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Éditorial

Garth Wilson
National Museum of Science and Technology

1 Durant la période de prospérité d'après-guerre qui marqua l'âge d'or du monde occidental, les musées maritimes et les disciplines universitaires de l'archéologie sous-marine et l'histoire maritime connurent une expansion remarquable qui, en outre, se nourrissait d'elle-même, les progrès réalisés dans un domaine profitant aux deux autres. Vers la fin des années 1950, le patrimoine maritime fut l'objet d'un engouement et d'une plus grande aide financière, tendance qui s'accentua durant les années 60 et 70. Si cette expansion avait en partie sa source dans des institutions, son importance sans précé-dent fut confirmée par la parution de publications comme The International Journal of Nautical Archaeology and Underwater Exploration (1972), la mise sur pied de projets universitaires tel l'Atlantic Canada Shipping Project (1976) — qui déboucha lui-même sur d'importantes monographies et séries —, sans oublier la naissance d'organisations comme l'International Congress of Maritime Museums (1972) et l'International Symposium of Boat and Ship Archaeology (1976), pour ne citer que les plus connus.

2 Quoi qu'il en soit, ces décennies furent terres de défrichement et d'espoir, et on ne peut les évoquer sans un brin de mélancolie et d'inquiétude en ces temps difficiles de la fin des années 90. Au-delà de ces sentiments, les fruits de cette expansion accélérée créent un riche substrat permettant de préciser la fonction sociale de la culture matérielle maritime à notre époque. La quête des raisons profondes, la redéfinition et la restructuration des institutions faisant maintenant partie de la vie quotidienne des universités et des musées, il vaut peut-être la peine d'examiner les forces et les circonstances qui ont forgé l'évolution de ce secteur. En tant qu'individu œuvrant dans un musée, j'insisterai sur la dynamique du développement d'une collection; cependant, à titre de conservateur, ma principale préoccupation demeure le sens et l'utilité de la culture matérielle. De ce point de vue privilégié, trois questions distinctes mais reliées ont une pertinence particulière dans le débat qui nous intéresse et, par conséquent, dans ce numéro spécial de la Revue : (1) Quelle est la fonction sociale des musées maritimes dans notre société contemporaine? (2) Quel rôle devraient jouer les collections dans pareils musées? (3) À quel genre d'objets maritimes devrait-on porter attention de nos jours?

Les musées maritimes dans la société contemporaine

3 D'emblée, les éléments qui définissent un musée maritime paraissent évidents. Au sens large, un musée maritime s'intéresse aux liens entre l'humanité et la mer. Ses collections se concentrent généralement sur les aspects sociaux, politiques, économiques et surtout techniques de la vie, du travail et des loisirs dans les eaux navigables ou près de celles-ci. Bon nombre de musées maritimes ont une vocation régionale, mais certains des plus connus se sont dotés d'une mission nationale et jouissent d'une réputation internationale.

4 Ce cadre est aussi valable qu'un autre comme point de départ. Néanmoins, à l'instar de la majorité des musées consacrés à l'histoire de l'industrie ou des transports, les musées maritimes cèdent souvent à la tentation de brosser un tableau sécessionniste du progrès, où la technologie et ceux et celles qui la forgent et l'utilisent ont un aspect triomphateur. Bien sûr, il existe des exceptions notables, mais elles ne font que confirmer la règle, laquelle trouve ses origines dans le désir naturel de préserver et d'honorer les vestiges d'un passé glorieux. Manifestement préoccupé par l'avenir des musées maritimes provinciaux du Royaume-Uni, Stuart Davies écrivait que la majorité d'entre eux avaient vu le jour après 1960, dans la foulée du vaste mouvement visant à sauvegarder les vestiges de la première Révolution industrielle de l'histoire et de la période d'industrialisation victorienne qui l'a suivie1. De même, célébrer la puissance navale d'hier et d'aujourd'hui nourrit les multiples musées maritimes et sites historiques dédiés à la sauvegarde des navires de guerre.

5 À l'inverse (et le contraste s'accentue au fil des jours), la société occidentale d'après-guerre s'est graduellement éloignée des métiers traditionnels de la mer et des côtes. On le doit à la mécanisation, à l'avènement des conteneurs, à l'usage de pavillons de complaisance, au transfert de l'industrie lourde d'une région du monde à une autre et, dans le cas des pêches, à un grave appauvrissement des stocks. Dernièrement, les activités maritimes — et par extension le rôle social des collections maritimes — ont perdu de leur pertinence pour la société. La résonance historique demeure, mais le récit aux accents triomphaux de naguère semble désormais sonner curieusement creux. La nature et la composition de maintes collections maritimes et l'interprétation de ces dernières l'illustrent bien. Rarement aborde-t-on les activités maritimes contemporaines dans les expositions et les conférences, tandis qu'abondent les homélies sur la grandeur des siècles passés, en particulier le XIXe. Plus souvent qu'autrement, les visiteurs ferrés dans le domaine sont frappés par le mutisme au sujet des changements bien réels et draconiens de ces dernières années2. Notant quelque chose de semblable, la rédaction du magazine littéraire Granta donnait un aperçu des raisons à l'origine de cette situation dans l'introduction d'un numéro spécial sur la mer :

La mer suscite encore la crainte et la mélancolie — le Titanic, la chanson La Mer de Charles Trenet —, mais elle semble avoir perdu de sa magie. La vague d'illustrations, de métaphores et d'histoires paraît refluer constamment. Il y a des exceptions, témoins d'une grande popularité — les romans de Patrick O'Brian, la nouvelle version hollywoodienne du Titanic —, mais il s'agit là encore d'évocations historiques d'une manière de vivre aujourd'hui disparue. Pourquoi? La première réponse qui vient à l'esprit est que, pour voyager, il n'est plus besoin de naviguer. Une autre est que les bateaux ne font plus partie du paysage des grandes cités ni du rivage sur lequel elles ont été érigées... Avec les navires ont disparu les hommes qui les pilotaient, les bars à marins ont depuis longtemps fermé leurs portes et les quais se sont transformés en musées ou marinas3. »

6 Face à cela, on pourrait dire que les musées maritimes se heurtent à un problème plus épineux que les autres musées d'histoire générale ou de transports. Il convient en outre de se pencher sérieusement sur les répercussions d'une telle évolution, car maints musées maritimes et leurs collections se retrouvent dans une position délicate, celle de voir leurs assises coulées dans une métanarration disloquée par des événements et courants contemporains. Les collections, qui jadis reflétaient les tendances politiques, sociales et économiques vibrantes de la société occidentale, paraissent s'être muées en collections mineures d'antiquités.

7 Ce n'est pas toujours le cas, bien sûr. Dans certains domaines — le premier auquel on pense est l'histoire de la navigation de plaisance — le continuum historique semble garder tout son dynamisme. D'autre part, les collections historiques posséderont toujours une grande valeur didactique. Néanmoins, le problème d'une pertinence sociale insuffisante persiste, et on ne peut simplement l'écarter comme s'il s'agissait d'une question abstraite de définition ou de sens de l'interprétation (même si ces aspects demeurent bien réels pour les membres de la profession). En fait, le noeud du problème réside dans la préoccupation très pragmatique de promouvoir et d'agrandir les musées maritimes et leurs collections à une époque où les fonds publics s'amenuisent et où la concurrence ne fait que s'intensifier pour les visites, l'auditoire et l'aide du secteur privé4.

Le rôle des collections dans les musées maritimes

8 En plus de lutter pour demeurer pertinents dans une société en évolution, les musées maritimes, comme les autres musées, subissent des pressions croissantes afin de proposer aux visiteurs autre chose que les présentations classiques d'objets, de panneaux explicatifs et de matériel audio-visuel. Aujourd'hui, la mode favorise une interprétation dynamique ou fondée sur l'interaction, ce qui tend à atténuer le rôle interprétatif des collections et l'intérêt qu'on leur porte. D'ailleurs, ce rôle ayant perdu de l'importance, on s'est penché d'un œil bien plus sévère sur les collections et le coût de leur constitution, et les arguments en faveur du maintien de « collections d'étude » semblent souvent pâlir devant pareil examen. Heureusement, il en a rarement découlé un appel à l'aliénation des collections ou un arrêt de leur développement. Il n'en demeure pas moins que monter une collection n'est plus cet aspect crucial du travail d'un musée, de son identité. De fait, les comptes d'acquisition réels sont plutôt rares de nos jours. Les conservateurs tablent donc davantage sur les dons qui, quoique bien-venus, sont sujets à la perpétuelle dynamique voulant que ce que l'on collectionne et expose a une influence sur ce que les donateurs en puissance estiment avoir de la valeur et offrent.

9 Outre l'érosion des budgets, le rôle et la valeur des collections ont été affectés par une plus grande répartition de la main-d'œuvre, assortie d'une fragmentation des ressources déjà limitées. Vu l'évolution de la profession et la concurrence plus vive, de nombreux musées ont embauché à temps plein ou partiel des experts en collecte de fonds ou en promotion. On a aussi investi dans de nouvelles technologies d'interprétation coûteuses, souvent interactives, afin d'enrichir l'expérience des visiteurs5. Des normes de conservation et gestion des collections plus sévères ont aussi vu le jour et, si elles ont concouru à réaménager les réserves d'objets tout en en favorisant l'accès, elles ont aussi signifié des coûts plus élevés. Rien de cela, soulignons-le, n'est mauvais, mais les pressions sur le développement et la gestion des collections s'en sont trouvées accrues.

10 Par ailleurs, on pourrait encore en dire long sur les pièces de collection en tant que documents uniques, authentiques, voire mystiques de notre passé6. Les arguments ne datent pas d'hier, mais il convient de les rappeler (en fait, on pourrait dire qu'il faut les répéter). Bâtir une collection demeure la vocation, l'âme du musée; c'est la définition même de l'institution. Ainsi que David Wilson, ancien directeur du British Museum, le notait : « un musée qui ne constitue pas de collections n'est pas un musée7 ». Défendant l'étude de la culture matérielle, Henry Glassie soutenait que « l'objet façonné est une expression aussi directe, aussi proche de l'esprit, aussi chère au cœur que le langage, mais plus encore, il s'accompagne de sentiments, de pensées et d'expériences que ne peut véhiculer le langage8 ». Toutefois, ce qui importe peut-être le plus pour les visiteurs et contribuables, c'est que le lien entre les concepts de musée et de collection perdure; le premier est toujours perçu comme un sanctuaire du patrimoine public et la seconde, comme la matérialisation d'une culture et d'une histoire communes.

11 Ces questions et valeurs s'appliquent à toutes les collections. S'il existe une caractéristique qui place les collections maritimes à part, peut-être se trouve-t-elle dans le mariage insolite du progrès triomphateur — comme le reflètent si souvent les artefacts de la technologie maritime -et de la ségrégation sociale — manifeste dans les vestiges culturels des marins. Il s'agit encore d'une généralisation. Quoi qu'il en soit, étant donné les origines sécessionnistes de maintes collections maritimes, visibles dans la place excessive consacrée aux XVIIIe et XIXe siècles, on se rend compte de l'incongruité d'un amalgame aussi particulier de déterminisme technique axé vers l'avenir et d'anthropologie sociale figée dans le passé. N'importe quelle enquête sur les musées maritimes révélera un étonnant degré de similitude et de répétition (pour ne pas dire redondance) dans la nature et l'esprit de la technologie préservée. Les objets ont tendance à narrer les progrès et triomphes de la société occidentale, manifestes dans les domaines de la construction navale, la navigation, la marine marchande et la guerre. La vie et le travail des marins, en revanche, sont représentés par des objets qui semblent illustrer l'existence d'une sous-culture étrange, distincte du courant principal de la société occidentale. Quelle que soit son importance véritable, on peut dire que cette séparation reste le thème principal des collections culturelles, car nous semblons fort désireux de sauvegarder la nature particulière de la vie et du travail de marin (à peine visible dans la société occidentale actuelle). Ces deux thèmes, le triomphe de la technologie et une sous-culture disparue, coexistent donc dans les musées maritimes, même si on les concilie peu; pareille coexistence est si commune qu'on la mentionne rarement, sinon jamais.

12 À la lueur de ce qui précède, poursuivre l'expansion d'une collection dans les musées maritimes existants pose un défi certain à l'imagination des conservateurs. En effet, comment justifier une collection qui, d'une manière générale, allie une technologie jadis triomphante aux vestiges d'une sous-culture occidentale virtuellement disparue (la tribu des marins)? Comment peut-on développer une telle collection et l'interpréter utilement sans totalement céder à la notion que la mer fait désormais partie de l'histoire?

Les collections contemporaines et leur contexte

13 Qu'on parle des difficultés issues du cadre contemporain, des effets combinés des coupures budgétaires et des nouvelles méthodes d'interprétation ou de la nature particulière des collections maritimes, la constante demeure le problème de la pertinence sociale. Y revenir ne signifie pas qu'une collection historique présente moins de valeur ou d'intérêt que les témoins aisément identifiés par les générations actuelles, sinon on nierait l'existence de certaines collections muséales et scientifiques qui figurent parmi les plus significatives et fascinantes que l'on connaisse. Cela reviendrait aussi à nier l'importance très réelle de l'histoire dans l'identification et l'introspection d'une société, qui, à l'image de la mémoire individuelle, est à la source de l'orientation et la cohérence (sans compter la place insuffisante de l'histoire dans le programme de certaines écoles). Le problème de la pertinence sociale révèle plutôt la nécessité, pour qui s'intéresse à l'histoire et au patrimoine maritimes, de compléter les notions historiques en abordant la réalité contemporaine9. Ceci peut tout aussi bien se faire en trouvant de nouveaux sujets qu'en replaçant ce qui est établi dans un contexte contemporain Les collections maritimes doivent refléter les liens que nous entretenions avec la mer et l'eau, mais aussi s'ouvrir sur une description et une analyse du présent, proposant aux visiteurs contemporains des pistes de réflexion sur leurs relations actuelles avec l'environnement marin.

14 Le meilleur exemple d'un vaste effort déployé par une institution pour réorienter la base thématique de ses collections maritimes, rafraîchir sa ligne narrative, est sans doute celui du Maritiem Museum « Prins Hendrik », à Rotterdam. Imitant dans sa structure un vademecum, ce musée a divisé l'histoire de la marine marchande en quatre grandes parties : les buts de ce commerce (on en a retenu six), les neuf conditions essentielles à la réalisation de chaque « but » énoncé, l'affirmation de la marine marchande en tant que phénomène culturel totalement intégré à la culture environnante et les sources en vertu desquelles le musée explore ses proprés moyens et méthodes historiques10. Pareille structure est indubitablement abstraite et certains en trouvent le résultat trop froid, trop analytique pour qu'on veuille l'imiter. Elle n'a pas non plus toujours réussi à gagner le cœur et l'âme de la collectivité des musées classiques de la mer. La transformation du musée est aussi née de la possibilité de le faire, chose assez peu courante mais inhérente à la création d'un nouveau musée autour d'une collection existante. Ceci dit, en s'éloignant de l'approche chronologique classique de l'histoire maritime, articulée sur le triomphe, le Maritiem Museum « Prins Hendrik » a considérablement facilité l'inclusion des aspects contemporains. De fait, on pourrait aller jusqu'à soutenir que cette approche innovatrice a rendu impérieuses les préoccupations contemporaines. Enfin, vraisemblablement plus que tout autre musée maritime, le musée néerlandais a incité les visiteurs à repenser le sens des objets présentés.

15 Si une réorganisation aussi radicale paraît irréalisable ou indésirable à bon nombre de musées maritimes, les idées à la base du modèle « Prins Hendrik » peuvent trouver application dans les politiques relatives aux collections et les programmes d'expositions des musées et sites historiques. Par son insistance sur le contexte en tant que clé du savoir, la recherche sur la culture matérielle constitue un moyen naturel et évident d'y parvenir. Si cette remarque a une application générale, certains domaines semblent notamment mériter un examen plus poussé. L'un d'eux est celui des embarcations. Bien qu'ayant toujours occupé une bonne place dans les musées maritimes, les collections d'embarcations recèlent un potentiel qu'on a rarement exploité au maximum et les embarcations sont souvent reléguées à un rôle de figurantes (par rapport à la place proéminente habituellement réservée aux navires et à la marine marchande)11. En réalité, les embarcations peuvent constituer à la fois un microcosme de la technologie et la culture maritimes et un bon moyen pour les musées d'évoquer l'expérience contemporaine, car aujourd'hui, c'est la plupart du temps dans ces embarcations que les gens vont sur l'eau12. Les sociétés louant des bateaux, les cours de construction d'embarcations et l'engouement pour l'archéologie d'amateur offrent autant de manières dynamiques et intéressantes d'accroître les possibilités d'interprétation et l'attrait des collections d'embarcations. Il importe de varier les approches intellectuelles. On pourrait aussi maintenir la dimension humaine des activités maritimes à l'avant-plan en insistant davantage sur la trame sociale de la technologie. De même, en portant plus attention au processus, plutôt qu'aux seuls résultats, peutêtre améliorerait-on le choix et la compréhension de la technologie maritime. Enfin, les études culturelles aussi cachent un énorme potentiel, ne serait-ce que par le développement de thèmes sur le monde des navires, les voyages en mer et les petits bâtiments, susceptibles de trouver écho dans l'imagination des gens, donc de se métamorphoser en objets et en images. Dans cela, bien sûr, se retrouvent les beaux-arts maritimes classiques — peintures, sculptures de figures de proue, de coquillages et d'ivoire, modèles réduits — même si de nouvelles préoccupations d'interprétation feront aussi ressortir de nouvelles significations. Il suffit de penser à une des expositions organisées par l'Altonaer Museum de Hambourg sur les aspects documentaires des portraits de navires13. Mais il est aussi important que les études culturelles s'étendent au monde de la culture populaire et du kitsch. Vu le peu d'associations entre le monde contemporain et la mer, il vaut sûrement la peine d'envisager des domaines où l'expérience historique a donné naissance à des images et à des idées populaires, pour ne pas parler de lieux communs14.

16 Dans la lignée de ce qui précède, les articles publiés dans ce numéro spécial présentent, chacun à leur manière et avec leur propre emphase, des sujets et approches qui devraient susciter un examen de ce que les musées maritimes recueillent et des raisons pour lesquelles ils le font. Ce numéro s'articule sur cinq thèmes : les embarcations, les navires et la construction navale, les communautés côtières, les tableaux et portraits, les traditions culturelles.

17 Dans la partie consacrée aux embarcations, John Summers s'interroge sur la genèse et la perception du sens des objets avant d'examiner ces aspects en fonction d'une embarcation nord-américaine bien connue : la yole du Saint-Laurent. Hallie Bond s'intéresse au « pack canoë », une embarcation propre à la région des Adirondacks dans l'État de New-York. Son article illustre comment la technologie, les habitudes de consommation et la mode en ont influencé l'évolution. Ces deux articles soulignent l'importance et le potentiel de l'étude des coutumes liées à la navigation dans les eaux intérieures. Cette partie se termine par un rapport de recherche de Charles Moore, véritable chronique de la reconstruction interprétative d'une des plus vieilles embarcations européennes en Amérique du Nord, la chalupa basque servant à la chasse à la baleine.

18 Dans la partie sur les navires et la construction navale, on s'intéresse surtout à la conception des bâtiments. Brad Loewen associe l'étude des textes sur la construction navale durant la Renaissance aux découvertes archéologiques sur les lieux de naufrages, afin de jeter un éclairage neuf sur la conception de la coque, la typologie des vaisseaux et le rôle crucial de l'analyse du bois dans ce que l'on sait des débuts de la construction navale moderne. David McGee se penche sur un objet négligé dans l'histoire de l'architecture navale, l'intégrateur d'Amsler. Il a découvert dans son usage une meilleure compréhension des progrès scientifiques dans l'histoire de la construction navale. Par ailleurs, Scott Stroh s'intéresse aux pratiques des musées et se demande quelle est la meilleure façon d'interpréter l'embarcation en tant qu'artefact. Il décrit l'expérience acquise et les approches retenues dans le cas d'un vapeur déblayeur de la côte Ouest. Daniel La Roche termine cette partie en relatant les récentes recherches archéologiques sur le naufrage du célèbre vaisseau canadien Marco Polo.

19 La troisième partie traite des communautés côtières. Elle s'intéresse aux diverses facettes de la culture matérielle dans ces communautés qui vivent de la pêche. Ainsi, Paula Johnson étudie le folklore contemporain des marins du Maryland. Elle a retrouvé à cet endroit des objets et des activités témoignant d'un mode de vie en voie de disparition et en constituant le réservoir culturel. L'article de Nicolas Landry a une portée nettement plus historique. Il dépeint la fortune relative des pêcheurs de Plaisance et de l'île Royale au XVIII siècle, selon un inventaire post mortem de leurs biens matériels.

20 Les deux articles de la partie « Images et portraits » portent sur l'imagerie maritime, ainsi que le titre le suggère, mais diffèrent considérablement par la forme et le contenu. Se penchant sur la guerre en mer telle que peinte par le Canadien Jack Nichols, Laura Brandon dévoile combien l'expérience traumatisante de la guerre préoccupait l'artiste, en particulier la mort et les sentiments qui s'y rattachent. Patricia Bixel, en revanche, passe en revue les photos de navires prises par un studio familial et les replace dans le cadre général créé par des siècles de traditions en peinture navale.

21 La dernière partie rassemble sous le titre « Traditions culturelles » trois études disparates sur la complexe relation mythopoétique que l'humanité entretient avec la mer. Alberto Baldi examine les coutumes et les pratiques magiques et religieuses transparaissant dans les vaisseaux et le matériel utilisées par les pêcheurs italiens de la côte tyrrhénienne, traditions très anciennes qui perdurent néanmoins. Maurice Duval propose une analyse ethnologique de la cérémonie du passage de Péquateur, se penchant sur le sens des objets qui jouent un rôle dans sa tenue. Enfin, dans l'article peut-être le plus éclectique de ce numéro, Michael McCaughan tourne son regard non pas vers la mer, mais vers le firmament, afin de retracer un aspect curieux de la puissance d'évocation allégorique multiforme d'un bateau dans la civilisation occidentale.

22 À une époque où la spécialisation ne cesse de s'accroître, l'aspect multidisciplinaire des études sur la culture matérielle est fort rafraîchissant. Cet état de fait pourrait bien constituer un vigoureux tonique contre les forces trop étroitement liées à des visées commerciales et quantitatives à court terme qui menacent ce que nous essayons de préserver, d'étudier et d'interpréter en le ramenant à ce qui a été éprouvé. En d'autres termes, à la perspective et au cadre restreints de ce qu'on sait ou croit déjà savoir. Avec un ensemble d'analyses et d'essais connexes, les articles qui composent ce numéro constituent un modeste effort d'élargir nos horizons contextuels par la réunion (dans le même volume) et la comparaison (par juxtaposition) d'une foule de sujets, de questions et d'approches se rapportant à la culture matérielle des navires, de la vie en mer et des embarcations.

23 Si ce numéro spécial atteint son but, on le devra à tous ceux qui y ont contribué ainsi qu'à la rédaction de la Revue, dont les efforts et la vision en ont rendu la réalisation possible. Le Musée national des sciences et de la technologie reste le maître d'oeuvre du festin multidisciplinaire qu'est la Revue d'histoire de la culture matérielle. Dans le cas présent cependant, à son aide généreuse s'est ajouté le temps consacré par un personnel détaché pour la cause. Il convient notamment de remercier Danielle Naoufal, adjointe à la Division de la conservation du MNST, sans l'aide soutenue et dévouée de laquelle ce numéro et son rédacteur en chef invité auraient bien pu, à plus d'une reprise, être drossés sur le rivage par un vent contraire.

Garth Wilson
Conservateur, Transports maritimes et Forêts
Musée national des sciences et de la technologie
NOTES
1 Stuart Davies, « 'There May be Trouble Ahead' : Maritime Museums in an Uncertain World », Proceedings of the IX International Congress of Maritime Museums (Greenwich : National Maritime Museum and National Museums and Galleries on Merseyside, 1995), p. 14.
2 À titre d'exemple, le récent Elements of Navigation in the Collection of the Mariners' Museum de Willem F. J. Morzerm Bruyns (Newport News : The Mariners' Museum, 1996) ne va pas au-delà de 1914. Ainsi que l'auteur le souligne dans son introduction, « bien que le Mariners' Museum dispose d'instruments de navigation plus récents, la période la mieux représentée demeure celle allant de 1700 à la Première Guerre mondiale » (p. 8).
3 « Introduction », Granta n° 61 (Londres, printemps 1998).
4 Ceux qui douteraient de l'urgence évoquée ici n'ont qu'à s'interroger sur les raisons immédiates derrière l'avalanche d'expositions sur le Titanic et les « pirates ». Les efforts consacrés à l'exploitation de tels sujets populaires, outre tout autre sens qu'ils pourraient avoir, illustrent la tentative de maxi-miser l'intérêt du public pour notre passé maritime en faisant vibrer la corde dramatique, en vertu de laquelle l'histoire est d'abord divertissement (la même impulsion explique le foisonnement des histoires de guerre sur les chaînes de télévision consacrées à l'histoire).
5 Michael Ames va dans ce sens dans son analyse sur l'authenticité des musées. Il parle du déplacement sous-jacent du pouvoir des conservateurs, registraires et directeurs de musées vers ceux qui s'occupent davantage de programmes publics, de rendement, de promotion, de marketing, d'autres services publics et de production de recettes. Cannibal Tours and Glass Boxes : The Anthropology of Museums (Vancouver : UBC Press, 1992), p. 159.
6 L'authenticité dans les musées, ainsi que Michael Ames l'a également remarqué, se heurte à celle de l'expérience des visiteurs, qui a désormais plus d'importance que l'authenticité de l'objet. Ibid, p. 158.
7 David M. Wilson, « National Museums », dans Manual ofCuratorship :A Guide to Museum Practice. 2e éd. (Londres : Butterworth-Heinemann, 1992), p. 84.
8 Henry Glassie,« Studying Material Culture Today», Living in a Material World : Canadian and American Approaches to Material Culture (St John's : Institute of Social and Economic Research, 1991), p. 255.
9 On trouvera un bon exemple de tentative en vue de résoudre le problème dans B.A.G. Fuller, « Towards a Maritime Interpretive Model », MSCA Transactions n° 1 (1993, n° 94), p. 19.
10 Leo Akveld, « The Maritiem Museum 'Prins Hendrik' and the Analytical Approach to Maritime History », Proceedings of the Sixth International Congress of Maritime Museums (Amsterdam : ICMM, 1989) p. 27-28.
11 John Summers, « In Small Things Remembered : Historic Watercraft and Canada's Maritime Heritage », The Northern Mariner, vol. 2, n° 1 (1992), p. 15-23.
12 Le même argument a très bien été repris dans Ben Fuller, « Towards a Maritime Interpretive Model », p. 17-24.
13 Das Schiffsportrat: Dekoration oder Dokument?Altonaer Museum in Hamburg, Norddeutsches Landesmuseum (du 26 septembre 1989 au 4 février 1990).
14 Alan Gowans, « The Case for Kitsch : Popular/Commercial Arts as a Reservoir of Traditional Culture and Human Values », Living in a Material World : Canadian and American Approaches to Material Culture (St John's : Institute of Social and Economic Research, 1991), p. 127-143.