Establishing a business importing embroidery and music in Montreal around 1906, Vennat House has earned a reputation as a specialist in each of these areas. Taking a personalized approach, it claims in its advertising campaigns and in practice that at Vennat House, 'we take the time required to satisfy every customer.' However, this business makes little reference to fashion when marketing its embroidery products. Tradition has no place here. The embroidery in question, which has lasted over sixty years, has been a classical handicraft, certainly, but also one that is versatile and stylish.
In fact, the tradition lies within the business that it has built up and in the manner in which it does so. Year after year in a milieu which has hardly changed, Vennat House has put its apprenticeship techniques, models, patterns, and quality materials on the market and produced an immeasurable number of fine handi-crafts endeavouring to maintain its reputation: a popular house of distinction.
Commerce d'importation de broderie et de musique fondé à Montréal vers 1906, la maison Vennat s'est taillé une réputation de spécialiste dans chacun de ces domaines. Misant sur une approche personnalisée, affirmant à la fois par son discours publicitaire et sa pratique qu'à la maison Vennat, « on prend le temps qu'il faut pour satisfaire chaque cliente », ce commerce a cependant fait peu de référence à la mode dans la mise en marché de ses produits et de ses productions liés à la broderie. La tradition, pour sa part, ne se traduisait surtout pas par l'utilisation de ce mot ou même une référence à ce concept. Car la broderie dont il a été question durant plus d'une soixantaine d'années était pour cette maison spécialisée un ouvrage classique, certes, mais actuel, adaptable et vivace.
En fait, la tradition, c'est à l'intérieur de l'entreprise qu'elle s'est construite et dans la façon défaire de celle-ci. Année après année et dans un environnement qui ne s'est à peu près pas modifié, la maison Vennat a diffusé des techniques d'apprentissage, des modèles et des patrons à reproduire, mis en circulation des matériaux de qualité et produit un nombre incalculable de « beaux ouvrages » en cherchant à maintenir sa réputation : celle d'une maison « distinctive » ... et populaire.
1 La maison Vennat, cette « maison du bon goût Français », comme elle se plaisait à le souligner dans sa publicité, a été fondée à Montréal vers 1906 par le capitaine Raoul Vennat et son épouse, Gabrielle Mellé, tous deux originaires de France1. Ce commerce d'importation de broderie et de musique situé au 642 de la rue Saint-Denis (maintenant le 3770) a été enregistré, quelques années après son ouverture, auprès du Service des raisons sociales du district de Montréal sous le nom de Raoul Vennat. Jusqu'en 1969, l'entreprise a été gérée par les membres de la famille : par les parents d'abord, puis à partir des années 30 par leurs filles Marguerite et Madeleine et un peu plus tard par Annette Brisebois, épouse de leur fils André, propriétaire légal de 1935 à 1942, année de sa mort tragique au débarquement de Dieppe.
2 Le 7 mai 1969, monsieur Théophile Lamarre, un entrepreneur en peinture, a acheté le magasin et constitué en corporation la compagnie Raoul Vennat Inc. Monsieur Roland Lefebvre en a pris possession vers 1974, puis l'a revendu à madame Pauline Caillé en octobre 1984. Celle-ci mentionne dans sa déclaration de raison sociale qu'« à compter du 26 octobre 1984, j'exploite à titre de seule propriétaire, un commerce de lingerie de maison au numéro civique 3971, rue Saint-Denis, Montréal, Québec, sous les nom et raison sociale "Raoul Vennat Enr"2 ». Madame Caillé possède toujours ce commerce qui n'a cependant plus pignon sur rue depuis le 1er novembre 1993.
3 Ainsi, le nom Vennat survit encore aujourd'hui, bien que cette famille ait cessé ses activités commerciales en 1969. La popularité de ce nom et de la spécialité de broderie qui lui est associée a incité les propriétaires subséquents à le conserver.
4 De 1912 à 1963, année de la vente du fonds de commerce de musique en feuilles, la maison Vennat a toujours associé à son nom deux spécialités commerciales distinctes : la musique et la broderie.
5 Le présent texte traite peu de la spécialité de musique chez Vennat, l'ampleur des données relatives à celle-ci pouvant largement en nourrir la thématique, soit la dynamique mode et tradition. Qu'il nous soit néanmoins permis de donner quelques indications sur cet autre produit commercial, permettant ainsi d'en saisir toute l'importance.
6 La maison Vennat a été la première maison spécialisée à faire connaître la musique française au Canada. Le commerce de partitions musicales a joué un rôle important dans cette diffusion. L'activité de monsieur Raoul Vennat (musicien et passionné de musique), à titre de commanditaire d'un grand nombre de concerts radiophoniques et publics, a aussi permis de faire découvrir et apprécier cette musique... ainsi que l'entreprise Vennat.
7 S'adressant d'abord aux établissements, aux organistes, aux professeurs et aux maîtres de chapelle, puis à tous ceux que la musique intéresse, incluant les amateurs et les profanes, la maison Vennat a fait la promotion, outre de mélodies françaises classiques et populaires, de titres de musique religieuse et profane, de chants patriotiques et pour enfants ainsi que de « chansons-thèmes des nouvelles vues parlantes avec paroles françaises3 ».
8 Elle a mis en marché, entre autres, des méthodes, recueils et pièces pour instruments, des rouleaux perforés pour pianos automatiques, des disques de gramophones puis de pick-up et un bon nombre de fournitures pour les instruments de musique. Elle a, de plus, proposé à ses clients des ouvrages de littérature tant canadiens que français ainsi que des pièces de théâtre (comédies, drames, opérettes) convenant bien, selon sa publicité, aux pensionnats, collèges ou patronages. Et les succès radiophoniques, tant canadiens, américains que français, ont été vendus sur divers supports jusqu'à l'abandon de cette spécialité en 1963.
9 La maison Vennat s'est taillé une réputation nationale particulièrement dans le domaine de la broderie. L'importation de fournitures et de tissus français renommés, la création d'un nombre impressionnant de patrons de broderie (au-delà de 10 000) et la production dans ses ateliers4 d'ouvrages brodés sur commande par des ouvrières spécialisées sont autant d'activités commerciales qui ont contribué à la notoriété de l'établissement. Et la promotion de ses produits et de ses productions, par l'entremise de deux albums et d'une revue de broderie et de musique longtemps mensuelle, a aussi largement participé à la reconnaissance de cette maison spécialisée.
10 C'est à partir de ces imprimés que nous essaierons de déterminer si la maison Vennat a mis en marché une spécialité (la broderie) liée à la mode ou à la tradition.
11 Depuis l'avènement du premier catalogue de vente publié par la maison Eaton en 1884, cette forme de publicité a été empruntée par diverses entreprises commerciales par la suite.
12 Les deux albums de broderie Vennat, parus dès les premières années d'opération, s'inscrivent dans cette manière de présenter les produits, populaire à l'époque. Ce sont des cahiers publicitaires volumineux : celui de 1914 compte 72 pages et celui de 1920, 66 pages. Ils sont abondamment illustrés et présentent des photographies fort révélatrices de l'organisation, des produits et de la production de cette maison spécialisée. La dernière page de chacun des albums est consacrée à l'autre spécialité, la musique. Le format des albums est de 32 cm par 23 cm environ.
13 Nous ne connaissons pas le tirage des cahiers, ni leurs coûts d'impression. Par contre, nous savons qu'ils ont été vendus au magasin et sur commande postale au prix de 0,25 $ pour le premier et de 0,35 $ pour le second. Les deux albums ont été préparés en majeure partie par madame Gabrielle (Mellé) Vennat, dont la photographie apparaît en médaillon sur la page couverture du premier. C'est le journal La Patrie qui a imprimé le premier et l'Imprimerie Godin-Ménard Limitée, le second.
14 Par la suite, la maison Vennat fait paraître une revue de musique et de broderie dont elle obtient un copyright en 1926 : le premier numéro du premier volume paraît vers le 1er octobre de cette année-là et s'annonce comme une édition anglaise et française. À vrai dire, la majorité des informations contenues dans la revue sont traduites mais elles ne le sont pas toutes nécessairement. De plus, à partir des années 30, l'entreprise indique sur sa revue un tarif d'abonnement pour les États-Unis. Son format demeure le même durant toutes les années de parution, soit approximativement 34 cm par 26 cm. Cette revue, elle aussi grandement illustrée, a semble-t-il durant une longue période un tirage de près de 25 000 exemplaires, distribués uniquement sur abonnement au Canada et en Nouvelle-Angleterre. Sa parution cesse définitivement en 19685.
15 La composition de ces imprimés, tant pour ce qui est de la mise en forme que du contenu, offre un terrain d'interprétation et d'analyse excessivement généreux pour l'élaboration de notre problématique. Nous avons sélectionné un certain nombre d'entre eux, en fonction bien sûr de leur disponibilité, mais aussi du fait qu'ils représentent différents âges de la maison Vennat. Ce sont les albums de 1914 et de 1920, les numéros de la revue de broderie de 1929-1930, de 1940-1941, de 1950-1952 et de 1958-1959, ainsi qu'un feuillet publicitaire récent (1987).
16 Certains éléments de cette composition ont également été retenus pour alimenter notre étude. Il s'agit des pages de présentation, de la structure, du vocabulaire, des références à la mode, à l'actualité et à la tradition, du discours et des messages publicitaires, des ouvrages et des motifs à broder, des publications et des techniques d'artisanat ainsi que de la clientèle.
17 À partir de ces éléments et en fonction des diverses années de parution, nous avons dépouillé méthodiquement 492 pages d'albums et de revues Vennat, 196 pages des revues Gorcy de la période 1918-1919 et consulté 12 numéros de La Revue moderne parus entre février 1920 et juillet 1925.
18 Les pages de présentation des albums et de la revue de broderie et de musique Vennat reflètent dans leur composition et les choix iconographiques les préoccupations commerciales, bien sûr, mais également les valeurs culturelles des propriétaires de l'entreprise. Sans en faire une analyse exhaustive, un premier niveau d'observation amène les réflexions qui suivent.
19 Le portrait de madame Vennat en médaillon de la première page de l'album de 1914 ainsi que l'inscription en bas de celle-ci permettent de mieux connaître cette directrice dont « Le nom seul est synonyme d'élégance et de bon goût ». Les deux modèles présentés sont une belle illustration de la majorité de ceux offerts dans les pages de l'album : élaborés et classiques.
20 « La Maison d'Ouvrages de Dames la plus importante du Canada » se positionne en toutes lettres sur la page-titre de l'album de 1920 et fait une grande place à sa devise. Le texte de présentation est affirmatif, largement descriptif, à la limite de la persuasion commerciale. Vennat veut prendre sa place sur le marché. Le modèle de broderie occupant près de la moitié de la page est à l'image de ceux de 1914 et aussi représentatif des autres modèles présentés dans cet album.
21 Sur le thème de « la princesse et le troubadour », la page couverture des premières années de la revue (1926 à 1932) fait appel à une imagerie proche du conte de fée, du magnifique, du fantastique, frôlant le rêve et l'inaccessible : les genres de broderies proposés dans ces numéros requièrent, règle générale, des connaissances avancées en broderie, réservées à celles ayant eu accès à un enseignement ou pouvant se permettre ce loisir de riches. Vennat prend même la peine de proposer un titre brodé pour sa revue, associant en toutes lettres ses deux spécialités.
22 Une iconographie ancienne sert encore de référence pour la page couverture des numéros de la revue de 1932 à 1950. Tirés de la Renaissance, la brodeuse et le musicien semblent faire partie d'un monde à part, d'une classe à part : Vennat affirme que l'Art, le raffinement et le bon goût sont sa marque de commerce.
23 De 1950 à 1968, le règne du « court et facile » s'annonce par le nouvel entête de la revue. Un parchemin ou une affiche que l'on déroule et où est nommé le commerce (le nom est brodé, tout de même!), une fleur et un oiseau de composition banale, voilà ce qui annonce maintenant la grande maison Vennat. Après deux guerres et une crise économique majeure, la mode n'est sûrement plus au rappel d'une époque romantique. Dommage, car cette présentation ne rend pas justice à la connaissance poussée du domaine de la broderie que cette spécialiste démontre encore à sa clientèle par ses produits et ses productions.
24 Les albums de broderie Vennat sont des outils publicitaires ayant une durée de vie et d'utilisation relativement longue. Six années séparent la première publication de la seconde et cette dernière du premier numéro de la revue. Leur mise en forme tient compte de cette situation.
25 L'album de 1914 est le plus imposant, tant par son volume que par sa composition. Chaque page possède une inscription placée en tête identifiant la matière qui y est contenue. Ces inscriptions sont regroupées dans divers chapitres dont les titres apparaissent au sommaire de la première page. Ces titres sont une précieuse indication de la variété des produits et de la production du commerce.
26 Une partie de cet album est consacrée aux ornements d'église : on y présente, sur une dizaine de pages, des motifs de broderie et de dentelle destinés à l'ornementation religieuse. Aussi, les deux pages intitulées « Ornements sacerdotaux » sont des extraits, écrit-on entre parenthèses, d'un album spécial de la maison Vennat qui porte exclusivement sur les ornements d'église et les vêtements sacerdotaux.
27 L'album de 1920, pour sa part, s'avère tout autant chargé d'informations. Bien que les catégories de patrons de broderie soient présentées les unes à la suite des autres, elles ne sont aucunement identifiées, ce qui rend la lecture de l'album plus fastidieuse. Il faut pratiquement le parcourir en entier pour y retrouver les modèles d'une catégorie (nappes, coussins, festons, etc.) puisqu'il n'y a pas de sommaire à l'exemple du premier album. Néanmoins, cette publication fait état d'une très grande variété de patrons de broderie produits par la maison et constitue, au même titre que le précédent, un recueil publicitaire de grande importance.
28 Dans chaque album, on peut voir sur une page les « Conditions générales de vente de notre rayon d'ouvrages de dames et fournitures » ainsi que « Comment envoyer un ordre ». Les indications qui s'y trouvent sont révélatrices de la manière de faire de l'époque. Les dernières pages des albums font état des fournitures et des publications d'artisanat offertes au magasin.
29 Pour sa part, la présentation de la revue demeure dans le même esprit du début à la fin de sa parution : la page couverture identifie la revue et annonce les nouveautés; les pages intérieures sont divisées, règle générale, en deux colonnes de textes et d'illustrations; les dernières pages sont consacrées aux rubriques, fournitures, accessoires et publications d'artisanat, et la toute dernière page présente soit le « spécial du mois en musique et en broderie » ainsi qu'un coupon d'abonnement, soit uniquement la musique et la littérature vendues à ce département.
30 La fréquence de parution de la revue se modifie au fil des années. D'abord mensuelle, elle sortira des presses à tous les deux mois à partir de 1939, à tous les trois mois vers 1949 et finalement, de 1958 à 1968 environ, deux fois par année.
31 La revue est distribuée uniquement par abonnements. Le prix d'un abonnement annuel est de 0,25 $ dans les premières années de publication; il est de 0,12 $ pour le Canada et de 0,25 $ pour les États-Unis de 1934 à 1949. Au printemps de 1949, il passe à 0,15 $ par an mais demeure le même pour les États-Unis.
32 D'un imprimé à l'autre, et durant toute sa vie commerciale, la maison Vennat annonce ses produits, productions et services dans le même registre. Honnêteté, professionnalisme, distinction, disponibilité, rapidité, originalité, courtoisie, bon goût, exclusivité, qualité sont les termes utilisés pour sa promotion. Cette maison insiste également sur la qualité de ses marchandises et sur ses bas prix et garantit la satisfaction de sa clientèle.
33 Les modèles et les motifs de broderie présentés dans les albums et la revue sont, de 1914 à 1959, presque toujours qualifiés des mêmes mots : les « élégant, superbe, magnifique, splendide, ravissant, riche, gracieux, charmant, délicieux, de beaucoup d'effet et de bon goût » sont fréquents. Les « classique, original, moderne » apparaissent pour leur part à la fin des années 30. Et les « court, simple, facile, décoratif » sont plus courants à partir des années 50.
34 Invoquer la mode pour mousser la vente d'un produit est une stratégie commerciale utilisée de façon modérée par la maison Vennat, qui opte à l'occasion pour le terme « vogue » plutôt que « mode ». Cependant, la maison utilise fréquemment les termes « nouveau » et « nouveauté » dans sa publicité.
35 Tout ce qui est nouveau en musique française est toujours chez nous6.
36 Les événements d'actualité servent également à créer ou à mettre en marché des produits, tels le dernier succès musical R-100, dédié à l'équipage du fameux dirigeable, et des motifs à broder représentant des soldats, drapeaux et avions militaires, durant la Seconde Guerre mondiale.
37 Finalement, les allusions à la tradition sont inexistantes dans la section des albums ou de la revue concernant les ouvrages de dames. Nous avons noté une seule mention, en 1940, pendant la guerre, rappelant que cette dernière « ne doit pas faire oublier les cadeaux traditionnels des fêtes » et suggérant :
38 La maison Vennat se présente par l'entremise des albums et de la revue comme la maison du bon goût français qui a pour devise « NON SEULEMENT le meilleur marché que nous pouvons, MAIS SURTOUT le meilleur que nous pouvons9 ». Elle fonde son discours sur l'idée que « la spécialité seule approche la perfection10 » et déclare qu'« on fait peut-être aussi bien que nous, mais personne ne fait mieux11 », laissant ainsi supposer que la concurrence, au début du siècle, est vive.
39 Les grandes traditions de broderie et de dentelle ne font pas uniquement partie de l'époque de Jeanne Le Ber12. Elles sont aussi très vivantes au XXe siècle : elles répondent à une idéologie particulière déterminant le rôle de la femme et le travail qu'elle doit accomplir; elles correspondent à une période de revalorisation des arts domestiques rendue nécessaire par l'industrialisation et les progrès techniques et elles sont encouragées par les commerces spécialisés dans ces arts traditionnellement féminins.
40 La publicité faite par ces commerces dans la populaire Revue moderne, publiée à Montréal durant plusieurs années par madame Madeleine Gleason-Huguenin, nous permet d'en identifier un certain nombre à partir de 1920 : le Salon St-Denis du 284, rue Saint-Denis, pour ses « Chapeaux, Broderie-Lingerie-Dentelle, Estampage et Ouvrages de Fantaisie13 », M.F. Cahill & Company du 647, rue Ste-Catherine ouest, coin Crescent, pour ses « véritables dentelles EUROPEENNES et ses articles brodés à la main14 », Broderie Mariette du 1914, boul. Saint-Laurent, qui fait de l'étampage sur commande15, et la Maison Gorcy du 386, rue Sainte-Catherine est, près de la rue Saint-Hubert, qui sera la principale concurrente dans les ouvrages de dames et qui publiera également une revue de broderie16.
41 Ces compétiteurs de la broderie et de la dentelle ne composent pas l'ensemble des maisons spécialisées en ces domaines dans la première moitié du XXe siècle. La Broderie Moderne, rue Mont-Royal (vers 1935), Madame de Bellefeuille (vers 1940) et Belding Corticelli, fabricant de fils à broder et de fils de soie à la côte Saint-Paul (vers 1920), fournissent aussi des patrons à broder. La maison Scully, pour sa part, s'avère une concurrente importante dans le domaine de la broderie d'or des uniformes, galons et casquettes, et ce, dès le début du siècle.
42 Les albums de 1914 et 1920 insistent particulièrement sur le fait que la maison Vennat met en vente des produits d'importation française. Elle s'annonce comme la maison dépositaire pour tout le Canada des célèbres cotons à broder M.F.A.17, première marque française de coton à broder, de fil de lin et de coton plat lustré en couleurs lavable. Elle importe également de la « Célèbre Maison V.B.18 fondée en 1795 et dont la marque de fabrique universelle rayonne dans le monde entier », ses « draps d'or et fournitures de tout premier ordre dans n'importe quelle qualité19 ».
43 La maison conseille à sa clientèle de rechercher ce qui est beau et ce qui dure, car voilà, à son avis, le vrai bon marché. Elle incite d'ailleurs, dans le second album, à la réflexion suivante :
44 L'album de 1920 est du reste très riche dans ce type de conseils à la clientèle :
45 Les années subséquentes rappellent ponctuellement les efforts faits par cette entreprise pour satisfaire sa clientèle. Dans plusieurs numéros de la revue, la maison Vennat insiste sur la valeur du fait main et souligne qu'« on n'est bien servi que chez le spécialiste23 ».
... chez Vennat!
46 Cet extrait illustre parfaitement la production de la Maison Vennat : un nombre incroyable d'ouvrages et de motifs à broder ont été proposés tout au long de sa vie commerciale. L'énumération suivante, par catégories d'emploi, permet d'en saisir l'ampleur26.
47 Literie : toilette d'oreiller, taie d'oreiller, rouleau-oreiller, cache-oreiller, dessus de lit, couvre-lit, drap, faux-drap, volant de lit, couverture de voiture [d'enfant], de berceau, de bassinette, oreiller d'enfant.
48 Ameublement : voile de fauteuil, écran, jeté de canapé, lambrequin, coussin.
49 Linge et accessoires de maison : dessus de meuble, de bureau, de chiffonnier, de credence, de buffet, de service à thé, de banquet, à dîner, de table, tapis de table, tapis lingerie, serviette, linge de cuisine, fond de corbeille à pain, de verre, de plateau, d'assiette, do[i]lies [petits napperons], cosy [enveloppe de théière], ménagère [étui à couverts de table], serviette à bouillie pour enfants de 1 à 4 ans27.
50 Recouvrement de portes et fenêtres : store lingerie, rideau-vitrage, mystère [rideau de porte].
51 Vêtements et accessoires :
52 Accessoires personnels : ombrelle, mouchoir, sac à ouvrage, porte-montre, dessus de sachet, pochette de travail, sac de théâtre, sacoche, sachet à gants, à mouchoirs, porte-lettres, porte-photos, sous-mains, pelote à épingles, pochette à linge de nuit.
53 Objets décoratifs : dessus de violon, plafonnier, abat-jour, écran de bougie, à trois cartelles, couverture de livre, vide-poches, porte-thermomètre, pochette à œufs et à gâteaux, tapis de cartes.
54 Vêtements et objets de cérémonie : surplis, étole, amict, aube, chasuble, nappe d'autel, de communion pour l'extrême-onction, de sacristie, de balustrade, corporal, purificatoire, manuterge, pale, voile de tabernacle, de ciboire, d'exposition, d'ostensoir, chape, rochet, mitre, mules d'évêque, bourse de bénédiction, bandeau d'autel, bannières, porte-Dieu.
55 Autres : lettres et monogrammes, festons pour objets divers, planche de motifs de lingerie, pour robes, costumes, tailleurs, blouses, cadres pour peinture à l'aiguille.
56 La plupart des articles à broder se retrouvent dans les albums et les numéros de la revue et ce, jusque dans les années 50. Bien entendu, au fur et à mesure que s'insère un nouveau meuble dans une pièce de la maison, « Vennat » s'empresse de lui dessiner un patron de broderie : dessus de gramophone, de glacière, de machine à coudre, de cabinet d'argenterie, de radio, etc.
57 Les années 58 et 59 proposent une moins grande variété d'ouvrages à broder, délaissant les vêtements et les accessoires ainsi que la majorité des objets décoratifs. Les nappes, les serviettes d'invités, les centres de table, les trousseaux de baptême, la literie, les parures de chambre et quelques accessoires d'enfants composent à peu de choses près les articles pour lesquels on se donne encore la peine de broder.
58 Pour chacune des pièces textiles énumérées, ce commerce propose un ou plusieurs patrons de broderie, indiquant quelquefois sur le patron même la pièce à broder. À partir de n'importe quel patron d'ailleurs, il est possible de recréer un nouveau patron et de l'utiliser pour un tout autre ouvrage à broder. La maison Vennat produit des patrons pour tous les goûts, pour tous les genres de broderie et pour toutes les compétences.
59 Les motifs de broderie proposés par ces patrons puisent à même une grammaire décorative classique. Les motifs floraux et fauniques sont les plus fréquemment utilisés. Réalistes, stylisés ou modernes, ces motifs s'accompagnent souvent de figures ornementales empruntées à l'architecture. Des personnages tirés de l'histoire, de l'iconographie religieuse et de contes fantastiques viennent parfois s'insérer parmi ces motifs. Pour leur part, les modèles de broderie qui s'adressent aux enfants sont composés, règle générale, de sujets plus naïfs, plus fantaisistes et souvent de plus petites proportions.
60 Les années 40 apportent leur note d'exotisme : la maison Vennat crée les modèles « Les flamants » (un paysage japonais), « La lanterne » (chinoise) et « L'Arabe au désert » (garniture de boudoir en feutre découpée et doublée de soie), pour ne nommer que ceux-là.
61 À partir des années 50, les revues de broderie présentent des dessins plus simples, des motifs plus épurés, proposant à la clientèle des modèles courts et faciles, d'exécution rapide. Cette époque offre cependant beaucoup de modèles pour d'autres types de travaux d'artisanat.
62 En plus de créer des modèles, de produire des patrons et de broder des ouvrages, la maison Vennat propose à sa clientèle des leçons et lui prodigue des conseils en rapport avec les ouvrages de dames. Elle lui offre aussi une très grande variété d'encyclopédies, de volumes et de cahiers spécialisés en ce domaine.
63 Dans les albums, il est fait mention à plus d'une reprise que la maison enseigne la broderie : la broderie d'application28, la broderie blanche, la broderie norvégienne et la broderie rococo, celle « qui permet d'exécuter des ouvrages si gracieux et si élégants [et qui] est des plus simples et des plus agréables à faire29 ». Elle donne également des leçons de tapisserie et de filet.
64 Les numéros de la revue de 1929-1930 introduisent une rubrique offrant des leçons techniques : faire le filet, la dentelle au crochet, travailler le matelassé, monter un trousseau. Cette rubrique sera reprise ponctuellement par la suite.
65 Les albums de broderie et les numéros de la revue présentent dans leurs pages une très large variété de publications spécialisées. Elles sont fréquemment regroupées par types d'ouvrages de dames (broderie, crochet, macramé, dentelle, frivolité, tapisserie, tricot, etc.) ou par collections.
66 La maison Vennat informe sa clientèle qu'elle se charge de prendre des abonnements d'un an, à 0,10 $ du franc, pour les « Journaux d'ouvrages de fantaisies » publiés en France : La Broderie illustrée (hebdomadaire à 3 $), La Femme chez elle (mensuel à 2,50 $), Le Journal d'ouvrages de dames (mensuel à 3 $), Mon aiguille (mensuel à 2,50 $), Paris-broderie (bimensuel à 3 $). On trouve des numéros spécimens de ces périodiques au magasin.
67 Les publications d'artisanat occupent une place de plus en plus importante dans les pages de la revue. Et les titres se multiplient année après année. Quatre collections principales sont vendues par la maison Vennat : Priscilla, Cousine Claire, Cartier-Bresson et DMC. Cette dernière collection est connue pour l'Encyclopédie des ouvrages de dames30 de Thérèse de Dillmont, publiée vers 1930. La maison Vennat ne manque pas de l'offrir régulièrement à sa clientèle. Elle soutient d'ailleurs que :
68 Parmi ces « ouvrages de fantaisie », il en est un qui gagne en popularité à partir des années 50 : le tricot. Les albums Mon tricot et les cahiers de la collection Les doigts agiles viennent donc augmenter les publications spécialisées vendues par ce commerce. Et sur le thème de « MA T.V. C'EST SÛR... MAIS MON TRICOT AUSSI... C'est si facile de tenir l'aiguille ou le crochet en regardant la télévision32 », la maison Vennat informe sa clientèle des accessoires et des fournitures de qualité que l'on peut se procurer à son magasin.
69 Enfin, il est intéressant de noter qu'au début des années 30, la maison Vennat organise des concours en vue d'encourager la clientèle à faire de la broderie, bien sûr, mais aussi à acheter les patrons Vennat et s'abonner à la revue. À partir de ces mêmes années, par la production de divers patrons, elle incite les femmes à participer aux concours et expositions d'artisanat organisés par les Cercles de fermières.
70 Par exemple, le modèle de coussin « La fileuse de l'île d'Orléans » est présenté en 1936 comme un « joli dessin convenant tout spécialement comme morceau d'exposition dans les Cercles de fermières33 ». En 1958, les cadres brodés représentant les paysages du Québec répondent, affirme-t-on, par leurs sujets et leurs grandeurs, aux exigences du programme des Cercles de cette année-là : « Vous pourrez, suivant vos goûts ou capacités, les exécuter pour crocheter tel que demandé par le concours, en broderie ordinaire, point de tige et points lancés, et également sur canevas pour Petit Point34 ». Des exemples comme ceux-là sont nombreux dans les divers numéros de la revue.
71 Chaque spécialité chez Vennat attire des clients particuliers.
72 Le rayon de musique intéresse, bien entendu, des individus passionnés de cet art et qui en font, ou non, l'enseignement. Des professeurs de musique religieux et laïques, maîtres de chapelle, organistes, chefs d'orchestres, chefs d'harmonies et de fanfares, de même que des artistes composent en majeure partie sa clientèle. Cependant, la maison s'assure d'avoir toujours en stock les pièces demandées par l'Académie de Québec, le Conservatoire national, le Conservatoire Royal, l'École de piano Alfred Cortot, le Dominion College, l'Institut musical et d'autres, afin de répondre rapidement aux besoins d'approvisionnement de ces institutions et de leurs élèves.
73 Le rayon d'ouvrages de dames, pour sa part, s'adresse avec sa spécialité de broderie d'ornements religieux, d'écussons militaires et autres, à une clientèle formée d'institutions religieuses et gouvernementales, de même que d'entreprises privées. Pendant une longue période, elle fournit l'armée, la marine, l'aviation et la milice du gouvernement canadien. Elle exécute des broderies d'uniformes pour les banques, chemins de fer, collèges, sociétés de gymnastique, yatch-clubs, hôtels, etc.
74 L'atelier de broderie blanche et de couleur, tout comme le commerce au détail, s'adresse surtout à des individus : aux mamans et grands-mamans pour les trousseaux de baptême et les vêtements d'enfants, aux futures mariées pour les trousseaux de mariage, aux sportifs pour les monogrammes de gilets, etc.
75 Le rayon d'ouvrages de dames est fréquenté presqu'exclusivement par des femmes qui viennent s'y approvisionner en fournitures diverses et choisir parmi les milliers de patrons de broderie produits par la maison Vennat. Institutrices et maîtresses d'ouvrages s'y rendent régulièrement. Les institutions religieuses de Ste-Croix, de Jésus-Marie et des Dames de la Congrégation Notre-Dame, entre autres, se fournissent également chez Vennat.
76 Dès 1914, les propriétaires de l'entreprise instaurent, au profit de leurs clients, un système de compte ouvert35. En 1936, il est fait mention, dans un numéro de la revue, de l'usage d'un bon de crédit pour les acheteurs36. Ce qu'il est intéressant de noter, en particulier, concernant les clientèles de la maison Vennat, c'est que, par l'entremise des commandes postales, elles proviennent de toutes les régions du Québec et même d'autres provinces du Canada.
77 Ainsi, des individus d'un peu toutes les classes sociales composent la clientèle de Vennat : les gens à l'aise commandent les beaux trousseaux à l'atelier de broderie et la classe populaire les fabrique à partir des patrons achetés au magasin... ou empruntés à une voisine.
78 Mais la broderie valorisée durant de nombreuses années par ce commerce en est une de belle composition et de grand effet s'adressant, parfois explicitement, à une classe bourgeoise :
79 Les techniques reliées à la réalisation d'un bel ouvrage de broderie font appel à un minimum de règles issues des lois universelles de composition, d'équilibre et d'harmonie. Ces techniques nécessitent un apprentissage et une pratique qui peuvent s'avérer longs selon la complexité de leurs applications.
80 Pendant les premières années de leur parution, les imprimés Vennat mettent surtout en valeur la « grande » broderie, celle qui commande la maîtrise de ces techniques dans la réalisation de genres complexes (Renaissance, Richelieu, Madère, vénitienne, etc.) : une broderie « classique »44 qui exige « une habileté et une application que peuvent [seules] fournir, en général, des professionnelles formées par un long apprentissage et spécialisées dans un genre unique »45.
81 Mais au fur et à mesure de son développement, ce commerce cherche à rendre accessible au plus grand nombre possible de femmes cet ouvrage de dames pour lequel elle se spécialise. Très tôt elle offre des leçons de broderie au magasin même et par l'entremise de sa publication mensuelle. Et les brodeuses de ses ateliers sont toujours disponibles pour échantillonner un travail.
82 D'ailleurs, cette entreprise n'a pas à son emploi des vendeuses mais bien des conseillères dont elle fait valoir l'attention, la disponibilité et les connaissances dans sa publicité. Elle mise en cela sur une approche personnalisée, affirmant par son discours mais également par sa pratique qu'à la maison Vennat, on prend le temps qu'il faut pour satisfaire chaque cliente, autant celle qui se présente au magasin que celle qui lui écrit.
83 Contrairement à la maison Gorcy qui, dans ses publications, se nourrit de références à la mode, la maison Vennat semble au-dessus de celle-ci. Elle est elle-même une référence, posant la broderie et la dentelle comme des ouvrages précieux, pratiquement indémodables.
84 Si la maison Vennat fait peu référence à la mode pour mettre en marché ses produits et ses productions liés à la broderie, elle est tout de même à l'écoute de son époque et sensible aux nouveautés, entre autres par rapport au marché des ouvrages de dames qui se développe. Ainsi, elle diversifie le matériel mis en vente pour répondre rapidement à cette demande.
85 Et la tradition chez Vennat ne se traduit surtout pas par l'utilisation de ce mot ou même une référence à ce concept. Car la broderie dont il est question durant toutes ces années est pour elle un ouvrage classique, certes, mais actuel, adaptable et vivace.
86 En fait, la tradition, c'est à l'intérieur de l'entreprise qu'elle se construit et dans sa façon de faire. Année après année, et dans un environnement qui ne se modifie à peu près pas, la maison Vennat diffuse des techniques d'apprentissage, des modèles et des patrons à reproduire, met en circulation des matériaux de qualité et produit un nombre incalculable de « beaux ouvrages », cherchant à maintenir sa réputation : une maison « distinctive »... et populaire. De plus, cette maison spécialisée est depuis toujours une « affaire de famille ». De mères en filles, autant chez les propriétaires que chez les employées, les connaissances et le savoir-faire se transmettent à la fois pour la spécialité et pour sa mise en marché.
87 C'est ce que constatait une journaliste en 1961 :
88 S'il est une entreprise qui a misé sur l'établissement et le maintien de sa réputation par un service hautement personnalisé, la qualité de ses produits et l'excellence de ses productions, et ce, durant plus de 60 ans, c'est définitivement la maison Vennat. Et ce qu'il est intéressant de noter, c'est que Madame Caillé, la propriétaire du commerce depuis 1984, s'applique à poursuivre l'entreprise Vennat dans l'esprit du commerce original : prendre le temps qu'il faut pour satisfaire chaque cliente. D'ailleurs, une promotion pour l'impression de motifs sur tissus reprend, en quelque sorte, le discours publicitaire axé sur le service personnalisé des belles années de la revue de musique et de broderie Vennat :
Croyez-vous qu'il soit possible, e n cette fin d e siècle, de remettre à la mode la « grande » broderie issue de la tradition de la maison Vennat?