While the historiography of colonial Canada devoted considerable space to the study of French strand fisheries in eighteenth century America, little emphasis was placed on the social classes of fishers, their financial resources and their daily lives. How can their level of material comfort be measured and compared and how can their socio-economic status be determined?
According to the author, post-mortem inventories of Plaisance and l'île royale (1700-1758) are very promising sources. Although there was more than one social class among the fishers in the two colonies, the analysis is limited to the two groups at the bottom of the hierarchy — resident fishers and hired fishers. This window on their world describes the tools of their trade and the implements of daily life: eating and household utensils, furnishings and clothing.
L'historiographie coloniale canadienne a consacré de louables efforts à l'étude de la pêche sédentaire française en Amérique au XVIIIe siècle. Il n'en demeure pas moins que l'on a mis peu d'emphase sur la détermination des catégories sociales de pêcheurs et, par le fait même, de leurs niveaux de richesse et leur univers matériel. Mais comment arriver à évaluer le niveau d'aisance de ces pêcheurs et, qui plus est, à les comparer et à formuler un classement socio-économique provisoire ?
D'après l'auteur, l'exploitation des inventaires après décès de Plaisance et de l'île Royale (1700-1758) s'avère fort prometteuse pour la démarche d'étude. Quoiqu'il existe plus d'une classe sociale chez les gens de pêche de ces deux colonies, le corpus d'analyse se limite aux deux groupes à la base de la hiérarchie, les habitants-pêcheurs et les pêcheurs-engagés. Cette fenêtre sur l'univers matériel des gens de pêche laisse voir à la fois les volets des ustensiles et de l'équipement de pêche et ceux de l'alimentation, de l'ameublement, du vêtement et des intérieurs domestiques.
1 De nombreux travaux relatant les activités de pêche sédentaire de l'Amérique française offrent des descriptions détaillées des techniques, des équipements et des outils de pêche. Dans certains cas, comme dans les recherches de Mario Mimeault et de B. A. Balcom2, les inventaires après décès et les greffes de notaires font l'objet d'une utilisation judicieuse. C'est dans un continuum de ces travaux que nous proposons un projet qui se veut une compilation et une description des informations retirées d'un échantillon de 54 inventaires après décès d'habitants-pêcheurs et de pêcheurs-engagés des deux colonies de pêche qu'étaient Plaisance et l'île Royale. Il est à noter que chez les premiers, quelques-uns réussissent à diversifier leurs activités économiques, tout en maintenant des établissements de pêche. Les travaux de Christopher Moore illustrent bien ce phénomène3.
2 Comparativement à certains travaux sur la colonie du Canada, il s'agit d'un corpus relativement réduit. Nous sommes limité par des contraintes de sources puisqu'il n'existe que 197 inventaires pour toutes les catégories socioprofessionnelles des deux colonies, dont 54 sont assurément des inventaires de pêcheurs-engagés et d'habitants-pêcheurs, du moins si on se limite aux indications de l'inventaire documentaire des séries G2 et G3. Il est cependant possible qu'un dépouillement exhaustif éventuel révèle d'autres inventaires cachant des activités de pêche. Le corpus représente donc 27,4 % des inventaires des deux colonies. À défaut de faire une analyse exhaustive, la démarche ouvre une fenêtre sur un champ d'étude encore négligé de l'histoire matérielle coloniale en Atlantique. Bien que ce travail puisse intéresser les historiens de la vie sociale, il vise d'abord à tracer une tentative de canevas des possessions matérielles et de leur utilisation chez cette population maritime sous le régime français.
3 Comme beaucoup d'autres historiens l'ont déjà souligné, l'inventaire après décès est une composante fondamentale de la coutume de Paris, qui impose à la famille le principe de la communauté de biens. Elle est transplantée en Nouvelle-France à compter de 1664 et ajustée aux spécificités du contexte colonial. Jacques Mathieu estime qu'elle « favorise la hiérarchisation sociale en France » alors qu'en Nouvelle-France, « elle est source d'égalitarisme »4. L'inventaire se fait aussi vite que possible après la mort, même parfois avant l'enlèvement du corps de la maison. Dès le décès, il y a apposition des scellés au domicile du défunt et une ordonnance qui permet l'inventaire. Les héritiers de droit, s'ils peuvent réclamer le bénéfice de la succession seulement après l'inventaire, peuvent aussi en demander la jouissance directe et la levée des scellés5.
4 Comme le précise Dominique Bouchard, l'inventaire pose des problèmes méthodologiques. Entre autres écueils, il ne semble pas exister d'approche uniforme permettant de traiter rinformation contenue dans les inventaires et les nombreux travaux menés jusqu'ici demeurent difficiles à intégrer. Mais ces difficultés bien connues ne diminuent en rien la valeur des archives notariales françaises pour l'histoire maritime. Comme le souligne Jean-François Brière dans un récent article, « Notarial records are a reflection of society at the microscopic level of the individual. The information they convey may be likened to pieces of puzzle that are mixed with pieces from other puzzles »6.
5 Est-il utile de rappeler que l'inventaire est un relevé complet des composantes du patrimoine mobilier et immobilier d'une maisonnée ou d'un ménage, incluant toutes les propriétés situées ou non sur le même terrain. Par exemple, dans le cas des habitants-pêcheurs de Plaisance et de l'île Royale, la première section de l'inventaire comporte une liste des objets de l'habitation familiale - ustensiles de cuisine, ameublement des différentes pièces, vêtements, literie et objets de valeur. Viennent ensuite des descriptions soignées du contenu des autres édifices que sont les magasins de sel, d'apparaux et d'agrès de pêche et aussi de victuailles. Finalement, on recense les articles contenus dans les cabanes des pêcheurs-engagés. En dernier lieu, vient la liste des infrastructures de pêche que sont les chafauds (structures de bois où abordent les chaloupes pour décharger leurs prises de morue et qui comportent habituellement une cabane servant à abriter les hommes travaillant au nettoyage et à l'apprêtage de la morue, avant qu'elle soit disposée sur les vigneaux pour le séchage), les vigneaux, les chaloupes, les charrois ou autres types d'embarcations tels les canots, les pirogues ou les goélettes. Là aussi, comme en France et au Canada, la deuxième partie de l'inventaire se compose des papiers laissés par le défunt ou la défunte7. Le plus souvent, ils sont de nature fiscale et permettent de tracer un bilan financier sommaire des opérations8. Cependant, ces informations demeurent plutôt exceptionnelles. À titre d'exemple, à l'île Royale, l'inventaire de l'habitant-pêcheur Elie Tesson Lafloury compte une importante liasse de papiers représentant 22 procédures différentes9.
6 En principe, c'est un notaire assisté d'arbitres ou encore d'évaluateurs, devant des témoins choisis par la famille, qui dresse l'inventaire en vertu d'exigences précises10. On y dénote plusieurs problèmes, entre autres, l'évaluation des biens immeubles est irrégulière et la description fait souvent défaut. On le rappelle, les inventaires, comme les droits à la succession, les contrats de mariage et d'autres aspects légaux font tous partie de la coutume de Paris, le code civil en vigueur au Canada, à Plaisance, à l'île Royale et en Acadie. Selon Brenda Dunn, on ignore si les Acadiens faisaient souvent appel aux inventaires puisque les notaires n'habitaient que les plus grands villages, comme Port Royal et Grand-Pré. Ce type de document est donc fort rare pour l'Acadie; très peu de documents portent sur la culture matérielle et la propriété privée des Acadiens11.
7 Les observations de Dunn nous amènent à préciser davantage les objectifs de notre recherche. Nous croyons qu'en utilisant les inventaires de Plaisance et de l'île Royale, nous serons en mesure de mieux connaître certains aspects de l'histoire matérielle et sociale des habitants-pêcheurs et des pêcheurs-engagés. Qui plus est, notre démarche est encouragée par la suggestion de Laurier Turgeon voulant que « seule la lecture des minutes notariales et judiciaires pourrait nous faire appréhender le comportement du pêcheur et nous révéler les permanences et les transformations de la pêche à l'aube des temps12. » Les contraintes de sources mentionnées plus haut nous obligent donc à une démarche se limitant à présenter l'état des biens matériels et leur valeur de 27 habitants-pêcheurs et de 27 pêcheursengagés. Dans quelques cas, également, la documentation permet de tracer des bilans financiers modestes mais révélateurs. La démarche doit permettre, entre autres, « d'apprécier les conditions de vie et du bien-être matériel dont jouissaient les [deux] groupes sociaux »13. Chez les habitants-pêcheurs, 13 sont de Plaisance et 14 de l'île Royale alors que, chez les pêcheurs-engagés, 5 sont de Plaisance et 22 de l'île Royale. Etant donné que le minutier de Plaisance ne contient que 18 inventaires, ils ont tous été consultés. En ce qui concerne l'île Royale, on a consulté environ 20% du total des inventaires disponibles pour cette colonie.
8 Par contre, on constate une assez grande diversité d'occupations socio-professionnelles selon la liste des inventaires compilée à la forteresse de Louisbourg. Ceci, surtout au niveau des combinaisons d'occupations telles que marchand-navigateur, pêcheur-aubergiste ou encore, sergent-tailleur de pierres. Afin d'éviter un éventail trop disparate d'occupations, nous les avons regroupées sous de grandes catégories prédominantes (voir le tableau 1). Cette situation n'est pas sans intérêt car elle reflète un phénomène déjà observé par l'historiographie, soit la pratique de plus d'une occupation socioprofessionnelle qui, dans certains cas, permet à de simples habitants-pêcheurs d'atteindre un rang social et économique important dans ces colonies de pêche14.
9 Si l'on observe la distribution des inventaires dans le temps, on arrive aux résultats du tableau 2, qui démontre la grande effervescence de la période 1711-1714 pour Plaisance et de celle de 1731-1758 pour l'île Royale. Dans les deux cas, ces colonies en sont alors à un sommet dans leur développement et l'activité notariale en fait foi, surtout à l'île Royale, qui bénéficie de longues périodes de paix de 1713 à 1744 et de 1748 à 1758.
10 Le tableau 1 fait ressortir la nécessité d'une démarche ultérieure visant à départager les habitants-pêcheurs ne s'adonnant qu'à la pêche de ceux qui exercent au moins une autre activité économique ou bénéficient des retombées prestigieuses associées au cumul de postes administratifs dans la colonie. Cette catégorie d'habitants-pêcheurs, ou plus précisément de marchands-pêcheurs, est intégrée à l'élite sociale de la colonie et laisse supposer un niveau de richesse matérielle plus élevé15. Ainsi, la liste du tableau 1 peut être trompeuse puisqu'un bon nombre de négociants, marchands ou aubergistes avaient souvent des établissements de pêche. Seul le dépouillement éventuel de chaque inventaire permettra de confirmer cette hypothèse. Notre recherche s'attarde tout de même à l'analyse de quelques inventaires décrivant les biens d'habitants-pêcheurs pratiquant au moins une autre activité économique et que l'on aurait pu décrire comme négociantspêcheurs, par exemple.
11 Il n'entre pas dans le cadre de cette recherche de présenter une description de la démarche notariale permettant de compiler les informations composant l'inventaire. Dans cette première section, nous visons plutôt à présenter un portrait approximatif de l'alimentation et des intérieurs des gens de pêche. Nous optons pour une synthèse des principaux éléments qui entourent la vie quotidienne des habitants, soit l'alimentation, les agrès de pêche, la cuisine avec ses ustensiles, les meubles, la chambre à coucher, les vêtements et les rares objets de valeur.
12 L'approvisionnement alimentaire des engagés est habituellement assumé en entier ou en partie par l'habitant-pêcheur qui les embauche. Les engagés s'endettent souvent auprès de leur employeur, qui leur alloue des avances sur leurs gages. C'est pourquoi François Blondel, habitant-pêcheur de l'île Royale, conserve des denrées pour fournir les engagés. Ainsi, en 1731, nous savons qu'il accorde quotidiennement à ses engagés au moins 91 livres de pain, deux pots de mélasse, un quart et demi de pois, un quart de farine, un demi-quart de bœuf et de lard16. Sa maison semble comprendre son magasin de denrées, quoiqu'elle soit « séparée de ladite salle d'une cloison de planches ». Un bon nombre d'articles y sont entreposés dans une « soute » contenant des pois, de la farine, du lard, du bœuf et du beurre. On signale à peu près les mêmes objets à l'établissement de pêche de Pierre Bonnain dit La Chaume, également aubergiste, situé au havre du Saint-Esprit de l'île Royale. Quelques prix sont aussi indiqués : neuf quarts de farine se détaillent à 10 livres le quintal, deux quarts de pois coûtent 12 livres, une barrique de vin de Tursan, 100 livres, une demi-barrique de vin de Saintonge, 40 livres et un quart de beurre, 40 livres17.
13 L'un des inventaires les plus détaillés de Plaisance est possiblement celui de la défunte veuve LeRoy, Bernardine Paquiau, habitantepêcheuse à Petit Plaisance. Dans un document daté de décembre 1709, Durand Lagarenne, subdélégué de l'intendant du Canada, se charge d'établir « un économe pour la régie des vivres pour distribution à l'équipage et les faire travailler ». C'est ainsi qu'il désigne Jules Blandit, garçon de grave et Pierre Lequivier, maître de grave, respectivement responsables de livrer les vivres aux équipages et de diriger lesdits engagés18. Des responsabilités sont aussi attribuées à Alain Vignau, habitant de Plaisance et commandant des équipages, qui conserve l'autorité de lesfoiretravailler et de gérer les vivres.
14 Dans les magasins de la veuve LeRoy, on retrouve là aussi une grande variété de vivres destinés aux équipages dont certaines denrées alimentaires largement utilisées à l'époque : pain, biscuits, pois, beurre, bœuf, lard. Chaque jour, ses équipages consomment l'équivalent de 240 livres de pain, une barrique de vin, un tiers de quart de pois, 10 livres de beurre et 60 livres de bœuf et de lard. On trouve aussi d'autres denrées qui ne sont pas nécessairement destinées aux pêcheurs-engagés mais peut-être à la vente dans la colonie.
15 On pense entre autres à l'huile d'olive (120 livres ), à la farine du Canada (huit quarts), au blé d'Inde (une demi-barrique) et au tabac en feuilles (75 livres ). Chez le défunt LaHongrie Lucas, décédé en 1713, on retrouve de la mélasse (deux barriques et demie), du thé (une pinte), de la bière (une chaudière) et de l'eau de vie (deux tiers de barrique)19. Dans la cave du défunt Louis-Joseph La Chapelle, on trouve des paquets de 12 flacons d'alcool d'une valeur de 44 livres20. De même, dans la cave du supposé déserteur Gabriel Barnetche de Plaisance, on note une barrique de Nantes contenant du vin blanc et deux barils à cidre en partie vides21. Charles Mahier, pour sa part, garde de bonnes quantités de rhum. Joseph Lafard, lui, semble à même de fournir de la viande de cerf, de perdrix et d'outarde. L'inventaire indique des ventes se chiffrant à un poids d'au moins 289 livres de viande de cerf22.
16 Comme on peut s'y attendre, il circule une certaine quantité de poisson pour la consommation locale dans les deux colonies. Par exemple, chez la veuve LeRoy, on signale une barrique de harengs salés et deux quintaux et demi de morues fraîches. Chez Barnetche, se trouvent du saumon boucané et des morues vertes dans l'eau saumurée. Enfin, la cabane des gens de la veuve Dastarit, de l'île Royale, contient de la « morue sèche et de la morue de réfraction et goberge »23.
17 Au magasin des denrées alimentaires s'ajoute celui consacré à l'entreposage du sel pour la morue. Dans la majorité des cas, on y entasse aussi des agrès de pêche. Dans le magasin de la veuve LeRoy, on note 150 barriques de sel, deux barriques de goudron, six grappins de chaloupe, six gouvernails de chaloupe et un aviron. L'arsenal de pêche de l'établissement LeRoy comporte aussi du câble, incluant du cordage à gréement de chaloupe, des voiles de chaloupe24, des gants d'étoffe à « décoller » la morue, des mitaines de pêcheurs, des couteaux pour la morue et des lignes de pêche avec leurs cales25. En examinant l'inventaire de l'établissement de Charles Mahier, on trouve en plus des compas de chaloupe, du calfat à chaloupe et des turluttes ou plombs à crocs26.
18 À sa mort en 1713, LaHongrie Lucas possède 280 lignes neuves, 800 plombs de pêche, quatre compas de chaloupe, 45 barriques de sel, trois couteaux décolleurs et six gouvernails de chaloupe. Au magasin de La Chapelle, on déclare 90 barriques de sel, un quart de goudron, deux mâts de chaloupe, deux mâts de misaine, neuf avirons de chaloupe et un câble pour amarrer les chaloupes sur la grave27. L'établissement d'Elie Tesson Lafloury, décédé à l'île Royale en 1741, contient des quantités impressionnantes d'agrès de pêche de toutes sortes : deux quintaux de plombs de pêche, 100 crocs de pêche, deux quintaux de lignes de pêche, sept compas de chaloupe, trois balanciers, trois pièces de filets montés, 51 rets neufs, huit casaques, 11 devanteaux (grands tabliers de cuir) et quatre paires de bottes. On évalue le tout à 287 livres28.
19 Dans les cabanes des engagés, qui servent à la fois de logement et de cuisine, on constate souvent un heureux mélange de leurs effets personnels, d'ustensiles rustiques de cuisine, de lits couverts de paillasses et de quelques outillages de pêche. L'une des cabanes de l'établissement de la veuve d'Abraham Pichaud de Plaisance comporte deux chambres où, en plus des traditionnels pots de fer et crémaillères, s'ajoutent un gril de fer, une paire de chenets, un banc, deux chaises de paille garnies de planches, trois chandeliers de laiton, une paire de mouchettes et un porte-mouchette29.
20 Dans les cabanes des engagés de la veuve LeRoy, on signale une chaudière de fer, deux pots de fer, une chaudière de cuivre, une chaudière à bière, une crémaillère, des barriques, des quarts, des courbillons à pain, des haches et une scie de long. Dans la cabane des engagés du défunt La Chapelle de Plaisance, on retrouve deux devanteaux pour pêcheurs, une paire de culottes de peau, 16 douzaines de crocs, du fil à voile et à rets. Chez les engagés de François Blondel, on recense une chaudière de cuivre rouge con-tenant environ 30 pots servant à faire de la bière ou de la soupe, 25 aunes de rets neufs et un morceau de fer servant à la crémaillère. Il s'y trouve aussi un bon nombre d'agrès de pêche, soit deux compas de chaloupe, 14 lignes à pêche, 12 cales de plomb, 20 crocs à morue, quatre grappins, trois voiles de chaloupe, deux misaines, trois aussières de chaloupe et un gréement de mât de chaloupe30.
21 L'identification et la catégorisation des objets et des possessions des habitants permettent à la fois de circonscrire les intérieurs domestiques et, par le biais de bilans comparatifs, d'établir des niveaux de possessions matérielles et de fortune chez les différents groupes sociaux. Selon Kenneth Donavan, les inventaires après décès de Louisbourg révèlent une grande variété de possessions matérielles dans les maisonnées. C'est un phénomène normal, si l'on considère les différents niveaux de richesse et de rangs sociaux des individus concernés. On y trouve, entre autres, des fonctionnaires gouvernementaux, des artisans, des marchands, des officiers militaires et des capitaines de navires. De loin, la catégorie la mieux représentée dans les inventaires de l'île Royale est celle des pêcheurs. Bien que Donavan estime que la majorité de ces inventaires soient brefs et se limitent à de courtes listes de quelques possessions31, il néglige de différencier entre ceux des habitantspêcheurs et des pêcheurs-engagés. Les inventaires des premiers, dans certains cas, se comparent avantageusement à ceux des marchands et incluent ceux de quelques habitants alliant les pêches à une autre activité économique.
22 De son côté, Anita Campbell utilise les inventaires pour ses travaux sur la vie domestique et la culture matérielle. Elle combine l'analyse de 18 inventaires de l'île Royale à l'étude d'un nombre comparable de sites archéologiques de Louisbourg. Elle estime que les contrats de mariage peuvent aussi contenir de l'information sur des objets ne se retrouvant pas dans les inventaires32. Pour faciliter l'analyse et la comparaison des objets identifiés dans les inventaires, Campbell les regroupe par type d'activité : chauffage, éclairage, transport de l'eau et entreposage, alimentation, hygiène et finalement les articles personnels. Elle subdivise ensuite chaque type d'activité. Ainsi, la catégorie alimentation est subdivisée en entreposage et conservation, préparation, service et ustensiles, contenants pourboire, etc. Quant à Jean-Pierre Hardy, il adopte une méthode quelque peu semblable dans son étude visant à comparer les niveaux de richesse et quelques aspects de la vie matérielle des artisans de Québec et de Montréal à la même époque. Après avoir dressé le bilan des possessions financières et immobilières, il s'intéresse aux « intérieurs domestiques ». Cette approche lui permet d'évaluer certaines facettes du « confort ou de l'inconfort matériel » du XVIIIe siècle. Hardy examine donc attentivement le système de chauffage, la batterie de cuisine, la vaisselle, le mobilier de la salle commune ou de la chambre à coucher et les objets de décor33.
23 D'autre part, Dominique Bouchard tente de perfectionner un outil permettant de synthétiser un inventaire à partir de la présence ou de l'absence de certaines caractéristiques. C'est ainsi que Bouchard établit les catégories d'objets que sont la vie domestique, le confort, la civilisation et le luxe. Dans la catégorie de la vie domes-tique, on retrouve l'équipement ménager essentiel à l'accomplissement des fonctions élémentaires de la vie quotidienne : conservation, préparation et consommation des aliments, lutte contre le froid et l'obscurité. La catégorie confort comporte les objets considérés comme un peu superflus et contribuant plutôt à agrémenter le cadre matériel de l'existence. Dans ce cas-ci, on parle particulièrement du mobilier et du décor de la chambre34.
24 Notre travail se situant dans un contexte maritime, nous tentons d'adapter l'essentiel des méthodes décrites plus haut. C'est ainsi qu'aux catégories alimentation-conservation, ameublement, civilisation, vie domestique et luxe, s'ajoutent les catégories activités maritimes et vêtements. En fait, à part les objets reliés aux activités de pêche, les autres catégories se rapprochent passablement de celles utilisées dans les travaux mentionnés. Pour l'instant, l'état de nos recherches ne permet pas de proposer une méthode définitive quant au regroupement d'objets ou d'articles des inventaires, du moins en ce qui a trait à l'ameublement. La catégorie activités maritimes est sans doute la plus complexe à cerner puisqu'il n'existe pas de modèle comme tel. Le présent travail peut contribuer à esquisser une ébauche de départ pour arriver à un tel modèle. Entre autres défis, il faut dissocier les apparaux et agrès des infrastructures de pêche. Nous considérons les infrastructures comme des objets du secteur immobilier : habitation, chafauds, graves, chaloupes, cabanes des engagés, magasins de denrées, sel, agrès et apparaux et finalement, goélettes, chaloupes, canots et charrois.
25 Notre documentation impose certaines contraintes. Par exemple, les inventaires ne contiennent pas systématiquement des évaluations des possessions meubles et immeubles. C'est ce qui explique le manque de certaines données et le fait que des habitants-pêcheurs affichent des valeurs en argent pour le secteur meubles, d'autres pour le secteur immeubles et quelques-uns pour les deux. Qui plus est, ce ne sont pas tous les habitants-pêcheurs qui ont des entrées dans chaque catégorie des deux secteurs. Bien que l'écart de richesse rende hasardeuse toute comparaison des possessions entre habitants-pêcheurs et marchands ou entre habitants-pêcheurs et pêcheurs-engagés, nous constatons néanmoins que quelques individus, chez ces derniers, possèdent un nombre subs-tantiel d'objets.
26 Ces chiffres ne sont certes pas répartis de manière uniforme. Par exemple, Guillaume Delort n'a aucune entrée dans les catégories vie domestique, luxe et activités maritimes. Deux autres habitants de Plaisance, Joseph Lafard et Pierre Tailbot, n'affichent aucune donnée dans les catégories vie domestique, civilisation, luxe et activités maritimes. Cet état de chose peut s'expliquer par le fait que Lafard, qui est aussi marchand, et Tailbot, aussi maître de navire, ne sont possiblement pas des rési-dents permanents de la colonie. Il en est de même pour le Sr Dessaudrais Robert qui, bien que négociant à Saint-Malo, possède un établissement de pêche à l'île Royale. François Audigny, lui, n'a aucune entrée dans alimentation-conservation, dans luxe et dans activités maritimes. Le tableau 3 révèle que les catégories alimentation-conservation, vie domestique, vêtements et activités maritimes dominent par le nombre d'entrées. Comme nous l'avons mentionné plus haut, la catégorisation des objets maritimes s'avère complexe lorsqu'on tente de départager les agrès et apparaux des infrastructures.
27 Afin de mieux visualiser la disposition des intérieurs domestiques des habitants-pêcheurs, il faut tenter de cerner les contours physiques de l'habitation familiale. C'est ainsi qu'en général, les mieux nantis ont des maisons à plus d'une pièce et souvent, des cheminées doubles. Par exemple, Bonnain La Chaume est propriétaire d'une maison de sept pièces alors que Magdeleine Aubert et Gaspar Zémard ont des demeures comprenant au moins cinq pièces et des cheminées doubles. Quant à Gabriel Barnetche, son habitation comporte au moins quatre pièces dont une cuisine et deux chambres à coucher. Joseph Lafard, moins riche, a néanmoins une maison incluant une chambre à coucher et une cuisine. René Herpin et Charles Mahier, pour leur part, ont des cheminées doubles.
28 Dans la cuisine, comme le souligne Hardy, la cheminée ou le foyer ont des fonctions multiples, soit le chauffage, la préparation des repas, l'éclairage et parfois, le repos. Le poêle apparaît graduellement au XVIIIe siècle. L'utilisation à bon escient d'une cheminée exige de nombreux ustensiles que sont chenets, crémaillères, trépieds, pinces et pelles à feu. Cette description est assez conforme à ce qu'on retrouve chez René Herpin : crémaillère, chenets, trépieds, gril, pelle de fer, poêle, poêle à frire, chaudière de cuivre, tuyau de poêle avec plaque et porte. Dans la cuisine de Magdeleine Aubert, on remarque à peu près les mêmes objets auxquels s'ajoutent un fauteuil garni de « cadis vert », six chaises de paille ou de bois et un tapis de table. La cuisine de Marie Sceau (veuve Zémard) compte deux poêles de fer.
29 Dans les cuisines du XVIIIe siècle, les objets composant les batteries de cuisine sont le plus souvent conçus en cuivre, en fer, en étain, en bois ou en terre. Les articles en verre et en cristal, comme les verres, les gobelets, les salières, les flacons de boisson ou de vin, ornent les tables et les caves des plus aisés. L'essentiel de l'argenterie se compose de gobelets, d'assiettes, de tasses, de fourchettes et de cuillères. Signalons aussi d'importantes quantités de nappes et de serviettes dans les foyers plus fortunés36. C'est ainsi que chez plusieurs de nos habitants-pêcheurs, on remarque une grande quantité d'ustensiles de cuisine et d'articles associés à la cheminée. Entre autres, les assiettes de faïence et d'étain sont en grand nombre. Le même constat s'applique aux nappes et aux serviettes. Ainsi, il y a 96 assiettes en faïence chez Lafloury, 36 chez Magdeleine Aubert et 12 chez René Herpin. Quant aux assiettes d'étain, on en dénombre 60 chez Herpin, 45 chez Galbarette, 31 chez Charles Mahier, 24 chez Bernardine Paquiau et 13 chez Gabriel Barnetche. Les nappes et les serviettes sont aussi le reflet d'une certaine aisance. On compte ainsi 58 nappes chez Galbarette, 13 chez Aubert, 12 chez Lafloury et 7 pour Zémard. Quant aux serviettes, elles sont encore plus nombreuses : 96 chez Galbarette, 84 chez Lafloury, 79 chez Preville, 61 chez Aubert, 48 chez Zémard, 35 chez Robert, 25 chez Mahier et 21 chez Herpin.
30 Comme chez les artisans de Montréal et de Québec, les habitants-pêcheurs possèdent quelques objets en cuivre, entre autres, le sucrier, l'huilier et des verres. Les articles de vaisselle sont en plus grand nombre encore, de même que les fourchettes, cuillères et couteaux. Comme en France et au Canada, la coutume d'usage de ces ustensiles est donc assez généralisée chez les habitants-pêcheurs des colonies de pêche. Nous tenons à préciser que nous n'avons pas inscrit les quantités mesurables des denrées périssables. Par exemple, les 91 livres de pain ne comptent que pour une seule entrée tout comme la demi-livre de sel et les 15 livres de beurre. Nous dévions ainsi de l'approche de Dominique Bouchard pour qui « les stocks de denrées périssables ne sont pas systématiquement recensés puisqu'ils seront consommés à brève échéance »37.
31 Le buffet et le coffre sont les meubles de rangement les plus populaires. Dans les colonies atlantiques, les habitants-pêcheurs ont souvent plus d'un coffre et les pêcheurs-engagés en possèdent toujours au moins un. Cela s'explique puisque, selon Hardy, le coffre est le « meuble des errants, des mobiles, qu'on apporte facilement dans les déménagements »38. La chambre à coucher de l'époque, c'est un fait, engouffre la plus importante part des investissements dans les biens meubles. La maison de la défunte Magdeleine Aubert contient au moins deux chambres à coucher. Dans celle de la défunte, se trouve un lit garni de « sent bon de lit », une garniture autour du ht, deux couettes de plumes avec un traversin et un oreiller garni. Dans la maison de Marie Sceau, la chambre à coucher des enfants compte un petit châlit, deux couettes de plumes, un traversin, une couverte blanche, une demi-couverte anglaise, un lit pour deux enfants et un coffre. La plus grande chambre comporte deux lits, un miroir doré, une armoire de chastaline et quatre armoires de deux tiroirs. Dans la plus grande chambre de la demeure du défunt La Fleury, le lit se compose d'un châlit, d'une couette traversière et de rideaux de cadis vert. On y trouve aussi des couvertures, dont une de laine blanche et une courtepointe d'indienne à fond rouge. En guise d'ameublement, notons un « mauvais » bureau anglais, un petit miroir à cadre de bois, deux tableaux de famille à cadre doré et une table anglaise. Dans une autre chambre, plus petite, se trouvent un « lit tombeau » avec une couette et un oreiller.
32 Il est difficile de dire si les habitantspêcheurs possèdent beaucoup d'argenterie. Est-ce qu'ils considèrent l'argenterie, comme le pense Hardy pour les artisans canadiens, comme un « gage de sécurité, un objet de thésaurisation ou un simple moyen d'accroître son patrimoine au même titre que le numéraire »39? Quelques inventaires révèlent des objets d'argenterie. Le contenu le plus impressionnant est celui de Lafloury avec une tasse, 12 fourchettes, une timbale, un gobelet, une écuelle, une tabatière, deux boutons et deux boucles. À cela s'ajoutent une montre anglaise à boîtier avec chaîne en argent et sept horloges. De son côté, Jeanne Galbarette possède cinq tasses en argent, six broches, un crucifix en or et un cadre avec un Christ en or. D'autres affichent des bilans plus modestes, dont Bernardine Paquiau avec une bague en or et 36 boutons en argent, Charles Mahier avec quatre galons en argent, Louis Josselin La Chapelle et René Herpin avec chacun une tasse en argent et François Blondel avec 35 boutons dorés.
33 L'aspect civilisation comprend les livres ou objets religieux. C'est ainsi que Charles Mahier a un petit crucifix en laiton et deux paires de lunettes. Quant à François Audigny, il conserve un roman de tragédie, un mémoire du cardinal de Richelieu, deux livres religieux intitulés respectivement Conduite de la Confession et Communion et Explication des partiels de l'Office et de la Cérémonie de la messe et un chapelet. Chez Galbarette, on signale la présence d'un bénitier.
34 Bien que nous ayons abordé la question des équipements de pêche plus haut, un portrait plus global et mieux articulé s'impose. Comme nous l'avons précisé, notre principale difficulté réside dans la distinction des agrès et apparaux et des infrastructures. C'est ainsi que nous parlons d'infrastructures lorsque nous faisons le décompte des embarcations, des chafauds, des graves, des cabanes, etc. Les agrès et apparaux sont plutôt des outils et pièces qui peuvent être utilisés par un seul homme et qui servent à l'apprêtage ou à la conservation de la morue. Nous pensons également que la catégorie agrès et apparaux peut légitimement comporter tout objet pouvant appartenir à un habitant-pêcheur, sans qu'il soit pour autant propriétaire d'infrastructures importantes. Le tableau 4 offre une tentative de répartition entre les agrès et apparaux et les infrastructures. Nous rappelons que, dans certains cas, les inventaires parlent d'agrès et d'apparaux sans donner de nombre permettant d'en quantifier les composantes. Dans notre tableau, ils sont marqués par un astérisque (*).
35 Bien que le tableau 4 prête à réflexion, il se veut davantage un survol des types d'équipements et d'infrastructures de pêche qu'un inventaire exhaustif. C'est précisément par l'analyse des infrastructures que nous pouvons espérer identifier les habitants-pêcheurs les mieux nantis. Signalons que, dans certains inventaires, on ne mentionne aucune infrastructure, mais seulement des apparaux et des agrès. Les habitants-pêcheurs ayant possédé ces inventaires auraient alors été locataires ou saisonniers et seraient décédés dans la colonie.
36 Les travaux de Nicolas Denys, Charles De La Morandière, Jean-François Brière, Laurier Turgeon et Mario Mimeault permettent tous de mieux comprendre l'ampleur et les composantes des infrastructures nécessaires aux activités de pêche sédentaires. B. A. Balcom est cependant celui qui a le mieux exploité les sources documentaires, surtout les inventaires après décès, pour mieux faire connaître la nature des infrastructures mises sur pied par les habitants-pêcheurs. Nous tentons cependant d'élargir cette analyse en englobant un plus grand nombre d'inventaires, y compris ceux de Plaisance.
37 On sait déjà que la veuve LeRoy, décédée à Plaisance en 1709, possède une habitation de pêche passablement élaborée. L'inventaire parle de plusieurs équipages et fait état d'agrès et d'apparaux importants. Les équipages logent dans des cabanes et l'on signale aussi des chafauds, des graves et des chaloupes. Sur le terrain de LeRoy, dans l'environnement du grand chafaud, se trouvent huit chaloupes et une demi-chaloupe. Près d'une des cabanes gisent 16 billots, plusieurs courbes à construire les chaloupes et le bois pour la réparation des chafauds. Le 4 novembre 1709 a lieu sur la grave, devant l'habitation de la veuve LeRoy, la vente des charrois, chaloupes, gouvernails, etc. Le tableau 6 dresse un aperçu des valeurs des objets en question40. Selon Balcom, les charrois furent d'abord utilisés pour la pêche au large41 mais il est aussi possible qu'on s'en serve pour le transport de la morue ou autres le long du littoral.
38 L'inventaire relatant les installations du défunt LaHongrie Lucas, lui aussi de Plaisance, est peut-être encore plus imposant que celui de LeRoy : deux chafauds, deux magasins, quatre cabanes, deux cageots (récipients en bois ou en osier qui servent à stocker l'huile de morue pour qu'elle se conserve mieux), deux lavoirs (cages en treillis utilisées pour laver la morue salée avant le séchage), 18 chaloupes, deux grands canots neufs, un sloop ponté nommé La Marie (25 tonneaux) avec ses apparaux, un autre bâtiment plus grand, échoué à la baie de l'Espérance et un charroi d'une capacité d'au moins 400 quintaux. L'établissement emploie 29 hommes42. À l'habitation de Charles Mahier, dans la même colonie et à la même époque, on compte 14 chaloupes, un chafaud, un charroi et une cabane43. Dans le document de renonciation de Catherine Lebaudy, veuve de Sébastien de Sourdeval, de Plaisance, on recense une grave, deux chaloupes et demie et un magasin44. Pour sa part, l'établissement de Gaspar Zémard compte, en plus d'une maison de cinq chambres où réside la veuve Marie Sceau, un jardin entouré de piquets, trois magasins ou cabanes, un chafaud, une grave et trois chaloupes45.
39 Comme nous l'avons précisé, la documentation couvrant l'île Royale est plus abondante et plus diversifiée que celle qui a trait à Plaisance. Certains inventaires sont plus élaborés et reflètent une activité de pêche très dynamique. Celui d'Elie Tesson Lafloury indique 11 chaloupes, un canot, un bateau (25 tonneaux), une goélette (30 tonneaux), plusieurs vigneaux, plus de six cabanes, trois magasins et au moins deux chafauds. Le tout vaut près de 6 000 livres46. L'inventaire de René Herpin est lui aussi révélateur d'une grande activité durant les années 1730. Sur son terrain de 3 105 toises carrées situé du côté nord du port de Louisbourg, se trouve une grave faite à la main et mesurant 24 toises de large sur 25 toises de profondeur, sur laquelle est située une cabane de piquets couverte de planches de bois de 45 pieds de long sur 16 pieds de large, pour loger les pêcheurs. Au nord de ladite grave, 16 vigneaux de 38 toises de long chacun, une maison de 38 pieds de long sur 20 pieds de large faite de piquets, couverte de planches de bois avec deux petits cabinets47. Sur la propriété de François Blondel de Petit Lorembec, on trouve 15 vignaux avec 350 quintaux de morue, une cabane des pêcheurs, un échafaud garni, deux chaloupes et demie avec leurs agrès et apparaux sur la grave à l'arrière de la maison. Finalement, à l'Indienne, on compte deux autres chaloupes dont l'une appartient à Blondel et l'autre est à « ferme ou louage »48.
40 Comme le suggère Jean-Pierre Hardy, si l'on regarde dans l'ensemble la batterie de cuisine, l'ameublement, les vêtements, l'alimentation et même les infrastructures, il nous semble que, comme chez les artisans canadiens, « l'indigence est rare et la majorité est pourvue de l'essentiel »49. Mais cette tentative de mesurer les possessions matérielles ou encore d'identifier les mieux nantis demeure incomplète si l'on n'inclut pas des valeurs en argent dans notre bilan. Par contre, la démarche peut se buter à de sérieuses difficultés. Selon Dominique Bouchard, l'évaluation des biens meubles est irrégulière et la finalité des engagements financiers figure rarement, si bien qu'on ne peut pas toujours distinguer les dettes contractées à des fins d'investissement des simples « dépenses d'épicerie ». Impossible également de dégager de la masse des créances celles qui sont attribuables aux activités professionnelles du mari50.
41 Ici encore, comme ailleurs dans notre travail, la disparité de l'information dans les inventaires des habitants-pêcheurs nous oblige à ne travailler qu'avec une partie de notre corpus. Par contre, les résultats du tableau 7 ne sont pas facilement comparables à ceux de Hardy ou de Desloges et Lafrance. Dans le premier cas, Hardy estime que les artisans les plus démunis (60%) affichent des fortunes mobilières inférieures à 700 livres alors que chez ceux qui sont plus à l'aise, ces valeurs atteignent 800 livres et parfois même 2 000 livres51. À Québec, selon Desloges et Lafrance, après 1725, la proportion des ménages laissant moins de 1 000 livres de fortune s'accroît dans tous les secteurs. À l'opposé, ceux qui disposent de 5 000 livres et plus diminuent d'importance, sauf les personnes qui travaillent dans les services, les transporteurs maritimes et les marchands plus riches52.
42 Quoique les tableaux ci-dessus nous renseignent quelque peu sur la valeur des possessions matérielles de quelques habitantspêcheurs, nous croyons qu'un dépouillement plus soigné de leurs nombreuses transactions sert à mesurer partiellement leur dynamisme en tant qu'entrepreneurs. Ceci est possible en examinant les papiers trouvés dans les inventaires. Il n'est pas surprenant de constater que les inventaires les plus détaillés en termes de bilans financiers soient ceux de Jean Milly, de Pierre Boisseau et de Pierre Bonnain La Chaume, qui sont tous des habitants-pêcheurs propriétaires d'auberges ou de tavernes. Par exemple, l'inventaire de Milly révèle 31 entrées dans la colonne des dettes actives (2 082.10.0 livres) et 68 entrées dans celle des dettes passives (11 882.14.3 livres). La valeur, totale des biens meubles et immeubles, ajoutée aux dettes actives et passives, montre un bilan déficitaire de 381.9 livres.
43 Quant au négociant Pierre Boisseau, il laisse à sa veuve Marguerite Terriau un bilan positif de 19 951.38 livres. Il faut dire que les biens immeubles comportent trois terrains, quatre maisons et autres bâtiments de dépendance. Quant aux comptes et factures, la communauté doit 1 110.49 livres, mais les 27 entrées de dettes actives démontrent qu'on lui doit 1 178.67 livres. Pour ce qui est de Pierre Bonnain La Chaume, la valeur de ses biens meubles, immeubles, argent liquide et dettes actives s'élève à 4 804.1 livres. En déduisant le montant des dettes passives, on arrive à un bilan positif de 3 780.1 livres. D'autres ont aussi des bilans positifs, tels le négociant Bonnaventure Le Brun avec 694.13.8 livres et l'aubergiste Jean Seigneur dit Larivière avec 1 604.19.9.
44 Jeanne Baucher, veuve de Jean Gaillon Preville, déclare que la communauté, après évaluation des biens meubles et immeubles et à la suite du calcul des dettes actives et passives, affiche un bilan positif de 669.8 livres. Les biens meubles se chiffrent à 476.9.6 livres et les possessions immobilières, à 2 000 livres. La communauté a des dettes passives de 2 071 livres et des dettes actives de 263.9 livres. La même remarque s'applique à la communauté de Jeanne Galbarette, veuve de Jean Dastaris. L'habitation complète (maison, cabanes, grave, vignaux) est évaluée à 5 000 livres alors que les biens meubles se chiffrent à 2 970.2 livres. Les dettes actives se montent à 6 005.8.11 livres et les dettes passives à 4 175.4.3 livres. Il en résulte donc un bilan positif de 9 800 livres.
45 Pour sa part, l'inventaire de LaHongrie Lucas compte quelques papiers relatant des transactions financières dont six billets. Un premier billet de feu Lucas pour des lignes de pêche a été acquitté par une personne non identifiée. Un autre, en faveur de Lucas, lui avait été consenti par monsieur De Belhome Simon pour des grappins; ce billet a également été acquitté. Deux autres billets ont été « doublés » d'un marché entre le Sr Fouber et le Sr Lucas pour des viandes. Le solde d'un salaire de 80 livres devait encore être versé à un pêcheur-engagé non identifié sous forme de morue verte, d'huile de morue, d'une paire de souliers et finalement, d'un passage payé pour la France, une fois la pêche terminée le 4 septembre suivant53.
46 Pour Joseph Lafard, une documentation relativement abondante révèle qu'il a consenti une douzaine de billets équivalents à 649.7 livres. En contrepartie, on lui a alloué une quantité équivalente de billets pour une somme totale de 832.5 livres. L'inventaire donne une brève description de chaque billet en précisant qui s'engage envers qui et pour combien, s'il s'agit d'un prêt ou d'un remboursement, etc. La grande majorité des comptes doivent se régler en août ou en septembre, soit à la fin de la saison de pêche d'été. Quelques exemples sont à signaler : le 5 janvier 1705, Jean Maillet consent à Lafard un billet pour la somme de 27.10 livres payable en août suivant. Toujours en janvier, Jean Borny accorde lui aussi un billet à Lafard pour la somme de 36 livres payable également en août. Par contre, Lafard fait de bonnes affaires puisque le 20 octobre 1704, Augustin Boustany lui cède une maison du Petit Plaisance pour 45 livres. De même, le 23 juillet 1705, Lafard reçoit le pouvoir de collecter ce que lui doivent plusieurs particuliers. Il s'agit peut-être des 18 individus dont les noms apparaissent sur une liste et à qui Lafard semble avoir accordé des billets. Signalons que Lafard vend de la viande à Plaisance54.
47 Dans la plupart des cas, il demeure difficile de reconstituer l'essentiel des transactions financières. C'est ainsi que pour Jean Samper, originaire de Saint-Malo, on relève un billet qu'il a consenti pour 300 livres en 1709. Au bas du billet en question, on mentionne un remboursement partiel de 100 livres en 1712. Un autre billet indique un remboursement de 43.18 livres par un nommé Sainte-Marie. Un deuxième billet spécifie que Sainte-Marie reconnaît avoir reçu de Samper, pour la veuve Marianne, la somme de 18 livres. Ladite veuve lui présente une quittance de 34 livres, le 8 août 170755. Chez Magdeleine Aubert, l'information relative aux transactions financières est plutôt rare. On constate seulement un billet de louage du magasin et d'une chambre aux Srs Sapie et Lagardère pour quatre mois à raison de 150 livres ou pour un an à 300 livres, en date du mois d'août 171156. C'est encore plus modeste en ce qui concerne Pierre Tailbot, qui n'a qu'un billet de Pierre Gautret converti en faveur du défunt Tailbot pour la somme de 6 livres en 170857.
48 Un cas fort bien documenté pour l'île Royale est celui de Lafloury puisque l'inventaire compte une vingtaine de documents de toutes natures. On y trouve, entre autres, une sentence rendue à l'amirauté de Louisbourg en août 1732, résultant en une condamnation au profit de feu Lafloury contre Jean Duhaume pour 249.15.1 livres, avec intérêts, frais et dépenses, et un billet de François Priou poux 250 livres encore au profit de feu Lafloury, daté de 1736. La veuve Lafloury, s'appuyant sur un extrait d'un grand livre appelé Journal, explique que les pêcheurs-engagés doivent 3 816 livres à la communauté. D'autres particuliers ont eux aussi des dettes envers les Tesson : le Sr Treguy de Saint-Jean-de-Luz, 13.10 livres, le Sr Sollé, chirurgien, 17 livres, Jacques Bongar, 16 livres, le Sr Pépinière Larue, 18 livres, le nommé Lefeve, 60 livres, Lachené, 17 livres et finalement Bruitière, 9 livres.
49 En contrepartie, la veuve Lafloury déclare que la communauté Lafloury doit à divers particuliers environ 9 000 livres pour des fournitures avancées à l'habitation « tant pour la pêche qu'autrement ». Autres dettes de la communauté : 480 livres « aux gens engagés dans l'habitation pour gages jusqu'à ce jour ». On trouve aussi, dans le petit coffre, un acte de vente fait par monsieur de Mezy au profit du Sr Lemaigre, d'une maison du côté nord du havre de Louisbourg, avec chafaud, grave et vigneaux en date de 1728. Lafloury acquiert ensuite cette même habitation en 1733 et, en 1736, elle achète, du Sr Petitpas, un terrain de 45 toises situé en face de l'île du Nord. Une concession confirme également la propriété du terrain de l'île de Scatery, cédé à Lafloury le 19 mars 1716 par les administrateurs coloniaux de l'époque, messieurs de Costebelle, Soubras et Decouagne. Une deuxième concession d'un terrain de 52 toises de fond sur le bord de la mer est datée du 9 juillet 1738. Ce terrain est évalué à 150 livres par les « appréciateurs » Martissans et Dolhabarats. La valeur des meubles et immeubles, les dettes et actes, s'élève à « 19 536 livres 4 sols et pour les dettes passives à la somme de 9 480 livres »58.
50 Chez feu François Blondel, les papiers inventoriés permettent une modeste tentative de bilan financier. Une première catégorie de papiers consiste en des billets s'échelonnant sur la période 1712 à 1731 et leur valeur totale se cliiffre à 449.3 livres. Ils se répartissent entre 13 individus. Une autre liste donne les noms de 27 personnes ayant fait des achats auprès du défunt Blondel, pour un total de 283.6 livres, dont seulement 27.15 livres demeurent impayées. Entre autres acheteurs, on note Guillaume Vallet, André Carrerot et François Lessenne. Il est à noter que les deux premiers participent à la vente publique des « hardes et effets de feu Blondel », le 11 décembre 1733.
51 Les papiers de Blondel comportent aussi des accords, dont deux avec Jean Dupré, capitaine du navire La Valeur. Celui-ci vend et livre plusieurs marchandises et fournitures de pêche à Blondel. Le premier accord fait mention de marchandises telles que du porc, de la mélasse et du beurre pour une valeur de 267.8 livres ou l'équivalent de 65,75 quintaux de morue, que Blondel s'engage à rembourser sur la base de 10 quintaux de morue par campagne de pêche. Le deuxième accord parle de fournitures de pêche se chiffrant à 152.15 livres, dont du fil à voile, du goudron et du maquereau. Un troisième accord daté aussi de 1732 est conclu avec monsieur Obrien, capitaine du navire La Srjellene. On y recense du pain, de l'eau de vie, du sel, du beurre, de la ligne à morue et du lard, dont la valeur totale se chiffre à 301 livres. Un bilan général de ces transactions résulte en des dettes de 720.95 livres.
52 Michel Daccarrette est certainement le mieux connu des personnages avec qui transige Blondel. L'accord dont il est question ici se concrétise en 1728. Durant les années 1728 et 1729, Daccarrette avance des fonds « tant pour bâtir mon habitation et chaloupes, que pour fournitures de pêche ». Pour obtenir cet accord, Blondel doit hypothéquer son habitation et ses chaloupes. Pour la « sûreté de ladite hypothèque », Blondel verse, chaque année, à Daccarrette 10 quintaux de morue par chaloupe. Au total, la somme avancée équivaut à 166 quintaux, 80 livres de morue, plus 169.12.6 livres en argent.
53 L'entente est renouvelée en 1732 lorsque Daccarrette reçoit 90 quintaux de morue comme acompte sur la dette de Blondel. Par contre, ce dernier reçoit d'autres fournitures. La solde à payer se chiffre alors à 99 quintaux, 40 livres de morue en plus des 169.12.6 livres en argent. À la mort de Blondel, Daccarrette estime que, pour se faire payer, il n'a d'autre choix que de recourir à l'autorité du Conseil supérieur. C'est ce qui explique qu'il lui demande de défendre à Guillaume Vallet, neveu de Blondel et chargé de la surveillance des biens laissés par son oncle, de « s'en saisir ». Le 27 août 1732, on s'oppose à la levée des scellés mis sur les biens de Blondel. Le 15 septembre de la même année, l'Amirauté de Louisbourg autorise Céprien Laguanère à percevoir 40 quintaux de morue au poste de pêche de Blondel à Lorembec. Mais voilà qu'il se heurte au refus des Srs Dupré et Aubry59. Quel est donc le bilan financier de Blondel à sa mort? Selon notre compréhension de la documentation, la compilation des actifs et des passifs ressemble au portrait tracé au tableau 8.
54 Ce profil collectif des possessions et valeurs matérielles d'un nombre limité d'habitantspêcheurs des colonies de Plaisance et de l'île Royale n'est pas tout à fait acceptable en termes de bilan. On doit plutôt parler d'un corpus représentatif mais partiel. Il n'en demeure pas moins que l'on peut conclure que les habitantspêcheurs ayant réussi à ajouter une autre activité économique à la pêche semblent arriver au terme de leur vie avec des actifs plus subs-tantiels que ceux qui se sont limités à la pêche. En effet, le tableau 7 révèle que sur les dix habitant-pêcheurs ayant des valeurs totales supérieures à 1 000 livres, six exercent d'autres occupations économiques. Comme l'a déjà souligné Christopher Moore, les habitantspêcheurs devenus marchands, négociants, propriétaires de tavernes ou autres n'ont peutêtre plus besoin de s'adonner à la pêche. Ils contrôlent néanmoins la majorité de la production locale pendant presque toute la période 1720-1758.
55 Avant d'aborder plus en détail l'information compilée à partir des inventaires des pêcheursengagés, il est utile de cerner le corpus. Comme pour les habitants-pêcheurs, certains inventaires présentent de l'information plutôt squelettique. Dans un premier temps, dans 14 des 27 cas, on indique la cause ou l'endroit du décès : dix engagés se sont noyés, deux sont morts à l'hôpital, un est décédé dans sa pension (auberge) et un autre, à son domicile. Pour quelques engagés, on ne relève aucune entrée dans certaines catégories du secteur meuble, et aucun n'a de biens immeubles à déclarer. Par contre, 21 cas offrent des valeurs en argent des possessions matérielles, à la suite de la liquidation lors des ventes publiques. Seul Olivier Laisné n'a aucune entrée enregistrée, mais il a néanmoins de modestes avoirs d'une valeur de 10 livres. La case de la catégorie luxe demeure pratiquement vide pour tous.
56 Le total des entrées, toutes catégories du secteur meuble confondues, se chiffre à 994, dont 460 pour les vêtements, 147 pour l'alimentation-conservation, 159 pour la vie domestique, 123 pour les activités maritimes, 76 pour l'ameublement, 26 pour la catégorie civilisation et trois pour la catégorie luxe. Bernard Mendiboures domine avec 113 entrées, suivi de Mathurin Couqueville avec 98 et d'Etienne Guérard avec 96. Guérard domine aussi pour les entrées en alimentation-conservation avec 42. C'est Mendiboures qui a le plus d'entrées dans la catégorie activités maritimes avec 43 et il est deuxième derrière Camino pour les vêtements avec 48. Dans les vêtements, à part Mendiboures et Camino, dix engagés enregistrent tous 20 entrées ou plus. Dans la vie domestique, seules les 52 entrées de Couqueville sont significatives.
57 Lorsqu'on examine les détails des inventaires des engagés, on comprend mieux Kenneth Donavan lorsqu'il déplore la pauvreté de l'information qui y figure. En fait, les inventaires des engagés comportent rarement plus de trois types d'information, soit la liste des possessions, parfois leur valeur en argent à la suite de la liquidation et de rares données relatives aux transactions financières ou encore, des ententes contractuelles auprès des habitants-pêcheurs. Dans la quasi-totalité des cas, rinventaire se fait dans la cabane où réside l'engagé durant son contrat. Immanquablement, on y trouve au moins un coffre contenant les biens du défunt. Les attirails de cuisine et les agrès et apparaux sont, de manière générale, de même type que ceux qui meublent les cuisines et les magasins des habitants-pêcheurs. La différence se situe au niveau des quantités et de la diversité qui sont beaucoup plus modestes chez les engagés.
58 C'est ainsi que le très démuni Pierre Bois-moreau dit Dumoulin n'a pour possession qu'un habit avec une veste et une culotte. On ne spécifie cependant pas le contenu d'un coffre. Le tout rapporte tout de même 253 livres à la liquidation, ce qui laisse sous-entendre la présence d'argent comptant ou encore de possessions matérielles non enregistrées dans l'inventaire61. D'autres exemples confirment une certaine égalité de richesse en termes de biens matériels. Robert Tébaux possède un habit de pelleterie, une paire de vieilles bottes, un vieux change, trois chemises et un coffre62. Son confrère d'équipage, Christophe Moisant, possède sensiblement les mêmes articles, auxquels s'ajoutent deux couvertures et deux blanchets63. Les deux sont engagés chez François Gamelin à Plaisance.
59 À l'île Royale, Jacques Fretel est un compagnon-pêcheur à l'emploi de Julien Leperchois lorsqu'il décède à l'hôpital de Louisbourg. Il avait nommé Jean Le Roger comme son exécuteur testamentaire. Encore là, ses biens matériels sont assez similaires à ceux mentionnés pour Tébaux et Moisant, sauf qu'on y remarque une relative aisance : quatre paires de culottes, quatre gilets, huit chemises, deux bonnets et une paire de souliers64. Etienne Guérard, natif de Normandie, est lui aussi décédé à l'hôpital de Louisbourg en avril 1735. Son employeur est le Sr Dibrat de la pointe Dauphine. L'inventaire se tient à la cabane où réside Guérard puisque ses effets s'y trouvent toujours. La vente de ses biens rapporte 120.10 livres. On constate environ 80 entrées matérielles se répartissant entre les ustensiles de cuisine (45), les vêtements (22), l'ameublement (13) et la vie domestique (9). L'aspect activités maritimes est négligeable puisque c'est surtout l'habitant-pêcheur qui fournit les agrès et apparaux. Au niveau de l'alimentation, on remarque de la bière (un baril), du vin (un baril), du pain (sept barriques), des biscuits (deux barriques), de la mélasse (dix pots), du poivre (0,5 livre ) et du beurre (5 livres ). Les ustensiles de cuisine sont peu variés mais assez nombreux : des assiettes d'étain (6), une cuillère, une fourchette, un gril en fer, une poêle à frire, un pot et une marmite en fer, une crémaillère, une théière et un réchaud.
60 L'ameublement est bien sûr composé de l'essentiel dont une couverture de laine, un oreiller, un lit avec sa paillasse, quatre chenets et, ce qui est beaucoup, cinq coffres. Un peu comme Moisant, Guérard possède des vêtements en assez grand nombre, mais qui demeurent essentiels : neuf chemises, quatre paires de bas, quatre paires de culottes de peau et une paire de souliers65. Il arrive que chez certains, comme François Ruel, le nombre de biens matériels soit sensiblement supérieur quoique de nature assez semblable. Par contre, on signale chez lui environ 78 livres en argent comptant66.
61 Les inventaires étudiés permettent de modestes tentatives d'analyse en termes de bilans financiers. Nous relatons quelques cas de manière plus détaillée. Décédé à l'hôpital de Louisbourg en 1733, Jacques Fretel a pris soin de mettre de l'ordre dans ses affaires. Jean Le Roger, lui aussi compagnon-pêcheur et cousin du défunt, avait remis au greffe de Louisbourg le coffre de Fretel. De plus, ce dernier lui avait confié une « espèce de testament olographe », en faisant ainsi son exécuteur testamentaire. Le Roger devient responsable de payer ce que le défunt doit à ses créanciers. Les cinq reçus des paiements versés par Roger aux créanciers confirment qu'il s'acquitte de sa tâche.
62 Fretel a aussi des actifs, au montant total de 36 livres, sous forme de crédit fait à cinq personnes pour divers achats. Il a également conservé précieusement sept lettres de sa famille, toujours à Saint-Michel-des-Loups en France, et a eu recours aux instances judiciaires. Dans un premier temps, il y a eu les pièces d'un procès qu'il a intenté auprès de l'Amirauté pour réclamer 23 quintaux de morue qu'on lui avait saisis à la requête du Sr Dupré. Dans un deuxième temps, Fretel a présenté une requête au commissaire-ordonnateur pour être payé à même les morues de la succession de feu François Blondel, son maître, décédé en 1732. Le total se chiffre à 8 quintaux de morue et 31.1.6 livres en argent pour le solde. À cette requête sont joints deux billets dudit Blondel67.
63 Notre deuxième cas, Johannis Lestapie, offre un bilan passablement détaillé. Ses dettes se chiffrent à 205.3.6 livres et ses revenus, à 167.10.9 livres, pour un bilan déficitaire de 37.17.9 livres. La majorité de ses dettes sont contractées auprès de François Lessenne, son employeur. Les avoirs de Lestapie se résument à ceci : sa part de 27 quintaux, 75 livres de morue, soit 3 quintaux, 96 livres au coût de 8.10 livres le quintal, pour une valeur totale de 33.13.3 livres. Son salaire sur les prises totales de morue de la goélette (429 quintaux, 60 livres ) équivaut à 15 quintaux, 75 livres, toujours au coût de 8.10 livres le quintal, pour une valeur totale de 133.17.6 livres. Ses revenus cumulés se chiffrent donc à 167.10.9 livres et son manque à gagner s'établit à 37.17.9 livres. C'est le bilan de sa dette finale envers Lessenne68.
64 Notre troisième cas, Noel L'Eclanché, affiche un bilan peu reluisant à sa mort puisque sa dette envers François Lessenne se chiffre à 259.16.9 livres. À cela s'ajoutent d'autres dettes pour un passif total de 376.8.3 livres. Sa part et son salaire proviennent des prises de morue (431 quintaux, 67 livres) de la pêche d'été des deux chaloupes de Lessenne. Cette part est calculée sur « le pied de 18 quintaux sur 600 » et se chiffre à 12 quintaux, 95 morues, à raison de 8.10 livres le 100 morues, pour un total de 110.1.6 livres69.
65 Le compagnon-pêcheur le plus endetté est sans contredit Julien Verdieu. Le 17 octobre 1742, il signe une entente avec Jean Hamon par laquelle il s'engage à lui payer la somme de 24.12 livres. De cette somme, 6.12 livres servent à liquider un solde impayé et 18 livres vont à l'achat de 12 pots de rhum. À sa mort, il travaille pour l'habitant-pêcheur François Picard et lui doit 68.4 livres. Cependant, le procès-verbal de l'inventaire de Verdieu révèle des lettres de change et des billets pour un total de 2 418.0 livres et un billet pour 8 quintaux de morues sur lequel ont été payées 12 livres, en plus de 78 livres en argent. En tout, le total du passif se chiffre à 2 631.12 livres70. Finalement, Bernard Mendiboures meurt lorsqu'il est au service du Sr Michel Daccarrette. Selon le bilan dressé lors de l'inventaire, Mendiboures doit un total de 419.7 livres à son employeur. Entre autres dettes, sa part des vivres d'hiver se chiffre à 27.16.8 livres. Pour sa saison de pêche, Mendiboures a droit à un revenu de 70.16.9 livres71.
66 En termes de bilan général, les trois tableaux suivants démontrent que la très grande majorité des pêcheurs-engagés affichent des valeurs matérielles meubles inférieures à 100 livres. Qui plus est, un nombre d'entrées supérieur ne résulte pas forcément en des valeurs matérielles plus élevées. Les compagnons-pêcheurs Duhart, Boismoreau, Laisné, Léger, Renaut C. et Guérard dominent dans la valeur meubles mais, mis à part Guérard, les autres ont des performances d'entrée inférieures à celles des Mendiboures et Couqueville. En ce qui à trait aux bilans d'actif et de passif, seuls Léger et Fretel offrent des résultats positifs. Par contre, ils n'ont pas des chiffres d'affaires comparables à ceux des Guérard, L'Eclanché, Mendiboures ou surtout Verdieu. C'est le même scénario en ce qui concerne les bilans de fortune. Alors que Léger et Fretel affichent des chiffres reflétant mieux l'ensemble de leurs activités, les autres membres de l'échantillon n'améliorent que très peu leur bilan de fortune final.
67 Cette analyse nous permet de penser que les structures financières du monde des pêches coloniales permettent des marges de manœuvre financière assez larges. On consent d'importantes avances, même à de pauvres compagnons-pêcheurs qui, en principe, n'ont pas facilement accès au crédit. On peut aussi penser que les revenus découlant d'une position de compagnon offrent peu de chance d'accumuler un capital permettant d'accéder un jour au statut d'habitant-pêcheur. Mais des exceptions existent. Qui plus est, le crédit est souvent la seule façon pour l'habitant-pêcheur de se garantir une main-d'œuvre suffisante.
68 Comme nous l'avons mentionné ailleurs dans ce travail, ce profil collectif des possessions matérielles d'un nombre limité de pêcheurs des colonies de Plaisance et de l'île Royale ne doit pas être perçu comme un bilan définitif des niveaux de fortune. Bien que partiel, le corpus étudié peut tout de même être qualifié de représentatif. Un meilleur éclairage ne sera possible qu'une fois que la totalité des inventaires sera analysée. Comme le souligne déjà l'historiographie de la colonie du Cap-Breton, nous avons vu que les habitants-pêcheurs en mesure d'exercer une activité économique supplémentaire semblent arriver au terme de leur vie avec des avoirs matériels plus substantiels que ceux se limitant aux pêches.
69 Par exemple, c'est le cas de six des dix habitants-pêcheurs affichant des valeurs totales supérieures à 1 000 livres, à la suite de l'inventaire après décès. Chez les pêcheurs-engagés, seulement six des 21 cas documentés affichent des valeurs meubles supérieures à 100 livres. Aucun n'a de biens immeubles. Bien que nous ne soyons en mesure de tracer de véritables bilans de fortune que pour huit engagés, il en ressort que seulement deux démontrent des bilans positifs. Il faudra un jour penser à examiner la situation matérielle des militaires et fonctionnaires engagés dans les pêches et s'intéresser à d'autres fonds d'archives, notamment à ceux de la Charente-Maritime qui contiennent un important nombre d'inventaires sommaires d'engagés morts en mer72. Il faut donc souhaiter que nos résultats stimulent assez d'intérêt pour encourager d'autres chercheurs à dépouiller la totalité des inventaires après décès de l'île Royale, et à enrichir ces données grâce à celles provenant d'autres fonds d'archives.