In this article, the usefulness of the postmortem inventory for studying agriculture in Quebec before the industrial era is demonstrated. Using inventories of fanning families from two seigneuries in the Montreal region at the beginning of the nineteenth century (Lac-des-Deux-Montagnes and St-Hyacinthe), an attempt is made to answer a number of questions pertaining to agricultural production, livestock, and tools and implements in rural households. On the basis of this work, one can demonstrate the wealth of information in such inventories and shed new light on agriculture in early nineteenth-century Quebec.
Agricultural production is considered first. In the early 1800s, these two seigneuries were grain-growing regions where wheat predominated. An analysis of crop distribution in the Lac-des-Deux-Montagnes seigneurie until 1825 reveals the gradual substitution of peas and potatoes for wheat.
Next, we examined the composition and distribution of farming families' livestock. In these two seigneuries, which bordered the settled region of Lower Canada in the early 1800s, the use of livestock was still tied to, if not dependent on, farm production and domestic requirements. A minority of farmers kept a significant number of animals — both horses and oxen, which were linked directly to agricultural production, as well as others, such as sheep, hogs and fowl, which enabled them to produce surpluses. However, even though the majority of farming families were not totally impoverished, many of them had neither a plowing team nor enough livestock to satisfy their domestic needs.
Lastly, the tools and implements of twenty St-Hyacinthe peasant families in 1801 and 1802 were analysed. Farm implements were rudimentary, worth little in comparison to the livestock, and unevenly distributed among farmers. The least fortunate made do with a few hand tools. Half the households owned plows and only a few families were fully equipped with hand tools, plowing implements and véhicules of transport. These latter families also owned the most extensive collection of tools associated with secondary activities (weaving, carpentry) and the best livestock.
In conclusion, the postmortem inventory facilitates studying agricultural production in pre-census times. In particular, it highlights the differing conditions under which the farmer worked. All farmers did not have the same livestock or implements. This uneven distribution of the factors of production among rural households certainly affected both the methods used in farming and crop yields, and contributed in large measure to the hierarchical organization of the agricultural community.
Dans ce texte, nous voulons montrer l'utilité de l'inventaire après décès pour l'étude de l'agriculture québécoise pré-industrielle. À l'aide d'inventaires de familles paysannes de deux seigneuries de la région de Montréal au tournant du XIXe siècle, le Lac-des-Deux-Montagnes et Saint-Hyacinthe, nous examinons certaines questions relatives à la production agricole, au cheptel et aux biens de production des ménages paysans. Un travail qui nous permet de souligner la richesse de cette source, mais aussi de jeter, nous l'espérons, un éclairage neuf sur certaines caractéristiques de l'agriculture québécoise à cette époque.
En premier lieu, nous déterminons l'orientation générale de la production agricole. Au tournant du XIXe siècle, ces deux seigneuries sont des régions de céréaliculture où le blé froment occupe une place prédominante. Nous avons poussé l'étude de la répartition des cultures au Lac-des-Deux-Montagnes jusqu'en 1825. Certaines modifications apparaissent significatives tel le déclin du blé et son remplacement progressif par les pois et les pommes de terre. En second lieu, nous avons porté attention à la composition et à la répartition des cheptels des familles paysannes. Dans ces deux seigneuries à la frange limite du peuplement bas-canadien au début du XIXe siècle, l'élevage demeure lié, sinon tributaire, de la production agricole et des besoins domestiques. Cependant, une minorité de cultivateurs sont bien pourvus en cheptel, autant au niveau des animaux liés directement à la production agricole, chevaux et bœufs de labour, qu'à celui des ovins, porcins ou volailles où ils peuvent produire des surplus constants. Quant à la majorité des familles paysannes, elles ne sont pas totalement démunies, mais nombreuses sont celles ne disposant ni d'un train de labour, ni d'un élevage suffisant pour répondre à leurs besoins domestiques.
En dernier lieu, nous avons analysé les biens de production de vingt familles paysannes de Saint-Hyacinthe de 1801 à 1802. Nous avons constaté le caractère rudimentaire de l'équipement agricole, sa faible valeur comparativement au cheptel vif et sa répartition inégale au sein du groupe paysan. Les moins favorisés se contentent de quelques petits outils manuels. La moitié seulement des ménages paysans possèdent une charrue. Seules quelques familles disposent d'un équipement aratoire complet: outils manuels, instruments aratoires et matériel de transport. Ce sont également ces mêmes ménages qui possèdent la gamme la plus étendue d'outils liés aux activités secondaires {textile domestique, menuiserie) et le meilleur cheptel.
En somme, l'inventaire après décès nous aide à aborder le thème de la production agricole pour des périodes antérieures aux recensements. Ce document nous permet surtout de souligner les conditions différentielles dans lesquelles s'exerce le travail paysan. Tous les cultivateurs ne disposent pas du même cheptel et des mêmes instruments de travail. Or cette répartition inégale des facteurs de production entre les ménages paysans a certes ses effets autant au niveau des méthodes culturales qu'à celui des rendements et contribue largement à la hiérarchisation au sein même de la communauté paysanne.
1 Les recherches sur le monde rural dans l'étude du Québec pré-industriel occupent, depuis quelques années, une place de plus en plus grande. Le renouvellement historiographique semble bien engagé aux niveaux de l'élargissement des perspectives, de l'approfondissement des problématiques et de l'utilisation accrue des sources disponibles. Nous proposons ici une modeste contribution touchant au questionnement sur les sources. Nous voulons présenter certaines des multiples possibilités offertes par un document particulièrement riche, l'inventaire après décès, pour l'étude de l'agriculture québécoise du XVIIe au XIXe siècle. En cela, nous partageons l'enthousiasme de l'historien Pierre Goubert quand il écrivait au sujet de l'étude de l'agriculture picarde aux XVIIe et XVIIIe siècles: «Le plus précieux de tous les types de documents est constitué par les inventaires après décès des paysans eux-mêmes».1
2 Est-ce à dire que les inventaires après décès soient irréprochables et qu'on ne puisse en faire la critique? Assurément non, mais malgré les nombreuses lacunes que d'autres ont déjà soulignées,2 ils demeurent à la fois par la variété et le nombre d'informations quantitatives et qualitatives qu'ils nous livrent, ainsi que par leur degré de représentativité assez élevé3 un matériau de base essentiel à l'étude du monde rural québécois.
3 Notre présent travail repose sur les inventaires après décès des familles paysannes de deux seigneuries du district de Montréal: 68 pour la seigneurie du Lac-des-Deux-Montagnes de 1780 à 1825 et 87 pour la seigneurie de Saint-Hyacinthe de 1795 à 1805.4 Ni les échantillons, ni les périodes, ni le traitement des inventaires ne sont identiques pour les deux seigneuries. Pour la première, située sur la rive nord et dont la colonisation agricole ne commence qu'en 1780, la période retenue est plus longue, trois décennies, et les inventaires moins nombreux que ceux de la seconde seigneurie, située sur la rive sud et dont le peuplement s'amorce lentement vers 1760. Nous essayerons de tenir compte de ces facteurs dans notre analyse qui se veut surtout indicative de voies de recherches. À l'aide des inventaires de familles paysannes, nous examinerons trois dimensions spécifiques: la production agricole, le cheptel et les biens de production.
4 Nous utiliserons les données relatives aux produits agricoles évalués dans les inventaires paysans de la seigneurie du Lac-des-Deux-Montagnes de 1795 à 1824 pour identifier l'orientation générale donnée à la production agricole. Plusieurs facteurs peuvent influer sur nos résultats d'où la nécessité d'émettre certaines réserves.5
5 L'évaluation en nature des produits est souvent réalisée à partir de critères différents d'un inventaire à l'autre: en lots, en gerbes ou en minots d'avoine ou de blé; en lots, en tasserie ou en minots de pois; en minots ou en poches de pommes de terre. Nous optons donc pour l'évaluation en argent qui nous offre un point comparatif commun malgré les variations annuelles et mensuelles des prix des différentes denrées qui peuvent causer une certaine distorsion. Pour déterminer approximativement la composition de la production agricole d'une seigneurie à partir des inventaires après décès, il nous faut également présupposer que la plupart des denrées agricoles inventoriées y sont cultivées. Les quantités achetées à l'extérieur doivent demeurer dans une même proportion pour les différents produits et, cela, sans varier au cours des décennies étudiées. Aussi, nous devons considérer ces différents produits agricoles comme étant consommés ou vendus à un rythme similaire d'une décennie à l'autre.
6 Malgré ces critiques, nous pouvons puiser dans les inventaires après décès des résultats suffisamment indicatifs sur la composition et l'évolution de la production agricole dans la seigneurie du Lac-des-Deux-Montagnes (voir tableau I). Au tournant du XIXe siècle, la production agricole est axée sur la culture céréalière. Le blé froment est la céréale largement dominante. L'avoine vient en second. Les autres grains n'occupent qu'une place très secondaire dans la production agricole. Cependant, de 1795 à 1825, la part du blé décroît progressivement. Les pois et les pommes de terre constituent les principaux produits de remplacement. Le blé passe des quatre cinquièmes de la valeur totale des denrées agricoles de 1795 à 1804, aux deux tiers de 1805 à 1814, puis la moitié seulement de 1815 à 1825. La part de l'avoine croît progressivement d'une décennie à l'autre, soit de 11.5% à 12%, puis à 15%; tandis que les autres céréales représen-tent toujours moins de 5% de la valeur totale des produits agricoles. De 1795 à 1824, la part des pois s'accroît constamment; de 5% entre 1795 et 1804, elle augmente à 12% pour la décennie suivante et à 15% pour la dernière. Les pommes de terre apparaissent dans la première décennie du XIXe siècle; de 1805 à 1814, elles comptent pour un peu plus de 5% des produits agricoles. Vers 1820, cette proportion augmente jusqu'aux environs de 20%. D'autres produits, tels le lin, le tabac, les fèves, les oignons et divers légumes de jardin ne semblent occuper qu'une part bien marginale de la production agricole et n'être cultivés, du moins pour les divers légumes, que comme compléments à l'alimentation familiale.
7 Les recensements agraires constituent assurément une meilleure source pour saisir l'activité agricole d'une région, d'une seigneurie ou d'une paroisse. Mais, pour la seigneurie du Lac-des-Deux-Montagnes, le premier recensement agraire date de 1831. Ainsi, il nous offre un portrait de l'agriculture à une époque où la colonisation de cette seigneurie est pratiquement terminée et ne nous permet pas de saisir certains changements structuraux intervenus dans l'orientation de la production agricole dans les premières décennies du XIXe siècle.
8 Les données sur les ensemencements permettent peutêtre de déterminer plus précisément, pour certaines familles, la répartition entre les grandes productions végétales.6 Naturellement, cette évaluation ne touche alors qu'un nombre réduit d'inventaires après décès. Ainsi, pour la seigneurie de Saint-Hyacinthe, de 1795 à 1804, des 29 inventaires paysans rédigés entre les mois de mai et d'août, seulement treize nous livrent un état des ensemencements. Or, les résultats offerts par cet échantillon réduit sur la moyenne des grains semés par famille laissent apparaître la même tendance générale à Saint-Hyacinthe qu'au Lac-des-Deux-Montagnes quant a la production agricole entre 1795 et 1804: 14.8 minots de blé, 3.6 minots de pois, 2.3 minots d'avoine et 0.2 minot d'orge. Les déclarations sur les ensemencements ont l'avantage de mieux faire ressortir les capacités de production inégales des exploitations; celles-ci étant probablement déterminées par l'état du développement des terres et une répartition quelque peu différenciée des cultures suivant les exploitations (voir tableau II).
9 Les inventaires après décès nous donnent une d«< ription sommaire et une évaluation des animaux, des bœufs de labour jusqu'aux différentes volailles. Nous pouvons donc déterminer la composition et la valeur du cheptel appartenant aux familles paysannes.7 Ainsi le tableau III nous indique la composition du troupeau moyen des familles paysannes du Lac-des-Deux-Montagnes entre 1795 et 1825. Pour la première décennie, il comprend seulement deux à trois bêtes à cornes, deux chevaux, deux à trois moutons, porcs et volailles. Puis, de 1805 à 1814, nous observons une augmentation considérable du nombre de bovins (+ 100%), d'ovins et de volailles (+ 250%) et une diminution moins appréciable cependant du nombre de chevaux par famille paysanne (—25%) Il s'agit probablement d'une consolidation, accompagnée d'une certaine modification de la composition, du cheptel des exploitations rurales au fur et à mesure que se termine la premiere phase de défrichement des terres. La conjoncture favorable du début du XIXe siècle permet une expansion marquée de l'élevage ovin et des volailles. Cependant, cette poussée ne se maintient pas comme en témoigne le recul de ces deux espèces animales dans la dernière décennie.
10 Entre 1795 et 1824, le troupeau moyen au Lac-des-Deux-Montagnes compte environ quatre bovins, deux chevaux, cinq moutons, deux à trois porcs et quelques volailles. Petit cheptel, témoin d'une agriculture qui n'est certes pas orientée sur l'élevage. La plupart des ménages paysans n'ont que les animaux nécessaires au fonctionnement de leur exploitation agricole et à la satisfaction de certains besoins domestiques. Cette constatation semble d'autant plus valable pour les premières années de la colonisation.
11 Une comparaison entre les deux seigneuries pour la décennie 1795-1804, nous permet de faire ressortir certaines différences, tel le nombre supérieur de bovins et d'ovins à Saint-Hyacinthe. La réalité de «région frontière» nous apparaît peut-être comme un facteur explicatif de ces particularités. En effet, le troupeau moyen à Saint-Hyacinthe tend à se rapprocher de celui des Deux-Montgnes des deux décennies subséquentes (voir les tableaux III et IV). Or, le Lac-des-Deux-Montagnes est une seigneurie de colonisation agricole plus tardive que Saint-Hyacinthe. La seule différence vraiment significative serait alors le nombre plus élevé de porcs et, surtout, de volailles dans la région maskoutaine. Toutefois, l'influence dominante du facteur colonisation dans les inégalités régionales au niveau du cheptel moyen demeure une hypothèse fragile et reste à être vérifiée par d'autres recherches comparatives plus larges et plus approfondies.
12 Ce premier type de données tend à confirmer, du moins dans ces deux régions-frontières de la rive nord et de la rive sud, certains lieux communs de l'historiographie sur l'agriculture québécoise du XVIIe au milieu du XIXe siècle: faiblesse du bétail et donc rareté des fumures.8 Mais cela suffit-il pour caractériser cette agriculture au niveau des cheptels? Comme le font remarquer Gilles Paquet et Jean-Pierre Wallot, nous devons porter une attention particulière à la répartition du bétail entre les «habitants»: signe de différenciation sociale.9 Nous ajouterons qu'il s'agit là d'un élément fondamental pour nous aider à mieux saisir la nature même de l'économie rurale bas-canadienne.
13 Pour la seigneurie du Lac-des-Deux-Montagnes, où nous disposons de 68 inventaires paysans répartis sur trente années, nous esquisserons les gros traits de cette différenciation au niveau des cheptels. Nous pousserons cette question plus à fond dans le cas de Saint-Hyacinthe de 1795 à 1805 compte tenu de l'échantillon plus représentatif que constituent 87 inventaires concentrés sur une seule décennie.
14 Au Lac-des-Deux-Montagnes, plusieurs cultivateurs possèdent des troupeaux assez importants. De 1795 à 1824, dix de nos inventaires indiquent un cheptel d'une dizaine de bovins, de trois voire quatre chevaux, d'une dizaine de moutons, de quatre ou cinq porcs et d'une dizaine de volailles. Nous retrouvons parmi ces derniers tous les inventaires concernant la côte des «Éboulis»: l'un des premiers secteurs colonisés, en contact direct avec le domaine seigneurial des Sulpiciens (mission indienne d'Oka) et les paroisses de l'ouest de l'île de Montréal.10 '" Les cinq autres inventaires comparables se répartissent sur quatre côtes différentes de la seigneurie. Ces quelques gros propriétaires d'un cheptel relativement imposant laissent supposer qu'une majorité d'habitants sont encore plus dépourvus en cheptel que ne l'indiquent les données moyennes.
15 Le tableau V nous permet de connaître la répartition des cultivateurs de Saint-Hyacinthe selon la valeur du cheptel possédé. Si, pour cette décennie (1795-1804), la valeur moyenne du troupeau est de 322 livres; la valeur médiane se situe plutôt aux environs de 250 livres. Les cultivateurs se répartissent d'ailleurs assez également au-dessus et endessous de ce seuil de 250 livres. Mais à quoi correspond ce seuil et que représentent les catégories de notre classification en terme de bétail, autant au niveau de la quantité qu'à celui de la composition. Au bas de l'échelle, nous retrouvons les familles paysannes qui n'ont pas d'animaux: plus de 5% des inventaires. Dans la catégorie de 1 à 100 livres, soit environ 10% de nos inventaires, une famille possède rarement un cheval adulte ou alors il s'agit d'un animal vieux ou malade. Plus souvent, elle dispose d'une vache et de quelques petits ovins et porcins: le tout réduit au strict minimum, sans variété ou à peu près. De 101 à 250 livres, soit le tiers de nos inventaires, le cultivateur peut compter généralement sur au moins un cheval adulte (26 des 29 inventaires de cette catégorie), quelques fois sur deux (7/29), exceptionnellement sur trois (1/29). En plus, il possède ordinairement deux ou trois bovins, surtout des vaches, des taures et des veaux, ainsi que quelques moutons, porcs ou volailles. Mais son troupeau ne couvre à peu près jamais toute la gamme de ces espèces animales. Ces exploitants agricoles n'ont habituellement pas une paire de bœufs en âge de servir convenablement aux travaux de labour.11
16 Pour le tiers suivant de nos inventaires, soit de 251 à 500 livres, l'absence d'un cheval adulte devient exceptionnelle. Il est plus commun d'en dénombrer deux, voire trois. La composition du cheptel y est plus diversifiée. On y remarque souvent de cinq à dix moutons, de trois à six porcs et plusieurs volailles. La majorité de ces cultivateurs ont plus de cinq bovins. Plusieurs possèdent au moins une paire de bœufs de labour, mais bien peu peuvent disposer d'un train de labour à quatre bœufs. Au sommet de cette petite communauté paysanne relativement pauvre au niveau des cheptels, se situe environ 20% des habitants cultivateurs qui disposent d'un troupeau dont la valeur excède 500 livres; parmi ces derniers, un peu plus de 5% au-dessus de 950 livres. Ces cultivateurs ont tous au moins deux chevaux adultes. La plupart ont plus d'une dizaine de bovins et d'une vingtaine d'ovins, des porcs et des volailles en plus grande quantité que les autres cultivateurs. Ils possèdent habituellement leur propre paire de bœufs de labour et souvent plus de deux paires, au fur er à mesure que s'accroît la valeur du cheptel.
17 Le tableau VI nous donne une répartition des familles paysannes selon le nombre d'animaux possédés pour chacune des différentes espèces animales de la ferme, ainsi que pour les bœufs de labour et les chevaux adultes. Ce tableau témoigne à sa manière de la scission au sein de la communauté paysanne maskoutaine du début du XIXe siècle entre une petite minorité de cultivateurs dotés d'un cheptel fort respectable et une majorité d'habitants nettement moins pourvus. Ces derniers sont eux-mêmes répartis en trois groupes; le plus pauvre, environ 15% des inventaires, apparaît vraiment démuni.
18 Elément peut-être surprenant pour certains, aucune espèce animale n'est commune à toutes les familles paysannes disposant d'un peu de cheptel. Les animaux de ferme les plus répandus sont le cheval, la vache et le porc. Mais encore là, plus de 15% des familles ne possèdent soit ni cheval leur assurant une toute relative indépendance pour le transport, les charrois ou les travaux de défrichement, soit ni vache ou ni porc pour les aider à équilibrer, à même leurs ressources domestiques, leur ration alimentaire.12 La majorité ne partage pas ces conditions extrêmes. Nombreuses sont cependant les familles qui ne peuvent se fier à leur élevage domestique d'ovins et de volailles pour se procurer certains produits d'usage courant tels la laine et les œufs. En ce qui a trait aux sousproduits de l'élevage, certaines exploitations correspondent probablement à un modèle hypothétique d'auto-consommation. Les inventaires de la seigneurie de Saint-Hyacinthe présentent plutôt une communauté paysanne composée d'exploitants capables de dégager des surplus constants dans différentes productions et d'autres, nettement plus nombreux, obligés de se procurer l'un ou l'autre de ces produits sur le marché.
19 Le dernier point sur lequel nous voulons revenir à l'aide du tableau VI est le nombre restreint de cultivateurs pouvant compter sans faire appel à l'extérieur, soit par échange, soit par louage, sur un train de labour complet.13 Ces cultivateurs constituent-ils un groupe privilégié se distinguant de l'ensemble de la communauté paysanne à la fois par leurs niveaux de fortune et leurs positions spécifiques dans les procès de production et d'échange' Intuition qui commande certes plusieurs nuances et une étude en profondeur de cette société rurale.
20 Les inventaires après décès nous présentent également une enumeration et une évaluation du matériel et des outils de production. Toutefois, ils ne nous en offrent pas une description détaillée et souvent les petits outils sont évalués par groupes d'objets. À l'aide de 20 inventaires pour les années 1801 et 1802 dans la seigneurie de Saint-Hyacinthe, nous tenterons de cerner de plus près la valeur, la composition et la répartition de ces biens de production. Avant de livrer ces premiers résultats, nous croyons judicieux de préciser la nature du regroupement de différents objets mobiliers sous la rubrique: «biens de production».14 La frontière est floue entre biens de production et biens de consommation dans une société rurale où prédominent des exploitations familiales qui consomment une large partie de ce qu'elles produisent. Peut-on nier la fonction productive de certains objets ménagers ou de certains effets de la batterie de cuisine parce que leur utilité principale est reliée à l'entretien et au bien-être de la famille? A ce titre, les rouets et les peignes à filasse sont-ils utilisés à des fins bien différentes? Nous avons choisi de grouper sous la rubrique des biens de production les différents objets dont l'utilisation principale est liée à des activités pouvant théoriquement donner lieu à une petite production marchande, à des biens commercialisables: 1°) les instruments de travail servant à l'agriculture et au défrichement, au textile domestique, à la menuiserie et à d'autres activités secondaires, ainsi que le matériel de transport lié à la production agricole et au défrichement; 2") les accessoires d'attelage des animaux et de transport et les récipients consacrés à la production, au transport et à la conservation des produits commercialisables.15
21 Le tableau VII nous indique la valeur généralement réduite des biens de production dans les ménages paysans. Les instruments de travail qui donnent le ton à l'équipement de la ferme représentent environ 20% de la valeur du cheptel. Ce tableau nous révèle également une répartition inégale de ces biens de production entre les familles paysannes; répartition similaire à celle observée pour le cheptel, surtout en ce qui a trait plus spécifiquement aux instruments de travail.16 Tout comme pour le bétail, les écarts ne nous apparaissent pas seulement d'ordre quantitatif mais également d'ordre qualitatif.
22 Parmi les instruments d'agriculture et de défrichement, seuls les petits outils manuels sont communs à tous les cultivateurs. Mais encore là, on peut observer des différences allant de 5 à 40 livres quant à leur valeur globale. La majorité des familles paysannes possèdent au moins quelques faucilles, une faux et une hache. Les autres outils manuels souvent recensés sont la ferrée, la fourche de fer, la tarière et le van, ainsi que le ciseau, le marteau, les tenailles et la meule. Ces derniers permettent au cultivateur d'entretenir lui-même ses petits instruments de bois et de fer. Nous trouvons également chez l'un ou l'autre des ménages plusieurs autres petits outils manuels: bêche, broc, égoïne, gratte, pioche, piochon, scies de long et de travers.
23 Plus significatif nous semble toutefois le clivage entre ceux qui disposent et ceux qui ne disposent pas d'un outillage aratoire convenable. Or, parmi nos vingt familles paysannes, la moitié seulement ont une charrue. Cette démarcation correspond-elle à celle qui sépare deux niveaux d'activités économiques? (Question que permet de soulever l'inventaire après décès mais à laquelle il ne nous fournit pas de réponse.) De plus, au sein de notre échantillon de 1801 et 1802, seuls les trois plus gros propriétaires de cheptel possèdent une herse dont les dents sont fabriquées en bois.
24 Le matériel de transport et de charroi, lui aussi, n'est guère réparti également entre les ménages paysans; sept inventaires ne mentionnent ni charrette, ni tombereau; six indiquent seulement une charrette à laquelle s'ajoute un tombereau pour un seul de ces six cas; seulement sept dénombrent au moins deux charrettes. Par contre, la plupart disposent au moins d'une traîne servant au transport du bois et aux travaux de défrichement.
25 L'exploitant le mieux équipé en outillage aratoire et en matériel de transport parmi nos vingt paysans maskoutains de 1801 à 1802 possède une charrue complète, une herse à dents de bois, une petite et deux grandes charrettes, un tombereau et deux traînes.17 Cet équipement représente environ deux fois la valeur des petits outils manuels d'agriculture et de défrichement de sa ferme; à noter qu'il est l'un des cultivateurs les mieux pourvus clans ce domaine.18
26 La présence d'activités complémentaires à l'agriculture peut être décelée à l'aide des inventaires après décès. Liés à la culture du lin et à l'élevage ovin, les outils de textile domestique sont assez répandus parmi les habitants de la campagne maskoutaine. Nous repérons des rouets à pied et des cardes dans la majorité de nos inventaires. Dans l'une ou l'autre famille, selon le niveau de fortune et les aptitudes, certains autres objets complètent cet équipement de base: dévidoir, travoir, ourdissoir, peigne à filasse, métiers à ceinture, à étoffe et à toile. Dans certains inventaires, nous dénombrons des outils de menuiserie. Tout comme ceux du textile domestique, ils ne constituent jamais une proportion bien considérable de la valeur des instruments de travail (rarement plus de 20%). Ils sont autant, sinon plus, le reflet d'un niveau de fortune au-dessus de la moyenne que celui de la pratique d'un métier ou d'une activité secondaire.19
27 L'ensemble des inventaires paysans des seigneuries de Saint-Hyacinthe et du Lac-des-Deux-Montagnes nous suggère que l'équipement de la ferme y demeure très rudimentaire au début du XIXe siècle.20 Les principaux éléments en sont la charrette, la charrue, la traîne et les pièces d'attelage des animaux de travail. Pour tous les travaux agricoles, le labourage, le hersage, les semences, l'entretien du sol, la fenaison, la moisson, le battage et le vannage, le cultivateur ne dispose ordinairement que de quelques petits outils ayant peu de valeur marchande.
28 À eux seuls, les animaux de labour et de charroi (bœufs et chevaux), représentent, lorsque la famille paysanne en possède, plus de deux à trois fois la valeur de tous les instruments agricoles. Le peu de valeur des biens de production, comparativement au cheptel vif, témoigne du niveau technique de l'agriculture ancienne, où l'outillage n'immobilise pas un capital bien important.
29 Les résultats sur la composition de la production agricole au Lac-des-Deux-Montagnes et, dans une moindre mesure, à Saint-Hyacinthe demeurent indicatifs mais n'en cernent pas moins les grandes orientarions. Au tournant du XIX1' siècle, ces deux seigneuries sont des régions de céréaliculture où le blé froment accapare une part largement dominante de la production. L'étude de la répartition entre les différentes cultures au Lac-des-Deux-Montagnes jusqu'en 1825 indique certaines modifications dont la diminution du blé et son remplacement progressif par les pois et les pommes de terre. Ce changement pourrait correspondre à une évolution générale observable dans l'ensemble du Bas-Canada ou encore être le témoin d'une specialisation régionale qui s'opère progressivement dans les premières décennies du XIXe siecle?
30 En second lieu, l'analyse de la composition, de la valeur et de la répartition des cheptels fournit des données sur le cheprel moyen qui nous renvoient, pour ces deux seigneuries à la frange limite du peuplement bas-canadien au debut du XIXe siècle, à l'image connue de la faiblesse du cheptel et de ses conséquences sur la productivité des terres. Dans l'agriculture ancienne, l'élevage demeure lie, sinon tributaire, de la production agricole et des besoins domestiques. Mais un examen des données sur la repartition des cheptels à Saint-Hyacinthe au tournant du ⅪⅩ' siècle, nous incite à nuancer ce modèle globalisant. Une minorité de cultivateurs sont bien pourvus en cheptel, auranr au niveau des animaux liés directement à la produ< tion agricole, chevaux et bœufs de labour, qu'à celui des ovins, porcs et volailles où ils peuvent produire des surplus constants. La majorité des familles paysannes ne sont pas totalement démunies quoique certaines d'entre elles ne disposent ni d'un train de labour, ni d'un élevage suffisant pour répondre à leurs besoins domestiques.
31 En dernier lieu, l'étude des biens de production possédés par vingt familles paysannes de Saint-Hyacinthe de 1801 et 1802 nous amène à constater le caractère rudimentaire de l'équipement agricole, sa faible valeur comparativement à celle du cheptel vif et sa répartition inégale au sein de la communauté paysanne. Les ménages les moins favorisés se contentent de quelques petits outils manuels et la moitié seulement des cultivateurs possèdent une charrue. Seules quelques familles profitent d'un équipement complet (outils manuels, instruments aratoires et matériel de transport). Ce sont également ces mêmes ménages qui disposent de la gamme la plus étendue d'instruments servant aux activités secondaires (textile domestique, menuiserie) et du meilleur cheptel.
32 En général, l'historiographie s'est plutôt intéressée aux questions des rendements et des méthodes de culture au Bas-canada. Il apparaît désormais nécessaire de s'attarder davantage aux caractéristiques techniques de l'agriculture traditionnelle en les confrontant aux conditions différentielles dans lesquelles s'exerce le travail paysan. En ce sens, l'inventaite après décès nous permet de poser la question des contraintes techniques de l'agriculture ancienne en tenant compte des inégalités sociales et régionales. Tous les cultivateurs bas-canadiens ne disposent pas du même cheptel et des mêmes instruments de travail. Les conséquences de cette «donne» fondamentale sont multiples autant au niveau des rendements qu'à celui de la commercialisation des produits agricoles.
33 La répartition inégale de certains facteurs de production entre les ménages paysans, telle que suggérée par les inventaires après décès, reflète-t-elle la structure réelle de la société paysanne? Certains éléments peuvent influer sur la représentativité des inventaires et expliquer certaines des inégalités. Il nous reste à évaluer le rôle joué par la taille des familles, la durée du mariage et la date du décès dans la composition de la fortune paysanne au moment des inventaires. Certes, ces variables ont leur poids, mais nous osons croire qu'elles ne modifient pas substantiellement l'image projetée par les inventaires après décès pour les seigneuries au Lac-des-Deux-Montagnes et de Saint-Hyacinthe au début du XIXe siècle.