The functional typology of furniture developed from the teaching of Georges-Henri Rivière and set down by Suzanne Tardieu in her work on the subject published in 1976 divides furniture into two major categories: "containing" furniture and "supporting" furniture. Each of these categories raises questions about their composition, with respect both to structure and to function. As an affirmation of the need of both nomadic and sedentary peoples to own their belongings, containing furniture was logically the first kind of furniture to become a part of daily life. First built horizontally, it met the many needs for multipurpose containers and accessories for persons and property. As it began to be built vertically, however, it progressively affirmed a permanence in modes of living. Content is more characteristic of containing furniture than structure, although structure determines storage capacity. Some furniture is thus distinguished by contents consisting of things made of flexible material, or of things made of rigid material, in accordance with a more or less homogeneous organization. A consideration of the structural and functional characteristics of furniture leads to an analysis of ways of life. Thus, a chest may be seen as a piece of furniture that signifies a certain mobility, whereas a wardrobe represents greater stability. Combined quantitative and qualitative factors also reveal different organizations of domestic interiors, which depend on the social environment to which the owners of the household belong. The evolution of material goods in the organization of daily life discloses the interplay of social modes, like the interplay between the hidden and the apparent.
La typologie fonctionnelle du mobilier élaborée à la suite de l'enseignement de Georges-Henri Rivière et fixée par Suzanne Tardieu dans son ouvrage paru sur le sujet en 1976 présente deux grandes catégories de meubles: les meubles contenants et les meubles supports. Chacune de ces catégories incite à s'interroger sur leur composition même, tant par la structure que par la fonction. Affirmation du besoin de propriété de ses biens par le nomade comme par le sédentaire, les meubles contenants seraient en toute logique le premier type de meuble à avoir fait partie de la vie quotidienne. Construits d'abord sur un plan horizontal, ils auraient répondu à des nécessités multiples de contenants polyvalents et de supports des personnes et des biens. Leur évolution les ayant transformés vers un plan vertical, ils auraient progressivement affirmé une permanence des manières d'habiter. Mais plus que par leur structure, les meubles contenants se caractérisent par leur contenu, la structure conditionnant les possibilités de rangement. Certains meubles se distinguent donc par des contenus d'objets à matérialité souple, ou d'autres à matérialité rigide, selon une organisation plus ou moins homogène. L'addition des caractères des meubles dans leur structure et leur fonction, conduit à une analyse des genres de vie. Le coffre pourra ainsi se révéler un meuble significatif d'une certaine mobilité, alors que l'armoire traduira plus de stabilité. Les facteurs quantitatifs et qualitatifs combinés dénonceront aussi des organisations différentes des intérieurs domestiques, selon l'appartenance aux divers milieux de vie des communautés. Et la trame évolutive des biens matériels dans l'organisation du quotidien montrera des jeux de modes sociales comme celui du caché et de l'apparent.
1 Des intérêts partagés entre la culture matérielle et les coutumes, tant en France qu'au Québec, nous ont conduite vers une étude comparative d'inventaires de biens après décès de la région de Québec et de la châtellenie de Mortagne-au-Perche,1 centre primordial de recrutement pour la colonie du Canada.2
2 À la suite de Micheline Baulant,3 nous nous sommes interrogée sur l'enregistrement des données d'un tel type de document, tenant compte de sa richesse mais aussi de ses limites. Une saisie mécanographiée à partir d'une grille descriptive conçue spécialement pour les fins de cette étude a donc permis d'établir des fréquences et des rapports de récurrence. Les tableaux ainsi obtenus présentent donc toujours les données en comparaison directe (France ou F et Québec ou Q) selon six périodes couvrant le régime français de la colonie.
3 Pour la France, notre recherche repose sur trois périodes stratégiques: la période d'émigration (avant 1680), la charnière des siècles (1690-1710) et la fin du Régime fran-çais au Canada (1740-1760). Pour le Québec, trois autres périodes sont intercalées (1673-1689, 1711-1739 et 1761-1782), afin de bien suivre la continuité des géné-rations. Cinq cent cinq inventaires de biens après décès composent le corpus, soit deux cents percherons et trois cent cinq québécois. Ils sont inégalement répartis dans chacune des périodes, leur nombre étant conditionné par la disponibilité des documents (il y a respectivement 13, 57, 130 inventaires pour les trois périodes françaises et 5, 12, 42, 98, 93, 55 inventaires pour les six périodes québécoises). La représentativité des inventaires de biens après décès a été maintes fois remise en cause. Mais, à l'instar des chercheurs tant français que québécois qui se sont penchés sur la question, nous soutenons que ce type de document, malgré sa complexité et ses lacunes, demeure d'une richesse indéniable et doit être absolument considéré dans les études en ethnologie.4
4 Les meubles sont les premières composantes de l'intérieur domestique, car c'est par eux et autour d'eux que s'organise la vie quotidienne de la famille.
5 Le sens premier du mot mobilier tient de son apparentement à movere qui signifie mouvoir. En principe, un meuble est donc un objet mobile. C'est aussi la définition rapportée par Suzanne Tardieu se référant au code civil français: «Sont meubles par nature les corps qui peuvent se transporter d'un lieu à l'autre, soit qu'ils se meuvent par eux-mêmes comme les animaux, soit qu'ils ne puissent changer de place que par l'effet d'une force étrangère.»5 Les ouvrages sur le mobilier se sont élaborés autour de ces choses inanimées. Les dictionnaires d'Eugène-Emmanuel Viollet-Le-Duc, d'Henry Havard et de Guillaume Jeanneau ont d'abord profilé les genres et les styles du mobilier en général. Plusieurs études, comme celles de Joseph Stany-Gauthier et de Gabriel Jeanton, ont présenté des caractères régionaux, mais très peu d'entre elles se sont attardées au Perche proprement dit; il nous faut donc nous référer au corpus normand auquel il est rattaché. La plus récente publication sur le mobilier normand, celle de Suzanne Tardieu-Dumont réalisée en collaboration avec Solange Cuisenier et Annie Watiez6 reprend la typologie énoncée dans Le mobilier rural traditionnel français7 qui s'élabore autour de deux fonctions principales: contenir et supporter (tableau 1).
6 Pour cette classification, Suzanne Tardieu s'est inspirée de l'enseignement de Georges-Henri Rivière.8 C'est en effet à sa suite qu'elle a approfondi un premier classement morphologique fonctionnel du meuble traditionnel français.9 La typologie qu'elle propose dans son ouvrage sur Le mobilier rural traditionnel français10 rejoint trois niveaux de fonctions: un premier niveau basé sur la morphologie du meuble (fait pour contenir, fait pour supporter); un deuxième relié à sa fonction directe qui répondrait à la question «quoi» (contenir la vaisselle, les aliments, le linge et supporter le corps ou le matériel); et un troisième niveau indirect et complémentaire pour répondre à la question «pourquoi» (pour préparer, conserver, ou pour s'étendre, s'asseoir, rester debout). Ce dernier niveau, en ce qu'il est appliqué aux supports, traduit une influence notable de la théorie de Marcel Mauss sur les techniques du corps.11
7 À première vue, il apparaît que les meubles contenants précédaient en importance les meubles supports, tout simplement parce que dans une perspective évolutive, l'homme transforme progressivement sa situation de vie de nomade à celle de sédentaire et, dans un cas comme dans l'autre, il concrétise ce besoin élémentaire d'identifier une appropriation de biens par un regroupement matériel allant du bagage au complexe mobilier.
8 L'ensemble des meubles contenants se divise selon trois catégories structurales: les meubles contenants fermés à l'horizontale composent la famille des coffres, les meubles contenants fermés à la verticale appartiennent à la famille des armoires et les meubles contenants ouverts regroupent les rangements en tablettes découvertes, c'est-à-dire sans sytème de fermeture tel que des portes. Les attestations de chacun de ces meubles ont été additionnées par période sur les deux territoires, français et québécois; la division des totaux par le nombre d'inventaires donne la moyenne par période. Ces données apparaissent dans la présentation détaillée des meubles les plus courants (tableau 2).
9 Il n'y a pas de surprise à trouver les coffres en première place des attestations quantitatives du mobilier. Ce meuble, qui a su d'abord servir le nomadisme des hommes avant leur sédentarité, répond à la définition technique énoncée parSavary des Bruslons: «Espèce de caisse de bois, ordinairement couverte de cuir et ornée de fleurs ou de compartiments de petits clous à tête argentée. »12
10 Le coffre conserve d'ailleurs parfois son appellation de caisse; le bahut, souvent confondu avec le coffre proprement dit, se particularise par son couvercle bombé, tandis que le coffre-fort se distingue par son armature de renforcement métallique. Quant au demi-coffre, il ne se différencie que par ses dimensions plus réduites.
11 Du coffre est née la commode qui se situerait d'après la définition d'Henry Havard13 entre le coffre et l'armoire, tenant son nom de la nouvelle commodité d'ouverture par tiroirs. Les effets rangés ne sont plus d'une seule venue, sont mieux placés et d'accès plus facile puisque le meuble monté sur pieds offre une meilleure portée. Attestée pour la première fois dans le dictionnaire de Trévoux en 1771,14 ce n'est qu'à la cinquième période déterminée pour cet ouvrage qu'elle apparaît (18 fois) dans les inventaires mortagnais, soit au milieu du XVIIL siècle. Au Québec, la commode est rarissime, car elle ne ressort qu'à trois reprises durant la cinquième période et une seule fois à la période suivante. Ceci vient confirmer les propos de Robert-Lionel Séguin concernant la rareté de ce meuble sous le Régime français.15 Nicole Genêt, Luce Vermette et Louise Décarie-Audet sont d'avis que la commode apparaît en Nouvelle-France au début du XVIIIe siècle.16 Jean Palardy se réfère aux recherches de E.-Z. Massicotte qui «déclare que la commode n'apparaît au Canada qu'après 1750».17 Les premiers documents qui attestent la présence de commodes dans cette étude datent de 1 '42. Il s'agit de deux inventaires de biens après décès faits l'un chez un bourgeois de Québec, l'autre chez un artisan de la même ville. Les quatre commodes québécoises retrouvées en 1742 et 1768 appartiennent à des habitants urbains, bourgeois (2) ou artisans du fer (2).
12 II est surprenant de constater qu'à aucune période la huche ne soit présente dans toutes les maisons (tableau 3).
13 La panification n'exigeait-elle qu'un simple plateau de travail, peu importe que ce plateau appartienne à la huche ou à un autre meuble? Préférait-on remiser la farine uniquement au grenier en allant s'y approvisionner au lui et à mesure des besoins? N'y avair-il pas de simples coffres qui conservaient grains, céréales et moutures? Et il ne faut tout de même pas oublier tous ces boulangers de village, particulièrement à Mortagne.
14 La famille structurale des coffres ou, selon la définition, des caisses offre une plus grande variété en France qu'au Québec. Ce sont les coffres proprement dits et les huches qui dominent en terre coloniale, à moins que par manque de précision ou de connaissances, les notaires n'aient pas distingué les types de coffres, comme le croit aussi Bernard Audet.18 C'est une question très importante, particulièrement en ce qui regarde les bahuts. Étaient-ils vraiment si rares en Nouvelle-France? Il semblerait que déjà au niveau du vocabulaire, les notaires français se soient souciés de plus de précision en appelanr les meubles par leurs noms distinctifs.
15 Comme le montre le tableau 4, il y a presque toujours deux fois plus de coffres en France qu'au Québec. Les sites établis depuis longtemps offrent bien normalement une plus grande quantité d'objets à ranger. Pour cette même raison, la courbe évolutive française accuse un peu plus de stabilité. Si les maisons mortagnaises comptent près de trois coffres par maison même à la moitié du XVIIIe siècle, les maisons québécoises ont augmenté progressivement leur nombre, puis régressé légèrement. Il faut donc soup-çonner une accumulation de biens, mais aussi s'interroger sur les autres modes de rangement, particulièrement quant à l'insertion des contenants verticaux du type de l'armoire.
16 L'armoire est ce «meuble fermé, peu profond, haut et large, à un ou plusieurs vantaux»19 qui prend différentes appellarions pour signaler ses particularités.
17 Double et de vaste dimension, elle prend le nom de «paire d'armoires» ou «paire de presses». Jean Palardy apparente la paire d'armoires au buffer à deux corps,20 tout comme Bernard Audet21 et les auteures des Objets familiers de nos ancêtres.22 Havard avait ainsi défini la presse: «En Normandie et en Bretagne [...] a longtemps désigné une sorte de meuble en forme d'armoire, ayant un tiroir au-dessous de chacune de ses deux portes.»23 La presse, comme l'armoire, étant composée de deux corps progressivement jusqu'au XVIIIe siècle, leur appellation de «paires» leur a valu la même signification. Il faudra vérifier si la structure de ces meubles les confond vraiment.
18 Au XVIIIe siècle, l'armoire emprunte plusieurs appellations. Les définitions annotées dans les dictionnaires ne distinguent pas toujours clairement les particularités de chacune. Le cabinet serait à l'origine un meuble à casiers ou à tiroirs,24 mais au XVIIIe siècle, l'usage l'aurait confondu avec l'armoire; le placard et la dépense appartiendraient aux meubles emmurés;25 quant au garde-manger et au buffet, ils proposenr une fonction similaire, mais leur forme est mal définie.
19 De toutes ces variantes, c'est la paire d'armoires, la paire de presses et le cabinet qui ravissent les premières places à Mortagne. Cependant, entre la troisième et la cinquième période, un changement de vocabulaite s'opère: la paire d'armoires diminue au profit de la paire de presses et de la simple armoire. Encore à la cinquième période, le cabinet devance les autres types d'armoires; le placard, le buffet et le garde-manger progressent, alors que la dépense s'installe.
20 Au Québec, comme dans le cas du coffre, l'armoire est surtout nommée dans son appellation générique; il n'y a pas de vocabulaire particularisant. Seul le buffet se distingue à partir des années 1711, puis augmente progressivement jusqu'à atteindre une importance qui dépassera celle de l'armoire après 1760. Il faut donc tempérer les affirmations de Jean Palardy sur la fréquence exagérée de ces meubles sous le Régime français canadien.26
21 Dans le cas des rangements verticaux, la différence entre le Perche et la région de Québec s'avère très grande. Il y a beaucoup plus d'armoires du côté français, mais encore près de deux fois plus de coffres que d'armoires durant les troisième et cinquième périodes françaises (tableau 2). Au Québec, il y a au moins trois fois plus de coffres que d'armoires et l'accroissement de celles-ci n'accuse aucune importance. Or, cette constatation contredit les affirmarions voulant qu'«aux XVIIe et XVIIIe siècles, l'armoire s'avère le meuble type de l'habitation car toutes et chacune en possèdent au moins une».27 Peut-être que cette dernière réalité peut s'appliquer au territoire montréalais, mais elle n'est en rien significative pour la région de Québec.
22 Comme dans le cas des coffres, la variété d'armoires esr vraiment minime à Québec. Alors que dans le Perche on passe de cinq à dix modèles du XVIIe siècle au milieu du siècle suivant, à Québec on atteint un maximum de trois variantes. En supposant que les notaires aient passé les armoires encastrées sous silence, il aurait été possible de les récupérer par leur contenu. Or, la relation mobilier emmuré et architecture, comme le propose Jean Cuisenier,28 semble plus évidente en France qu'au Québec où l'on ne dénonce ni placard, ni dépense, mais seulement quelques armoires encastrées dans la muraille (deux durant la quatrième période et cinq durant la cinquième).
23 À Mortagne, ce n'est tout de même qu'à la cinquième période que les armoires emmurées prennent une certaine importance. Alors que dans la période précédente on ne relève qu'un seul placard, les vingt années du milieu du XVIIIe siècle en comptent 25, auxquels s'ajoutent deux dépenses, deux cabinets, une paire de presses et un buffet. L'analyse de Yvan Fortier et de Marcel Gauthier à propos des meubles intégrés ou «meubles meublants» révèle des aspects d'interprétation intéressante.29 D'une part, ces chercheurs font valoir la relation entre les matériaux de construction des maisons et leur capacité d'encastrement des meubles; les maisons de pierre, aux murs plus épais, seraient dans ce sens plus favorables que les maisons de bois à ce genre d'aménagement. D'autre part, l'intégration de certains meubles mobiles dits «courants» aux structures mêmes des bâtiments, ce qui les rend «meublants», les fait participer à une organisation décorative qui suppose souvent une aisance relative des habitants. La présence des meubles meublants dans les intérieurs modestes suscite donc des interrogations. L'espace restreint de certaines demeures aurait pu favoriser l'installation d'un mobilier intégré. Pourtant, les résultats de cette recherche semblent afficher une autre réalité. Faudrait-il imaginer l'évolution du mobilier, du meuble «courant» au meuble «meublant», proportionnellement à l'accumulation des richesses et des facilités domestiques que procure l'enracinement territorial et culturel? C'est ce que suggère la réflexion de Robert-Lionel Séguin à propos de l'armoire: «S'il s'agit d'une maison de pierre, il arrive qu'on encastre des armoires dans la muraille. Cette pratique est courante à l'Ile d'Orléans, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle.»30
24 Les dressoirs, pentes et tablettes représentent une infime partie dans la composition de l'intérieur domes-tique. Il faut attendre le milieu du XVIIIe siècle pour observer une augmentation appréciable de ce mode de rangement en France et pour relever sa présence au Québec.
25 Le dressoir est un meuble en forme d'étagère, sur lequel on range la vaisselle pour la montrer.31 Dans ce groupe intervient donc une notion d'apparat: on étale les plus beaux objets représentant une certaine valeur dans le but de les exhiber, ce qui suppose de profiter d'une quantité de biens dépassant l'essentiel. Le temps nécessaire à l'accumulation des biens, des valeurs explique alors, malgré les doutes de Robert-Lionel Séguin,32 l'apparition tardive et rare de ce meuble.
26 Les tablettes, parfois nommées pentes, remplissent relativement les mêmes fonctions que le dressoir. Composées de plusieurs planches à la façon de ce qui sera appelé un peu plus tard une étagère,33 elles supportent différents types d'objets souvent en ajoutant encore cet aspect décoratif et même ostentatoire.
27 Mais, la commune fonction de rangement qui caractérise les meubles présentés renvoie au critère de base, la structure générale, qui correspond au premier niveau de la typologie de Suzanne Tardieu. Les distinctions spec ifiques de ces types de meubles doivent donc rejoindre les autres niveaux auxquels se rattachent les contenus. Les définitions des meubles étant souvent formulées en tenant compte des types de contenus vises pour chacun deux, il apparaît d'un intérêt capital de completer ces definitions en s'interrogeant sur ce qui s'y trouve vraiment.
28 Il est très difficile d'établir les pourcentages des types de contenus relativement aux meubles. Trop d'inconnus numériques et qualitatifs demeurent dans les inventaires. Cependant, grâce à la composante « relation » prévue dans la grille descriptive des objets, il est possible de dégager les tendances par le calcul des fréquences.
29 Les contenus se caractérisent selon deux critères principaux: leur matérialité et leur composition. Dans ce contexte, la matérialité réfère à la fois au matériau et à la technique, comme l'a entendu André Leroi-Gourhan «posant en principe que c'est la matière qui conditionne toute technique».34 La matérialité s'organise autour de deux systèmes principaux: la souplesse et la rigidité. Par souple, il faut entendre ici qui se plie, auquel on peut donner différentes formes pour fin de rangement; rigide signifie alors sans possibilitié de modifier la forme structurale. La catégorie des souples comprend surtout les textiles (fils, tissus, costume, lingerie) et celle des rigides, tous les objets de bois, de terre, de verre ou de métal (vaisselle, ustensiles et outils). La composition renvoie au regroupement dans un même meuble des types d'objets relatifs à leur matérialité, autrement dit, à l'homogénéité ou à l'hétérogénéité du contenu.
30 Cette façon de procéder propose donc des codes pour identifier les contenus dont les combinaisons possibles sont articulées autour des dominances. Ainsi, on pourra obtenir:
31 Dans les deux premiers cas, il s'agit de contenus entièrement souples ou entièrement rigides, donc homogènes. Dans les deux cas suivants, le contenu souple ou rigide domine, mais d'autres éléments viennent briser l'homogénéité; ce sera le cas des meubles contenant lingerie et vaisselle, l'un l'emportant quantitativement sur l'autre. Lorsque les objets contenus dans un meuble appartiennent autant à la catégorie des souples qu'à celle des rigides, le contenu est alors seulement hétérogène.
32 Cette codification ne s'applique cependant qu'aux nonbiodégradables. En ce qui concerne les aliments et les produits du ménage, ils ne peuvent appartenir ni à l'un ni à l'autre de ces systèmes de classification par la matière. Le tableau 5 montre les éléments combinatoires possibles des contenus.
33 Il serait vain d'espérer identifier le contenu de tous les coffres. Globalement, les contenus français sont connus au tiers en ce qui concerne la troisième période et à 50 pour cent pour la cinquième qui, en général, offre davantage de précisions. Les pourcentages québécois sont beaucoup plus variables. À l'exception de la sixième période, qui dans l'ensemble du travail se détache de la courbe normale, les contenus présentés atteignent également 30 pour cent.
34 En reprenant la codification ci-haut énoncée, il appert que les coffres sont le plus souvent réservés aux contenus souples. Car, nonobstant l'époque et le lieu, 62 pour cent des meubles de la famille du coffre sont réservés aux matériaux souples et 67,69 pour cent à tous les souples de composition homogène ou hétérogène (tableau 6).
35 Dans l'ensemble, d'un côté comme de l'autre, l'homogénéité des contenus des coffres est remarquable, ce qui signifie 71,84 pour cent d'une part et 90,72 pour cent d'autre part. Le coffre et son contenu formeraient donc une entité.
36 Dans le détail, chaque type de coffre comporte des particularités, ce qui d'ailleurs précise sa définition.
37 Les coffres proprement dits, sur lesquels les inventaires offrent le plus de renseignements, affirment explicitement leur rôle de contenant destiné à recevoir des objets de matériaux souples qui, en pourcentage, totalisent 65,04 pour cent à Mortagne et 86,59 pour cent à Québec et particulièrement de type homogène, soit 54,04 pour cent des coffres français et 85,57 pour cent des coffres québécois (tableau 7).
38 Ces coffres, auxquels s'ajoutent trois demi-coffres (un à la première période, deux à la cinquième) sont remplis de costumes rangés seuls ou avec la lingerie domestique, composant ainsi le «souple-homogène». Ce caractère dominant a également été relevé dans les inventaires de biens consultés par Suzanne Tardieu.35 Le costume n'est pas toujours détaillé; cependant, il est essentiel de le considérer globalement comme type de contenu important. La lingerie domestique comprend d'abord les draps, les taies d'oreillers, les serviettes, les essuie-mains et les nappes. À cette lingerie usuelle s'ajoutent des textiles décoratifs tels que des rideaux, des pavillons, des tapis de table et différentes parures de lit. Se mêlent aux pièces confectionnées des fibres (fils, laines...), des tissus et même du cuir.
39 L'homogénéité peut être brisée par des objets en rapport avec le groupe des souples, comme des boutons ou des articles de couture dans le cas des tissus et de la lingerie, ou comme des bijoux et objets personnels dans le cas du costume. Ces objets personnels comprennent les biens d'un seul individu comme les articles de dévotion (chapelet, livre d'heures...), les biens qui ne se partagent pas (couteau, gobelet...) et quelquefois des papiers, des livres et de l'argent sonnant. D'une certaine façon, la rupture d'homogénéité est ici partielle, puisque les petits articles dits personnels qui sont insérés entre les objets de structure souple, doivent répondre eux aussi à une maniabilité facile pour s'intégrer aux pièces de vêtements et de lingerie contenues dans les coffres. Avec un peu plus de précisions des notaires, on aurait pu arriver à vérifier si chaque individu possède son coffre, ou à quel titre et de quelle manière posséder un coffre s'avère un privilège.
40 Tous les objets de cette première catégorie sont, selon toute vraisemblance, plies et empilés. Cette façon de ranger ne s'applique évidemment pas au groupe des rigides qui se compose presque essentiellement de vaisselle. Même en procédant par superposition, la perte d'espace est inévitablement plus grande par rapport aux possibilités des souples; c'est probablement l'une des principales raisons pour lesquelles les objets rigides sont peu nombreux et peu fréquents.
41 La catégorie des biodégradables s'applique en majorité aux produits alimentaires secs, tels que les céréales, la farine et les légumineuses (pois, fèves...), qui sont déposés directement dans les coffres ou renfermés au préalable dans des poches ou dans des sacs. Cette catégorie comprend également les herbes conservées dans des tinettes ou des pots, le pain, ainsi que des produits non comestibles, comme le savon et surtout la cire. Il est à noter qu'aucun coffre n'est réservé exclusivement à des produits biodégradables au Québec.
42 Ces remarques d'ensemble valent pour les deux territoires, les variantes résidant au niveau des composantes qui font partie de l'une ou l'autre des catégories, comme les peaux qui accompagnent la lingerie et la literie dans les inventaires québécois. Il faut remarquer l'importance relative de l'homogénéité des contenus qui est véritablement brisée lorsque le meuble range plusieurs objets de natures différentes et sans rapport évident, comme de la lingerie et de la vaisselle. Les coffres présentent peu de diversité dans leur composition, particulièrement au Québec; mais en général, plus on avance dans le temps, plus la variété s'installe, multipliant ainsi les fonctions de ce meuble élémentaire.
43 Si le coffre répond à la définition de « caisse », on s'attendrait à une utilisation similaire des deux contenants. Or, dans les faits, la caisse semble être employée un peu différemment du coffre.
44 Comme l'indique le tableau 8, le « souple-homogène » domine encore, mais dans de moins fortes proportions. Le coffre contient beaucoup plus de souples que la caisse, soit, à Mortagne où la caisse est surtout relevée, 65.04 pour cent par rapport à 8.33 pour cent. Par conséquent, les contenus rigides homogènes sont plus nombreux dans les caisses (33.33 pour cent contre 12.75 pour cent). Une différence intéressante réside au niveau des biodégradables-homogènes qui ne sont relevés que dans deux caisses de la troisième période française comparativement à une seule fois lors de la sixième période québécoise. Il s'agit alors respectivement de deux caisses de chandelles et d'une caisse de pois. A l'inverse des coffres, les caisses gagneraient donc de l'homogénéité, mais perdraient aussi de l'importance, à cause de leur nombre moins élevé et de l'imprécision de leurs contenus. A la suite de ces constatations, il faut voir le sens que prendra le mot caisse qui passera graduellement du meuble au simple contenant pour enfin désigner une boîte ou une mesure de capacité.
45 Les malles et les coffres-forts ne sont pas assez nombreux pour faire l'objet de tableaux. Seulement quatre malles sont rapportées à Mortagne au milieu du XVIIIe siècle, dont deux contiennent des «souples-homogènes», soit du linge et des guenilles et une autre des ustensiles; le contenu de la dernière demeure inconnu. Une seule malle s'est trouvée placée au grenier, deux dans un cabinet et une dans la cuisine. La malle ne servirait donc pas encore vraiment au remisage.
46 Quant aux coffres-forts, leurs contenus sont des plus diversifiés et ne renferment pas nécessairement des objets de valeur. Sur les quatre relevés à la cinquième période française, l'un contient du costume, un autre des ustensiles divers, un troisième des ustensiles et une couverture. Il faut donc se demander si, à cette époque, le coffre-fort véhiculait parfois une notion de sécurité. Une seule mention caractérise la cinquième période québécoise et, malheureusement, elle n'est pas détaillée.
47 Les bahuts sont beaucoup plus nombreux en France qu'au Québec et leur fonction d'autant diversifiée.
48 Même si la première période française n'était pas parfaitement représentative, à cause du petit nombre d'inventaires qui la compose, elle accuserait tout de même 85.71 pour cent de «souples-homogènes» par rapport aux 33.33 pour cent des troisième et cinquième périodes en territoire percheron (tableau 9).
49 Cette remarque permet de poset comme hypothèse que la ptédominance des «souples-homogènes» dans les rares bahuts attestés au Québec conserve la fonction principale indiquée lors de la période d'émigration. Le XVIIIe siècle français utiliserait le bahut à des fins beaucoup plus variées, les «rigides» étant aussi nombreux que les souples, tant lors de la troisième période que lors de la cinquième. Comme pour le coffre, les biodégradables apparaissent au milieu du XVIIIe siècle et comme eux, l'homogène domine l'hétérogène dans l'ensemble (total de 17 homogènes contre 8 hétérogènes).
50 Probablement à cause de leur spécificité intrinsèque, rares sonr les huches dont le contenu est précisé (tableau 10).
51 Bien que les biodégradables, principalement la farine et le pain, mais aussi l'orge et le sel tiennent la première place, les rigides er les souples occupent une position assez importante. Plusieurs ustensiles sont rangés dans la huche, particulièrement des pots et des articles concernant non seulement le pain, mais aussi le lait. Les souples se résument généralement à des poches et à des nappes, ou encore à des guenilles. Les deux huches québécoises renferment toutes deux un seul objet: dans la première, il s'agit d'un sas et, dans la deuxième, d'une nappe. Dans le coffre, on rangerair donc les nappes de réserve avec la lingerie domestique, alors que dans la huche, on mettrait la nappe en usage quotidiennement. Une particularité québécoise reste à souligner: la présence de six fariniers, dont un dans la troisième période (1704), deux dans la cinquième (1752, 1755)et trois dans la sixième (1767, 1768, 1775). Comme son nom l'indique, ce meuble, «sorte de huche ou de coffre en bois, servait à conserver la farine».36 Il a comme équivalent la «farinière» non relevée dans les inventaires ayant servi à cette étude, mais attestée une fois par Suzanne Tardieu dans le Maçonnais.37 Trévoux la définit comme «l'endroit où l'on serre la farine»,38 tout comme Havard qui ajoute «coffre» ou «boiste».39
52 Enfin, les commodes, qui se situent entre les coffres et les armoires, présentent dès leur origine une homogénéité importante, mais sans toutefois être réservées, comme on les connaît maintenant, aux objets souples (tableau 11).
53 La commode contient donc beaucoup de lingerie et de costumes, mais aussi presque autant d'ustensiles et de vaisselle. On y trouve même du beurre. Un des avantages de la commode par rapport au coffre consiste en sa subdivision par tiroirs, qui offre la possibilité de créer des ensembles plus ou moins homogènes en les organisant par compartiments.
54 Les contenus des armoires sont un peu plus décrits que ceux des coffres (tableau 12). Il faut dire que la cinquième période, où ces meubles sont les plus nombreux, apporte en général davantage de précisions. Les explications concerneront d'abord le côté français qui bénéficie de plus de variantes que le côté québécois. Globalement, la quantité des «souples» s'équivaut d'un côté comme de l'autre. Il y a cependant moins de «rigides» dans les armoires québécoises, au profit de plus de «biodégradables».
55 La catégorie des «souples-homogènes» demeure la plus importante, suivie de celles des «souples-hétérogène^» et des «rigides-homogènes» en France, puis de la catégorie des «rigides-homogènes» et immédiatement de celle des «hétérogènes» au Québec. Il y aura donc des «souples» également dans les armoires, mais plus souvent mêlés à d'autres rypes d'objets.
56 Les armoires nommées comme telles rapportent plus de la moitié de contenus hétérogènes au milieu du XVIIIe siècle en France. Au Québec, avant d'atteindre cette même tendance à partir des années 1740, elles ont surtout contenu des «souples-homogènes» (tableau 13).
57 Ce glissement serait-il dû à l'accumulation des ustensiles qu'on jugeait plus commode de ranger sur des rablettes plutôt que de les entasser dans des coffres? Un fait est certain: la fonction de l'armoire semble évoluer plus que celle des coffres, ce qui enrraîne une modification de son contenu et peut-être une augmentation de son importance.
58 Par contre, la nature des contenus ne change pas: les souples regroupent la lingerie et le costume, alors que les rigides comprennent les ustensiles et la vaisselle. L'armoire ayant quelques facilités de rangement, on y trouve des corbeilles, elles-mêmes remplies de petits articles comme des rubans ou des fourchettes, des boîtes, des pots, des bouteilles, etc. Les biodégradables tout de même relativement rares se limitent au beurre, au fromage et aux bougies. Au Québec, un peu de vaisselle (soit quelques assiettes, quelques plats et quelques bouteilles et pots) s'ajoute à la lingerie domestique. Du sucre, du café, des chandelles et du savon font à l'occasion partie de contenus hétéroclites.
59 Il est difficile de percevoir l'organisation véritable des armoires. Les tablettes ne sont pas toujours mentionnées; les haut et bas d'armoires ainsi que les tiroirs ne sont pas toujours précisés.
60 Par définition, la paire d'armoires ou paire de presses comprend des tiroirs. Elle est plus importante en France lors des première et troisième périodes, avant de diminuer au profit de la simple armoire à la cinquième. La seule mention de paire d'armoires qui figure au Québec, à la troisième période, n'a pas suscité un intérêt suffisant pour que le notaire en précise le contenu.
61 Les paires d'armoires sont plus nombreuses que les paires de presses jusqu'au milieu du XVIIIe siècle, période à laquelle cette majorité bascule; les presses deviennent alors les plus importantes de toutes les armoires proprement dites. Employés généralement comme synonymes, les deux termes désignent une même réalité et font référence en principe aux mêmes contenus.
62 En pratique, les souples dominent toujours dans l'une comme dans l'autre, mais la tendance relevée pour les armoires s'applique à la même cinquième période aux paires de presses qui évoluent vers des contenus plus hétéroclites (tableau 14). Une seule demi-presse s'ajoute à ce moment-là; son contenu est alors dans la ligne de la ten-dance, soit «souple-hétérogène».
63 Beaucoup de lingerie occupe ces types d'armoires. En plus de la vaisselle et des ustensiles, on y trouve aussi des articles relatifs à l'éclairage, comme des chandeliers, des flambeaux, des lanternes et quelques objets divers tels un écritoire et du papier. Parmi le contenu hétéroclite des deux paires de presses de la cinquième période, on relève dans la première des petits sacs de pois blancs et des lentilles et, dans une des fenêtres de la deuxième, deux pots de beurre salé. Cette précision supposerait que les parties du meuble seraient consacrées à des types d'objets diffé-rents. Par exemple, le souple se trouverait dans le bas de l'armoire ou dans un tiroir et le rigide, dans le haut à fenêtres.
64 La mince présence des biodégradables dans ce type d'armoire au milieu du XVIIIe siècle laisse entrevoir la possibilité de spécialisation des fonctions. En effet, c'est à cette même période que les types d'armoires se multiplient.
65 Les cabinets suivent une courbe progressive, doublant leur nombre seulement pendant la première moitié du XVIIIe siècle. Comme les placards, les dépenses et les garde-manger, ils sont complètement absents au Québec.
66 Les cabinets suivent eux aussi la tendance évolutive des armoires; leur contenu d'abord relativement homogène se modifie vers le milieu du XVIIIe siècle pour gagner en hétérogénéité. Ce sont toujours les mêmes éléments qui composent les «souples» et les «rigides» et les biodégradables réfèrent encore au beurre, au fromage et aux bougies. On mentionne deux demi-cabinets à la cinquième période, mais leur contenu n'est pas précisé.
67 Les placards qui font partie des meubles emmurés sont, avec les dépenses, des rangements dont la fonction est clairement précisée. À l'exception du seul placard de la troisième période qui rassemble un contenu hétérogène, les placards et les dépenses sont réservés à la vaisselle et aux ustensiles (tableau 15).
68 Le sens du mot dépense, «lieu où l'on conserve les provisions»,40 pourtant attesté dès le XVIIe siècle, ne se perçoit pas ici car, mis à part un pot de confitures, les deux seules mentions ne réunissent que de la vaisselle et des ustensiles, en l'occurrence des plats, des assiettes, un étuvoir...et une lanterne.
69 Le cas du garde-manger est similaire. Comme son nom l'indique, on devrait y trouver des aliments; or, le seul dont on connaisse le contenu rapporte du «rigidehomogène», avec ses quatre bouteilles et ses deux boîtes. Très peu de nourriture est inventoriée; considérait-on cette dernière de valeur trop négligeable pour la souligner? Plus de vingt autres garde-manger ont été attestés dans les documents percherons, mais dans aucun cas, à une époque ou à une autre, a-t-on pris la peine d'en détailler le contenu. Peut-être s'agissait-il alors de nourriture courante qui n'ayant pas la valeur des réserves, elles inventoriées, était tout simplement ignorée dans l'inventaire des biens.
70 Le buffet n'a pas vraiment de fonction clairement définie comme la dépense. Sur les 11 buffets de la cinquième période française (tableau 16), les seuls des 34 relevés sur le territoire percheron, 63.33 pour cent rapportent des contenus rigides, soit de la vaisselle de consommation et de service (assiettes, écuelles, plats, salières, huiliers, etc.). Les «souples» sont cependant encore présents, bien que dans une moins forte proportion; ils consistent en draps, nappes, essuie-mains et même en pièces de costume. Le seul élément biodégradable trouvé clairement dans un buffet est un pot de sel, sinon il est facile de supposer que les huiliers contenaient de l'huile et les salières du sel, en somme les assaisonnements usuels de la table.
71 Au Québec, le buffet apparaît dans le deuxième quart du XVIIIe siècle et progresse de façon assez importante, considérant les proportions de sa présence avec le nombre des inventaires par période (7,14 pour cent, 16,12 pour cent, 30,90 pour cent). Cependant, son contenu est encore moins bien défini puisqu'on n'en connaît que deux sur 39. De plus, ces deux contenus sont complètement différents, l'un appartenant aux souples, l'autre aux rigides, leur seul lien étant l'homogénéité (tableau 16).
72 En somme, le tableau d'ensemble de la fonction des meubles contenants fermés (tableau 17) n'a de ressemblance véritable sur les deux territoires qu'au niveau des tendances.
73 La catégorie des «souples» s'avère le principal contenu de tous ces meubles, mais selon des distributions variables dans la composition, le Québec ayant d'ailleurs tendance à privilégier davantage cette catégorie.
74 Les coffres sont généralement utilisés pour une seule catégorie d'objet. Au Québec particulièrement, ils contiennent uniquement des «souples», soit du costume, des textiles et de la lingerie domestique. Les armoires sont beaucoup moins spécialisées. Leurs contenus sont presque autant hétérogènes qu'homogènes, mais le Québec révèle encore un peu plus d'homogénéiré que le Perche.
75 Les notaires ont détaillé 60 pour cent des contenus des dressoirs et des tablettes. En accord avec sa définition, le dressoir supporte de la vaisselle, des pots et des bouteilles dans 76,92 pour cent de ces enumerations. Ce pourcentage est assez important pour confirmer de nouveau la fonction principale de cet élément mobilier. Quelques autres dressoirs, de même que des pentes et des tablettes servent à ranger des livres et des outils. A Québec, le contenu d'aucun des trois dressoirs n'est spécifié; cependant, l'un d'entre eux accompagne un buffet, ce qui pourrait supposer qu'il supportait de la vaisselle. La structure et l'emplacement de ces rangements ouverts pourront permettre de mesurer la place plus ou moins importante de l'étalement des objets.
76 Parmi les meubles contenants, comme ce sera aussi le cas pour les autres types d'objets, il y a des caractères spécifiques aux différentes communautés territoriales qui renvoient à l'intégration de chaque élément dans les maisons. Ce sont donc ces caractères qui dévoilent des priorités culturelles et des facettes d'organisation de vie quotidienne.
77 Dans la châtellenie de Mortagne comme dans la région de Québec, le coffre tient la première place des meubles contenants. C'est en effet le meuble le plus élémentaire, car il peut répondre à plusieurs fonctions par sa structure même; composé d'une caisse et d'un plateau, le coffre sert non seulement à contenir mais aussi à supporter les hommes et les choses. Le coffre représente une entité de biens: on se déplaçait avec son coffre, comme le souligne Henry Havard.41 On peut alors supposer que les immigrants percherons ont pu arriver avec leurs coffres. «Il apparaît que le coffre était, de loin, le meuble le plus important et le plus répandu. Dans bien des cas, le coffre qui est mentionné dans les inventaires était probablement celui dans lequel l'immigranr avant rangé tous ses effets personnels à son départ de France.»42
78 Il faut cependant noter une distinction intéressante: la variabilité du nombre de coffres proprement dits par rapport à la comptabilisation des coffres comme type ou famille de meubles. En effet, si on examine les coffres proprement dits, attestés aux périodes trois et cinq à Mortagne et à Québec, on observe qu'il y en a deux fois plus à Québec qu'à Mortagne entre les années 1690 et 1710, alors que cinquante ans plus tard c'est presque l'inverse qui se produit, Mortagne ayant plus que doubler ses effectifs par rapport à Québec (tableau 18).
79 Par contre, le nombre de meubles du type ou de la famille du coffre demeure relativement stable sur les deux terrains. À Mortagne, il appert que les caisses, coffres-forts et demi-coffres ont diminué au profit des coffres apparemment plus massifs [il y a six fois plus de coffres (186) à la cinquième période qu'à la troisième (31); deux fois moins de caisses (53.25) et de coffres-forts (7.4) et trois fois moins de demi-coffres (11.3) toujours pour les mêmes périodes], en même temps que certains coffres spécialisés, comme la huche, augmentent [près de trois fois plus à la cinquième période (105) qu'à la troisième (3.8)]. À Québec, c'est à la quatrième période, entre les années 1711 et 1739, que le coffre proprement dit atteint son apogée, juste après l'apparition timide du bahut (les deux premiers bahuts sont relevés à la troisième période, entre 1690 et 1710).
80 Cette apparition tardive coïncide avec une augmentation progressive du bahut percheron; faut-il croire à une légère croissance de popularité? Pourtant, selon les attestations dans les dictionnaires, ce meuble est très ancien; mais comme il parrage certains caractères avec le coffre, par exemple un recouvrement de cuir et un décor clouté, il a entraîné une certaine confusion. Que Québec en rapporte si peu s'explique de deux manières: soit par l'absence réelle du meuble, soit par le non-emploi de son appellation spécifique. En supposant que les intérieurs québécois n'aient compté que de rares bahuts, on pourrait en attribuer la cause à sa particularité strucrurale, soit son couvercle bombé, qui ne permet pas de remplir la fonction de support, si pratique pour des communautés qui ont peu de tables (de 1690 à 1782, on en compte 0,59, ce qui représente moins d'une table multifonctionnelle par famille). Cette question ne se pose pas pour Mortagne. L'autre hypothèse, d'ordre linguistique, rejoindrait certaines préoccupations de chercheurs travaillant sur les modes de langage québécois (par exemple les groupes de recherches rattachés au Centre d'études sur la langue, les arts et les traditions populaires des francophones de l'Amérique du Nord à l'université Laval), entre autres au-tour du phénomène des généralismes. En effet, plusieurs termes utilisés au Québec expriment d'abord les objets selon leur type, auquel on ajoute des particularités matérielles; ainsi, un coffre à couvercle bombé serait synonyme d'un bahut. Seuls des meubles à fonction très spécialisée, telle la huche, font parfois exception.
81 La huche a toujours été présentée comme un meuble consacré, symbole d'une réponse à un besoin élémentaire qu'esr le pain quoridien. La compilation des données démontre pourtant que, d'une part, la huche n'est pas vraiment indispensable puisqu'elle ne pénètre jamais dans toures les maisons er que, d'autre part, la règle d'autosuffisance, appliquée surtout chez les agriculteurs, n'est pas absolue, étant donné que les villes bénéficient de plus de services extérieurs que les campagnes. À Mortagne, il y avait au moins les boulangers rapporrés dans les inventaires: à Québec, il y avait ceux présenrés par Joseph-Noël Fauteux dans son Essai sur l'industrie an Canada sous le Régime français.
82 Mais les coffres, dont on peut préjuger que le nombre s'accroît avec la quantité de biens, ne sont pas les seuls à signaler une progression matérielle, car un autre meuble vient leur faire la lutte:44 l'armoire. D'origine bourgeoise, l'armoire subit ce qui est convenu d'appeler le décalage, d'une part à l'intérieur d'une même société, d'autre part entre deux sociétés. Les auteurs français er québécois qui se sont intéressés au mobilier sont d'accord pour affirmerque l'armoire s'est progressivement répandue parmi le peuple au cours du ⅩⅧe siècle et plus particulièrement duranr sa deuxième moitié. C'est ce qui ressort également des corpus étudiés. Si un tel décalage peut se vérifier à l'intérieur d'une même société, à plus forte raison se dégage-t-il entre une métropole et sa colonie, alors que s'ajoute une distance spatio-temporelle à des conditions de vie relativement précaires.
83 Mais ce décalage voile une autre dimension en regard du type de contenu. Georges-Henri Rivière note à ce propos le rapport direct qu'on peut établir entre l'augmentation des ustensiles et l'apparition de l'armoire.45 En effet, les tableaux compilatifs des données montrenr un accroissement du nombre des ustensiles aux mêmes périodes que se multiplient les armoires. Il raur se rappeler que les armoires présentent en majorité des contenus rigides et que les modes de disposition qu'elles proposent s'avèrent plus adéquats en raison de leur organisation structurale (tablettes). A Québec, l'armoire ne réussit pas vraiment à détrôner le coffre, car même à la quatrième période (1711-1730), où l'une, l'armoire, et l'autre, le coffre, sont les plus nombreux, il y a encore une différence de l'ordre de 2,86 coffres pour une armoire.
84 Mais si durant la deuxième moitié du XVIIIe siècle, l'armoire française devient symbole du ménage,46 le coffre québécois ne permertta pas à l'armoire de lui enlever son privilège facilement. C'est du moins ce qu'on peut penser en constatant qu'en 1969, les futures mariées pouvaient encore se procurer un «coffre d'espérance» garni, grâce à la publicité d'un grand quotidien montréalais.47 L'armoire aurait-elle conservée chez les Québécois son caractère luxueux dû à ses origines, laissanr au coffre le premier rôle symbolique du ménage, ou la maison québécoise auraitelle évolué de façon à intégrer les armoires à l'architecture les excluant de ce fait du mobilier? Un fait est certain: au Québec comme en France, l'allure imposante de l'armoire qui s'élève à hauteur d'homme, combinée à la fixité inévitable de ses emplacements dans la maison, suggère une installation plus marquée que le coffre, meuble absolument mobile.
85 Dans un contexte qui lui est favorable, l'armoire devient même chef de file, car c'est à sa suite qu'apparais-sent de nouveaux meubles, telle la commode. Au milieu du XVIIIe siècle, il y avait presque aurant de commodes que de buffets à Mortagne (18-22), ce qui laisse entrevoir une ascension rapide de la commode en milieu français, conrrairement à Québec qui accentue nettement davantage la place du buffet. C'est d'ailleurs un meuble qui marque une progression continue à partir du premier quart du XVIIIe siècle.
86 Parallèlement à l'évolution quantitative du mobilier, s'opère un changement dans l'organisation de l'intérieur, entre aurres par la place accordée aux objets qui ne sont plus nécessairement cachés dans un meuble de rangement fermé. L'arrivée du dressoir vient apporter un souci d'organisation de l'apparent: on choisit certains objets pour les éraler, ce qui suppose une quantité suffisante de biens pour permettre cette sélection. Aussi, les dressoirs apparaissent d'abord chez les mieux nantis où, déjà, on peut trouver des armoires à fenêtres vitrées. À partir de cette époque et ce jusqu'à nos jours, on assistera au jeu du caché et de l'apparent, aux organisations d'ordre et de désordre proposées par les modes et les moyens de diffusion. On déplacera les objets en les regroupant selon leurs fonctions communes, leurs matériaux semblables ou leurs formes compatibles, en spécialisant certains meubles comme le garde-manger et en en subdivisant d'autres de façon à constituer plusieurs groupes homogènes dans les différentes parties d'un même meuble (tiroirs, rablettes, fenêtres d'une même armoire). Le coffre n'offrair pas ce choix; il proposait l'homogénéité ou une hétérogénéité sans possibilité d'organisation. Aujourd'hui, les ensembles mobiliers constitués par modules compriment toutes les possibilités de rangement (à l'horizontale comme à la verticale) favorisant ainsi l'alliance du caché et de l'apparent.