Foremost among musical instruments made in or imported into Canada, the piano grew in popularity throughout the nineteenth century, and could be found in homes, schools and meeting places in both town and country.
In her article, the author presents the pianos from the Château Ramezay collection, tracing their journey from workshop or store to home and museum, and introducing their manufacturers and owners along the way. Interest in old musical instruments is a fairly recent phenomenon in Quebec, and research into piano makers and merchants — especially those from Montreal — and the individuals who owned and used the instruments, is just beginning, as is research into the musical and social context of the times. The author's work is therefore an attempt to shed some light on an interesting subject that has received too little attention to date.
Au premier rang des instruments de musique importés ou fabriqués au Canada, le piano connaît une popularité qui ne cessera de croître tout au long du XIXe siècle, tant à la ville qu'à la campagne, dans les maisons, les écoles et les lieux de réunion.
Dans son article, l'auteure nous présente les pianos de la collection du Château Ramezay, leurs fabricants et leurs propriétaires, les retraçant de l'atelier ou la boutique à la maison et au musée. L'intérêt pour les instruments de musique anciens est en quelque sorte récent au Québec et les recherches sur les facteurs de pianos, les marchands, notamment ceux de Montréal, les propriétaires et les utilisateurs, tout comme sur le contexte musical et social de l'époque, en sont à leurs débuts. L'auteure tente donc de lever une partie du voile sur un sujet intéressant et trop peu exploré jusqu'à aujourd'hui.
1 Ce texte de Philippe Aubert de Gaspé nous laisse entendre que les pianos étaient des instruments plutôt rares dans nos intérieurs domestiques au début du XIXe siècle. Le musicien et marchand Frederick Glackemeyer affirme qu'il n'y a qu'un seul piano à Québec en 17832. En 1802, le marchand James Dunlop de Montréal écrit à sa sœur qu'il a fait venir deux pianos-forte de Londres3. Quant à John Lambert, qui entreprend un voyage au Canada en 1806, il écrit dans son récit de voyage :
La situation semble changer dans les décennies qui suivent puisque l'on retrouve dans l'annuaire de Montréal de 1844-1845 cinq commerçants qui s'annoncent comme facteurs ou marchands de piano. H. Berlin, du 1, rue Saint-Jacques, donne en plus des leçons de musique. Abner Brown, de la rue Wellington, dans Griffintown, échange et vend des pianos-forte. Quant à William Dennis, il fabrique et répare des pianos-forte dans son atelier situé au 17, boulevard Saint-Laurent. L'entreprise Mead Brothers & Co., dont la boutique se trouve au 11, rue Saint-François-Xavier, annonce des pianos-forte. Le facteur d'orgue Samuel R. Warren, de la rue Dorchester, se présente aussi comme facteur de pianos-forte5.
2 E.Z. Massicotte, l'un des rares historiens à avoir publié des écrits sur des instruments de musique conservés dans des maisons québécoises6, mentionne dans un article du Bulletin des recherches historiques de 1931 :
Le piano de Clementi8 utilisé par les frères Dumouchel est toujours conservé au collège Bourget de Rigaud. Notons en passant qu'Arthur (1841-1919) et Edouard Dumouchel (1841-1914) ont tous deux fait de brillantes carrières de pianistes aux États-Unis9. L'autre instrument de Clementi mentionné par Massicotte appartient à la collection du Musée du Château Ramezay.
3 Muzio Clementi est né à Rome le 23 janvier 1752. C'est en 1766 qu'il vint s'établir à Londres où il fit une brillante carrière de musicien et de professeur10. En 1798, il entra au service de la maison Longman & Broderip qui, depuis quelque temps, fabriquait des pianos. Cette entreprise fit faillite en 1801. Clementi s'associa alors avec J. Longman et fonda une nouvelle maison d'édition et de facture de pianos.
4 Le 27 octobre 1904, le Musée du Château Ramezay a fait l'acquisition d'un piano offert par le juge Baby. Le piano carré que nous étudions présente certains problèmes d'identification. En effet, il ne porte aucun numéro d'acquisition. De plus, la plaque d'identification du fabricant a disparu (la trace de la colle se voit encore au-dessus du clavier). On peut lire dans le cahier d'acquisition, au numéro 2522 :
Le donateur Louis-François George Baby, né en 1832, avocat et homme politique, était un grand collectionneur. Il a été président de la Société d'archéologie et de numismatique (aujourd'hui Musée du Château Ramezay) de 1884 à 1905. Il a fait des dons importants au Musée du Château Ramezay dès 1896, année où il lui remit des gravures. Au cours des années qui suivirent, il offrit un portrait de Jacques Viger. Il donna une horloge et ce piano en 1904.
5 En 1907, ce piano carré était exposé dans l'Ante Room du Château de Ramezay, juste à côté de celui fabriqué par Mead Mott & Co., dont nous parlerons ultérieurement. On peut lire au catalogue du Musée l'information suivante :
Les dimensions12 et la description du meuble fournies par Massicotte correspondent au piano carré qui nous intéresse. Il s'agit d'un instrument dont la caisse en acajou est marqué du poinçon « OA 1711 ». Ce poinçon a été identifié comme la marque utilisée par la firme Clementi & Co. entre 1795 et 181513. Un autre piano de Clementi est conservé à l'île-du-Prince-Édouard14.
6 Deux familles de Lorimier ont vécu à L'Assomption au cours du XIXe siècle. La famille dont il est question ici pourrait être celle de Louis-Gustave de Lorimier, qui fut greffier de la Cour de circuit de L'Assomption et qui louait en 1842 une très grande maison de style néoclassique du notaire Eugène Faribault15. De Lorimier quitta L'Assomption pour Saint-Hyacinthe où il fut nommé protonotaire de la Cour supérieure. Il est décédé en 188016. Il avait épousé en premières noces Mary Kipp. Suite au décès de celle-ci, il s'était marié avec Mélina Desforges et avait par la suite épousé Vitaline Lussier, veuve d'un certain docteur Côté17.
7 Une autre hypothèse, qui nous semble la plus plausible, est que ce piano proviendrait de la résidence de la veuve de Chevalier de Lorimier et de la sœur de celui-ci, Marguerite, qui ont habité sur la rue Saint-Etienne à la fin du XIXe siècle18. Henriette Cadieux, fille aînée du notaire Jean-Baptiste Cadieux, avait épousé François-Marie-Thomas-Chevalier de Lorimier le 10 janvier 1832. Ce dernier fut exécuté le 15 février 1839, suite aux troubles de 183719. Madame de Lorimier passa les dernières années de sa vie à L'Assomption avec ses filles Léopoldine et Stéphanie. Elle mourut le 6 décembre 1891, à l'âge de 79 ans. Sa fille Léopoldine lui survécut jusqu'en 1898. Après le décès de sa sœur, Stéphanie se retira à l'Hospice de la Providence, où elle s'éteignit le 5 mars 1904, à l'âge de 66 ans. Toutes les dames de Lorimier furent inhumées à L'Assomption20. Étant donné le rapprochement entre la date du décès de Stéphanie de Lorimier et le don au Musée du Château Ramezay, nous croyons que c'est de cette source que le juge Baby a acquis le piano de Clementi.
8 Un autre piano de la collection du Musée du Château Ramezay provient aussi d'une autre famille de L'Assomption. Dans le cahier des procès-verbaux des réunions du conseil d'administration, au 21 décembre 1928, nous pouvons lire :
Dans le cahier d'acquisition du Musée, on retrouve au numéro 4049, en avril 1928, ce don du docteur J.A. Leduc qui habitait au 69, rue Sherbrooke ouest, à Montréal. Nous ignorons tout de ce donateur. Quant au premier propriétaire de l'instrument, le notaire Camille Archambault, nous savons qu'il pratiqua comme notaire du 22 avril 1841 à 1885. Son grand-père Pierre-Amable Archambault était marchand à L'Assomption, où il mourut en 1799. Son père François avait épousé Victoire Cormier. Il était marchand à Saint-Roch de-l'Achigan22. Camille Archambault possédait une maison rue Saint-Jean-Baptiste, à l'Assomption23.
9 Le piano figure au numéro 1390 du catalogue de 1962 sous la description suivante :
Robert Stodart, facteur londonien, vint aux Etats-Unis en 1821 et s'associa à Dubois qui fabriquait des piano carrés au 167, avenue Broadway, à New York, dans les années 183025.
10 Un des pianos de la collection du Musée du Château Ramezay a été fabriqué par les facteurs montréalais Mead et Mott, comme en fait foi la plaque d'identification. Nous savons, de façon certaine, que ce piano fait partie des collections du Musée du Château Ramezay depuis 1897. On le retrouve en effet dans le catalogue publié en 1897 sous la description suivante : « Piano purchased by a member of the Granger Family, 180026 ». À cette époque, le piano est exposé dans la Court Room. Nous n'avons pu retracer la date exacte de son acquisition dans le registre d'acquisition du Musée ou dans les procès-verbaux des réunions du conseil d'administration de la Société d'archéologie et de numismatique. Cependant, le catalogue de 1901 nous informe que le piano est un don de F.J. Granger27. Il s'agit probablement de Flavien J. Granger, directeur de L'Abeille paroissiale28 et de la maison d'édition Granger Frères. En 1905, le catalogue est plus explicite et nous informe que le piano a été fabriqué par Mead Mott & Co29. À cette date, l'instrument est exposé dans l'Ante Room. En 1920, il fait partie du mobilier du salon anglais. En 1937, il est exposé dans la Montreal Room. La description du catalogue se lit comme suit : « One-legged piano, one of the first made in Montreal. About 180530 ». Les catalogues postérieurs ne font aucune mention de ce piano. C'est vraisemblablement vers cette époque qu'il cesse d'être exposé au Musée du Château Ramezay31.
11 Ce piano a été fabriqué par Mead et Mott de Montréal, comme en fait foi l'étiquette. Les frères George, James et John Mead, originaires de Boston, exercèrent leurs activités à Montréal de 1827 à 1853, comme fabricants de piano et comme importateurs d'instruments de musique et de musique imprimée. Leur entreprise a connu plusieurs raisons sociales. Celle qui nous intéresse, « Mead Mott & Co. », daterait de 1836 selon Helmut Kallmann. Cet historien de la musique au Canada écrit :
Il n'existerait qu'un seul autre exemplaire de la production de Mead, conservé au Musée Archibald Campbell Memorial, à Perth, en Ontario.
12 D'après l'étiquette d'identification sur l'instrument de musique, la maison Mead Mott & Co. avait sa boutique au 89, rue Notre-Dame. Un journaliste de La Minerve écrit en janvier 1837 :
C'est à l'automne 1836 que George Mead s'associe au facteur d'orgue Samuel Warren pour fabriquer l'orgue de la paroisse de Berthier34.
Il nous apparaît évident que le piano carré de la collection du Musée du Château Ramezay est antérieur à cette association avec Warren et qu'il est donc antérieur à l'automne 1836. En 1836, l'atelier de l'entreprise se situe au 89, rue Notre-Dame36. L'association de Mead avec Warren ne dure que quelques mois37. En 1844, on retrouve Mead au 3, rue Saint-Gabriel (face au Champ-de-Mars) et au 11, rue Saint-François-Xavier38. Parallèlement, l'entreprise établit aussi une boutique à Toronto de 1839 à 184439. En 1845, l'entreprise a pignon sur la rue Notre-Dame, au numéro 11040. En 1851, elle porte le nom de Mead Frères et cie et fabrique de grands pianos-forte carrés, des harmoniums, des orgues et des mélodiums41. À la fermeture de la boutique, celle-ci est située au 141, rue Notre-Dame42 et au 128, rue Saint-Paul43. La maison abandonne les affaires en avril 1852 et vend à son contremaître Thomas Hood44. Par la suite, Henry Prince s'en porte acquéreur45. Le mercredi 28 avril 1852, l'encanteur John Leeming met en vente les instruments de musique de Mead Frères et cie :
Le 4 octobre suivant, Mead Frères et cie met encore en vente quinze pianos-forte « quarrés cottages et cabinets »47.
13 Nos recherches ne nous ont pas permis de retracer plus de deux instruments fabriqués par cette entreprise. Cependant, étant donné le grand nombre d'instruments mis en vente en 1852, on peut espérer que des recherches dans des collections particulières permettront d'en faire sortir de l'ombre.
14 Le cahier d'acquisition du Musée du Château Ramezay nous indique au mois d'octobre 1923, au numéro 3706 :
Ce piano droit a été donné par madame J.C.A. Heriot, du 622, avenue Union. Nous ignorons pour l'instant qui est cette donatrice. Dans un article publié en 1931, E.Z. Massicotte fait référence au piano comme appartenant aux collections du Château Ramezay. Ce piano droit porte l'étiquette « L. W. Herbert & Co ».
15 Nous savons peu de chose de cette entreprise qui aurait été en activité du milieu des années 1830 à 186149. Elle fabriquait et réparait des pianos dès 1837, selon un article de la Minerve paru le 1er juin de la même année.
Magasin de la Lyre d'Or, Place d'Armes. Les soussignés ont l'honneur d'offrir leur services à leurs amis et au public, et espèrent mériter l'encouragement par l'expérience qu'ils ont et les soins qu'ils apportent à la manufacture des INSTRUMENS DE MUSIQUE. Et ils peuvent garantir ces instrumens contre les détérioriations par le climat de ce pays...50
L'un des associés, M. Dennis, avait réparé l'orgue de la Trinity Chapel à Québec en 1834 et avait vendu ses pianos-forte et ses orgues à partir de 182851. En 1845-1846, l'entreprise était située au 113, rue Notre-Dame52. Une enseigne en forme de lyre dorée annonçait aux clients la boutique de Herbert. En 1849, la publicité mentionnait des pianos-forte fabriqués expressément pour le climat canadien53. J.W. Herbert a fait paraître dans l'annuaire de Montréal une publicité dans laquelle il mentionnait avoir gagné un premier prix à l'exposition provinciale de 185354.
16 La recherche sur les facteurs et marchands d'instruments de musique montréalais n'en est qu'à ses débuts. Le Centre de conservation du Québec, en collaboration avec l'Institut canadien de conservation, restaure le piano carré de Mead et Mott de la collection du Musée du Château Ramezay. Nous espérons que les recherches entourant la restauration permettront de mieux faire connaître cet instrument de musique et, par le fait même, ses facteurs.