1 Comme dans l'histoire de la belle au bois dormant, le nouveau Musée McCord s'éveille à peine d'un profond sommeil, tout juste prêt à temps pour le grand bal du 350B anniversaire de la Ville de Montréal (1992). Deux ans de léthargie lui ont été nécessaires, pendant lesquels il s'est retiré dans des entrepôts afin de permettre le réaménagement de l'édifice qu'il occupe au coin des rues Sherbrooke et Victoria. Cette léthargie n'était qu'apparente car il était question du réaménagement complet des locaux du Musée et surtout du dédoublement de sa surface par l'adjonction d'un second édifice. À cet effet, un don fabuleux a été offert au Musée en 1988 par un généreux mécène, la Fondation de la famille J. W. McConnell. Les baisers des princes de ce monde ont de tout temps été d'espèces bien sonnantes; il s'agissait ici de 25 millions de dollars. Cet événement dans la vie du Musée allait être d'autant plus marquant qu'il annonçait la fin de la direction de l'Université McGill et une nouvelle vie autonome en tant que musée privé pour le McCord.
2 Fondé en 1919, alors que David Ross McCord donne à l'Université McGill une collection appréciable de près de 20 000 objets, le « McCord National Museum » est inauguré en 1921. D'abord installé à l'angle des rues McTavish et Sherbrooke, dans l'ancienne maison de Jesse Joseph, il est transféré en 1968 dans les locaux de l'association étudiante de l'université, son emplacement actuel. Souvent effacé de la vie montréalaise - pensons à cette éclipse de 35 ans où ses collections ne sont accessibles qu'aux chercheurs - le Musée ouvre de façon définitive ses portes au public en 1971 Sa collection actuelle contient environ 80 000 objets auxquels s'ajoutent 700 000 photographies.1
3 Depuis sa réouverture, comme la belle encore sous l'effet du baiser du prince charmant, le Musée brûle de tous ses feux. L'exposition inaugurale consacrée à la construction du pont Victoria, photographiée par les studios Norman, permettait de mesurer à sa juste valeur l'importante collection photographique du Musée.
4 Si, de l'extérieur, rien ne semble avoir changé, l'annexe du Musée se fondant à l'ensemble architectural, il n'en est pas de même pour l'intérieur, qui a subi des transformations considérables. À l'entrée, le grand escalier et le totem qui caractérisaient le McCord ont été remplacés par des ascenseurs. Les collections sont réparties entre les diverses galeries. Au rez-de-chaussée, au centre du bâtiment, se trouvent une salle consacrée aux Premières Nations du Canada et, attenante, la galerie des œuvres sur papier. À l'étage sont situées des galeries réservées aux expositions temporaires, une salle sur le Québec au tournant du XXe siècle et un grand espace permettant l'exposition des archives du Musée, de la collection des costumes et textiles, et des collections des arts décoratifs et beaux-arts. Telle une réédition qui offre l'occasion de redécouvrir des musiques oubliées, le renouvellement de la présentation des collections du McCord nous incite à regarder différemment les objets.
5 Luke Rombout, alors directeur du Musée, qualifiait en 1991 son établissement de relativement petit, où il était souvent plus facile de faire preuve d'imagination que dans les grands musées.2 A l'instar du Musée du Séminaire de Québec, le McCord ne s'en trouvait pas moins dans la situation inconfortable des musées de taille moyenne. Il n'était ni un musée d'Etat ni un musée régional. De musée ayant perdu son affiliation avec l'Université McGill lui reste une caractéristique bien spécifique, celle d'être un musée créé par un collectionneur-fondateur. Ce type de musée commande une analyse particulière et force le regard tant sur l'institution que sur l'individu. A la fois pour éviter un survol trop rapide et pour souligner l'intérêt de cette particularité, l'essentiel de notre commentaire portera sur les salles situées au début du parcours du Musée, où l'on apprend à connaître» le collectionneur-fondateur à travers ses objets.
6 Organisée selon un schéma thématique, l'exposition présente tout d'abord McCord et la vision si particulière et si intense qu'il avait de son musée. Après cette entrée en matière, nous perdons quelque peu la trace du collectionneur fondateur parmi les îlots d'objets regroupés de manière à illustrer les activités de sa famille et le contexte dans lequel évoluait l'élite montréalaise de la fin du xixe siècle. La lecture du catalogue consacré à McCord et sa famille permet souvent de comprendre l'ensemble du propos.3 Dans un long couloir se font face un ensemble d'objets collectionnés par McCord, entre lesquels il ne semble y avoir aucun lien si ce n'est celui d'avoir fait partie de la collection initiale, et de grands panneaux didactiques présentant les hommes de la famille McCord à l'aide de supports iconographiques et de repères chronologiques. David Ross McCord apparaît bien sûr comme le digne représentant de cette lignée prospère, mais aussi comme son aboutissement. N'apparaissent pas les individus qui ont perpétué son œuvre. Au sortir de ce long couloir, un dernier groupe d'objets termine l'exposition. Réunis sous le thème du conflit. ces objets relatent les événements - guerres, rébellions, tentatives d'envahissement, changements de pouvoirs coloniaux - qu'a connus le pays.
7 David Ross McCord (1844-1930) commence sa vie publique en 1868 alors que, diplômé de l'Université McGill, il pratique le droit. Très actif au niveau municipal, il est échevin du quartier centre de Montréal et président de la Commission de la santé de la Ville en 1870. En 1878, il épouse Letitia Caroline Chambers (vers 1841-1928), alors infirmière en chef du Montreal Civic Smallpox Hospital. Dans les années 1880, il délaisse de plus en plus sa pratique d'avocat et sa réforme municipale de la santé pour se consacrer à sa collection. Celle-ci se caractérise par des objets relatant les faits marquants de l'histoire du Canada, depuis la Nouvelle-France jusqu'à l'Empire britannique. McCord s'intéresse aux thèmes de l'exploration et de la traite des fourrures et démontre un intérêt marqué pour les Premières Nations du pays. Il collectionne activement des objets par l'entremise d'un réseau de collectionneurs, de revendeurs, mais aussi par des contacts assidus qu'il entretient avec des chefs autochtones. Outre les objets amérindiens, McCord collectionne tout ce qui a rapport à la guerre. Ainsi, David Ross McCord « amasse une merveilleuse collection d'objets énigmatiques, pertinents, étranges, ordinaires, mais ayant toujours une valeur historique... »4
8 Notre collectionneur est d'une passion dévorante. À la fin de sa vie, il n'arrive plus à s'occuper convenablement de ses possessions. Ses écrits que relate le catalogue sont éloquents et l'on comprend que sa passion l'aura sans doute brûlé :
D'une nature certes peu commune à cette époque charnière de la fin du xixe et du début de XXe siècle, l'épopée de McCord n'est pourtant pas unique. Plus posé, mais tout aussi enthousiaste, John Clarence Webster (1863-1950) monte lui aussi une imposante collection d'objets historiques et ethnographiques qui formeront l'un des fonds importants du Musée du Nouveau-Brunswick naissant. Les actions de McCord et de Webster offrent beaucoup de ressemblances. Les thèmes regroupant les objets qu'ils collectionnent sont presque les mêmes. L'expérience des deux hommes, au delà de leur singularité, nous dévoile un peu de la trame de l'époque.
9 Au nouveau McCord, l'exposition nous présente le contexte dans lequel est née la collection. À travers les objets du patrimoine des McCord, en complémentarité avec de nombreux panneaux didactiques et documents d'archives, nous parcourons les chemins suivis par les membres de la famille depuis leur arrivée au pays vers 1759 comme marchands, fournisseurs de l'armée britannique, jusqu'à leurs activités de riches propriétaires fonciers de la région montréalaise.
10 Le patrimoine, tant scientifique et artistique que mobilier, de la famille est le cœur de la collection à laquelle se sont greffées les autres collections. Réfléchi parles objets comme à travers les éclats épars d'un miroir brisé, le portrait de famille ne peut que rester flou. La polysémie des objets égare les visiteurs sur les chemins de leur propre mémoire. L'image se précise dans l'entourage immédiat de David Ross McCord. Plusieurs objets ayant appartenu à son père, comme lui avocat de profession, ont été conservés. Ces objets qui nous révèlent la vie de John Samuel McCord (1801-1865) nous permettent de suivre les influences dans lesquelles baignait le jeune David Ross. Des objets maçonniques rappellent une longue tradition chez les McCord et leur présence da as la loge montréalaise. Une épée ayant appartenu à John Samuel commémore quant à elle les activités de milice. Lieutenant-colonel de la Royal Cavalry de Montréal en 1837, celui-ci joue un rôle important dans la répression du soulèvement des patriotes en 1837-1838. En plus de ses activités professionnelles et paramilitaires, on dit de John Samuel qu'il est un scientifique amateur enthousiaste. spécialisé en météorologie. Des instruments scientifiques et des cahiers de notes manuscrites en témoignent. John Samuel participe activement à la vie culturelle de Montréal. En 1860, il est élu membre du premier conseil de l'Art Association of Montreal, société qui deviendra plus tard le Musée des beaux-arts de Montréal. Anne Ross (1807-1870), la mère de David Ross, est portée vers les sciences, comme son mari. Elle était une excellente aquarelliste et plusieurs de ses œuvres font partie de la collection.
11 Présentés comme une explication a posteriori, pointe d'iceberg d'un discours que l'on comprend à la lecture du catalogue, les objets qui entourent David Ross McCord illustrent sans pourtant expliquer.
12 John Samuel McCord fait construire Temple Grove (1836), à l'aspect d'un temple grec reflétant ses goûts classiques, sur un domaine de huit arpents sur les flancs du Mont Royal, à la croisée du chemin de la Côte-des-neiges et du chemin Cedar. Lorsqu'il en deviend le maître, David Ross transforme la demeure familiale majestueuse. L'accumulation toujours croissante des objets en fera rapidement ce que McCord appelle son musée. En 1919, son papier à lettres a pour en-tête « The McCord Museum; Temple Grove, Montreal; David Ross McCord, K.C., M.A., B.C.L., Founder and Hon. Director ». David Ross n'épargne rien, pas même le jardin si renommé de son père, qu'il transforme en une réplique des plaines d'Abraham. Le nouveau McCord pr ésente le patrimoine des McCord à la manière d'un cabinet de curiosités, version 1992, évoquant celui-là même de McCord à Temple Grove, comme nous le montre la photo de Notman (vers 1920). Les nouvelles salles des Amériques au Musée de l'Homme à Paris, réaménagées pour leur réouverture en octobre 1992, et commémorant le 500l! anniversaire de la « découverte » de l'Amérique par Christophe Colomb, ouvrent elles aussi leur parcours par la reconstruction d'un cabinet de curiosités. Quoique les cabinets de curiosités soient nés à la Renaissance, il semble qu'ils soient devenus un détour obligé maintenant que tous ont assimilé leurs leçons d'historiographie des musées.
13 La spécificité du McCord est de nous présenter le cabinet de curiosités du collection neur fondateur du Musée, alors qu'au Trocadéro. il est question d'un cabinet de curiosité anonyme. Mais il est intéressant de noter une inversion étonnante. Le Musée McCord actuel montre une reconstitution symbolique et désincarnée du cabinet de David Ross McCord, alors qu'à Paris on voit une reconstitution « fidèle » d'un cabinet imaginaire représentant la synthèse du cabinet d'un grand nombre de collectionneurs et de chercheurs.
14 Les photographies présentées (fig. 2 et 3) nous offrent une occasion sans pareille de comparer, à 74 ans d'intervalle, le fouillis des pièces de la maison d'un collectionneur du début du siècle et, à la toute fin du siècle, sa collection exposée dans le musée qu'il a fondé. A la chaleur et au désordre se dégageant de ces objets, tous liés entre eux par leur histoire et leurs liens familiaux - les aquarelles de la mère au mur, les porcelaines de la grand-mère, les meubles du beau-père ou ceux commandés à l'ébéniste de l'heure — s'oppose le détachement des ans et de l'analyse muséologique.
15 Le buste que l'on aperçoit à gauche de la photo de Notman, entouré d'une multitude d'objets dont, au mur, plusieurs aquarelles de la mère de David Ross, se retrouve dans le nouveau musée. Le visage représenté ressemble à s'y méprendre à celui de William Notman Stanley Triggs, ancien directeur des Archives photographiques Notman, a effectué une analyse morphologique du buste. Il était presque convaincu que c'était celui du célèbre photographe, vêtu du costume des raquetteurs, jusqu'à ce que, tout récemment, Pamela Miller, conservatrice et archiviste du McCord, trouve une référence dans les papiers McCord. En 1882, la femme de McCord, Letitia, aurait commandé du sculpteur Frans Van Luppen un buste représentant un habitant, Lamirande Cousineau, fermier de Saint-Laurent.6 La quasi certitude de Triggs était basée sur la ressemblance frappante de la sculpture avec les photographies de Notman, la coupe de sa barbe si caractéristique et le fait que le même sculpteur, Van Luppen, avait exécuté une autre sculpture, bien identifiée cette fois, de Charles, l'un des fils de William Notman, aussi en costume de raquetteur.7
16 Dans la section ayant pour thème le conflit, on retrouve dans le McCord actuel le même buste que sur la photo de Notman (voir la photo du McCord actuel, fig. 3).8 Dans l'exposition, disposés sur une estrade, divers objets représentant chacun un épisode conflictuel du pays sont disposés symétriquement. Opposé au buste en question se trouve un autre buste, entre les deux, une carabine. Voici leur description telle qu'on peut la lire sur les cartels du Musée, de droite à gauche :
17 On remarque sur la photo que la carabine n'est pas orientée vers le plafond, comme c'est souvent le cas dans un tel type d'exposition. Pourtant en retrait, elle semble être pointée en direction du buste Cousineau/Notman lorsqu'on fait face à l'estrade. J'ai abordé plus haut les problèmes que posent l'identification du buste. La carabine Baker pose quant à elle autant de questions. Les carabines Baker de l'armée britannique ont été utilisées par les Montreal Riffle Corps à Saint-Eustache, pendant les événements de 1837-1838. Quoique ce soit toujours possible, il est étonnant d'en voir un exemplaire en la possession du docteur Nelson, vainqueur du côté des patriotes à Saint-Denis. McCord l'a-t-il attribué à Nelson par excès d'enthousiasme ou avait-il des preuves irréfutables de l'appartenance de cette arme? Il est difficile d'en être sûr. Dans le mélange des attributions inhérent aux objets de collection, au carrefour d'un croisement d'acteurs et d'événements tragiques, cet élément d'exposition révèle en soi toutes les contradictions possibles. J'ai mentionné au Musée l'image pour le moins saisissante que cet élément, tel qu'on le retrouve actuellement, produit sur les visiteurs, du moins au niveau des images et des symboles. On m'a mentionné que des aménagements seraient probablement faits pour modifier cette situation malheureuse. Des changements avaient déjà eu lieu car, dans la disposition initialement prévue, on s'était rendu compte que c'était le portrait de Louis Riel qui était alors visé.9 Cette anecdote rappelle que l'exposition des objets n'est pas « insignifiante », dans ce sens qu'elle n'est pas « neutre ». Même dans un musée, les objets gardent leur force, leur potentiel fonctionnel autant que symbolique. Comme l'explique si bien Susan Pearce, les objets sont des signes, ils sont des symboles.10 Dans ce jeu, les armes sont d'une nature toute particulière. Même désamorcées, même fausses, même reproduites, elles gardent leur pouvoir offensant, leur pouvoir d'interpellation, lorsqu'elles sont pointées. Tous ceux et celles qui ont joué au jeu de la bouteille dans leur jeunesse le savent bien. Il sera intéressant de voir maintenant qui, des acteurs de cet élément d'exposition, sera désigné. Restent en jeu la tête de George III, la coiffure iroquoienne que McCord pensait être celle du chef Shawnee Tecumseh, un casque colonial de la guerre des Boers et encore quelques autres... Et évidemment, comme nous sommes dans un musée, reste toujours en jeu la tête des visiteurs.
18 David Ross McCord a commencé à collectionner intensivement en 1880, avec l'intention déclarée de fonder un musée national. Les nombreuses lettres dont le catalogue fait état éclairent un peu la situation, mais les activités de McCord reliées à sa collection restent dans l'ombre. Le catalogue mentionne les recherches que McCord avait entreprises sur l'origine des objets qu'il acquérait et sur les matériaux dont ils étaient formés, mais les résultats de ces recherches ne nous sont pas présentés. Le quotidien du collectionneur reste malheureusement inaccessible. La « vision » de McCord nous est par contre très largement exposée. Les analystes qui ont participé à la rédaction du catalogue insistent sur la volonté affichée du collectionneur de ne pas faire un musée « anglais » et suggèrent d'analyser l'action de McCord à la lumière de son désir de fonder un musée qui contribuerait à promouvoir l'identité nationale canadienne. Dans cette optique, il faut comprendre les objets de sa collection comme les illustrations d'un message, l'objet étant utilisé comme outil éducatif, un peu à la manière « pédagogique » des jésuites qui prêchaient par l'enseignement et dont la preuve était appuyée par la démonstration d'objets concrets. Toutefois, il ne faudrait pas perdre de vue que David Ross McCord est devenu obnubilé par sa collection, qu'il est entré dans la logique impitoyable des collectionneurs.
Dans son journal, McCord transcrit des vers de Wordsworth qu'il suggère d'apposer au mur de son musée : « Ce que nous avons aimé, D'autres l'aimeront aussi, et nous leur enseignerons comment. » Le nouveau Musée McCord exauce le souhait de son fondateur. Cette phrase apparaît dans la première salle du Musée, en superposition sur une immense carte du Canada. Tous les objets collectionnés par McCord, toutes ses actions semblent dictés par sa vision. Par contre, là où le catalogue est si clair, questionnant les attributions de McCord, l'exposition reste muette. Sur les cartels du Musée manquent souvent la distance et l'analyse nécessaires. Il serait donc plus judicieux de mettre un bémol sur certaines attributions de McCord qui péchait, le catalogue nous le rappelle souvent, par excès d'enthousiasme.
19 Le saut nécessaire, celui dicté par la distanciation de l'analyse rigoureuse, s'opère dans la salle consacrée aux Premières Nations. Moira McCaffrey, la conservatrice d'ethnologie au Musée et l'une des auteurs du catalogue, reste critique. Le nouveau McCord présente une salle très vivante mettant en valeur les objets de la collection de McCord ainsi que toutes les acquisitions ultérieures du Musée. A l'aide de présentations vidéographiques, le Musée veut sensibiliser le public à la diversité culturelle et démontrer la vivacité des groupes autochtones actuels. Dans cette optique, le Musée développe une collaboration fructueuse avec les groupes autochtones par divers moyens : une accessibilité accrue des objets pour les groupes dont ils sont issus, des prêts, des expositions itinérantes et la participation de représentants des Premières Nations lors de la conception des expositions du Musée. Dans ce cas-ci, le catalogue module l'exposition en nous introduisant aux conceptions et aux attitudes de McCord alors qu'il formait sa collection. Selon l'ethnologue Moira McCaffrey, McCord se singularise par une attitude où il démontre, à certains moments, une opposition aux attitudes ethnocentriques tout en gardant une vision idéaliste et passéiste, fidèle à son époque, préférant la vision « traditionnelle » et « pure » des Amérindiens, ceux d'avant le contact avec les Blancs. Ses goûts de collectionneur reflètent ses perceptions du monde. Persuadé que les Amérindiens allaient disparaître, les objets seraient pour McCord les seuls témoins à assez brève échéance. Pour McCaffrey,
Quant à elle, l'exposition sur le collectionneur fondateur donne des pistes de recherche et permet un regard sur une époque méconnue et sur les hommes qui l'ont façonnée. Par contre, parce qu'elle cristallise son regard sur la période de création du Musée, elle ne permet pas une juste lecture du Musée actuel qui, lui, a beaucoup évolué depuis sa fondation. Partie des vingt mille objets donnés par McCord, la collection dans son ensemble en compte maintenant près de quatre-vingt mille, et cela, sans inclure l'impressionnante collection photographique et les archives du Musée. Certaines collections ont été consolidées, perpétuant ainsi l'œuvre du fondateur, mais certaines autres se sont ajoutées, diversifiant cette fois le champ d'action. Par exemple, la collection des costumes, qui fait la renommée du Musée actuel, n'était pas l'une des composantes de la collection initiale. Ainsi est passé sous silence le travail des employés du Musée qui, au fil des ans et de leur dévouement, ont façonné le Musée tel qu'on le connaît aujourd'hui.
20 Les matériaux utilisés dans l'aménagement du nouveau McCord rappellent l'ancien surnom du Musée, « the jewel box ». L'albâtre tamise la lumière, le bois naturel réchauffe l'atmosphère. Evitant les exagérations du monumentalisme, le nouveau McCord a le mérite d'exposer beaucoup plus d'objets qu'auparavant, alors qu'à peine 1 pour 100 des collections pouvait être vu. Le sphinx et le griffon13 que l'on retrouve à l'entrée de l'exposition n'en sont qu'un exemple. Ils ont certainement accumulé toute la rancœur d'avoir chu de la corniche d'un bel immeuble de la rue Drummond, mais encore bien plus d'avoir été entreposés toutes ces dernières années dans les couloirs de l'administration, car les réserves débordantes de l'ancien Musée ne pouvaient les accueillir convenablement. Aujourd'hui, du haut d'un perchoir retrouvé, de chaque côté de la porte de la première salle d'exposition, si d'aucun visiteur ou visiteuse s'essayait à rebrousser chemin, ils les changeraient immédiatement en pierre, peut-être bien en sel. Ils semblent nous dire qu'il ne faut pas regarder en arrière.
21 Ce qu'il faut regretter pourtant, c'est le large escalier et surtout le grand mât totémique qu'il enserrait comme un écrin sans l'étouffer et qui frappait chacun des visiteurs du Musée d'alors.14 Le grand totem est toujours là. Déplacé, il est aujourd'hui coincé dans le petit escalier du côté de la rue Victoria. Au soleil, presqu'à l'air et au vent comme sur son île, oublié de la reine Charlotte, le lourd totem ne repose plus sur rien. Citation de l'ancien McCord, il est aujourd'hui enchâssé dans un nouveau discours. On lui a adjoint un grand panneau explicatif qui nomme les emblèmes représentés et qui nous explique que les spécialistes proposent trop d'interprétations contradictoires pour qu'il soit possible d'en dire quoi que ce soit!
22 À l'examen des objets qui le composent, le Musée McCord est l'un des plus beaux musées du pays. Ses collections les plus réputées, principalement ses collections d'objets ethnographiques, ont été amassées alors qu'il était encore possible d'acquérir des objets d'une telle valeur sur le marché. Ce qui fait la valeur du Musée, ce sont bien sûr les collections, mais encore plus le fait qu'elles ont été amassées initialement par un seul individu. André Desvallées, conservateur en chef aux Musées Nationaux de France, affirmait en 1992, au Congrès de l'ICOM à Québec, qu'il n'y a aucune logique, aucun raisonnement, qui peut expliquer une politique d'acquisition de musée, d'une institution ou d'un groupe de personnes. La seule logique qui puisse exister, c'est celle d'un individu, un conservateur, faite de l'ensemble de ses connaissances, ses contradictions, ses intérêts, ses goûts, et ses passions. À ce titre, l'exposition sur David Ross McCord permet d'entrevoir cette « logique ». Mais la collection du McCord actuel, telle qu'on la connaît aujourd'hui, a été démultipliée. Un regard sur son développement aurait permis d'actualiser l'implantation du Musée dans la société d'aujourd'hui. Suivre l'évolution et les rapports qui liaient les institutions et la société montréalaise gravitant autour du Musée, et ce, jusqu'à aujourd'hui, aurait pu servir de lien. Les collections de photos, ayant acquis aujourd'hui une grande valeur documentaire et relatant le développement d'une technologie tout autant que le goût d'une époque, de même que les collections de costumes constituées par la suite montrent cette action continue et la symbiose qui existait entre le Musée et son milieu. La collection du Musée McCord, la belle, la très belle, offre aujourd'hui aux visiteurs la jouissance des plus beaux objets du patrimoine ethnographique et historique du pays. C'était le vœu de McCord. Outre son programme pédagogique, il voulait assurer un lieu de repos pour les objets qu'il a tant chéris. Les objets, comme des bois dormants, s'offrent autant à la représentation, au témoignage, qu'à la délectation. Ainsi, les bois dorment dans ce musée. Si aujourd'hui ils sont importants pour nous, si l'on désire les conserver, il faut aussi leur permettre de rêver et de nous raconter leurs rêves et leurs secrets, et au Musée actuel de trouver les liens qui permettront à un groupe toujours plus diversifié de visiteurs d'avoir accès à ces rêves et ces secrets.15