This article maintains that the arrival of new household equipment between 1910 and 1940 helped to significantly alter the daily living conditions of women in Quebec. The author drew most of her information from catalogues, women's magazines and home-economics texts. These rarely used sources give an interesting overview of the household appliances available during the period and of the attitudes Quebec women were expected to have toward housework. Through an analysis of the various publications, the author illustrates that, although the conditions under which household chores were done improved considerably during the period in question (at least for women who could afford the new appliances and services available on the market), the arrival of new household equipment did not have a purely beneficial impact; the gradual advancement of technology would redefine the organization of housework.
Cet article émet l'hypothèse que l'apparition de nouveaux biens d'équipement ménager, au cours de la période 1910-1940, a contribué à altérer profondément les conditions de vie quotidienne des femmes québécoises.
L'auteure a surtout puisé sa documentation dans des catalogues, des revues féminines et des manuels d'économie domestique. Ces sources, rarement exploitées, donnent un aperçu intéressant tant des appareils ména-gers offerts au cours de la période, que des attitudes prescrites aux femmes québécoises concernant le travail domestique.
Par une analyse de ces diverses publi-cations, l'auteure démontre que, même si les conditions de réalisation des tâches domes-tiques se sont considérablement améliorées au cours de la période (du moins pour les femmes ayant les moyens de disposer de nouveaux appareils et services offerts sur le marché), l'introduction de nouveaux biens d'équipe-ment ménager ne semble pas avoir eu que des effets bénéfiques, puisque le développement continuel de la technologie allait entraîner une nouvelle définition de l'organisation du travail domestique.
1 Lorsqu'on s'interroge sur la vie quotidienne des femmes, on songe presque automatiquement à la vie domestique, c'est-à-dire aux mille et un gestes que chaque femme, dans chaque maison, accomplit quotidiennement au service du bien-être familial. Gestes continuellement répétés, mais aussi largement ignorés. En fait, malgré un intérêt de plus en plus soutenu de la part de nombreux chercheurs pour l'étude du quotidien, on sait encore fort peu de choses sur cette vie domestique si longtemps plongée dans la pénombre.
2 Dans le but de mieux connaître l'univers des femmes québécoises du début du XXe siècle, nous avons entrepris cette recherche portant sur l'évolution du travail domestique. La période 1910-1940 a retenu plus particulièrement notre attention, d'une part, parce que la société québécoise connaît de multiples bouleversements au cours de cette période et, d'autre part, parce que la plupart des appareils ménagers inventés au cours de la seconde moitié du XIXe siècle, commencent alors à envahir le marché québécois. En effet, la population québécoise participant, au cours des premières décennies du XXe siècle, à un vaste mouvement d'industrialisation et d'urbanisation, les conditions nécessaires à l'avènement de la société de consommation de masse allaient d'ores et déjà se mettre en place. Ainsi, tandis qu'au début de cette période l'industrie manufacturière n'occupait qu'une place mineure dans l'économie québécoise (4 %), en 1920 l'économie provinciale se trouve radicalement transformée, la part de l'industrie correspondant à 38 %.1 De plus, les campagnes se vident au profit des villes; le pourcentage de la population rurale du Québec passe de 66,4 % en 1891 à 36,9 % en 1931. C'est d'ailleurs le recensement de 1921 qui permet de constater que le Québec compte désormais une population à majorité urbaine.2 Ces nouvelles conditions de vie favoriseront, selon Jean-Pierre Bélanger, l'eclosion de nouvelles aspirations :
Il semble donc que, dès cette époque, les aspirations caractéristiques de la société de consommation s'étendaient à l'ensemble de la population québécoise. On peut alors se demander dans quelle mesure l'apparition de biens d'équipement ménager nouveaux a pu contribuer à altérer la nature et les conditions du travail domestique des femmes québécoises.
3 Pour rendre compte de l'ampleur de ces modifications, nous avons d'abord procédé à une analyse du contenu de catalogues du magasin Eaton. Retenons que, même si ce magasin n'a pas ouvert de succursale au Québec avant 1925, son système de vente par catalogue (mis sur pied en 1885) lui permettait déjà de commercer avec la population québécoise. De plus, nous avons étudié les messages à visée domestique présents dans deux revues féminines à grand tirage, soit La Revue Moderne et La Revue Populaire. Outre le fait que cette analyse nous a permis d'avoir une idée assez juste des biens d'équipement ménager offerts et de l'évolution de la technologie relative au travail domestique au Québec entre 1910 et 1940, elle nous a aussi fourni l'occasion d'isoler les arguments invoqués pour inciter les ménages québécois à acquérir ces nouveaux biens. Nous avons ensuite analysé quelques relevés statistiques émanant du Bureau des Statistiques de la province de Québec et du Recensement du Canada pour la période 1910-1940; nous n'avons pas jugé utile d'étudier successivement toutes les années entre 1910 et 1940, mais avons plutôt établi une périodicité plus significative ajustée aux années de recensement du Bureau fédéral de la Statistique. Cette analyse visait essentiellement à recueillir des informations sur les commodités en vente au Québec au cours de la période, de même que sur les revenus de la population québécoise, afin de procéder à une évaluation du degré de pénétration des nouveaux appareils ménagers au sein des ménages. Enfin, nous avons analysé le discours véhiculé par quelques ouvrages d'économie domestique publiés au Québec au cours de la même période, dans le but de rendre compte du point de vue des «experts» concernant l'appareillage domestique de même que des attitudes prescrites aux femmes québécoises au sujet de l'exécution du travail domestique. Soulignons cependant que ces manuels, d'un intérêt certain pour la connaissance de la vie quotidienne des Québécoises, mériteraient une analyse beaucoup plus approfondie et exhaustive.
4 Les analyses effectuées nous ont permis de répondre à trois grandes interrogations. Dans un premier temps, quels étaient les appareils ménagers offerts aux femmes québécoises au cours de la période 1910-1940? Dans un deuxième temps, dans quelle mesure les ménages québécois bénéficiaient-ils des res-sources nécessaires à l'acquisition de ces nouveaux biens d'équipement ménagers? Enfin, dans un troisième temps, quel a été l'effet de ces innovations sur les femmes québécoises dans l'accomplissement de leurs tâches domestiques au cours de cette période?
5 Même si la plupart des appareils ménagers ont été inventés au cours de la seconde moitié du XIXe siècle, il faudra attendre le début du XXe siècle avant que la population puisse les acheter. En effet, ces appareils qui resteront longtemps coûteux et difficiles à utiliser, ne connaîtront une large diffusion qu'à partir des années 1920, après la reconversion de l'industrie de guerre américaine. Dès lors, des milliers de ménages pourront, en principe, se procurer certains biens d'équipement ménager offerts à des prix relativement abordables.
6 Dans quelle mesure ces appareils ménagers étaient-ils vendus sur le marché québécois? Malheureusement, nous ne possédons aucune information nous permettant d'évaluer avec précision l'équipement ménager de la population québécoise au cours des premières décennies du XXe siècle. Tout au plus a-t-on recueilli quelques données nous offrant un aperçu du moment où certains articles sont apparus sur le marché. Ainsi, Geneviève Leslie, qui a étudié le contenu des catalogues du magasin Eaton entre 1885 et 1920,4 nous apprend qu'on y retrouve déjà certains appareils électroménagers : aspirateur (1909-1910), machine à coudre (1917) et machine à laver (1920). Diane Bélisle et Yolande Pinard, pour-suivant cette analyse pour les années 1929-1930 et 1939-1940, nous révèlent pour leur part que :
Pour en savoir un peu plus, nous avons consulté les catalogues du magasin Eaton des années 1910, 1920, 1930, 1940, ainsi que les numéros de La Revue Moderne et de La Revue Populaire, publiés au cours des mêmes années.6 Les activités liées aux tâches domestiques habituellement dévolues aux femmes pouvant se regrouper en trois grands pôles (la préparation et la conservation des aliments, l'entretien ménager, l'entretien et la confection des vêtements), nous dresserons donc le bilan des appareils ménagers offerts en nous basant sur ces trois grandes sphères de la vie domestique.
7 Parmi les activités de préparation des produits alimentaires, la cuisson des aliments constitue l'une des principales activités domestiques, aussi n'est-il pas surprenant de constater que de nombreux modèles de cuisinières sont offerts aux femmes québécoises, et ce, dès 1910. Les poêles à bois et à charbon, servant à la fois à chauffer la maison, à fournir de l'eau chaude et à cuire les aliments, prédominent pendant toute la période, même si un poêle qui jumelle le charbon et le gaz apparaît en 1920. En fait, de 1910 à 1930, les principales innovations dans ce domaine semblent avoir porté exclusivement sur le «design» et l'élaboration d'une série d'accessoires (réchauds, four double et même triple, thermomètre, réservoirs à eau) censés augmenter le rendement de ces appareils. Selon le degré de perfection-nement, les prix peuvent varier de 15,50 $ à 118 $.
8 Graduellement, cependant, avec le développement des chauffe-eau et des appareils de chauffage, la cuisinière sera réservée uniquement à la cuisson des aliments. C'est à ce moment que la cuisinière électrique fera son apparition - voir fig. 1. Le catalogue Eaton en propose un modèle en 1930 (24,50 $) et un autre en 1940 (63,50 $). Mais le fait qu'on n'en retrouve qu'un seul modèle pour chaque année de même que l'espace restreint qui leur est consacré nous laissent à penser que la cuisinière électrique a dû connaître une diffusion très limitée au cours des années 1930 et 1940. D'ailleurs, les poêles à bois, à charbon ou à gaz continuent de prédominer. Par contre, nous devons souligner que l'apparence extérieure de ces derniers s'est considérablement modifiée, le recouvrement émaillé constituant sans doute l'une des principales innovations, nouveauté dont on souligne avec beaucoup d'insistance la facilité d'entretien.
9 En plus de se voir offrir un nombre impressionnant de cuisinières, les femmes québécoises se voient aussi proposer une panoplie d'articles de cuisine destinés à faciliter la préparation des repas. Mais les principales nouveautés apparaîtront surtout autour des années 1920. Par exemple, un article paru dans La Revue Moderne de janvier 1920, vantant les mérites de certains accessoires électriques (grille-pain, réchaud de table, cafetière, etc.) nous informe que ces appareils étaient déjà offerts sur le marché québécois, dès cette période. Par contre, il est intéressant de noter qu'il faudra attendre quelques années avant que ces accessoires fassent leur apparition dans le catalogue Eaton. Ainsi en 1940, on y retrouve : bouilloire (6,25 $), grille-pain (1,75 $), mijoteuse (6,75 $), réchaud de table (1,25 $), cafetière (2,95 $). Nous devons aussi souligner l'apparition, en 1940, du malaxeur électrique, auquel on associe de nombreux avantages, tels économie de temps, diminution de l'effort physique et performance supérieure au travail manuel — voir fig. 2. Notons de plus l'introduction de nouveaux matériaux utilisés pour la fabrication des poêlons et casseroles, matériaux auxquels on attribue d'ailleurs de grandes qualités, comme en témoigne cet extrait de La Revue Moderne (juin 1930) :
10 Enfin, nous ne saurions passer sous silence le fait que certains aliments préparés, tels les mélanges à gâteaux, les spaghettis, soupes, légumes et fruits en conserve envahissent de plus en plus le marché. Ces aliments, dont la préparation nécessite très peu de temps, du moins aux dires de la publicité, ont fort probablement contribué à diminuer les tâches liées à la préparation des repas.
11 Pour la conservation des aliments, le réfrigérateur est sans doute l'un des appareils qui a le plus révolutionné le travail domestique. En 1910, on n'en retrouve aucun dans les catalogues ou les revues. Par contre, les catalogues Eaton des années 1920 et 1930 offrent quelques modèles de glacières en bois isolées, quelquefois émaillées à l'intérieur, dont les prix s'échelonnent de 14 $ à 59 $ — voir fig. 3.
12 Ce n'est cependant qu'en 1940 qu'apparaît le réfrigérateur électrique, dont le coût est assez élevé (149,50 $ ou 169,50 $) comparé aux glacières qui se vendent au même moment entre 21 $ et 34,90 $ — voir fig. 4. Cependant, une publicité parue dans La Revue Moderne nous laisse à penser que le réfrigérateur électrique était déjà commercialisé au Québec en 1930. En voici un extrait :
Si cette publicité peut donner l'impression que c'est surtout la notion de confort qu'on invoque lorsqu'il est question du réfrigérateur, par contre une publicité parue dans La Revue Populaire au moment où la population québécoise était sollicitée à participer à l'effort de guerre, lui associe plutôt une valeur économique :
D'ailleurs, fait intéressant à noter, la compagnie Frigidaire qui doit interrompre sa production pour répondre aux besoins de l'armée, suggère aux lecteurs de La Revue Moderne (décembre 1941, p. 6), de faire réparer leurs vieux réfrigérateurs plutôt que d'en acheter un nouveau.
13 Enfin, nous devons signaler que la réfrigération n'a pas seulement modifié les procédés de conservation des aliments, mais aussi ceux liés à leur distribution. Ainsi, un article paru dans La Revue Moderne nous apprend que le marché de la viande s'est considérablement transformé :
14 Pour l'entretien ménager, une seule nouveauté semble avoir pu altérer les tâches s'y rattachant. Il s'agit de l'aspirateur. Dès 1910, le catalogue Eaton en propose deux modèles : un actionné à la main et nécessitant l'aide d'une autre personne (un enfant par exemple), l'autre fonctionnant à l'électricité.
15 Le modèle électrique, dont le coût s'élevait à 100 $, ne réapparaîtra cependant pas dans les éditions subséquentes. En fait, il faudra attendre 1920 avant que s'adjoigne à la panoplie de brosses, balais et balais mécaniques, un nouveau modèle d'aspirateur électrique, plus compact et surtout plus économique — voir fig 5.
16 Malheureusement, nous ne disposons d'aucune donnée concernant le coût de cet appareil fabriqué par la Compagnie Hoover, auquel une publicité parue dans La Revue Moderne attribue de nombreuses qualités, telles : l'économie de temps, de fatigue et d'argent, de même que l'aspect hygiénique.
17 Parmi les tâches liées à l'entretien des vêtements, le lavage et le repassage ont donné lieu à de nombreuses innovations au cours de la période étudiée. Ainsi, pour effectuer le lavage des vêtements, les femmes québécoises se voient offrir dès 1910, deux types d'appareils domestiques : un poêle destiné à chauffer l'eau pour la lessive (8,75 $) et des lessiveuses actionnées de diverses façons. Certaines sont mues par l'énergie humaine (3,75 $), d'autres par l'énergie hydraulique (29,75 $), ou encore par l'énergie mécanique (machines adaptables à un moulin à essence ou à vent, 25 $) — voir fig. 6. En 1920, apparaît la lessiveuse-essoreuse électrique (80 $). On en retrouve de nouveaux modèles en 1930, les prix variant de 85 $ à 98 $ — voir fig. 7. Enfin, nous devons souligner que, même si, en 1940, les laveuses à gazoline ou électriques, censées économiser temps et énergie, semblent très populaires, les appareils manuels continuent toujours à être offerts.
18 Pour le repassage, apparaît dès 1920 un fer électrique (4,50 $) dont le poids évalué à trois kilogrammes constitue déjà une nette amélioration par rapport au fer en fonte qui, lui, en pèse huit (2 $) — voir fig. 8. En 1930, on offre une «presseuse» électrique pouvant repasser près d'un mètre de tissu de large (69 $) — voir fig. 9. Cet appareil ne réapparaîtra cependant pas en 1940, le catalogue Eaton proposant plutôt une variété de fers à repasser électriques, dont certains indiquent l'intensité de chaleur. Les prix varient de 1,79 $ à 3,50 $ selon le degré de perfectionnement de l'appareil. Cet extrait d'une publicité parue dans La Revue Moderne témoigne assez bien des qualités propres au fer à repasser électrique :
En somme, la publicité insiste ici sur l'efficacité de ces appareils à propos de l'arrivée de la chaleur, de la durée de son émission et de l'exactitude dans l'indication de son intensité.
19 En plus d'entretenir les vêtements, les femmes doivent aussi en confectionner. Pour ce faire, elles peuvent bénéficier de deux types d'appareils : des machines à tricoter et des machines à coudre. En 1910, le catalogue Eaton offre une machine à tricoter, actionnée à la main (18 $). Cet appareil ne figurera cependant plus dans les éditions subséquentes. Quant aux machines à coudre, on en trouve une grande variété. En 1910, par exemple, le catalogue Eaton propose un modèle à pédalier domestique (18 $) et un modèle professionnel (30 $). En 1920, on offre un petit moteur électrique adaptable à toute machine (21 $), mais il faudra attendre les années 1930 avant que la véritable machine à coudre électrique voit le jour (45 $). Il importe toutefois de rappeler que le modèle à pédalier coexiste toujours avec le modèle électrique en 1940 et ce, même si leurs coûts ne diffèrent pas de façon exorbitante. Par exemple, une machine à pédalier coûte environ 40 $ alors qu'on peut se procurer une machine électrique pour 51 $ — voir fig. 10. D'ailleurs les bas prix de ces appareils, de même que les possibilités accrues de disposer d'une garde-robe mieux pourvue constituent les principaux arguments invoqués pour séduire les ménagères.
20 Enfin, nous devons souligner qu'une autre innovation a pu modifier considérablement les tâches liées à la confection des vêtements; il s'agit du développement du prêt-à-porter qui, apparu au cours des années 1890 dans le catalogue Eaton, propose à partir de 1901 une variété de vêtements pour hommes, femmes et enfants. La possibilité d'acheter des vêtements et des articles de lingerie tout faits a sans doute amené de nombreuses femmes à délaisser la confection domestique.
21 Au terme de ce bref tour d'horizon, on est donc en mesure de constater que l'appareillage pour le travail domestique a évolué rapidement entre 1910 et 1940 au Québec. Et la publicité, qui s'alimente de valeurs nouvelles (rapidité, efficacité), en propose un portrait fort séduisant :
On assiste donc, au cours de cette période, non seulement à un accroissement considérable du choix de biens pour l'exécution du travail domestique, mais également à la naissance d'un nouvel imaginaire social qui justifie en quelque sorte l'acte de consommer.
22 Jusqu'ici, nous avons surtout mis l'accent sur l'envahissement du marché québécois par de nouveaux produits d'équipement ménager. Or, l'apparition de ces nouveaux biens de consommation ne signifie évidemment pas qu'ils ont envahi aussitôt tous les foyers québécois. En fait, deux conditions nous sont apparues essentielles pour que la population québécoise ait la possibilité d'accéder à ces biens et services : bénéficier des revenus nécessaires à leur achat et disposer des installations liées à leur utilisation. Pour mieux juger du degré de pénétration de ces appareils, nous procéderons ici à une analyse du niveau de vie de la population québécoise au cours des années 1910-1940. Pour ce faire, nous aurons recours au revenu familial réel : ce revenu ne se mesure pas seulement à l'argent gagné, mais plutôt à partir du rapport entre un budget normalisé et les salaires réellement touchés par la famille.
23 Ce n'est qu'à partir de 1921 que les recensements donnent des renseignements de base complets sur les revenus. Avant cette date, les données sont particulièrement minces, de sorte que nous disposons de peu d'informations pour l'année 1910. Par contre, une publication de l'École Sociale populaire, parue en 1917, nous apporte quelques précisions sur les revenus annuels de quelques catégories de travailleurs, de même que sur les dépenses d'une famille comptant cinq enfants à Montréal en 1909.13 Nous nous sommes attardées plus spécifiquement aux revenus des journaliers œuvrant dans le secteur manufacturier, considérant que ce secteur recrutait une part importante de la main-d'œuvre masculine rémunérée au Québec et ce, tout au long de la période. En effet, en 1911, ce groupe recrutait 19,6 % de la main-d'œuvre masculine et plus de 66 % de tous les salariés en 1921.
24 En 1909, à Montréal, les dépenses minimales d'une famille comptant cinq enfants s'élevaient à 691 $ par année, ces dépenses incluant le loyer, l'alimentation et le vêtement. Pour les journaliers, dont les salaires annuels bruts pouvaient varier de 463 $ à 546 $, il semble donc que les conditions de vie sont assez difficiles. Bénéficiant à peine du revenu indispensable pour survivre, on peut supposer que leurs préoccupations se situaient nettement au niveau de la satisfaction des besoins fondamentaux. Ils auraient donc été très loin de songer à satisfaire des aspirations très coûteuses, telles une machine à coudre (19 $), une lessiveuse manuelle (8,50 $), ou encore moins un aspirateur (25 $). Par contre, certaines catégories de travailleurs, tels les briqueteurs, dont le revenu annuel pouvait atteindre 1 404 $, les plâtriers (1 023 $) et les tailleurs de pierre (1 123 $) pouvaient probablement s'offrir ces appareils.
25 En ce qui concerne l'année 1920, d'après l'Annuaire Statistique du Québec de 1921 (p. 427), le revenu annuel nécessaire pour subvenir aux besoins essentiels d'une famille de cinq personnes (dont trois enfants) devait s'élever à 1 179$. Or, le salaire ouvrier au Québec pouvait varier de 780 $ à 1 560 $ (Annuaire du Canada, 1920, p. 547), de sorte qu'on peut en déduire que de nombreuses familles vivaient encore à la limite du revenu familial minimum nécessaire. D'autant plus que le chômage (dont le taux s'élevait en décembre 1921 à 26,6 % et passera à 22,4 % en 1924, 14,2 % en 1925, 7,6 % en 1926 et 9,3 % en 1927), les maladies ou les grèves pouvaient amputer pour nombre d'ouvriers, ces maigres revenus. Il est donc douteux que ceux-ci se soient procuré des appareils, tels la lessiveuse-essoreuse électrique (110 $) ou même la machine à coudre (52 $), représentant respectivement l'équivalent de cinq semaines et de deux semaines de travail.
26 Les années 1930, années de crise faut-il le rappeler, amènent une aggravation des conditions de vie des ouvriers. Le taux de chômage s'élève considérablement, il atteindra le chiffra incroyable de 30,9 % en 1932, tandis que les salaires tombent rapidement. Ainsi, les salaires de la main-d'œuvre dans les manufactures du Québec en 1930 varient de 514,80 $ à 1 001 $ par année (Annuaire du Canada, 1931, p. 805). Et bien que le coût de la vie ait également diminué, ces salaires restent insuffisants pour vivre décemment, du moins si l'on se fie aux normes établies par le gouvernement du Québec, qui fixe à 1 072,84 $ le budget familial essentiel pour une famille de cinq personnes (Annuaire Statistique du Québec, 1931, p. 416). On est donc en droit de croire que peu de ces familles ont pu avoir accès aux douceurs de la vie moderne, telles une cuisinière électrique (63,50 $), un réfrigérateur (149 $) ou une laveuse électrique (64,50 $). D'ailleurs, Marc Choko, qui a étudié les conditions de logement à Montréal au cours de cette période, nous révèle que de nombreuses familles sont obligées de partager un logement avec d'autres pour en abaisser le coût, cette mesure ne leur permettant même pas d'en assumer les frais :
27 Enfin, à la fin de la période étudiée, la situation des ouvriers ne semble guère plus reluisante. En effet, alors que les salaires des ouvriers d'usine non spécialisés à Montréal varient de 520 $ à 1 560 $ (Annuaire du Canada, 1941, p. 712) par année en 1939, le budget familial minimum essentiel pour une famille de cinq personnes est évalué à 847,60 $ par année (Annuaire Statistique du Québec, 1940, p. 404).
28 La période 1910-1940 semble donc avoir été pour une grande partie de la population québécoise, une période de difficultés, de misères et de privations. Dans un tel contexte, il n'est pas surprenant de constater que de nombreux foyers québécois ne bénéficiaient même pas des commodités liées à la vie moderne, telles l'eau chaude, l'électricité ou le gaz. Ainsi, même si au tournant du siècle, presque tous les foyers montréalais disposaient déjà de l'eau courante, l'eau chaude tarde à envahir les foyers québécois, du moins les foyers les plus défavorisés. Une enquête effectuée par la Commission métropolitaine de Montréal en 1937, nous révèle en effet, qu'encore à ce moment, 89 % de logements sont sans eau chaude. Quant à l'électricité, offerte à l'ensemble des logements urbains entre 1900 et 1910, il semble bien qu'un grand nombre de familles ne peuvent en profiter. En effet, des statistiques publiées par le Bureau de la Statistique du Québec nous apprennent qu'en 1920, seulement 9,75 % de la population québécoise reçoit l'électricité (Annuaire Statistique du Québec, 1923, p. 312). Et ce nombre augmentera très lentement, puisqu'il n'atteindra que 13,19 % en 1930 (Annuaire Statistique du Québec, 1933, p. 366) et 13,87 % en 1940 (Annuaire Statistique du Québec, 1942-1943, p. 354). Fait intéressant à noter, cependant, l'électricité semble plus répandue dans les campagnes, où 14 % des fermes québécoises en bénéficient en 1931, et 23 % en 1941 (Bureau fédéral de la Statistique, Recensement du Canada, 1931 et 1941). Il reste à vérifier, par contre, si l'électricité a servi à satisfaire les besoins domestiques ou si elle s'est limitée aux besoins agricoles exclusivement. Enfin, pour ce qui est du gaz, nous ne disposons malheureusement d'aucune donnée concernant son utilisation domestique au Québec. Par contre, un extrait d'un manuel d'économie domestique, publié en 1938, nous laisse croire que son usage était très répandu dans les villes :
29 Il semble donc que, pour la majorité des femmes québécoises du début du XXe siècle, les principales tâches domestiques se sont déroulées sans l'aide des nouveaux appareils électroménagers offerts sur le marché. D'ailleurs, des statistiques concernant les accessoires ménagers publiées par le Bureau fédéral de la Statistique en 1948, nous permettent de mesurer la percée de certains appareils, et ce, peu après la fin de la période étudiée. Ces données nous révèlent qu'en 1948, seulement 8 % des ménages québécois utilisaient des cuisinières électriques alors que 44 % possédaient des cuisinières à bois ou à charbon et 31 % des cuisinières à gaz. D'autre part, seulement 26 % des ménages disposaient de réfrigérateurs et d'aspirateurs électriques. Quant aux lessiveuses, elles semblent avoir été davantage appréciées des ménagères québécoises, puisque 74 % en utilisaient en 1948; de ce nombre 65 % fonctionnaient à l'électricité et 8 % étaient encore actionnées manuellement. Ce qui nous amène à conclure que l'utilisation des appareils électroménagers nouveaux (à l'exception de la lessiveuse) est demeurée, pendant toute la période 1910-1940, un luxe réservé surtout aux femmes des milieux aisés. Pour ces femmes, les conditions de l'exécution du travail domestique se modifieront considérablement.
30 Les tâches liées à la préparation des repas subissent de profonds changements par suite de l'apparition de la cuisinière à gaz ou à l'électricité. Cette nouvelle cuisinière, outre le fait qu'elle diffuse une chaleur plus régulière que le poêle à bois ou à charbon, offre aussi à l'usager le grand avantage de pouvoir ouvrir ou fermer le feu à volonté. De plus, elle ne nécessite plus le transport de combustibles et facilite les inévitables nettoyages quotidiens. Par contre, les femmes qui en bénéficient se retrouvent de plus en plus isolées devant un fourneau qui n'appelle plus la sociabilité engendrée par un appareil autrefois destiné non seulement à la cuisson des aliments, mais aussi au chauffage de la maison. Comme le souligne ce manuel d'économie domestique publié en 1929 :
31 Les ustensiles de cuisine faits de métaux souvent corrosifs (fonte, ferblanc, zinc, plomb) pouvant altérer le goût et même porter atteinte à la santé cèdent la place à des objets d'aluminium légers, résistant aux acides et exigeant moins d'entretien. De plus, on peut supposer que certains ustensiles accessoires, tels que ceux recommandés par un manuel d'économie domestique en 1938 (passe-purée, presse-patates, râpe, fouetteur d'oeufs, balance, hachoir)17 contribuent à réduire le temps consacré à la préparation des repas. Cependant, il est important de souligner qu'à l'augmentation des ustensiles de cuisine correspond aussi une augmentation des tâches liées à leur entretien. Enfin, si la conservation des aliments se trouve simplifiée par l'introduction des glacières, celles-ci exigent en revanche, un entretien quotidien, comme le rappelle un manuel d'économie domestique publié en 1925 :
Cette tâche disparaîtra cependant avec l'apparition du réfrigérateur électrique qui aura de plus l'avantage de dispenser de nombreuses ménagères de la mise en conserve des aliments. Par contre, les tâches découlant de l'achat de produits alimentaires préparés s'amplifient, au fur et à mesure que le marché se diversifie et se complexifie. La ménagère modèle devra dès lors surveiller attentivement les prix et la qualité des produits et s'approvisionner à différents endroits pour pouvoir profiter des rabais.
32 Les tâches liées à l'entretien ménager se modifient aussi considérablement. D'une part, la corvée du nettoyage devient plus facile après l'introduction des commodités dans la maison, notamment l'électricité et l'eau courante. En effet, la disparition des poêles à bois et des lampes à l'huile dégageant une fumée graisseuse, de même que du transport des combustibles et de l'eau à l'intérieur des maisons entraîne une diminution de la saleté. D'autre part, l'apparition de l'aspirateur vient simplifier les tâches liées à l'enlèvement de la poussière, mais ne dispense cependant pas les ménagères des nettoyages périodiques en profondeur, comme le rappelle ce manuel d'économie domestique :
33 En fait, il semble que ce soit surtout en ce qui concerne l'entretien des vêtementsque les dévelopements technologiques aient facilité la tâche des ménagères. La corvée de la lessive, surtout, s'est passablement allégée. En effet, avant l'apparition de l'eau courante et de la lessiveuse, la lessive requérait un effort physique ardu et nécessitait beaucoup de temps. Meg Luxton, qui a effectué une enquête auprès de trois générations de ménagères américaines, nous révèle qu'en 1929, la journée du lavage (habituellement le lundi) débutait à 4 h 30 le matin et se terminait à 19 h, alors que les ménagères ne commençaient leurs autres journées qu'à 6 h 30. Pendant cette journée, les femmes devaient travailler dans une pièce surchauffée, transporter de lourds baquets d'eau et frotter les vêtements sur une planche à laver.20 Il n'est donc pas surprenant de constater que les ménagères québécoises, sans doute soumises aux mêmes conditions de travail, furent promptes à se procurer des lessiveuses. Grâce à l'introduction des lessiveuses, la lessive exigera moins d'efforts physiques, mais le temps consacré à cette activité n'en sera pas énormément réduit pour autant puisque ces appareils ne supprimeront pas certaines opérations, telles le trempage, l'essangeage et l'ébullition.
34 Le repassage des vêtements s'est aussi beaucoup simplifié avec l'apparition du fer à repasser électrique. Alors que les fers en fonte devaient être réchauffés au moins toutes les cinq minutes sur le poêle, ce qui signifiait, outre le danger constant de se brûler, de devoir travailler à une température ambiante élevée (surtout l'été) le fer à repasser électrique, moins lourd, élimine non seulement des efforts physiques intenses, mais aussi une partie du déplaisir lié à cette tâche. Mais il semble que son utilisation pose encore quelques difficultés, du moins si l'on en croit ce manuel d'économie domestique publié en 1938 :
35 Enfin, pour ce qui concerne la confection des vêtements, la machine à coudre électrique a permis une réduction des efforts requis pour confectionner des vêtements, notamment par l'abolition du pédalier. De plus, on peut penser que les tâches liées à la confection tendent à se réduire de plus en plus, à mesure qu'apparaissent sur le marché des articles de lingerie et des vêtements prêts-à-porter, comme le souligne ce manuel d'économie domestique publié en 1938 :
36 En somme, les conditions propres à l'exécution des tâches domestiques semblent s'être améliorées au cours de la période, du moins pour les femmes ayant les moyens de disposer des nouveaux appareils et services offerts sur le marché. Mais ces innovations ne semblent pas avoir eu que des effets bénéfiques pour les femmes québécoises des années 1910-1940. En effet, l'amélioration constante de l'appareillage domestique entraînera une nouvelle définition de l'organisation du travail de maison.
37 Le mouvement des sciences domestiques qui émerge au Québec en 1882, avec la fondation de l'École ménagère de Roberval, inaugure la professionnalisation du travail ménager. D'abord rural, l'enseignement ménager s'étend par la suite aux villes, de sorte qu'en 1930 on compte 160 écoles ménagères au Québec23 où des milliers de femmes québécoises entrent en contact avec les nouveaux concepts de rationalisation du travail, de même qu'avec les nouvelles théories hygiénistes et nutritionnistes.
38 Par l'intermédiaire de l'enseignement ménager, l'organisation «scientifique» du travail domestique, inspirée des principes d'efficacité industrielle, s'impose peu à peu aux ménagères québécoises. À cet égard, Paul de Vuyst soulignait d'ailleurs, lors du deuxième congrès d'enseignement ménager en 1934, que :
Pour les ménagères québécoises, la gestion scientifique du travail domestique s'avérera un travail nouveau, appelant l'établissement d'un horaire détaillé des tâches quotidiennes et hebdomadaires. Dès lors, les nouveaux appareils ménagers seront perçus comme un moyen d'appliquer les principes d'organisation industrielle du travail aux tâches domestiques :
39 D'autre part, comme le rapporte Barbara Ehrenreich,26 la théorie des germes dans la maladie, découverte par les bactériologistes vers 1890 et largement diffusée par l'enseignement ménager, allait transformer le ménage en véritable croisade sanitaire. Selon cette théorie, la poussière, principal porteur de germes dans une maison, pouvait engendrer la maladie et même la mort. Nul doute qu'à une époque où la mortalité infantile était très élevée, cette théorie dut exercer une influence considérable sur l'imagination populaire. Les ménagères québécoises se verront dès lors investies d'une nouvelle mission : sauvegarder la santé de la famille. Et les manuels d'économie domestique se feront un devoir de leur rappeler l'importance de cette mission :
À la faveur de cette théorie, l'entretien ménager se transformera en occupation si élaborée, que de nombreuses femmes, même parmi les mieux nanties, jugeront désormais cette tâche trop scientifique pour être accomplie par des femmes sans éducation. Appelées à une vigilance de tous les instants, elles devront donc procéder à un nettoyage de plus en plus minutieux, tant de la maison :
que des vêtements :
Malgré un appareillage mieux adapté, les tâches liées à l'entretien ménager nécessiteront donc de plus en plus d'efforts et de temps.
40 Enfin, à la lumière des théories nutritionnistes que contribue à véhiculer l'enseignement ménager, la préparation des repas exige de plus en plus de «rigueur scientifique». Désormais, il faut savoir composer des menus équilibrés, comme en témoigne ce manuel d'économie domestique publié en 1938 :
Ainsi, il importe d'utiliser des mesures précises, de doser les assaisonnements avec exactitude, de savoir apprêter les restes de manière appétissante et dresser une table invitante puisque l'alimentation est désormais perçue comme un facteur de santé et de bien-être.
41 De sorte que, même avec l'aide de nouveaux appareils qui leur facilitent la tâche, les femmes québécoises des années 1910-1940 ne verront pas leurs tâches domestiques diminuer. Bien au contraire, l'élévation des critères de propreté et d'alimentation aura pour effet de les pousser à accroître leur productivité, à faire toujours plus et mieux. D'ailleurs, le témoignage d'une ménagère américaine, publié dans le Ladies' Home Journal de mai 1930 nous semble pouvoir s'appliquer tout aussi bien aux femmes québécoises de cette époque. Cette ménagère livrait ainsi ses réflexions sur l'expansion du travail ménager :
Expansion soulignée aussi par Johann Vaneck qui a réalisé une étude à partir de données compilées par le U.S. Bureau of Home Economies concernant le temps hebdomadaire de travail ménager des femmes américaines entre 1920 et 1960. Selon J. Vaneck (Scientific American, novembre 1974, p. 116-117), on note une grande stabilité dans la durée d'accomplissement des tâches ménagères au début du XXe siècle, les ménagères consacrant environ 52 heures par semaine aux travaux ménagers en 1924, 51 heures en 1926 et en 1927; 53 heures en 1929 et 52 heures en 1936 comme en 1943. Nous croyons que ces données peuvent aussi s'appliquer aux ménagères québécoises, soumises aux mêmes influences que les femmes américaines.
42 La technologie relative au travail domestique semble donc avoir surtout modifié l'organisation du quotidien, sans améliorer pour autant la qualité de vie des ménagères québécoises. En effet, si l'énergie physique requise par le travail ménager a considérablement diminué au cours de la période, les variations positives ou négatives du temps de travail liées à l'équipement domestique paraissent, pour leur part, négligeables.
43 Entourées d'une kyrielle d'appareils et de produits supposés leur économiser temps et énergie, les ménagères québécoises n'en continueront donc pas moins à accomplir des tâches astreignantes et d'autant plus répétitives que les nouveaux appareils électroménagers constitueront en fait une invitation au travail. À cet égard, Barbara Ehrenreich souligne d'ailleurs que les appareils domestiques, loin d'épargner du temps, rappellent sans cesse à leurs utilisatrices les exigences accrues auxquelles elles doivent répondre quotidiennement :
Enfin, ne pourrait-on pas imputer une certaine dévalorisation sociale du travail domestique après l'introduction de ces nouveaux appareils? Il semble en effet que les savoirs et habiletés autrefois requis par les tâches ménagères auront tendance à disparaître, cédant progressivement la place à l'utilisation d'un appareillage perfectionné à propos duquel la publicité laisse croire qu'il suffit d'appuyer sur un bouton pour que le travail s'accomplisse tout seul et même mieux que ne le pourrait la meilleure ménagère.
44 D'ailleurs, la situation du travail domestique ne s'apparenterait-elle pas de plus en plus aux conditions de la production industrielle : aliénation face à des instruments de travail dont la ménagère connaît mal ou pas du tout le mécanisme, gestes fragmentés, opérations parcellisées et monotones, et surtout isolement face à un appareil qui remplace l'entraide féminine traditionnelle?
Le présent article a d'abord été rédigé pour un séminaire du deuxième cycle intitulé « Culture matérielle II : vie domestique » à l'Université Laval, en 1988. L'auteure remercie le Service canadien des parcs, région de Québec, de lui avoir prêté les catalogues Sears-Roebuck et Mad. Jocelyne Mathieu pour ses précieuses suggestions.