillée) d'apprécier l'objet, de le comprendre. De la mise en exposition naît un contexte d'appréciation normative. Or, d'où vient la norme, sinon de ceux qui donnent l'objet à voir ? Et où prendelle consistance, sinon dans le regard de qui observe l'objet ? Ici se donne un sens, c'està-dire une identification et une origine. Comment cette proposition sémantique est-elle reçue ? Cela importe moins que le fait qu'elle existe. Contentons-nous de cela, même si le résultat peut paraître décevant au terme de cette investigation.

60 Mis en musée, l'objet n'est plus cette simple empreinte qu'il pouvait être dans l'île. Nous aimerions reprendre ici la distinction proposée par Pierre Jacob entre empreinte et symbole que nous avons affichée en exergue de ce texte. L'empreinte ne dit rien. La fumée, que Pierre Jacob prend pour exemple, est une simple empreinte du feu. Éclairé par le discours qui est produit sur lui par les conditions mêmes de sa mise en exposition, l'objet trouvé dans l'île devient une preuve, c'est-à-dire un symbole, dont la pertinence ne tient qu'autant que tient la capacité qu'on lui prête de fédérer une multiplicité d'appropriations différenciées. Que le discours change et le même objet devient un autre objet.

61 Marc Abélès et Henry-Pierre Jeudy (1997) ont proposé de qualifier cette prise de risque du nom de « sémantique institutionnelle ». Nous reprendrions volontiers le syntagme à notre compte. Il permet de pointer cette manière d'être de l'objet exposé, qui ne prend sens que par cette sémantique institutionnelle qui le fait exister comme produit (et production) d'une multiplicité d'intentionnalités. Ainsi nourri de propriétés sémantiques, il devient alors une attitude propositionnelle, c'est-à-dire une manière d'être au monde, une manière d'être qui peut, à tout moment, changer.

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NOTES
1 Cet article est une version considérablement remaniée d'une conférence prononcée à Moscou lors de l'inauguration du centre Québec-Moscou en mars 1998, qui fut publiée sous le titre « Passé simple, passé composé : construire un paysage ethnoscopique basque au Québec », dans Turgeon, 1998, p. 289-316. Une version antérieure de ce travail avait été présentée à Québec en septembre 1997. Nous tenons à remercier Jean Bazin pour ses remarques, qui nous ont incités à remanier ce qui constitue la dernière partie de cet article. Par ailleurs, nous remercions également Daniel Bilodeau, directeur du Parc de l'Aventure Basque en Amérique du Nord, pour l'amabilité avec la-quelle il nous a confié des données précieuses sur le fonctionnement actuel du Parc.
2 Le texte de cette loi peut être consulté dans le Répertoire des municipalités du Québec (Québec : Publications du Québec, 1997), p. 22-23.
3 Infra, bibliographie, Lotman, 1990, p. 123-214 et Lotman et Ouspenski, 1990, p. 273-316.
4 Et lorsqu'il remarque que la plupart des attitudes et des croyances observées par les anthropologues dans une société font l'économie d'une transmission explicite, il nous invite à renverser notre perspective traditionnelle sur la tradition pour examiner la façon dont fonctionne cet implicite qui semble gouverner les récurrences : « To explain the "persistence" or "stability" of a "tradition", as well as the various changes that affect those cultural phenomena, we should go beyond the common assumption, that all important aspects of cultural representations can be explained in terms of social transmission » (Boyer, 1994, p. 38).
5 Précisions que cette approche vaut, à nos yeux, davantage par l'effort de systématisation engagé à partir de la posture heuristique que par l'idée qui consiste à interpréter toute culture comme un ensemble de signes. La démarche interprétative de Clifford Geertz a provoqué, sur ce thème, d'importants débats. Nous nous sentons proches de cette posture de C. Geertz prenant appui sur Max Weber : « the concept of culture I espouse [...] is essentially a semiotic one. Believing, with Max Weber, that man is an animal suspended in webs of significance he himself has spun, I take culture to be those webs, and die analysis of it to be therefore not an experimental science in search of law but an interpretive one in search of meaning » (Geertz, 1973, p. 5).
6 Voir, infra, bibliographie, Schwimmer, 1994 et Cherubini, 1994, p. 14-24, ainsi que Bourdieu, 1980.
7 Cela signifie que nous ne réduisons pas ici l'esthétique aux seules relations intentionnellement esthétiques. Nous ne réduisons pas l'objet esthétique à la seule œuvre d'art. Nous ne réduisons pas, non plus, la relation aux seules occurrences où im tableau se donne à contempler, un concert, à entendre, un roman, à lire. Par esthétique, nous référons à cette part des comportements sociaux où « de l'émotion » se laisse percevoir. Nous renvoyons, pour cela, aux pages que Gérard Genette a consacrées à ce thème dans l'introduction du premier tome de L'œuvre de l'art (1994, p. 7-33).
8 Voulant transposer au Québec une entreprise éditoriale pareille à la collection des histoires régionales de la France publiées chez Privât, l'Institut québécois de recherche sur la culture, maintenant l'Institut national de recherche scientifique, culture et société, a lancé la collection « Les régions du Québec » au début des années 1980. Une dizaine de titres sont parus, d'autres sont en préparation. Ici, le texte historique est construit à partir de l'archive et il est donné à lire tel quel. L'historien fait l'histoire du sujet local sans se soucier de savoir comment celui-ci compose et recompose le récit de son propre passé. Il y a évidemment des échanges entre ces deux types de récits mais la dynamique de leur construction est différente : l'une est autoritaire, l'autre est consensuelle.
9 Voir Harvey, 1994, ainsi que Bouchard et Segalen, 1995.
10 Sur ces thèmes, voir Cayouette (1997) ainsi que la revue semestrielle L'Euskarien, publiée à Charlesbourg par la société Provancher et qu'anime André Desmartis.
11 Elle devient ainsi ce que Jean Bazin nous incite à nommer une « chose-dieu » (Bazin, 1986).
12 Lire l'exposé de Gaston Desjardins, 1997.
13 Archives nationales du Québec, Fonds de la Société Provancher d'histoire naturelle du Canada, correspondance de Sylvio Dumas à Edmond Buron (28 déc. 1935, 7 sept 1936, 29 mars 1937, 17 nov. 1938).
14 Pour une synthèse des résultats des fouilles, voir Turgeon, 1994 et 1997, ainsi que Turgeon, Fitzgerald et Auger, 1992.
15 Lire sur ce uième les études menées par Miren Egala Goya, 1992 et 1995.
16 En langue basque, le mot « basque » se dit euskal.
17 Outre les travaux de Claude Lévi-Strauss dont il sera question plus loin, citons quelques-uns des ouvrages dont la lecture a nourri les lignes qui suivent : Marc Abélès, fours tranquilles en 89 : ethnologie politique d'un département français (Paris : Odile Jacob, 1989); Vincent Descombes, Les Institutions du sens (Paris : Éditions de Minuit, 1996); Dan Sperber, Le Symbolisme en général (Paris : Hermann, 1974); Arnold Van Gennep, Les Rites de passages (New York et Paris : Mouton, 1969), ainsi que le commentaire de l'œuvre de Bateson proposé par Michael Houseman et Carlo Severi, Naven ou le donner à voir : essai d'interprétation de l'action rituelle (Paris : CNRS Éditions, Éditions de la Maison des Sciences de l'Homme, 1994).
18 « L'identique désigne d'abord l'identifié, la reconnaissance de celui-ci en tant que celui-ci, is dem selon l'origine latine, soit celui-ci même. Mais l'identique en vient aussitôt à désigner du même coup [...] l'équivalence d'un terme à un autre, la reconnaissance de celui-là en tant que celui-ci, idem en latin, soit le même que celui-ci : sens exactement contraire à celui dont il prend ainsi le relais, puisque substituant l'idée d'égalité à celle de spécificité inégalable, l'idée de reproduction à celle de singularité » (Rosset, 1979, p. 18-19).
19 Cette opacité sémantique naît des attributions d'intentions. D'une manière pourtant fort limpide, Pierre Jacob propose de définir l'intentionnalité comme une « opacité référentielle des attitudes propositionnelles » (Jacob, 1977, p. 97). Sur ce thème largement discuté dans le cadre d'une sémantique de l'action, voir Davidson, 1993, p. 67 et suivantes, et, plus largement, Grice, 1989.