At the turn of the nineteenth century, Lower Canada experienced a second great discontinuity — influenced by the power of the market and of commercial capitalism, it modernizes itself. This process, particularly evident between 1790 and 1815, should be reflected in the social structures and the levels of well-being in society even at the habitants level. The present article aims at establishing the favourable evolution of the levels of wealth as one more support to the hypothesis of modernization during this period.
This paper establishes the necessity of adding stock analyses to the usual flows analyses in economic and social history. At the turn of the nineteenth century, because of the lack of censuses, one has to turn to postmortem inventories that are representative of the wealth of the diverse social groups in the Lower-Canadian society. Despite their shortcomings an analysis of postmortem inventories allows one to discover the domestic interiors and the moveable goods of individuals. Thus the choice of 2 regions, 6 sub-regions and 5 social groups and two periods (1792-1797 and 1807-1812) to better capture the changes in moveable wealth and also in the size of farms.
On the whole, the average net moveable wealth in the Montreal area grows by 280% between the 1792-1797 and 1807-1812 time-spans. This rise is not confined to urban merchants, but also applies to rural residents. The Quebec area starts with a serious handicap — between 39% and 58% less moveable wealth than in Montreal — but partly narrows this gap with time indicating a rapid increase of wealth in the countryside. The habitants, as a whole, become more diversified with a general trend towards increasing wealth, liven the average acreage by habitant tends to increase slightly with time in the countryside. A specialization is hinted at by the data, the North Shore, both in Quebec and Montreal, increasing more their herds of animals, the South Shore. their wheat and other grain crops. If the discourse of production is more rationalization of resources and of work practices, the discourse of consumption is turned toward the superfluous. More and more furniture and in particular clothes are bought, replacing home made goods.
In effect, the essential break, shown in these analyses tend to point to the passage of a subsistence society, where habitants produce most of what they need and must content themselves with the bare necessities, to a society transformed by the market, where social actors must specialize more and more, and where, through the sale of their produce on the market, they can attain well-being and social status.
À la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle, le Bas-Canada subit une deuxième grande rupture - il entre de plein pied dans l'économie de marché et dans le système du capitalisme commercial — et se modernise. Cette évolution, sensible notamment de 1790 à 1815, devrait se répercuter sur les structures sociales et sur les niveaux de vie de toute la société, même chez les habitants. Le présent article vise à étayer davan-tage l'hypothèse de la modernisation à cette époque en étudiant l'accroissement des niveaux de richesse.
Cet article établit la nécessitéd'avoir recours aussi bien à l'analyse des stocks qu'à l'analyse par les flux pour étudier l'histoire économique et sociale. Comme il n'y avait pas encore de recensement à l'époque, il faut se reporter aux inventaires après décès qui révèlent le degré d'opulence des divers groupes sociaux du Bas-Canada. Malgré ses lacunes, un inventaire permet de connaître l'aménagement de la maison et les biens meubles du défunt. C'est ce qui explique le choix de 2 régions, de 6 sons-régions, de 5 groupes sociaux et de deux périodes de cinq ans (1792-1797 et 1807-1812); cela permet de mieux saisir les changements survenus au niveau de l'acquisition des biens meubles et également de la superficie des terres possédées, des renseignements sur cette dernière question se trouvant aussi dans les inventaires.
Dans l'ensemble, la valeur moyenne nette des biens meubles de la région de Montréal augmente de 280% de 1792-1797 à 1807-1812. Cette hausse ne se limite pas aux commerçants des villes, mais s'applique tout autant aux habitants dans les campagnes. Au début de la période étudiée, la région de Québec a un lourd handicap, la valeur des biens meubles y étant inférieure de 39% à 58% à celle constatée pour Montréal, mais elle comble partiellement ce retard avec le temps, ce qui indique une croissance rapide de la richesse dans les campagnes. En général, la situation des habitants commence à se diversifier et leur sort a tendance à s'améliorer. Même la superficie de terres que possède en moyenne un habitant augmente légèrement avec le temps. Les données recueillies laissent entrevoir une certaine spécialisation agricole: les habitants de la rive nord (Québec comme Montréal) augmentent leurs troupeaux tandis que ceux de la rive sud accroissent leur production de blé et d'autres céréales. Si la production est axée davantage sur la rationalisation des ressources et des méthodes de travail, la consommation, elle, est orientée vers le superflu. Les habitants qui ont de plus en plus de meubles et de vêtements les achètent au lieu de les fabriquer.
L'analyse détaillée des inventaires après décès révèle le passage d'une économie de subsistance, où les habitants produisaient la plupart de leurs biens et devaient se contenter du strict nécessaire, à une société de marché où les individus doivent se spécialiser de plus en plus et où, grâce à la vente de leurs produits sur le mâché, ils peuvent augmenter leur bien-être et aspirer à un certain statut social.
1 Dans nos travaux antérieurs, nous avons tenté de montrer comment une mutation importante de la socioéconomie québécoise se consomme au tournant du siècle.1 Le Bas-Canada, comme on le nomme alors, se restructure et se modernise: il se transforme dans son tonus et dans son fonctionnement; une dynamique interne nouvelle s'affirme. Le marché atlantique pénètre toutes les sphères de la vie québécoise, dissout les rapports sociaux anciens et en tisse de nouveaux.
2 Cette seconde grande discontinuité dans l'expérience de la socio-économie québécoise a suscité bien des controverses: certains ont cru déceler une crise agricole là où nous avons discerné des éléments de modernisation. Et s'il est vrai que l'hypothèse d'une crise agricole dès la première décennie du ⅪⅩe siècle au Québec a cessé d'être une borne acceptée dans l'historiographie, il reste que l'explication de rechange n'a pas encore entièrement reconstruit le détail de ce procès de restructuration et de modernisation. C'est un travail de longue haleine auquel nous nous sommes attachés, mais qui demeure en chantier.
3 C'est à l'intérieur de cet effort soutenu qu'il faut inscrire le présent essai. Celui-ci entend établir que l'évolution des structures sociales et des niveaux de richesse semblé confirmer l'hypothèse de la modernisation de la socioéconomie québécoise dans chacun de ses segments géographiques importants au tournant du XIXe siècle. Elle vient donc ajouter un autre indicateur - à partir des inventaires après décès — à ceux que nous avons construits pour nos travaux antérieurs, afin de mieux étayer encore notre hypothèse de base de la transformation profonde du Québec sous l'impact du marché conquérant et du capital marchand.
4 La prochaine section esquisse les contours du cadre conceptuel qui guide notre analyse. La section 3 décrit à gros traits le matériau de base utilisé —les inventaires après décès-et lasection4, les résultats d'une analyse sommaire de ces données pour les régions de Québec et de Montréal au début des années 1790 et à la fin des années 1800. Les résultats confirment clairement qu'il y a eu accroissement des niveaux de richesse et modernisation des structures sociales. Ils démontrent en même temps la complexité surprenante (stratification sociale, stratification régionale) et croissante d'une société qui entre dans une phase de capitalisme commercial.
5 Au cours des dernières années, nous avons développé une approche méso-analytique à l'histoire québécoise. Cette problématique part de l'analyse de la trame institutionnelle de la socio-économie comme faisceau constitutif d'une «constellation d'armistices» entre faits de conscience et faits matériels, comme lieu privilégié pour pister la dynamique du procès évolutif de la socioéconomie. La méso-analyse décompose le «grand jeu» socio-économique en un certain nombre de sous-jeux séparables, chacun avec ses frontières propres et ses règles changeantes; et c'est à partir de l'imbrication et de la composition de ces sous-jeux qu'il est possible de considérer et de comprendre le «grand jeu».
6 Pour identifier ces sous-jeux séparables, nous nous sommes inspirés des travaux de Johan Akerman: dès les années 1940, en effet, ce dernier avait commencé l'analyse de procès de développement à partir d'une série de sous-procès. Notre reformulation du découpage d'Akerman nous a permis de cerner six sous-procès séparables: démographie, production et échange, finance, écologie des groupes sociaux et de leurs motivations, État, répartition des revenus et de la richesse. Ces sous-procès se superposent et s'intègrent pour composer dessecteurs caractérisés par un même tonus et des périodes déterminées par un même régime de fonctionnement.
7 L'utilisation de cet instrument d'analyse nous a inspiré l'hypothèse que l'on peut démarquer, dans l'expérience socio-économique du Québec des débuts à nos jours, cinq grands tronçons articulés par quatre grandes discontinuités. Le tournant du XIXe siècle constitue la seconde de ces discontinuités. Au cours de la dernière décennie, nous avons consacré le gros de nos efforts à ausculter le procès de changement de la socio-économie au cours de cette période: il s'agissait de saisir comment la topologie et le fonctionnement du système ont été modifiés au cours de ces quelques décennies à proportion que la socio-économie québécoise s'est intégrée au marché atlantique.
8 En 1976, nous avons souligné l'extrême utilité des archives notariales pour saisir les glissements de structure et les changements de fonctionnement.3 En particulier, l'inventaire après décès permet de dépasser le simple niveau de l'analyse par les flux pour jauger la socioéconomie au niveau des stocks, pour intégrer flux et stocks: ce sont les stocks de ressources matérielles et humaines, physiques et monétaires, qui sont à la source des flux de rendements sur le capital humain et le capital matériel et donc du niveau des revenus, mais aussi à l'origine de l'inertie et des emprises de structure, des lenteurs d'ajustement émanant du capital accumulé, de la richesse et de la structure du pouvoir qu'ils fondent.
9 Cette analyse stock-flux par le truchement de l'inventaire après décès permet d'évaluer le niveau des fortunes et d'en prospecter la composition. On y repère certaines caractéristiques du sous-procès de production dans l'image qu'elle donne de la technologie, du degré de capitalisation, de la spécialisation des unités et de la taille des entreprises. On voit aussi dans la radiographie des intérieurs domestiques, un reflet de la consommation, de la qualité lde vie, de la variété des produits, de l'importance du crédit et des étalements de la richesse, donc un reflet de l'écologie des groupes sociaux, d'une structuration sociale en pleine transformation vers une plus grande complexité et des hiérarchies mieux découpées.
10 Nos analyses de 1976 pour Montréal ont documenté un accroissement marqué du niveau de la richesse entre les années 1792-1796, d'une part, et les années 1807-1812, d'autre part: augmentation inégale, cependant, entre les divers groupes sociaux et à l'intérieur même de chacun, de sorte que l'effet net en est un d'étalement des fortunes à mesure que le temps passe et que le marché effectue son oeuvre. Nous avions aussi noté que le leitmotiv du discours de la consommation, à mesure qu'on passe des années 1790 aux années 1800, c'est l'apparition d'un certain superflu, alors que le leitmotiv du discours de la production, c'est une certaine rationalisation: phénomènes tout-à-fait normaux dans la foulée de la pénétration du marché atlantique au cœur de la socio-économie québécoise. Enfin, il en ressortait qu'après les marchands, les habitants forment le groupe social qui s'enrichit et se diversifie le plus.
11 Depuis lors, nous avons examiné un grand nombre d'inventaires après décès pour la région de Québec, l'autre segment géographique important du Bas-Canada d'alors. Le présent article tentera de confirmer que nos hypothèses de 1976 sont avalisées aussi pour cette seconde région. Nous procéderons également à certaines comparaisons rapides entre les deux régions pour mesurer les différences dans leur façon de vivre cette discontinuité.
12 On pourrait exploiter bien davantage cette source pour une étude sur la civilisation matérielle à la fin du XVIIIe et dans le premier tiers du XIXe siècle — et effectivement, nous en ferons un tel usage dans une étape ultérieure.4 Mais même à partir des éléments limités que nous avons retenus ici, il est possible d'illustrer comment cette source exceptionnelle peut éclairer un certain nombre de sousprocès (écologie des groupes sociaux, distribution de la richesse, appareil de production, genres de vie, etc.).
13 L'inventaire après décès dénombre article par article les biens, meubles, titres, papiers et immeubles d'un individu ou de sa communauté, généralement à la suite d'un décès.5 Moins représentatif que les contrats de mariage,6 il recèle en revanche beaucoup plus d'informations sur les fortunes d'un bon échantillon de la population adulte décédée.7
14 L'exploitation des inventaires après décès se heurte à de nombreuses difficultés que nous avons détaillées ailleurs:8 sincérité et exactitude des déclarations, qualité professionnelle des notaires, exactitude des prisées (qui peut cependant être vérifiée pour une part à l'aide des procès-verbaux de ventes après inventaire), absence de mention de certaines donations ou de certains biens personnels, la question de la «crue», imprécision en ce qui a trait aux provisions (stocks de consommation) et aux immeubles — les immeubles constituent pourtant la principale richesse des habitants - écarts d'âge entre les décédés que l'on compare, variations dans les stocks selon la saison du décès, etc. Cependant, il y a lieu d'espérer que l'exploitation systématique d'un nombre suffisamment élevé d'inventaires élimine en partie ces distorsions et implique qu'elles jouent à peu près également d'une période à une autre, d'un groupe à l'autre, ce qui n'interdit donc pas la comparaison.
15 Le nombre d'inventaires après décès est très élevé: environ 3 000 dans les 48 greffes notariaux déposés aux Archives nationales du Québec à Montréal pour les années 1792-1812, pour le seul district actuel de Montreal; à peu près le même nombre pour le distict de Québec, aux Archives nationales du Québec à Québec. Ce volume énorme d'actes très longs et les coûts très élevés de leur dépouillement ont imposé le recours à un échantillon. À Montréal etàQuébec, l'échantillon d'inventaires que nous avons retenu ici vise en principe deux sous-périodes (1792-1796 et 1807-1812), trois sous-régions (ville, rive nord et rive sud) et cinq groupes sociaux (marchands, membres des professions libérales, forgerons, menuisierscharpentiers, habitants ou agriculteurs), bien qu'il arrive qu'on ne puisse trouver d'inventaire pour l'une ou l'autre de ces composantes entrecroisées.9 À Montréal, 85 inventaires ont été retenus pour les années 1792-1796, 96 pour les années 1807-1812; à Québec, respectivement 99 et 144. En tout, il s'agit d'un bloc de 424 inventaires.
16 Même si le gros des analyses, dans le présent article, porte sur les habitants, nous avons conservé les quatre autres groupes sociaux et même les villes de Québec et de Montréal, dans les grands tableaux, afin de pouvoir mieux situer le groupe des agriculteurs (environ 809? de la population totale) par rapport à l'ensemble de la structure sociale. Ce n'est que sous cet éclairage relatif que le sort des habitants apparaît adéquatement.
17 Les données de chaque inventaire se rapport,un aux bieni meubles ont été codées en 10 catégories, ramenées ici à 9.10 Nous leur avons ajouté les données concernant les espè< es (les espèces proprement dites, les objets d'or et d'argent évalués comme des espèces, au poids) ainsi que les dettes actives et passives de façon à déterminer la richesse mobilière nette des individus. Devant l'impossibilité où nous nous trouvions d'évaluer la plupart des immeubles a partir des inventaires eux-mêmes, nous nous sommes contentés ici d'une évaluation quantitative (en arpents de superficie, en nombre de lots et de maisons), reportant à plus tard une évaluation en argent à partir de l'examen d'un grand nombre d'actes de vente par période et sous-region.11
18 C'est sur ce matériau de base que reposent les analyses de la section 4. Si notre hypothèse est exacte, à savoir qu'une discontinuité profonde transforme la socio-économie québécoise au tournant du XIXe siècle suite à la pénétration du marché, les données devraient refléter un accroissement sensible du niveau de la richesse, même chez les habitants de plus en plus liés au marché, une structure sociale tendant à se diversifier et à se mieux démarquer, enfin des changements dans les «discours» de la consommation et de la production.12
19 Il n'est évidemment pas possible, dans le cadre d'un article, d'analyser systématiquement toutes les facettes de la richesse et de son évolution dans le Bas-Canada, entre 1792 et 1812, ni même toutes celles que révèlent les inventaires après décès. Tout au plus faut-il se contenter de quelques coups de sonde illustrant la richesse de ce type de documents et les éléments de support solides et nuancés qu'ils apportent à nos hypothèses.
20 Les quatre premiers tableaux résument les niveaux et la structure de la richesse ainsi que leur évolution entre les années 1792-1796 et 1807-1812 dans les régions de Montréal et de Québec. Les tableaux témoignent tous d'une progression significative de la richesse ainsi que d'une diversité régionale et sociale importante.
21 Dans la région de MONTRÉAL, la valeur mobilière nette moyenne, entre les deux sous-périodes, s'accroît de 280% (de 4 771# à 13 332# en livres de 20 sols), bond qui est très supérieur à l'inflation puisque les prix ne grim-pent que de 40 à 60% au cours de la même période.13 On constate une hausse similaire à peine plus faible, dans la valeur moyenne des biens meubles (de 2 492 # à 5 052 # ). Le décrochage s'affiche davantage spectaculaire dans la ville de Montréal, où la richesse mobilière nette passe de 10 929 # à 45 367 # , que dans les campagnes de la rive sud (de 2 470 # à 3 304 # ) ou de la rive nord, où il y a hausse pour tous les groupes sociaux (notamment les habitants, de 916 # à 2 460 # ) sauf les marchands, ce qui se traduit par une baisse modérée moyenne (de 3 812 # à 3 166 #).
22 Si l'on n'examine que les biens meubles (les 9 catégories), le niveau général de la fortune dans les trois sous-régions croît dans toutes les catégories: depuis le mobilier, les vêtements et les objets personnels (cat. 1), dont la valeur s'amplifie par près de deux fois, les ustensiles (cat. 2), par près de la moitié, les accessoires pour le travail et le transport (cat. 6), par plus de deux fois, et les stocks de produits ou facteurs de production (cat. 8), dont la valeur moyenne bondit encore davantage (de trois fois environ), jusqu'aux outils, bestiaux et volailles (cat. 4 et 7), qui enregistrent des hausses moins importantes. Un saut encore plus phénoménal se manifeste sur le plan du crédit, les dettes actives et passives de toute la région s'accroissant de 6 154 # à 20 249 # pour les dettes actives et de 4 432 # à 12 605 # pour les dettes passives. C'est naturellement dans la ville de Montréal que la hausse est plus sensible (par un facteur de 8 à 10). Cependant, dans les campagnes, où la situation globale ne bouge guère, les habitants ne demeurent pas en reste: sur la rive nord, leurs dettes actives et passives passent respectivement de 110 # à 731 # (multipliées par plus de six fois) et de 721 # à 1 018 #, entre 1792-1796 et 1807-1812, alors que pour la rive sud, pour les mêmes périodes, les données indiquent des déplacements depuis 84 # à 748 # et de 562 # à 1 823 # , soit des hausses très significatives. Les espèces, elles, ne s'accroissent que de 35%: rappelons cependant qu'à la fin de la première décennie du XIXe siècle sévit une pénurie aiguë de numéraire et de métaux précieux dans le Bas-Canada comme dans tout le monde occidental.16 Mais si l'on compare les seuls habitants des rives nord et sud, leurs liquidités moyennes bondissent de cinq à huit fois!
23 Un examen des sous-régions et des divers groupes sociaux met en relief des différences assez notables. L'accroissement des fortunes est inégal, mais il se manifeste presque partout. Si la monté en flèche de la richesse des marchands urbains (hausse de 766% pour les biens meubles et de 414% pour la richesse mobilière nette pour ceux de Montréal seulement) et, dans une moindre mesure, des marchands ruraux transparaît clairement, il n'en reste pas moins vrai que les habitants augmentent la valeur de leurs biens meubles et leur richesse mobilière nette de près du double sur la rive nord et sur la rive sud, soit davantage que la hausse moyenne observée pour l'ensemble de ces sous-régions. La «paysannerie» n'est donc pas à l'écart du circuit économique ni des retombées de la modernisation de l'économie. Au contraire, elle en bénéficie grandement, du moins durant cette période. Dans les trois sous-régions, les habitants voient monter la valeur moyenne de leurs biens meubles, moins à Montréal, mais considérablement dans les campagnes.
24 Dans la région de QUÉBEC (où il y a certaines lacunes dans les données concernant quelques groupes sociaux), le mouvement à la hausse est cependant également net, bien qu'il soit moins marqué qu'à Montréal. Les bien meubles passent de 1 542 # en moyenne, en 1792-1796, à 2 468 # pour les années 1807-1812, la richesse mobilière nette, de 2 934 # à 4 641 #, soit des hausses respectives de 60% et de 58%. Curieusement, la ville de Québec manifeste moins de dynamisme, et la richesse mobilière nette et la valeur des biens meubles tombant respectivement de 18 383 # à 13 233 # et de 6 745 # à 5 129 #. Il est possible que l'explosion tardive (après 1807) des exportations du bois, contrôlées par un petit groupe de marchands, ne fasse sentir tous ses effets dans le commerce qu'après 1810-1812. Cette hypothèse apparaît d'autant plus vraisemblable que les premiers grands négociants qui s'impliquent dans ce commerce récent, mourront généralement après 1812.
25 Dans les campagnes, tant sur la rive nord que sur la rive sud, la population en général et les habitants en particulier sont moins riches que leurs compatriotes de la région de Montréal: chez les habitants, de 39% pour les biens meubles et de 25 % pour la richesse mobilière nette, au départ, sur la rive nord, de 58%. et de 45 % respectivement, sur la rive sud. Cet écart diminue avec les années: il n'est plus que de 25% et 36%, sur la rive nord, de 52% et de 32% sur la rive sud, dans les années 1807-1812. Toutes proportions gardées, les habitants de la région de Québec partent de plus loin, mais s'enrichissent plus rapidement que ceux de Montréal, vraisemblablement à cause de l'activité très intense sur le marché de Québec (explosion du commerce du bois, quadruplement des exportations et des importations entre 1806 et 1810, gonflement des effectifs militaires et du nombre de marins de même que de manœuvres, débardeurs, draveurs, bûcherons, etc.). Bien qu'on ne dispose pas de données comparatives pour les années 1792-1796, les habitants de la ville de Québec laissent des quantités très importantes d'espèces à leur décès (1 235 # en moyenne) entre 1807 et 1812, preuve de leur imbrication dans le marché. Par ailleurs, l'inexistence relative d'inventaires après décès pour certains groupes sociaux, en particulier les marchands ruraux, peut témoigner d'une lacune dans les sources ou d'un réseau commercial moins développé dans les campagnes de la région de Québec.
26 Du côté des biens meubles, toutes les catégories (sauf la cat. 3, peu importante en général) croissent sensiblement en valeur: ainsi, la catégorie du mobilier, des vêtements et des objets personnels (cat. 1) et les categories reliées aux outils et au transport (cat. 4, 5 et 6) doublent; d'autres (cat. 2, 7 et 8) connaissent des hausses de plus de 60% à 75 %. Dans ce district, les éléments de consommation accaparent une part croissante des avoirs totaux à mesure que le temps passe. Contrairement à Montréal, les espèces et objets d'or ou d'argent s'accroissent considérablement (de près de 50%), mais on assiste à une baisse des dettes et des prêts tant dans la ville que dans les campagnes sur les deux rives du Saint-Laurent.
27 Les sous-régions et les groupes sociaux se partagent inégalement la richesse et ce pour chacune des périodes (tableau %). Le groupe des habitants est l'un de ceux qui s'en tirent le mieux. Les marchands éprouvent de sérieuses difficultés et leur enrichissement se concentre dans les intérieurs domestiques et les stocks. Les membres des professions libérales vivent dans un luxe certain, à Quebec comme à Montreal d'ailleurs. Les hommes de metier, pour leur part, se situent en général au bas de l'échelle.
28 L'accroissement de la richesse se répartit aussi inégalement entre les groupes sociaux et a l'intérieur de chat un d'entre eux. Ainsi, les habitants dans leur ensemble doubleni leurs avoirs mobiliers, tant à Québec qu'à Montreal; mais certains individus grimpent beaucoup plus rapidement alors que d'autres stagnent. Cette transformation de la structure de la richesse traduit une plus grande différenciation sociale sous la pression du marche: les m hes deviennent plus riches, la moyenne des habitants ac croissent leurs biens, les moins riches se trouvent de plus en plus distances par les plus favorisés.
29 Vu le pouls démographique des habitants, la seule prise en consideration de la richesse mobilière ne peut suffire à évaluer l'évolution de la richesse etlec tive. Mais il n'est pas possible, pour le moment, d'arriver a une approximation satisfaisante de la valeur des terres et des immeubles. Toutefois, le tableau IV présente une premiere compilation de la superficie des terres mentionnée dans les inventaires. Or, tant a Quebec qu'à Montreal, tant pour les fortunes mobilières que pour les fortunes immobilières, le tableau enregistre un déplacement vers des niveaux plus élevés .1 la lois pour l'ensemble de la population et pour les habitants.
30 À MONTRÉAL, le déplacement de la richesse s'effectue sur le plan des actifs mobiliers et sur celui des terres. Les fortunes mobilières nettes de plus de 4 000 # représentent I)'; pour les habitants et 14% pour tous (l'ensemble des 5 catégoriesoccupationnelles)en 1792-1796, mais 21% et 27% en 1807-1812! Par contre, les mêmes pour-centages pour les fortunes de moins de 1 999# passent de 86% et 74% à 62% et 61% pour les mêmes groupes, la catégorie 2 000 - 3 999 # passant de 13% et 12% à 17% et 11%. Quant a la superficie moyenne des terres, elle s'élargit considérablement: de 110 à 182 arpents en moyenne pour l'ensemble de la région, mais avec des différences entre la rive nord (de 109 à 104 arpents), la rive sud (de 137 à 140 arpents) et la ville de Montréal (de 54 à S87 arpents). Le tableau IV révèle aussi que la distribution de la superficie des terres se déplace vers le haut. Le pour-centage des propriétés de moins de 50 arpents passe de 14% pour les habitants et de 35% pour tous, entre 1792 et 1796, à 6% et 28%, alors que les catégories de 50-89 et de 90-149 arpents grimpent fortement: les pourcentages sautent de 36% (pour tous) et 55% (habitants) à 44% et 63% respectivement. Le pourcentage des grandes propriétés (de plus de 150 arpents) demeure à peu près stationnaire.
31 À QUÉBEC, le déplacement de la richesse mobilière s'affiche clairement. 89% des habitants et 84% de l'ensemble des groupes retenus valent moins de 2 000# en moyenne, de 1792 a 1796, contre seulement 74% et 69% dans la seconde période. La catégorie 1 000 - 3 999# passe de 10% et 8% respectivement à 18% et 17%; celle de 4 000 à 9 999# , de I1% et 2% à 7% et 8%. Quant à la superficie moyenne des terres, elle augmente de 63 à 91 arpents pour l'ensemble. Dans les campagnes, elle s'accroît de près du tiers chez les habitants de la rive nord, mais de plus du double chez ceux de la rive sud. Les propriétaires de moms de 50 arpents passent d u n e proportion de 31% pour les habitants et de 44% pour tous (1792-1796), à 24% et 40%. (1807-1812). Le second groupe (50-89 arpents) se gonfle également, mais surtout le troisième (90-149 arpents) et le quatrième (150-199 arpents), où les pourcentages, pour les habitants et tous, dérivent de 38% et 33% à 49% et 35%.
32 L'accroissement certain de la richesse, variable selon les différents groupes sociaux et les regions, élargit l'éventail des options des acteurs sociaux. Où investissent-ils leur surplus: dans les dépenses somptuaires, comme l'affirme parfois l'historiographie, ou dans l'accumulation de facteurs de production? Il semble que les Canadiens en général ei les habitants en particulier évitent de mettre mus leurs œufs dans le même panier. Certes, ils profitent de la prospérité pour améliorer le contort domestique: les catégories de biens comme le mobilier, les vêtements, les objets personnels, les ustensiles, doublent environ en valeur a Montreal. Par contre, les accessoires pour le travail et le transport ainsi que les stocks de produits et t.n unis de prodw tion voient leur valeur moyenne bondir par un facteur de 2 a 3 à Montréal, de 2 environ à Quebec. Et, cet accroissement n'est pas qu'un mirage statistique: en nombre absolu comme en variété, ces biens s'accumulent dans les maisons, les granges, les boutiques, les magasins. Il est impossible de détailler ici les intérieurs domestiques, les outils, les arrangements d'objets, et ce, même pour les seuls habitants. Il suffira de noter que tant du côté de la production que du côte de la consommation, se produit une modernisation, un accroissement en valeur et en diversité ties différents biens inventoriés dans les communautés a mesure que le temps passe au debut du XIX' siècle.
33 Le discours de la production, au tournant du siècle, i est la rationalisation. L'éventail des outils et des instruments aratoires s'élargit davantage en nombre et en diver-sité, d'après les inventaires, et avec eux se répandent de nouvelles techniques qui se diffusent au cours de la période. Toutes les catégories reliées au travail et à la production (cat. 4 a 9) s'accroissent en valeur, laissant entrevoir, tout comme l'augmentation des superficies îles terres, une raille plus vaste des exploitations et une certaine specialisation. Le degré de capitalisation S'accroît de façon nette tant a Montréal qu'à Québec, dans les villes et les i ampagnes environnantes.
34 Pour MONTRÉAL, les chiffres globaux sont gauchis pat l'importance tics grands marchands montréalais: ainsi, la part des stocks (cat. 8 et 9) passe de 49% à près de 62% de l'ensemble des biens meubles entre les deux périodes, i elle des animaux (cat. 7) baissant de 22% à 14% , celle des outils et accessoires (cat. 4, 5 et 6), de 9% a 8%, celle de consommation (cat. 1, 2 et 3), de 20% à près de 17%. Par contre, l'étude des seuls habitants, sur la rive nord et sur la rive sud, révèle une situation fort différente: une hausse dans les outils et les stocks sur la rive nord (de 10% et 26% à 13%' et 28% de leurs biens meubles), une augmentation de 25% à 29% des stocks de denrées diverses (surtout des céréales et du foin) sur la rive sud. Par ailleurs les habitants de la rive nord consacrent une part plus importante de leurs avoirs mobiliers en bétail relarivement parlant (48% en 1792-96 et 40% en 1807-12) que ceux de la rive sud (27% et 21%), qui pour leur part détiennent des stocks de céréales plus importants (41% et 39% par rapport à 24% et 27% pour la rive nord). Ainsi, la rive nord semble se spécialiser relativement davantage dans l'élevage, la rivesud, dans la culture des céréales. Le tableau Ⅴ éclaire d'ailleurs l'accroissement global et moyen des animaux de la ferme, tant a Montreal qu'à Québec, ce dernier district enregistrant des hausses pour toutes les catégories d'animaux, mais à partir d'un point de depart beaucoup plus bas. Ces chiffres ne disent pas tout. Une analyse plus fine, trop longue pour le present texte, suggère une repartition très inégale des animaux par habitant, avec une tendance à la concentration avec le temps: autre signe de différenciation sociale.
35 Quant aux terres, on a vu le glissement vers des unités de production plus grandes (tableau IV) dans les deux districts. Une différence s'impose, cependant, entre les deux. Presque rous les habitants de Montréal possèdent leur terre, alors qu'un certain nombre n'en possèdent pas a Québec. Certains y verront le signe d'un procès de concentration économique en tram de s'accomplir.
36 À QUÉBEC, les habitants de la rive nord investissent davantage clans leur outillage (cat. 4, 5 et 6), en y consacranr 14% de leur avoir en 1807-1812 contre 1792-1796, ainsi que dans leur bétail (52% au lieu de 49%). Ceux de la rive sud, au conrraire, grossissent leurs stocks de céréales (de 17% à 24% de l'ensemble de leurs biens meubles) ainsi que leur outillage (de 15% a 16%); mais l'importance de leur bétail décroît légèremenr (de 45% a 43%). indice peut-être d'une autre différenciation régionale assez semblable à celle qui existe dans le district de Montréal: plus d'élevage sur la rive nord, plus de céréales sur la rive sud.
37 De même, chez les habitants des deux grandes regions, se fait jour un souci accru pour les fosses, les guerèts, les clôtures er aurres améliorations, autre signe d'un procès de rationalisation amorcé ou accéléré entre ces deux périodes. Ces données ne font que confitmer un procès plus général de rationalisation dans l'ensemble de la société, qui se traduit par une hausse encore modeste de la taille des entreprises artisanales, ce qui favorise les économies d'é( helle, par une structuration des unités de production dans les régions, avec généralement un gros artisan par faubourg ou village et une constellation de petits artisans dans ks environs. Mais c'est dans les marchés et les contrats d'engagement qu'on trouvera des réponses plus prei ises a tes questions.
38 L'examen des inventaites - et des tableaux - démontre clairement que les Canadiens ont enregistré la modernisation de la socio-économie jusque dans leurs intérieurs domestiques et leurs genres de vie. A cause du gonflement très marqué des stocks des marchands, les catégories davantages reliées à la consommation (1, 2 et 3) diminuent en pourcentage de l'ensemble des biens meubles pour la region de MONTRÉAL (de 20% à près de entre 1792-1796 et 1807-1812, mais elles doublent presque en valeur. Par contre, si l'on ne tient compte que ties agriculteurs, tant sur la rive nord que sur la rive sud, les catégories de consommation montent en valeur avec le temps et accaparent une part croissante des avoirs mobiliers: de 15% à 17% pour les premiers, de 19% à 20% pour les seconds.
39 À QUEBEC, la hausse dans l'ensemble de la région, est de quatre points de pourcentage (de 18% à 229? ), encore que les habitants de la rive nord maintiennent un pourcentage stable (a 199? ) et ceux de la rive sud connaissent une diminution (de 229? à 19%). Dans ce dernier cas, il s'agit évidemment d'une baisse proportionnelle, non réelle, puisque les catégories de consommation s'accroissent par deux environ en ce qui a trait a la valeur.
40 L'éventail des biens qui se trouvent dans les maisons en fin de période par rapport à ceux que l'on relève dans les premieres années et les caractéristiques de ces biens (forme, qualité, origine, utilité) «disent» l'existence d'un certain superflu sinon le goût d'un certain luxe. Variété, richesse et qualité dans l'ameublement, dans le costume et dans la lingerie de même que dans les ustensiles de cuisine et la vaisselle sautent aux yeux pour la seconde période, dans les maisons des habitants à la périphérie, dans le district de Montréal cependant plus encore que dans celui de Québec. D'ailleurs, les stocks des marchands reflètent bien ces nouveaux patterns de consommation.
41 Les tableaux VI et VII illustrent l'accroissement de la consommation et l'implantation du marché dans les régions de Québec et de Montréal, en présentant un éventail de produits un peu plus «luxueux» et supposant, pour un bon nombre, une fabtication extérieure au domicile (les descriptions d'ailleurs confirment ce point, même si elles ne sont pas aussi quantifiables).
42 Dans les deux régions, les hausses les plus marquées touchent des produits directement liés au conforr et au bien-être: chaises, lits, miroirs, poêles, tables, couvertes, oreilles; sofas qui font leur apparition pour lapremièn fois dans les campagnes, semble-t-il; bancs, torchons et armoires. La région de Québec domine celle de Montréal en moyenne pour cinq biens (chaises, coffres, miroirs, nappes et oreillers), a un niveau à peu près équivalent pour trois autres (couverts, draps, horloges), mais se situe en dessous des moyennes à Montréal pour les huit autres produits.
43 Dans la région de MONTRÉAL, le niveau de consommation globale s'accroît pour 11 produits et fléchit pour cinq d'entre eux. Encore là, il faut nuancer enrre la ville et les campagnes où se concentrent les habitants. Ceux-ci, par exemple, accroissent ou maintiennent le nombre moyen de coffres, contrairement à la ville; ils acquièrent toutes proportions gardées, plus de miroirs, de tables, de rideaux et de sofas (ce nouveau luxe) qu'en ville, alors qu'ils suivent la tendance générale en ce qui a trait aux chaises, lits, poêles, couvertes, draps, nappes, oreillers, bancs et armoires; enfin, ils vont à l'encontre de la ville pour le reste. Inutile d'ajouter qu'outre les sofas, les rideaux, les miroirs, les bancs, les armoires, etc. présupposent un certain superflu.
44 Dans la région de QUEBEC, la montée de la consommation s'avère encore plus spectaculaire, avec des hausses pour tous les biens et souvent selon des pourcentages supérieurs à ceux de Montréal. Ces biens proviendraient en partie, selon bon nombre d'indices, d'une production extérieure à la famille et donc du marché. On a l'impression d'un décollage de la consommation, surtout dans les campagnes où l'appartion des sofas et des horloges ainsi que les hausses notables du nombre de chaises, coffres, miroirs, poêles, tables, couvertes, draps, nappes et bancs viennent infléchir les moyennes à la hausse. Québec semble vraiment s'imbriquer dans le marché. Quant aux habitants, ceux de la rive nord consomment beaucoup plus que ceux de la rive sud, alors qu'à Montréal, les niveaux sont plus voisins, la rive sud jouissant d'un très léger avantage en valeur pour les catégories 1, 2 et 3.
45 Toutefois, à trop chercher les changements dans les produits plus durables, on laisse peut-être échapper des aspects essentiels de la consommation plus quotidienne. Aussi avons-nous cherché du côté des vêtements, qu'il faut remplacer plus souvent et pour lesquels bon nombre d'indices précis existent (précisions dans l'inventaire, descriptions, hausse de consommation trop rapide pour la production traditionnelle, nature du bien, etc.). Les tabl eaux VIII et IX ont 1 avantage non seulement de nous quantifier l'accroissement très considérable du nombre de vêtements par communauté (environ du double), mais de cerner les différences entre régions, d'une part (QUÉBEC, avec un niveau plus élevé de consommation, passant d'une moyenne de 15,79 à 26,56, MONTRÉAL, avec une hausse plus rapide en pourcentage, de 10,75 à 22,77), entre villes et campagnes, d'autre part: ainsi, dans la ville de Québec, on assiste à une chute du nombre de pièces de linge par ménage (de 47,7 à 34,63) comparativement a des poussées dramatiques dans les campagnes permettant de bien cerner l'impact du marché (de 11,96 à 27,22 sur la rive nord et de 8,97 à 17,66 sur la rive sud); à Montréal, la ville (14,11 à 24,13) et la rive sud (7,43 à 31,3)amplifienr leur consommation alors que la rive nord stagne (de 13,42 à 12,03). Les bottes font leur apparirion à Montréal et se multiplient à Québec sans parler des hausses significatives du nombre de bas, de chemises, de câlines, de chapeaux, de corsets, de culottes, de gants, de gilets, d'habits, de jupes, de jupons, de manteaux (à Québec seulement), de mantelets, de mouchoirs, de redingotes, de robes, de châles, de souliers et de vestes - pour une bonne partie, des produits importés ou fabriqués hors du foyer.
46 La masse de données tirées des inventaires après décès, pour les régions de Monrréal et de Québec, étaye notre hypothèse qu'une discontinuité importante transforme la socio-économie québécoise au tournant du Xe siècle: c'est la modernisation et l'instauration d'un régime de capitalisme commercial. Nous ne prétendons pas fonder une hypothèse aussi globale sur la base trop fragile d'un seul indicateur, si eloquent paraisse-t-il. La forte de i ette analyse des inventaires après décès ressort de sun addition aux autres indicateurs que nous avons développes depuis plus de dix ans: elle en continue les tendances, (estl'ensemble de ce faisceau d'indicateurs, chai un étant impartait et parriel, qui crée la conviction: montée des revenus de différents groupes sociaux qui dépasse telle des prix (voir nos indices de prix et nos estimes de revenus pour les manoeuvres, les menuisiers-charpentiers, les habitants, les fonctionnaires, etc, de même que ceux des revenus de seigneuries et de paroisses); alfinement et di versification tie la structure sociale (apparition île groupes nouveaux, stagnation d'autres, hiérarchie des pouvoirs entre eux); changement dans la nature tie l'Etat et intensification de la lutte pour le pouvoir; évolution tie la nat ure des finances publiques et du commerce international Même le régime financier a revêtu ses tonnes modernes au cours de la période.
47 Certes, le marché se heurte à des obstacles, dont le duopole social qui se cristallise suite à la superposition et à la combinaison de conflits constitutionnels, sociaux, économiques et ethniques. Mais de même que le patronage nous est apparu comme un révélateur de l'évolution de l'ensemble de la société, de même les inventaires après décès consrituent-ils un indicateur social très sensible aux changements profonds qui sont à l'œuvre dans les sousbassements de la socio-économie québécoise au tournant du XIXe siècle, en particulier dans les campagnes.
48 L'essentiel de la brisure qui nous intéresse ici, compte tenu de l'hypothèse générale, c'est le passage d'une société surtout de subsistance, où l'habitant ptoduit presque tout et, coincé par de mulriples contraintes doit se contenter du nécessaire, à une société transformée par le marché, où les acteurs se spécialisent davantage et se procurent, grâce au surplus que leur assure leur production écoulée sur le marché, un certain superflu lié à la fois au bien-être, au genre de vie, tout autant qu'à la recherche d'un statut social. Ce déplacement depuis la subsistance vers la consommation et un certain superflu, il se démarque non seulement dans les hausses en valeur (et souvent en proportion des biens meubles) et en quantité des biens comme l'ameublement, les vêtements, les ustensiles, dans routes les régions et en particulier chez les habitants, mais aussi dans l'ensemble des produits importés du marcheatlantique dont les ramifications passent par les stocks des matchands pour aboutir, souvent par ensembles, dans les intérieurs domestiques: tissus grossiers et tissus de luxe, comme ces toiles de Hollande, ces mousselines, corduroys, cotons, soies de Chine; chaudrons divers et couverts plus nombreux; draps, nappes, buffets, commodes, miroirs, poêles, sofas, bancs, horloges, etc. Autant d'analyses qui appellent d'ailleurs des démonstrations statistiques nombreuses qui dépassent cependant le cadre du présent article. Les chiffres globaux et les tableaux illustratifs suffisent à bien étayer les transformations dans la socio-économie et leurs contrecoups dans le style de vie des habitants comme des autres groupes sociaux.