In 1972, the Minister of Indian and Northern Affairs, who was then responsible for Parks Canada, announced the Government of Canada's decision to create a new national historic park: Artillery Park. A multidisciplinary team charged with developing the new park was immediately established. This article describes the approach used in developing Artillery Park and the Fortifications of Quebec City over a period of nearly 20 years, and focuses on the role played by historians.
En 1972, le ministre des Affaires indiennes et du Nord, responsable de Parcs Canada à l'époque, annonçait la décision du gouvernement canadien de créer un nouveau parc historique national : le Parc de l'Artillerie. Une équipe multidisciplinaire chargée de réaliser le développement du nouveau parc a aussitôt été constituée. Cet exposé présente l'évolution de l'approche de mise en valeur du Parc de l'Artillerie et des Fortifications de Québec sur une période de près de vingt ans et se penche plus particulièrement sur le rôle joué par les historiens.
1 Les Fortifications de Québec, déclarées d'importance historique nationale par la Commission des lieux et monuments historiques du Canada en 1957, représentent l'une des composantes principales du système de défense historique de Québec qui regroupe, en outre, la Citadelle, les tours Martello et les trois forts de la rive sud. Elles comprennent un vaste réseau de murs et de portes, de places et de bâtiments militaires qui s'étend sur une distance de 4,6 km et ceinture l'arrondissement historique du Vieux-Québec.
2 Le Parc de l'Artillerie, déclaré d'importance historique nationale par la même Commission en 1959, fait partie intégrante du système de défense historique de Québec. Situé dans l'angle nord-ouest de l'enceinte de Québec, le parc couvre une superficie d'environ 8 acres et comprend plusieurs édifices dont les principaux sont la Redoute Dauphine et les Nouvelles Casernes construites sous le régime français, le logis d'officiers (1785 et 1818), le corps de garde (1833) et, dans la gorge du bastion Saint-Jean, la Fonderie de l'Arsenal (1902) et le hangar à affûts de canon (1831 et 1841).
3 À l'origine du projet, le parc comportait également un secteur civil composé de plusieurs propriétés sur les rues de l'Arsenal, Côte du-Palais, McMahon et Carleton. De fait, le Parc de l'Artillerie, tel que créé en 1972, est toujours partagé entre différents propriétaires. Cette situation relative à la propriété du parc a eu des incidences majeures sur son développement. Seule la partie du parc, relevant du gouvernement fédéral, a été mise en valeur en tant que parc historique national. La recherche historique s'est néanmoins chargée de produire les connaissances historiques sur l'ensemble du parc. Des concepts de restauration et d'interprétation ont aussi été élaborés pour son ensemble.
4 Au mois d'octobre 1972, le ministre des Affaires indiennes et du Nord, alors responsable de Parcs Canada, annonçait à Québec la décision du gouvernement canadien de créer un nouveau parc historique national : le Parc de l'Artillerie. Celui-ci étant jugé d'intérêt national sur le plan historique, à cause de l'importance de son rôle militaire et industriel, il a été convenu d'assurer la sauvegarde et la mise en valeur de cette partie du patrimoine historique du Vieux-Québec. Il a été décidé, à l'époque, que le parc une fois aménagé servirait d'agent catalyseur dans la mise en valeur du réseau des fortifications.
5 Une équipe de recherche a aussitôt été organisée. Elle était chargée d'assurer un dépouillement systématique des archives et d'établir une banque de données essentielles à toute intervention sur un site historique. Parallèlement, un groupe de travail, sous la gouverne du Service de restauration du bureau central à Ottawa, proposait une esquisse d'aménagement axée sur la conservation du site et la restauration de ses principales composantes architecturales. Cette orientation de restauration des bâtiments devait profondément marquer la recherche historique sur le Parc de l'Artillerie et les Fortifications et inciter les chercheurs à se former au discours des architectes-restaurateurs et aux grands principes de la charte de Venise. Il y avait donc à craindre qu'une recherche trop axée sur la reconstitution d'une architecture passée perde de vue la signification historique de l'ensemble.
6 Cet exposé présente l'évolution de l'approche historique et de la recherche réalisée au bureau régional du Québec depuis 1972. Il évalue la façon dont les historiens ont su concilier les impératifs de mise en valeur d'un parc à l'approche historique et examine de près le rôle et les responsabilités des historiens dans le cadre de ces projets spécifiques.
7 Avant même la création du Parc de l'Artillerie en 1972, des chercheurs du Service des lieux historiques de l'époque avaient amorcé des recherches et des études préliminaires portant sur la Redoute Dauphine, récemment acquise par le Ministère, et sur les Fortifications de Québec, dont l'état délabré nécessitait d'urgents travaux de stabilisation. La création du Parc de l'Artillerie, projet annoncé comme devant être plus imposant que ceux de Louisbourg et de Place Royale, allait cependant accélérer et élargir le processus de recherche et surtout établir une planification de recherche axée sur des orientations de mise en valeur. Déjà la gérance du projet était confiée à un directeur, dont le mandat était de diriger la réalisation du projet jusqu'à sa phase finale et d'atteindre les objectifs qui avaient présidé à la création du parc. Ce projet s'annonçait bien différent de la grande majorité des parcs et lieux historiques nationaux en ce qu'il faisait partie intégrante d'un milieu urbain vivant. Il fallait non seulement composer avec les exigences du patrimoine architectural et des vestiges archéologiques, telles que définies par la Politique des lieux historiques nationaux de Parcs Canada (1979), mais aussi avec celles de la dynamique urbaine du Vieux-Québec.
8 Alors que sur le site même se constituait une équipe de projet, responsable essentiellement de son administration et de son exécution, à Ottawa, une équipe pluridisciplinaire de gens de professions prenait en main les recherches et les études nécessaires en vue de produire les connaissances indispensables et de réaliser la synthèse des propositions de mise en valeur du parc.
9 C'était tout à fait extraordinaire car des travaux étaient déjà amorcés, des travaux d'étaiement et de stabilisation à la Redoute Dauphine et à la face droite du bastion Saint-Jean, mais surtout des travaux majeurs aux fortifications le long de la rue des Remparts, comportant, entre autres, l'injection de béton dans la masse du mur et des forages verticaux pour ancrer les murs au roc. Ces travaux sur les fortifications secouaient certains des vestiges archéologiques rencontrés. De toute urgence, il valait mieux intégrer les Fortifications de Québec aux travaux de recherche et de mise en valeur de l'équipe du Parc de l'Artillerie.
10 C'est à cette époque, quelques mois à peine après la création du Parc de l'Artillerie, que je quittai le Service de recherche de l'Inventaire des bâtiments historiques du Canada pour m'intégrer à une équipe d'historiens sous la direction de Louis R. Richer. Depuis déjà trois ans, j'oeuvrais à l'histoire du développement urbain de la ville de Québec et on m'offrait, dans cette équipe, l'occasion de poursuivre des recherches sur un secteur du Vieux-Québec qui devaient contribuer directement à la mise en valeur d'une partie importante de notre patrimoine historique. Mais retournons à la dure réalité de murs croulants et d'édifices délabrés nécessitant des interventions urgentes et à celles des attentes formidables d'un groupe de travail de mise en valeur à l'égard de l'historiographie.
11 La constitution d'une équipe pluridisciplinaire devait nécessairement conduire à s'interroger sur le rôle et les responsabilités des différents intervenants. L'organisation d'une direction de projet, comme on la conçoit sur un chantier de construction, devait primer, vu les interventions majeures du Service de génie et architecture au niveau du bâti. La Division des restaurations devait donc assumer la maîtrise d'œuvre et produire une esquisse d'aménagement avec la coopération des spécialistes en histoire, archéologie, conservation, planification, interprétation et services aux visiteurs. La recherche historique avait pour mandat de produire les connaissances historiques et d'orienter les autres recherches et interventions par les conclusions de ces études. Cette orientation donnée à l'entreprise, bien de son époque, allait faire du Parc de l'Artillerie un projet de « restauration » et non un projet de « mise en valeur » tel qu'on le conçoit aujourd'hui. Pour les architectes, l'orientation « restauration » de l'entreprise avait une incidence sur le genre et la qualité des recherches et des études. Celles-ci devaient être subordonnées aux réalités physiques et économiques qu'on convenait d'inclure dans la planification de l'ensemble tel que conçue par les architectes-restaurateurs. La recherche devait s'orienter en priorité sur l'évolution historique du bâti et des aménagements, et les historiens avaient à s'acclimater à une gestion de projet.
12 Cet encadrement allait mener les historiens à élaborer un programme de recherches en fonction des objectifs du projet et à considérer leurs tâches et leurs rôles non seulement par rapport au cadre du projet de restauration mais aussi par rapport à la politique des lieux historiques nationaux. La responsabilité fondamentale, celle de produire la connaissance historique nécessaire à la mise en valeur du parc, était évidemment reconnue de tous, mais il fallait aussi insister pour que les historiens participent à l'élaboration des concepts et plans de réalisation touchant la restauration et l'interprétation du site, et aussi qu'ils puissent, à la rigueur, se dissocier du projet s'ils n'étaient pas d'accord avec son orientation historique ou encore une décision fondamentale concernant l'aspect historique.
13 Ainsi fut amorcée, en 1973, une vaste enquête sur l'évolution polyphasique et architecturale du Parc de l'Artillerie et des Fortifications de Québec. L'acquisition et l'échange des connaissances historiques, la disponibilité de données brutes comme des plans, projets et devis ainsi que la production de rapports préliminaires devaient tous contribuer à mettre les architectes à l'école historique mais également mener à produire, à l'occasion, des interprétations relevant plutôt du rêve ou d'une volonté créatrice que de la réalité historique. Caution morale, l'historien devait aussi se mettre à l'école de la conservation et de la restauration et se faire l'interprète de la politique des parcs et de la charte de Venise.
14 Bien que l'Esquisse d'aménagement du Parc de l'Artillerie, produite en 1974, ait été élaborée avec la collaboration des Services d'histoire, les recherches étaient loin d'être complétées. Tous s'entendaient sur l'idée que seule leur poursuite permettrait vraiment de fixer des choix de restauration étayés par des faits. L'Esquisse d'aménagement, qui soulignait que les croquis de restauration présentés devaient être considérés uniquement comme des indications de ce qui pouvait être « imaginé », présentait effectivement des propositions spécifiques et même des recommandations quant aux propositions à retenir.
15 Dans l'ensemble, une approche de « restauration historique », c'est-à-dire une volonté de rétablir les édifices dans leur état complet et original, était la théorie de restauration privilégiée dans l'Esquisse. Pour certains bâtiments, comme le Logis d'officiers, l'Entrepôt à affûts de canon et la Fonderie de l'Arsenal, les interventions suggérées pour retrouver « l'authenticité architecturale » des bâtiments s'avéraient être mineures et, de l'avisdes historiens, pouvaient se justifier. Mais pour d'autres édifices, notamment la Redoute Dauphine et les Nouvelles Casernes, les recommandations de l'Esquisse risquaient de faire disparaître des témoins historiques importants de leur architecture. D'ailleurs, c'était bien voulu car l'Esquisse considérait le Parc de l'Artillerie comme un « complexe militaire défiguré par l'industrie »1. Seule la Fonderie de l'Arsenal, édifice pouvant être utilisé pour accueillir les visiteurs, serait conservée comme témoignage de l'histoire industrielle du Parc de l'Artillerie.
16 Les Nouvelles Casernes, construites entre 1749 et 1754, n'avaient plus le caractère d'un tout architectural, ayant subi des transformations apportées notamment par les diverses utilisations du bâtiment. Suite à un incendie en 1851, la façade sud du bâtiment avait perdu son unité physique. Entre 1898 et 1901, avec la construction de façades industrielles pour abriter une salle de chaudières et un laminoir, l'édifice avait retrouvé son unité physique mais non son unité architecturale. L'Esquisse d'aménagement présentait cinq propositions de restauration. La solution privilégiée était cependant de redonner à l'édifice son unité architecturale du régime français pour permettre la compréhension et l'interprétation de l'ensemble dans le concept de défense de Québec. Cette solution vouait les façades industrielles à la disparition en faveur d'une reconstruction représentative du régime français. Pour les historiens, une telle proposition équivalait à détruire un témoignage historique important. Même si les façades industrielles n'étaient pas conformes à l'architecture originale du bâtiment, elles constituaient un apport valable, compte tenu de la pluralité fonctionnelle de l'édifice dans son histoire.2
17 Quant à l'édifice de la Redoute Dauphine, l'Esquisse de 1974 en reconnaissait la grande complexité. Elle affirmait l'impossibilité de le restituer à un état sans détruire les autres, mais rejetait l'option de le restaurer à son état de 1974 parce qu'une telle option offrait « très peu d'intérêt ». La solution recommandée était de remettre en évidence la période française, celle des deux états les plus anciens (1712 et 1747), « en sacrifiant au besoin une partie des éléments plus récents, et en restituant certains éléments disparus, ou même projetés dont la présence serait nécessaire à l'exploration et à la compréhension des premiers états par les visiteurs »3. En d'autres mots, il s'agissait de construire les parties manquantes de l'éperon projeté par l'ingénieur Beaucours en 1712 mais jamais terminé. Pour les historiens, ce parti était un retour aux idées du XIXe siècle, à l'approche en restauration de Viollet Le Duc, bref, un irrespect de l'Histoire et une invention malencontreuse.
18 Somme toute, l'approche de restauration recommandée dans l'Esquisse, approche dite historique, allait à l'encontre de la Politique des lieux historiques nationaux qui, en matière de restauration, s'inspirait largement de la charte de Venise de 1964. Cette déclaration de principes considère le vécu des édifices comme un témoin de l'Histoire. Toutes les transformations architecturales apportées à un édifice dans le passé doivent être perçues comme un enrichissement à la sémantique générale de l'édifice4. Pour les historiens, privilégier une période historique lors de la restauration d'un bâtiment, en apportant des transformations majeures, c'était détruire le témoignage historique de l'édifice.
19 En 1976, un second concept de restauration pour la Redoute Dauphine présentait des idées plus innovatrices. D'une part, il se fondait sur le principe de conserver tout le donné historique « afin qu'il soit significatif de l'évolution du bâtiment, depuis sa conception par Beaucours en 1712 jusqu'à l'étape actuelle de sa restauration »5. Il s'agissait d'une victoire pour les historiens : les témoins des XIXe et XXe siècles seraient conservés et le bâtiment serait compris dans son évolution historique. Malheureusement, le nouveau concept jugeait nécessaire d'inclure tout l'éperon dans la reconstitution moderne pour permettre au visiteur de comprendre le concept initial de l'ingénieur Beaucours. Pour les historiens, c'était accorder beaucoup trop d'importance à un projet jamais terminé qui pouvait facilement être expliqué par le moyen beaucoup moins coûteux d'une maquette. Les objections des historiens à la reconstitution de l'éperon ont eu raison de la proposition, qui fut rejetée. Les vestiges archéologiques dégagés de l'éperon ont toutefois été protégés.
20 Quant à l'intérieur du bâtiment, la redoute devait servir de musée à sa propre interprétation. Cette approche évolutive semblait assurer le respect de l'histoire du bâtiment. Le concept a cependant été critiqué comme une conceptualisation scientifique poussée à l'extrême pour des raisons didactiques, brouillant la perception d'ensemble par le rassemblement de trop d'éléments épars.6
21 La réalisation ne fut pas aussi rigoureuse mais la compréhension de l'édifice devint d'autant plus ardue. La fin des travaux en 1981 a donné lieu à un bilan, une critique, un genre d'examen de conscience. On a noté les problèmes survenus dans le déroulement du projet : manque d'expérience des architectes en restauration, manque de continuité entre le concept préliminaire et le plan de réalisation, changements au niveau des chargés de projet, changements dus aux exigences du plan d'interprétation, exigences des normes relevant de la classification de l'édifice comme salle d'exposition, problème de génie et décisions rapides lors de l'exécution. Somme toute, ni les architectes, ni les historiens et archéologues n'étaient satisfaits du rendu. Pour les architectes, les nombreux problèmes en cours de réalisation ont fait qu'aucun principe de cohérence sous-tendant le projet n'était évident dans.la restauration et qu'en conséquence, le but fixé par le concept n'avait pas été atteint. Les historiens considéraient qu'on avait simplement construit du neuf dans de l'ancien, qu'on n'avait pas restauré le bâtiment. Dans certaines des composantes de l'édifice, le moderne était bien évident mais dans d'autres, l'utilisation de matériaux modernes n'était pas très apparente, pas bien identifiée par rapport à l'ancien. Tel que rendu, l'édifice était plus difficile à comprendre dans sa dimension historique qu'avant le début des travaux. La restauration aurait dû consister en une intervention plus délicate7.
22 Le scepticisme des historiens, à l'égard de l'interprétation historique pratiquée par les communicateurs, est sans doute une déformation professionnelle. Les historiens sont eux-mêmes des spécialistes de l'interprétation. Leur métier requiert d'eux qu'ils donnent un sens, tirent une signification des faits historiques. L'histoire qu'ils écrivent, bien que basée sur des faits, est essentiellement interprétative. Ils acceptent donc mal que d'autres interprètent les faits historiques. Pour eux, la connaissance historique doit être le résultat de l'effort le plus rigoureux et le plus systématique. L'exactitude de la connaissance historique est un idéal et nuancer est un purgatoire.
23 Face aux communicateurs, les historiens ont pour hantise la représentation fausse, l'imaginaire, la généralisation et la simplification abusive. Ils craignent aussi de ne devenir que sources d'information et caution morale pour les communicateurs. Au niveau des techniques de communication, la réduction des textes signifie souvent pour les spécialistes de l'histoire une réduction du message et l'approche médiatique équivaut à l'excitabilité, à la sensation8. Ces préjugés créent parfois une situation tendue entre les historiens et les communicateurs. Il va de soi que le respect mutuel et le professionnalisme respectifs des spécialistes sont essentiels à une bonne réalisation d'un centre d'interprétation.
24 Ma première expérience avec des agents d'interprétation, en 1974, fut intellectuellement vivifiante. Je rencontrais des jeunes diplômés en histoire et en ethnologie, engagés pour réaliser le concept d'interprétation du Parc de l'Artillerie. Ils se mettaient alors à l'école de Freeman Tilden et de Georges-Henri Rivière, sous la supervision de vieux routiers de centres d'interprétation au Service des lieux historiques. Leur enthousiasme et leur intérêt à l'égard des faits, des informations, des rapports, des hypothèses et des conclusions que je leur livrais me donnaient l'impression que j'étais la source de la « substantifique mœlle » de l'histoire des Fortifications de Québec et du Parc de l'Artillerie. Pendant trois ans, nos échanges furent enrichissants. Je me formais aux objectifs d'un concept et d'un plan d'interprétation, au rôle d'une thématique et au discours de l'interprétation, du potentiel d'illustration, de communication, des contraintes d'utilisation, etc. Quant à eux, ils décodaient bien le discours des historiens du parc et livraient une thématique d'interprétation basée sur l'essentiel de la thématique historique élaborée à l'époque9.
25 Le rendu concret de cet exercice devait cependant se limiter à un centre d'interprétation, ouvert en 1978, destiné à présenter à court terme une vue d'ensemble de l'histoire du parc. Avec un certain recul, je crois que le centre rendait beaucoup d'informations sur les principaux thèmes du parc et abordait aussi la thématique des fortifications. La principale critique formulée à l'époque était le manque de liens entre les thèmes. Il faut dire que certains gadgets, comme un jeu des fortifications, étaient « en panne » la plupart du temps et que, dans l'ensemble, on saisissait mal l'histoire propre du Parc de l'Artillerie ou, ainsi qu'on l'exprime aujourd'hui, « l'esprit des lieux ».
26 L'arrivée et la mise en valeur de la « maquette Duberger » au Parc de l'Artillerie, en 1980, devait nécessiter un réaménagement du centre d'interprétation. La juxtaposition de l'interprétation du plan-relief Duberger aux expositions en place rendait la compréhension de la thématique plus ardue. L'ajout de nouveaux éléments d'exposition n'a été qu'un palliatif insuffisant.
27 Le concept d'interprétation de la Redoute Dauphine, présenté en 1979, a créé un véritable émoi chez les historiens. Dès la première page du concept, son objectif était décrit en un seul mot, « animer », et quelques pages plus loin, on apprenait que le bâtiment était « destiné à être immortalisé »10! Au bout de deux cent quarante-huit autres pages, les lecteurs consciencieux assortaient complètement stupéfaits! Que signifiait ce discours? Où était la méthode? Le concept s'inspirait du symbolisme et du théâtre, exigeait la participation intensive d'un directeur ou d'une directrice artistique et se réclamait d'une écosociété exigeant « d'être plus que de son temps » ! Parmi trois options d'interprétation, le chargé de projet recommandait « un joyau de votre patrimoine aux multiples facettes ». La Redoute, par son architecture, était vue comme une « ancienne sentinelle consacrée joyau du patrimoine ». À travers ce concept, on proposait l'interprétation de l'architecture du bâtiment, de son histoire et de sa conservation et restauration. Pour faire passer le message, on employait des mots-clés qui devaient transmettre des sensations aux visiteurs : l'expression d'une combativité, la survivance dans l'abandon, l'expression d'une domination, d'un élan, etc.
28 Pour les historiens, les incohérences étaient nombreuses. Dans la philosophie du message — « un joyau de notre patrimoine » — l'inspiration venait de l'unicité, de l'originalité de la Dauphine. Je cite le Programme de réalisation : « L'unicité est issue de l'œuvre monumentale elle-même et de l'originalité elle-même et de l'originalité de la fonction. La rareté et l'image créée y sont aussi pour quelque chose (...) Le message est donc clair : l'architecture dépend de la fonction initiale et de facteurs liés à l'environnement. C'est ce qui crée son unicité et son originalité. »11 À ce titre, ont rétorqué les historiens, tout bâtiment est unique et original ! Alors que l'approche de l'interprétation historique était de globaliser et d'intégrer l'objet à un réseau de signifiants, le concept de la Dauphine, qui se réclamait de cette discipline, prônait l'approche élitiste de la muséologie traditionnelle et faisait de l'objet un joyau unique et original.
29 Les historiens ont rejeté le concept comme étant inacceptable. Pour eux, il véhiculait une atmosphère de mystère et d'insolite et tombait dans la sensiblerie. La Dauphine n'était pas un mystère, une boîte à trésors; tant son architecture que son histoire étaient connues. Malgré l'opposition des historiens, la réalisation du projet fut amorcée. Les réactions, de part et d'autre, ont cependant eu raison du concept et le projet a finalement été abandonné dans un état inachevé.
30 Les projets d'interprétation au Parc de l'Artillerie n'ont pas tous été aussi négatifs. La réalisation de l'interprétation au Logis d'officiers a été une expérience très positive. Déjà en 1977, l'idée de faire du Logis d'officiers un lieu d'interprétation pour des enfants de 5 à 9 ans avait été lancée. En 1981, on a procédé à la formulation des termes de référence et à l'élaboration du programme de réalisation. L'objectif était d'initier l'enfant au patrimoine en le faisant jouer, travailler et s'habiller comme « à l'époque ». En l'amenant à jouer, explorer, écouter, toucher, manipuler et s'amuser, on comptait l'imprégner des notions de passé et de patrimoine.12
31 La collaboration du Service de la recherche historique fut assurée même si aucune recherche n'avait été effectuée sur l'enfance et la vie domestique au Parc de l'Artillerie. Le Service se chargeait de fournir les données disponibles sur l'occupation du Logis d'officiers et sur la présence historique des enfants dans le secteur. L'approche développée par la réalisatrice de l'interprétation en était une de complémentarité et d'intégration à la thématique historique du Parc. Pour compléter, le Service de la recherche historique s'engageait à fournir des connaissances sur les jeux d'enfants et les activités domestiques aux XVIIIe et XIXe siècles.
32 La réalisation du Logis d'officiers comme lieu d'interprétation pour enfants fut un franc succès. La clarté du concept, de la thématique et des objectifs y ont sûrement contribué. Même si les historiens de Parcs Canada n'étaient pas les seules sources d'information du plan de réalisation, ils se sont ralliés au projet, rassurés quant à leur crainte que la connaissance historique du Parc d'Artillerie ne soit occultée par sa médiatisation.
33 Dès 1973, un groupe de travail, chargé d'établir des orientations de mise en valeur des parcs et lieux historiques, déterminait des thèmes d'interprétation pour les Fortifications de Québec et le Parc de l'Artillerie. La thématique militaire tenait le haut du pavé. L'importance historique du Parc de l'Artillerie était reliée à son rôle dans l'histoire militaire de Québec. Les thèmes retenus concernaient essentiellement les phénomènes de l'architecture militaire et du casernement, tout en insistant sur l'interprétation de la vie militaire à Québec et celle de l'implantation de l'Arsenal du Dominion et de la vocation industrielle du parc. Quant aux Fortifications de Québec, le groupe de travail isolait l'évolution des ouvrages de défense et l'armement de Québec comme thème majeur et l'histoire sociale des résidents du Vieux-Québec comme thème secondaire.
34 Bien que simplifiées outre mesure, ces recommandations allaient servir à orienter les recherches historiques. Il fallait bien sûr donner la priorité à la recherche sur les édifices et à l'évolution polyphasique des sites mais, dès 1974, on amorçait des recherches sur la vie militaire à Québec afin de fournir des données de base et une approche à un contenu d'interprétation. En 1975, le déménagement des Services de recherche à Québec et leur réorganisation, sous la responsabilité de Louis R. Richer, allaient créer une nouvelle dynamique. C'est à cette époque que je fus nommé chef adjoint responsable de la recherche historique sur les sites militaires du réseau de Parcs Canada à Québec. Avec mes collègues historiens, dorénavant responsables d'une diversité de sites à thématique militaire, comme les Forts Chanibly, Lennox, Coteau-du-Lac et Lévis, ainsi que ceux des batailles de la Châteauguay et de Ristigouche, en plus du Parc de l'Artillerie et des Fortifications de Québec, il était temps d'élaborer des problématiques et des approches de recherche dépassant la conceptualisation des thématiques traditionnelles. Alors que des recherches se poursuivaient sur les garnisons de Québec, les effectifs, l'organisation militaire, les conditions de vie des soldats et leurs activités, et qu'on amorçait aussi des recherches sur le développement urbain de Québec, il devenait clair que l'étude du système de fortification de Québec devait dépasser l'événementiel et la chronologie des différents travaux.
35 Notre arrivée à Québec devait aussi attirer l'attention des historiens Jacques Mathieu et Marc Vallières de l'Université Laval. Les discussions et échanges que nous avons eus avec eux nous ont conduit à emprunter des concepts relevant de la polémologie afin d'inscrire l'étude des fortifications dans le cadre plus large de la guerre et de la société. La recherche et l'étude qui devaient en ressortir, Québec ville fortifiée, que j'ai entreprises en collaboration avec mes collègues André Charbonneau et Yvon Desloges, approfondiraient les connaissances sur tout l'ensemble des attributs du système de fortification et déboucheraient sur celles de la mentalité militaire. Dorénavant, le rôle et la contribution de l'ingénieur militaire à Québec allaient être appréciés en fonction de l'analyse des règles et réflexions particulières relevant de l'art de la guerre. L'étude du génie militaire par l'analyse des tracés, des profils et des autres éléments de défense approfondirait la connaissance du monument historique. L'étude déboucherait aussi sur celle de la dynamique de la société québécoise en relevant un portrait des hommes qui ont construit les murs et en évaluant les retombées socio-économiques. Par l'étude du milieu urbain, on en arriverait à une appréciation de la « place de guerre » par opposition à la ville.
36 La publication de l'étude, en 1982, a soulevé un enthousiasme général dans la communauté des historiens.13 L'historien britannique de l'art militaire Quentin Hughes, dans la revue Fort, l'a même qualifiée de meilleure étude sur les fortifications publiée dans les cinquante dernières années. L'étude a aussi eu des incidences internationales. Sa conception de la place forte et sa valorisation de l'ensemble défensif de Québec ont beaucoup contribué à la désignation de Québec dans la liste des villes du patrimoine mondial par l'UNESCO en 1985.
37 Les recherches sur le thème « Québec ville fortifiée », menées à partir de 1976, ont aussi porté fruits dans nos échanges avec nos collègues architectes. Evaluant dans un rapport les interventions antérieures sur les fortifications, François Varin devait conclure sur un manque de connaissances et de philosophie d'intervention et de mise en valeur : « Les Fortifications de Québec y ont toujours été vues comme un mur de soutènement à stabiliser, mur dont l'instabilité notée justifiait à elle seule une intervention drastique de nature irréversible. »14 Dorénavant, la restauration pourrait être entreprise en tenant compte d'une synthèse d'étude et de réflexion sur le potentiel et la valeur tant historique que culturelle de l'ensemble fortifié de Québec.
38 Cette conception beaucoup plus globale des fortifications de Québec a aussi profondément influencé le Concept de mise en valeur réalisé en 198015. La relation ville-fortification était devenue le concept de base derrière l'appréciation de la signification historique du monument. L'interaction entre le monument et le développement de la ville devenait une réalité historique significative pour la mise en valeur des Fortifications. L'appréciation de tous les attributs de la place forte était conjuguée à la densité des foyers d'intérêt patrimonial autour du circuit des Fortifications.
39 Par ailleurs, le concept reconnaissait aussi que le caractère évolutif du monument ajoutait à la richesse de son potentiel de mise en valeur. Celle-ci devrait donc être entreprise sur la base d'une conception dynamique de l'histoire, qui exploite le caractère évolutif des ouvrages tout en respectant leur authenticité. Dans cette optique, même des éléments du XXe siècle, comme la porte Saint-Jean dénigrée par les architectes-restaurateurs au début des années 1970, devenaient importants à conserver, étant représentatifs d'une transformation fonctionnelle de l'ensemble et d'une première période de mise en valeur du monument.
40 Je n'ai voulu présenter que quelques épisodes de mon expérience d'historien, associée à la mise en valeur d'un parc historique. Comme vous l'aurez remarqué, les prises de position ont souvent été opposées et les échanges très critiques. Il faut dire que les débuts du Parc de l'Artillerie ont été, pour plusieurs groupes professionnels, un apprentissage du processus de mise en valeur du patrimoine historique. À l'époque, chaque groupe de spécialistes se définissait dans le cadre d'une réalisation de projet — d'histoire, d'architecture, d'interprétation ... — et élaborait son rôle et ses responsabilités, parfois en empiétant sur le domaine d'un autre. Les tiraillements et les prises de position ont sans doute influé sur la qualité du rendu. Ce n'est finalement qu'avec l'instauration d'une gestion de projet chapeautée par la production d'un plan directeur, outil fondamental d'orientation, que tous ont pu s'entendre sur des objectifs de sauvegarde et de mise en valeur communs. Le Plan directeur du lieu historique national des Fortifications-de-Québec n'a finalement été approuvé qu'en 1988. La contribution majeure des historiens a été de produire les connaissances nécessaires à l'analyse matérielle et objective du monument et à l'interprétation de sa signification historique.
Ce texte a fait l'objet d'une communication au 70e congrès annuel de la Société historique du Canada, à l'Université Queen's, à Kingston, le 4 juin 1991.