1 La présente livraison du Bulletin d'histoire de la culture matérielle/Material History Bulletin regroupe une série de textes qui constituent soit des premières retombées directes d'une vaste enquête sur la culture matérielle et la société au Québec (1792-1835) à partir de l'analyse d'un grand nombre d'inventaires après décès, soit des résultats de recherches complémentaires menées par des étudiants de doctorat qui ont participé au projet à un moment ou à un autre.1 Il ne s'agit nullement d'une ébauche d'un ouvrage organique qui synthétiserait les diverses facettes de la socio-économie québécoise au tournant du XIXe siècle, mais plutôt de fragments encore éparts qui illustrent la richesse des sources et proposent des éclairages nouveaux sur cette réalité passée du début du XIXe siècle qui reste encore à reconstruire.
2 L'équipe comprend quatre chercheurs principaux: trois historiens, Jean-Pierre Hardy, D.T. Ruddel, tous deux du Musée national de l'Homme, et Jean-Pierre Wallot, de l'Université de Montréal, et un économiste, Gilles Paquet, de l'Université d'Ottawa. Bien qu'ils aient collaboré occasionnellement au cours des années 1970, tous quatre ne se sont regroupés formellement dans un même projet qu'en 1980.
3 Depuis 1967, Gilles Paquet et Jean-Pierre Wallot s'intéressaient aux phénomènes de restructuration et de modernisation de la socio-économie québécoise au tour-nant du XIXe siècle: rupture que leurs travaux postérieurs identifièrent comme la seconde des quatre grandes discontinuités dans l'histoire socio-économique du Québec-Canada.2 À des séries patiemment reconstituées et convergentes sur les flux dans les secteurs international, domestique et public de la socio-économie bas-canadienne (importations et exportations, trafic maritime, prix, revenus, espèces, rentrées et dépenses publiques, patronage, etc.), ils ont voulu combiner des données sur les stocks afin de mieux élucider les six procès fondamentaux les plus importants dans la structuration et l'évolution de toute société: la démographie; la production et l'échange; la finance; l'écologie des groupes sociaux et leurs motivations; l'État; la répartition.3 Or, en l'absence de recensements fiables, détaillés et comparables entre 1792 et 1835, il leur la fallu recourir à diverses sources notariées, dont la plus riche et la plus «sérielle» est sans doute les inventaires après décès.
4 Pour leur part, Jean-Pierre Hardy et Thiery Ruddel s'étaient penchés pendant plusieurs années sur le monde ouvrier de la région de Québec. Après avoir complété une étude sur les artisans de la ville de Québec, ils ont élaboré, au Musée national de l'Homme, un projet de recherche sur l'évolution des métiers et sur les conditions sociales et économiques des groupes sociaux à Québec.4 En plus de servir à l'exposition permanente du Musée, ce projet alimenta quelques expositions itinérantes sur les ouvriers et plusieurs monographies en histoire sociale.5 Depuis quelques années, sans pour autant négliger les autres sources tels les recensements, les rôles d'évaluation, les contrats de mariage, les bails à loyer, les marchés, les procès-verbaux etc., ces deux chercheurs ont de plus en plus recours à l'inventaire après décès. Jean-Pierre Hardy utilise ce document pour cerner la situation sociale et économique des résidenrs d'un quartier ouvrier de Québec (Saint-Roch); D.T. Ruddel pour poursuivre son étude des caractéristiques de la ville coloniale entre 1760 et 1840.6 L'inventaire après décès leur est aussi d'une grande utilité pour la mise en valeur du patrimoine, la principale raison d'être de tout musée. Comme ce document contient des renseignements sur les biens de la plupart des groupes sociaux et ethniques, il permet aux chercheurs des musées de situer les artefacts dans leur contexte socio-culturel et économique tout en rendant possible l'étude des relations entre les objets et les pratiques de consommation, les symboles, voire les valeurs véhiculées par les membres de la société qui les possèdent.
5 Ces intérêts, à l'origine assez différents, ont conduit les quatre membres de l'équipe à unir leurs efforts et leurs expertises complémentaires pour poursuivre l'étude de la socio-économie québécoise à ce moment crucial de transformation par le marché, en utilisant les inventaires après décès et d'autres sources connexes (tels les contrats de vente et les marchés) pour mieux scruter la dérive de la structure sociale et de la culture matérielle entre 1792 et 1835.
6 La première partie de cette introduction générale évoque brièvement les grands objectifs de l'enquête alors qu'une seconde aborde les aspects méthodologiques, une troisième, ce que nous avons appelé la «logistique». La dernière partie annonce les grands thèmes développés dans les articles du présent numéro du Bulletin.
7 Sur les plans économique, social et politique, une discontinuité fondamentale se produit dans le Bas-Canada au tournant du ⅪⅩe siècle: une société basée largement sur une économie de subsistance, avec un faible secteur commercialisé — «une économie duale» —, s'intègre assez brusquement au marché atlantique et passe au régime du «capitalisme commercial».7
8 Or, les analyses par les flux (indices de prix, de production, de revenus, séries des importations et des exportations, etc.), malgré leur affinement au fil des années, ne peuvent que brosser un tableau bien incomplet des changements réels qui surviennent en mettant trop l'accent sur la face fluide du système. Le recours aux inventaires après décès est donc d'une importance capitale car il permet de mieux démarquer concrètement les phénomènes de transition, en reconstituant les stocks qui asseoient l'inertie des systèmes socio-économiques. Il faut intégrer stocks et flux pour approximer l'équilibre ou le déséquilibre d'un système en train de se déstructurer et de se restructurer sous l'effet du marché.
9 Les inventaires après décès devraient permettre de saisir dans des bases plus concrètes les acteurs économiques et sociaux que l'historiographie mentionne continuellement comme autant d'abstractions tiraillées par diverses «angoisses», mais dont on connaît bien peu ou pas du tout les vraies conditions matérielles.
10 Comme la tâche de l'historien est d'expliquer ce qui s'est passé et pourquoi cela s'est produit de telle façon plutôt que d'une autre, à tel moment et en tel lieu, et non pas de se complaire dans la contemplation béate de vieilleries ou «artefacts», il doit checherà reconstituer, à partir de l'observation de ces systèmes d'artefacts notés dans l'inventaire, l'histoire «charnelle» (A. Faucher) des hommes et de leurs institutions coutumières. C'est l'histoire d'une société qui «s'institue»9 à l'intérieur de contraintes tributaires de l'œkoumène, de pressions techniques, économiques, sociales et politiques, de valeurs, enfin d'un monde extérieur plus vaste.10
11 Notre projet entend non seulement dégager une spec-ttographie des principaux groupes sociaux du Bas-Canada et pister leur évolution relative de 1792 à 1835, mais aussi les épier dans leur vie quotidienne, leurs genres de vie: structure et évolution de leurs avoirs et de leurs dettes, asymétrie entre individus et groupes, réseaux de crédit, organisation matérielle de la vie quotidienne — autant d'expressions qui évoquent les automatismes, les atavismes, les répétitions de gestes familiers, l'univers coutumier et effacé de l'homme concret «des vingt-quatre heures de la journée» (Bachelard), mais aussi les ruptures, les transgressions, les effets passagers de la mode, etc., bref les règles du jeu régissant le code social.11
12 Nous avons coiffé cette recherche du titre «Culture matérielle et société...». Le terme «culture matérielle» réfère, de façon générale, aux éléments de la vie quotidienne concrète: alimentation et vêtement, habitat et moyens de transport, techniques et monnaies, travaux et loisirs, etc.,12 facteurs qui se combinent d'une manière qui n'est pas déréglée ou attribuable au simple hasard, mais qui doivent s'instituer à l'intérieur des contraintes internes et externes qui limitent les jeux socioéconomiques possibles.
13 Pareille enquête ne peut se limiter à inventorier et à énumérer les objets et les gestes. Il faut surtout les «lire», les interroger comme «ensembles» — seuls comptent les ensembles, écrit Braudel — révélateurs d'un tissu social. On peut croire, en effet, qu'un individu (et, a fortiori, un groupe social) transmet l'idée qu'il se fait de lui-même et de son statut socio-économique par son genre de vie. Bref, il s'identifie: «peut-être la partie la plus importante de l'appareillage symbolique propre à chaque classe sociale consiste-t-elle dans les symboles, liés au statut, à travers lesquels s'exprime la richesse matérielle».13
14 Il convient de décoder, à travers la description des arrangements d'objets, le système des objets, le code social qu'il symbolise et reproduit. Fernand Braudel, pour le monde moderne,14 Henry Glassie, pour une partie des États-Unis (la Virginie),15 et J. Baudrillard, pour le monde contemporain,16 ont tenté de développer une «grammaire» des objets qui livre la clé du décodage de la culrure marérielle. La théorie des systèmes ouverts est particulièrement bien adaptée à ce genre d'étude.17 Car ce qui nous importe avant tout, c'est que les objets n'existent pas ou plutôt ne livrent pas leur sens de façon individuelle, mais représentent des textes où l'on peut «lire» le contexte que composent les six grands procès, ceux-là même qui instituent une socio-économie concrète de telle façon plutôt que de telle autre, à tel moment et à tel endroit.
15 Enfin, pareille étude fait le lien entre la culture matérielle et la socio-économie, entre le concret et l'abstrait. Elle intéresse donc à la fois les historiens, les économistes, les ethnologues, les musées et autres institutions concernées par la préparation d'expositions, l'évaluation de collections, la publication d'études spécialisées sur les métiers, le vêtement, l'ameublement, etc.
16 Tout compte fait, l'enquête vise à réaliser au Canada ce qui se fait ailleurs, notamment en France: la lecture du «discours de la production» et du «discours de la consommation» (Baudrillard) à partir d'une source privilégiée, les inventaires après décès. Pareille étude, unique en Amérique sur une telle échelle, rejoint de nombreux travaux tant sur la culture matérielle que sur les groupes sociaux, des deux côtés de l'Atlantique. Ainsi, au Canada, quelques chercheurs, notamment Louise Dechêne,18 ont montré toute la richesse et l'importance de l'utilisation des inventaires après décès pour atteindre le tissu social. Mais à vrai dire, personne n'a encore effectué une étude systématique des inventaires sur une période donnée, afin d'en induire la structuration sociale et la culture matérielle des différents groupes sociaux, surtout en une période de transformation rapide. En France, par contre, outre les travaux bien connus d'Adéline Daumard, de François Furet, etc.,19 une équipe interdisciplinaire réunie autour de Micheline Baulant, au Centre de recherches historiques de l'École des Hautes Etudes en sciences sociales, utilise systématiquement' ce matériau et s'emploie depuis plusieurs années à analyser les inventaires à l'aide de l'ordinateur.20 Une autre équipe, formée de Nicole Pellegrin et Jacques Peret, à l'Université de Poitiers, sonde la culture matérielle du Poitou à partir de la même source.21 Nous nous inscrivons dans ce courant. De plus, par l'utilisation systématique d'échantillons d'inventaires après décès sur une période de 45 ans, nous espérons capter non seulement une image de la structure sociale, mais aussi les moments et les formes de rupture que ces structures auraient pu vivre.
17 À l'origine, Gilles Paquet et Jean-Pierre Wallot entendaient concentrer leurs efforts sur les régions de Montréal et de Québec au moment même du décrochage, soit entre 1792-1796 et 1807-1812, afin d'éviter les distorsions certaines apportées par la guerre de 1812. Puis leur intérêt croissant pour ce qui s'était passé dans l'avant et dans l'après de cette période et les résultats intéressants des travaux de Jean-Pierre Hardy et Thiery Ruddel sur les artisans et la vie à Québec entre 1810 et 1840, firent déborder l'enquête pour couvrir tout le premier tiers du XIXe siècle.
18 Les méthodes d'exploitation des données ont déjà été exposées dans un article antérieur.22 Toutefois, il convient d'en résumer brièvement l'essentiel et de tenir compte des ajouts importants qui ont été apportés depuis 1976 tant au niveau des données qu'à celui de l'analyse. À partir de cet acte relativement représentatif des communautés du Bas-Canada,23 on peut reconstruire les conditions matérielles des divers groupes sociaux, donc détailler les biens meubles d'une communauté, leur qualité et même leur arrangement, leur valeur estimée, les dettes actives et passives (et le réseau de crédit qui se profile dans ces listes de créanciers et de débiteurs), les immeubles (terres, maisons, bâtiments), non évalués mais souvent très bien décrits. Bref, on peut reconstruire les contextes matériels différenciés dans lesquels opèrent ces groupes sociaux.
19 Compte tenu de l'abondance, de la longueur et de la complexité des inventaires après décès et du coût élevé de la prise des données et de leur exploitation systématique,24 l'équipe a procédé par échantillons à la fois socio-professionnels, géographiques et chronologiques.
20 D'abord, nous avons retenu cinq (5) groupes sociaux principaux: les marchands (marchands, négociants, commerçants, etc.), les membres des professions libérales (avocats, notaires, médecins, arpenteurs), deux groupes d'artisans — les artisans du bois (menuisiers et charpentiers) et du fer (forgerons) et enfin les habitants (habitants, agriculteurs, cultivateurs, laboureurs). Les habitants comptent pour au moins 80% de la population. Les artisans choisis travaillent dans les deux métiers les plus représentatifs du milieu des artisans durant la période.25 Les marchands et les membres des professions libérales représentent les classes montantes, à la pointe des débats socio-économiques et politiques tout autant qu'idéologiques qui agitent la colonie. Les inventaires après décès de seigneurs étaient trop rares pour former une catégorie à part, utile pour fins de comparaison. Tout au plus quelques inventaires viendront-ils enrichir qualitativement les analyses.26
21 Une fois ces groupes identifiés, nous avons procédé à des échantillons d'inventaires après décès dans la région de Montréal en la subdivisant en trois (3) sous-régions: rive nord, ville, rive sud.27 Pour ce faire, il a fallu répertorier tous les inventaires après décès des notaires ayant pratiqué dans les sous-régions et dont les greffes sont presque toutes maintenant disponibles aux Archives nationales du Québec à Montréal (ANQM), suite à leur transfert des dépôts régionaux au dépôt montréalais; puis, après avoir écarté les actes incomplets, illisibles, obscurs (quant à la profession du chef de ménage) ou reliés à des décès avant 30 ou après 60 ans (l'âge est rarement fourni), il a fallu tirer au hasard environ 15% des inventaires des habitants (qui sont nombreux), mais de la moitié à la totalité des inventaires pour les autres groupes sociaux, vu leur nombre moindre. Bien entendu, à cause de l'augmentation de la population avec le temps et du nombre d'inventaires, la taille de l'échantillon tend à s'accroître à chaque nouvelle tranche chronologique.
22 Enfin, aux tranches chronologiques du début, 1792-96 et 1807-12, se sont ajoutées deux autres sous-périodes: 1820-1825, années suffisamment éloignées de la guerre pour refléter davantage la nouvelle conjoncture (économie du bois, immigration qui est devenue massive, problème des «Corn Laws» et des débouchés agricoles, etc.), et 1830-1835, au cœur de ce que d'aucuns ont appelé la crise agricole et juste avant les Rébellions.
23 Pour Québec, les mêmes paramètres d'échantillons ont été appliqués en ce qui a trait aux groupes sociaux, aux trois (3) sous-régions (rive nord, ville, rive sud)28 et aux bornes chronologiques. Toutefois, l'étendue moins grande de la zone couverte que dans la plaine montréalaise, la concentration des archives judiciaires aux ANQQ, le coût énorme de l'élaboration d'un échantillon à partir d'un répertoire de tous les actes de tous les notaires,29 l'expérience acquise à Montréal, tout a concouru à la définition plus rapide et moins systématique de l'échantillon. Les carences qui pourraient en résulter sont compensées par la prise en considération d'une proportion plus élevée d'inventaires, notamment pour les quatre (4) premières catégories où il arrive qu'on ne déniche aucun inventaire pour tel groupe dans telle sous-région à tel moment.
24 L'image globale des inventaires après décès examinés est présentée au Tableau Ⅰ.
25 Au total, il s'agit d'un échantillon de 924 inventaires, auxquels il faut ajouter bon nombre d'inventaires pour d'autres sous-périodes ou d'autres groupes sociaux qui servent à nourrir l'analyse. Il n'est pas exclu, par ailleurs, que des fouilles ultérieures permettent de combler certaines lacunes dans telle ou telle catégorie socio-professionnelle.
26 L'analyse pourra tenir compte en partie du facteur ethnicité: pour les années 1792-1796 et 1807-1812, à Montréal, le petit nombre d'inventaires d'anglophones ne permet pas une étude comparative. Pour les deux tranches chronologiques postérieures, le nombre de Britanniques s'accroît. À Québec, dans toutes les périodes, on dispose d'inventaires impliquant des Britanniques.
27 Il faut préciser que d'autres documents viennent compléter les inventaires après décès: procès-verbaux de vente après inventaire (qui permettront de pondérer les estimations des inventaires et plus rarement d'évaluer les immeubles); actes de vente permettant de construire une grille plausible de prix pour les immeubles; autres actes notariés tels les marchés et donations.
28 Concrètement, une fois retenus les inventaires de l'échantillon, il a fallu porter toutes les données sur cinq fiches distinctes. La première (appendice I) porte sur l'identification de l'acte et des personnes impliquées (district judiciaire, numéro de l'acte dans notre propre classement; date, notaire, numéro dans son greffe, nombre de pages; résidence, profession, nom, sexe et âge du défunt - informations souvent retracées par la consultation des registres d'Etat civil; requérants, témoins, estimateurs, notaire témoin; signatures ou croix; second mariage ou troisième, etc.). À chacune des informations correspond une case réservée pour le codage que pourrait nécessiter un éventuel recours à l'ordinateur. Un grand nombre de renseignements d'ordre démographique, social et culturel peuvent être tirés déjà de cette seule fiche.
29 Un second type de fiche sert à l'inscription des renseignements relatifs aux biens meubles (appendice Ⅱ). Tous les renseignements sont consignés: la situation de l'objet (dans la maison, dans la cour, dans les bâtiments ou ailleurs), leur nombre, leur identification (il y en a près de 1 000 différents), leur utilité (e.g. «moulin à poivre», fer «à plasquer», moule «à chandelle»), leur état (usé, neuf, etc.), leur substance, la ou les couleurs, les dimensions relatives ou exactes, l'unité de mesure, le prix à l'unité et le prix global. Pour les fins d'une analyse d'abord générale, du type de celle qui se trouve dans le texte de la présente livraison («Structures sociales et niveau de richesse dans les campagnes du Québec: 1792-1812»), nous avons regroupé les biens meubles en neuf (9) catégories au lieu des dix (10) utilisées en 1976.30 Toutefois, l'énumération illustrative de biens entrant dans chaque catégorie retient les 10 catégories.
30 Une troisième fiche détaille les immeubles. Mais les informations à leur propos varient considérablement d'un inventaire à l'autre et ne portent presque jamais sur leur valeur. Elles peuvent inclure — ou omettre — des données sur les dimensions, la localisation, les limites, l'état ou l'aménagement (en bois debout, défrichées, clôtures, fossés, labours, etc.) des terres, les dimensions, la construction (e.g. pierre, pièces sur pièces) et l'état des maisons et des bâtiments. Il ne sera possible d'estimer la valeur de la plupart des immeubles qu'en tirant des valeurs moyennes d'un grand nombre d'actes de vente dans chacune des sous-régions et des paroisses concernées. Ce travail est en cours.
31 Une quatrième fiche (appendice III) sert à noter les espèces, l'argenterie et l'or en valeur. Enfin, une cinquième fiche (appendice IV) permet d'inscrire les dettes et créances ainsi que divers titres et documents. La plupart des notaires utilisent la livre française «de 20 sols» ou ancien cours (rarement la livre tournois), parfois la livre anglaise cours d'Halifax (£1 = 20 shillings = 24 livres de 20 sols = $4 espagnoles).
32 Une fois la prise des données complétées sur les fiches, une vérification permet d'éliminer bon nombre d'erreurs. Puis, des grands tableaux synthèse sont constitués par région et sous-période.31 ' Ce n'est qu'ensuite que l'équipe s'attaque à l'analyse des catégories et sous-catégories ellesmêmes, en les situant toujours par rapport à l'ensemble. Les appendices V et VI illustrent ces grands tableaux d'analyse et le type d'études détaillées auxquelles ils peuvent conduire. Il en est ainsi de toutes les catégories et il faudra poursuivre du côté des espèces, des dettes actives et passives, des immeubles, etc. C'est un programme ambitieux qui devrait déboucher sur un ouvrage, mais aussi sur une multitude de recherches spécialisées puisque l'ensemble des données et des tableaux seront disponibles aux chercheurs tant au Musée national de l'Homme qu'à l'Université de Montréal d'ici quelques années.
33 Il ne saurait être question de présenter pour le moment une synthèse des résultats des différentes études en cours sur diverses portions de ce chantier. Ainsi que nous l'avons suggéré plus haut, il faudra attendre encore un moment avant que nous soyons en mesure de composer les divers projets en cours en une toile qui représente bien cette réalité socio-matérielle du Québec dans le premier tiers du XIXe siècle.
34 Entre temps, il nous a semblé utile de présenter le projet, de faire le point et de permettre à chacun de tirer déjà quelques conclusions préliminaires de ces travaux en cours. Il ne peut s'agir évidemment que de propos d'étape.
35 L'article de Gilles Paquet et Jean-Pierre Wallot utilise l'inventaire après décès pour tracer à gros traits une comparaison entre les régions de Québec et de Montréal entre les deux premières périodes (1792-1796 et 1807-1812) en mettant l'accent en particulier sur la situation des habitants dans ce moment de restructuration sociale. On peut déjà détecter des changements tant dans les niveaux de richesse, que dans la différenciation sociale et les «discours» de la production et de la consommation entre les périodes.
36 Jean-Pierre Hardy s'attache pour sa part à examiner les niveaux de richesse et les intérieurs domestiques pour les journaliers, les commerçants et certains groupes d'artisans dans le quartier Saint-Roch à Québec. 11 examine les changements entre les années 1820 et les années 1840. David-Thiery Ruddel étudie la production domestique des textiles, le rôle de l'importation des tissus et le vêtement comme symbole d'appartenance à une classe ou à un groupe social.
37 Quant à Lorraine Gadoury, assistante de recherche à Montréal, elle s'interroge sur les stocks des habitants à travers les inventaires après décès, sur leur nature, sur leurs variations selon les saisons. George Bervin, assistant de recherche à Québec, se penche sur une fraction des élites que constituent les conseillers législatifs et exécutifs, dont il décrit et analyse l'espace intérieur et la situation économique à partir d'inventaires après décès, d'autres actes notariés et de certaines données de l'enquête. Christian Dessureault, enfin, étudiant de doctorat à l'Université de Montréal, qui a déjà participé à l'enquête, compare deux seigneuries à l'aide d'inventaires après décès: celles du Lac-des-Deux-Montagnes, sujet de sa thèse de maîtrise, et celle de Saint-Hyacinthe, sujet de sa thèse de doctorat.
38 Ces travaux divers par leur inspiration et leurs problématiques qui s'inspirent tous des inventaires après décès, devraient pouvoir donner une idée de la richesse même de la source et des analyses variées dont elle tient la clé. Nous sommes encore loin d'avoir mis au point un appareil théorique qui rende justice au foisonnement des questions et des interprétations que recèlent les inventaires après décès; mais nous avons commencé, tout au moins, à lire les formes de l'inscription spatiale des divers groupes sociaux et à repérer les mailles qui structurent et aménagent leurs espaces. L'inventaire après décès promet, à notre avis, de nous donner accès à un décodage des espaces de ces groupes — et l'espace, on le sait, c'est le «matériau tangible» de la vie.32
Nous remercions le Conseil de recherche en sciences humaines du Canada, le fonds FCAC, le Musée national de l'Homme, l'Université de Montréal et l'Université d'Ottawa dont l'appui financier a rendu possible cette vaste et coûteuse enquête.