A knowledge of the legal infrastructure is essential in order to gain a better understanding of living and working conditions in the logging camps. This article is aimed, first, at analyzing the labour legislation which applied to the St. Maurice Valley loggers and, second, at verifying the application of this legislation by looking at the actual working conditions, some information about which can be gleaned from an examination of the employment contracts.
Pour mieux saisir les conditions de vie et de travail en forêt, la connaissance de l'infrastructure juridique s'avère indispensable. Cet article vise, dans un premier temps, à faire le point sur la législation ouvrière qui affecte le travailleur forestier de la Mauricie et, dans un deuxième temps, à vérifier l'application de cette législation dans le vécu des conditions de travail que les contrats d'engagement permettent de saisir, du moins partiellement.
1 La présente étude veut faire la lumière sur l'engagement des travailleurs forestiers de la Mauricie au milieu du XIXe siècle. Elle s'appuie sur l'analyse de différents types de contrats d'engagement passés devant notaire aux Trois-Rivières.
2 Nous avons repéré 142 de ces contrats, tous produits entre 1847 et 1861. Après cette date, il nous est impossible de retracer d'autres actes dans les greffes des archives locales. De plus, ces contrats impliquent l'embauche de seulement 210 hommes, alors que nous savons pertinemment que plus de 1 000 travaillent annuellement dans les chantiers de la Mauricie.1 Le contrat d'engagement notarié n'est donc pas une pratique généralisée. Les frais de passation et le déplacement des parties et des témoins ne suffisent pas à expliquer la rareté et la cessation de cette pratique à partir de 1862. Pour comprendre ce phénomène et mieux connaître les rapports juridiques que les ententes écrites nouent entre les travailleurs et les employeurs, nous allons d'abord examiner l'évolution de la législation ouvrière.
3 Au Bas-Canada, l'Acte Constitutionnel de 1791 officialise à "nouveau le droit civil français, auquel vient s'ajouter le droit statutaire issu de l'autorité législative coloniale. Le droit criminel et la procédure judiciaire, identiques dans les deux Canadas, sont d'origine britannique. Ainsi, ce sont les anciens usages français assujettis aux procédures anglaises qui régissent l'apprentissage. On comprend que ces emprunts à divers systèmes juridiques et l'absence d'une codification précise concernant les autres types de location de travail sèment la confusion chez les marchands et les maîtres-artisans. Pour remédier à cette situation, le gouvernement colonial remet en vigueur l'utilisation des statuts britanniques et du Common Law en matière de relations de travail. Malgré cela, les difficultés persistent chez les juges de paix qui, appelés à régler les conflits entre maîtres et apprentis, doivent utiliser le complexe et ambigu guide juridique anglais: le Burn's Justice of the Peace and Parish Officer.2 D'où leur requête au Gouverneur Dorchester en 1802.
4 Dès lors, la législation statutaite du Bas-Canada fait son apparition dans la régie de l'utilisation de la force de travail des apprentis et des autres engagés. En 1802, la Chambre d'Assemblée vote une loi cadre très coercitive à l'endroit des apprentis et des autres travailleurs. Ces derniers sont tenus de respecter la durée de leur convention de travail sous peine d'une amende maximale de dix livres ou de deux mois d'emprisonnement. Quant aux maîtres, ils conservent le droit de mise à pied à tout moment. De plus, cette loi accorde aux juges de paix des districts de Québec, de Montréal et de Trois-Rivières, un pouvoir quasi illimité de réglementation en la matière, ce qui est source de jugements arbitraires et abusifs.4
5 Cette latitude laissée aux juges de paix est légèrement réduite en 1817 par l'adoption d'une loi qui «pourvoit plus efficacement au règlement de la police dans les cités de Québec, Montréal et Trois-Rivières et pour d'autres fins».5 Cette loi, qui étend le pouvoir de réglementation des juges de paix à toute question de police des cités, re-conduit le statut de 1802 en matière de législation ouvrière et uniformise l'application des nouveaux règlements. Désormais, les futures règles ne peuvent avoir force de loi qu'avec le consentement de la Cour du banc du Roi. De plus, elles doivent être affichées en anglais et en français dans les places publiques. L'administration coloniale veut ainsi se doter d'instruments précis et efficaces pour réprimer la désobéissance ouvrière.
6 La réglementation spécifique à Trois-Rivières n'a ce-pendant pas été retrouvée. Son existence ne fait pas de doute puisqu'elle doit être approuvée et affichée pour l'administration de la justice. Il est raisonnable de croire que les rapports de subordination qui lient les engagés aux maîtres à Trois-Rivières sont aussi explicites que les règlements en vigueur à Montréal en 1821.6 Ces derniers stipulent que l'absence, la désertion ou la simple négligence d'un apprenti ou d'un serviteur engagé par convention verbale ou écrite est passible des peines prévues par le statut de 1817.7 De plus, ces sanctions sont applicables à toute personne qui incitera à la désertion un ouvrier sous contrat. Ces règlements de police de caractère éminemment répressif attestent que le contrat verbal devant témoins est une pratique légale et peut-être déjà courante au Bas-Canada.
7 Ces législations touchent d'abord le milieu urbain. Ce n'est qu'à partir de 18118 que la réglementation du statut de 1802 s'applique aux apprentis et aux autres travailleurs des campagnes du Bas-Canada. Cependant, les juges de paix des cantons ruraux ne peuvent résoudre sur place les différends entre maîtres et engagés; les procès ne pouvant se tenir que dans le chef lieu du district. Ainsi, considérant l'accroissement du nombre de scieries et l'importance du travail en forêt, la Chambre d'Assemblée vote en 1836 une loi «qui pourvoit à faire décider d'une manière plus facile et moins dispendieuse les différends qui s'élè-vent entre les maîtres et leurs serviteurs dans les campagnes».9 Cette loi qui exclut explicitement la ville de Trois-Rivières — confirmant par le fait même l'existence d'une réglementation spécifique à cette ville — comprend un ensemble de règles très précises que ne peuvent modifier les juges de paix et qui s'appliquent à toute forme de convention écrite ou verbale. En fait, cette loi reprend pour l'essentiel la législation britannique contenue dans le Burn's Justice of the Peace and Parish Officer.10 L'article premier qui exige l'obéissance de l'engagé est une reprise textuelle d'un article concernant les apprentis.11 Les articles deuxième et troisième qui stipulent que la mauvaise conduite du maître n'est pas une raison valable pour annuler un contrat, sauf s'il y a non respect des clauses spécifiques du contrat, est contenue dans la sectionDissolution of Apprenticeships de Burns.12 La section de la loi qui inter-dit aux juges de soumettre les maîtres à une peine d'emprisonnement est aussi corroborée par la loi britannique: Magistrates have no power under the above acts to imprison a Master.13 La conduite des maîtres, dictée dans la section Rights and Liabilities of the Parties14 se retrouve intégralement à l'article septième de la loi du Bas-Canada et oblige le maître à bien traiter son employé et lui interdit de le déplacer sans sa permission.
8 En somme les législateurs du Bas-Canada élaborent cette loi à partir de la législation britannique qui a trait spécifiquement aux apprentis et consacrent la prétention des employeurs à utiliser sans entrave la force de travail de leurs employés. Ces mêmes prescriptions demeurent valables dans le cas de la nouvelle loi de 1849 concernant les travailleurs des cantons ruraux.15 C'est d'ailleurs cette dernière qui est en vigueur dans la campagne mauricienne durant la période que couvre les contrats d'engagement que nous avons répérés.
9 La particularité de cette dernière loi réside dans l'apparition d'une nouvelle clause inspirée de la législation britannique concernant les serviteurs.16 Dorénavant, tout travailleur, engagé pour une période fixe et non à la pièce ou à l'entreprise, et qui entend laisser le service doit donner avis à son maître au moins un mois avant la cessation de son engagement; le maître est aussi tenu de donner le même avis à son employé. Il est cependant très facile à l'employeur de contourner cette obligation en n'engageant qu'à la pièce ou à l'entreprise. Par contre, l'engagé délinquant voit sa peine maximale augmentée par l'addition concurrente de l'amende et de l'emprisonnement, ce qui illustre la volonté de la justice coloniale d'accentuer la répression de la désobéissance ouvrière.
10 Cette loi de 1849 concernant les travailleurs dans les cantons ruraux correspond presque en tous points à la première réglementation que nous retrouvons à Trois-Rivières en 1856.17 Ainsi en est-il de la légalité de toute convention verbale ou écrite, des clauses d'obéissance, du transfert de l'engagé, de l'interruption du contrat de même que des pénalités encourues par les parties. Cependant on décèle dans les règlements de 1856 des articles qui confirment leur spécificité urbaine, comme la mention de l'art mécanique, l'obligation à l'engagement à temps fixe et la limite de juridiction de ces règles aux seuls contrats passés aux Trois-Rivières.
11 Dans cette première étape de notre étude, les caractéristiques de la législation destinée aux apprentis et aux autres travailleurs ont été mises en évidence. Nous constatons que tous les types d'engagements sont consignés dans les règlements ruraux et urbains, qu'il s'agisse de contrats verbaux ou écrits relatifs à des travaux d'une durée fixe, à la pièce ou à «l'entreprise». Toutes les facettes des devoirs et obligations des parties y sont aussi abordées. Voilà ce qui explique le faible nombre de contrats retrouvés dans les archives notariales; il n'est pas nécessaire de recourir aux services d'un notaire car le contrat verbal devant témoin et le contrat sous seing privé offrent plus de souplesse et autant de garanties. À la lumière de ces précisions, voyons maintenant la teneur des 142 contrats d'engagement des travailleurs forestiers mauriciens.
12 Les contrats que nous avons répérés se présentent sous la forme manuscrite ou imprimée, et contiennent les mêmes énoncés. Les formules imprimées sont les plus nombreuses; elles portent l'en-tête d'un employeur particulier. Les quatre entrepreneurs qui recourent le plus fréquemment au contrat d'engagement devant notaire — George Benson Hall, Abraham Grant, John Broster et George Baptist18 — utilisent quatre formulaires types dont deux sont attribuables à George Baptist et deux autres à George Benson Hall. John Broster et Abraham Grant pour leur part utilisent fréquemment les formules de G.B. Hall.19
13 Nous pouvons dégager de ces contrats quelques constantes. En premier lieu, ils donnent un caractère plutôt individuel à l'engagement des travailleurs forestiers. Ceci se vérifie par le fait que l'on rencontre généralement un seul travailleur par contrat et aussi par la variation, durant la même saison, des salaires des engagés affectés à un même emploi. Cette variation peut s'expliquer par l'âge et l'expérience des individus. En second lieu, la présentation ou la forme de ces contrats de même que les conditions d'embauché et les obligations des parties sont presque identiques chez tous les entrepreneurs.
14 La formulation des contrats d'engagement correspond au mode contractuel traditionnel. Le classique «Par devant les Notaires Publics résidant aux Trois-Rivières» est suivi des parties en présence, de leur métier et de leur lieu de résidence; on ne signale jamais l'âge des engagés. Vient ensuite la durée du contrat et la qualité du nouvel employé. On poursuit avec l'énumération des obligations de chacune des parties. Au bas, comme dans tout autre contrat, on indique la date et l'on précise si les parties savent signer; suivent les signatures du notaire, des témoins, de l'employeur et des engagés. Nous remarquons que dans les cas où le contrat est passé à l'extérieur de l'étude du notaire, seuls d'autres notaires servent de témoins. De plus, la marge à gauche du contrat est souvent utilisée pour noter les avances de paie faites par l'employeur à l'employé.
15 Ces contrats précisent les devoirs du travailleur. Celuici est soumis à six contraintes principales: 1) travailler et exécuter les ordres de ses supérierurs, qu'ils soient employeurs, agents, conducteurs ou substituts; 2) être mobile, c'est-à-dire travailler partout où l'employeur voudra bien l'utiliser dans le Bas-Canada; 3) garder les secrets de l'employeur; 4) prendre soin du matériel de son patron et dénoncer celui qui le détruit; 5) ne jamais s'absenter du travail sans la permission de ses supérieurs; 6) se comporter comme un bon, fidèle et honnête serviteur. Si l'employeur ou toute autre personne autorisée croit que l'engagé se comporte de «manière inconvenable» ou fait défaut à ses obligations, il peut être congédié sans avis préalable et sans indemnité. L'employeur est donc le seul juge de la conduite de ses employés et possède sur eux un grand pouvoir coercitif.
16 L'assujettissement du travailleur se vérifie aussi dans la nature de l'emploi qu'il contracte. L'ouvrier est rarement engagé pour un travail précis. Sauf dans les quelques rares cas des conducteurs, charretiers et cuisiniers, le travailleur doit accomplir «toutes sortes d'ouvrages» qui lui seront commandés. Les employeurs ne déterminent jamais précisément la durée de l'emploi. Ils engagent «pour l'hiver, tant que le chantier durera»,20 ou «du moment qu'il partira de Trois-Rivières jusqu'à ce qu'il soit déchargé»21 ou encore «pour le temps qu'il sera requis de travailler».22 En n'engageant pas à terme fixe mais à «l'entreprise», l'employeur se dégage de l'avis obligatoire d'un mois qu'il doit donner à son employé comme le prescrit la loi.
17 On constate donc le souci des entrepreneurs à vouloir disposer de toute la latitude voulue dans la libre utilisation de leur main-d'oeuvre. Leurs seules contraintes se rapportent au versement des gages, au mode de paiement et à la fourniture de la nourriture dans les chantiers. Mais ces devoirs de l'employeur continuent d'accentuer la subordination de l'employé. Le salaire est établi sur la base d'un mois de travail de 26 jours «sans aucune perte de temps sous peine de tous dépens et dommages».23 Celui-ci est versé soit totalement à la fin du contrat, soit en faible partie à chaque mois et le reste à la fin de l'engagement. Ces modes de versements permettent à l'employeur de réserver le montant nécessaire pour couvrir les préjudices causés par l'employé lors de perte de temps ou de non-respect des clauses du contrat. Ainsi, l'employeur est à toutes fins utiles investi d'un pouvoir discrétionnaire pratiquement sans contrepartie. Cette situation reflète bien l'esprit des lois ouvrières d'origine britannique en vigueur dans la colonie.
18 C'est aussi dans la législature britannique que l'on découvre l'origine de la formulation des contrats types utilisés en Mauricie. En effet, le guide juridique anglais de Richard Burn établit le formulaire à utiliser pour les engagements d'apprentis en Angleterre.24 Celui-ci est déjà utilisé au Bas-Canada dans sa forme originale en 1791.25 S'il n'est pas tout à fait identique aux contrats types étudiés ici, on trouve de très grandes similitudes entre les obligations des travailleurs forestiers de la Mauricie et celles des apprentis anglais; les devoirs de ces derniers y sont énumérés dans le même ordre que dans les contrats. On y retrouve successivement: la promesse de servir fidèlement le maître; de garder ses secrets; de lui obéir où que ce soit; de ne faire aucun dommage aux biens de son maître, de veiller à ce qu'il n'en soit fait par qui que ce soit et de l'en avertir; de ne jamais s'absenter de son travail sans sa permission.
19 Ces contrats d'engagement des travailleurs forestiers mauriciens, inspirés du formulaire destiné aux apprentis britanniques doivent être conformes aux prescriptions des lois en vigueur dans la colonie. Mais ces contrats sont-ils régis par les règlements de Trois-Rivières ou par la loi élaborée spécifiquement pour les zones rurales?
20 Les formulaires de G.B. Hall indiquent que «les chantiers sus-mentionnés sont hors des limites des cités de Québec, de Montréal et de la ville des Trois-Rivières».26 Or, ceci ne signifie pas nécessairement que ces contrats sont sous juridiction des lois rurales puisque l'employeur peut, selon les règlements urbains, déplacer son employé avec son accord. D'ailleurs, cette permission est une clause des contrats étudiés. D'autres indices sont plus révélateurs. La loi statutaire de 1849, destinée aux cantons ruraux, permet le contrat «à l'entreprise» qui libère l'employeur de l'avis de renvoi, alors que celui-ci est obligatoire dans l'engagement à terme fixe. Ce type d'engagement, illégal dans les règlements municipaux de Trois-Rivières est la seule forme d'embauché utilisée par les entrepreneurs forestiers de la Mauricie. De plus, on mentionne dans le contrat que l'engagé déliquant est passible «des pénalités portées aux lois et ordonnances de cette Province».27 Il nous apparaît donc certain que nos contrats sont soumis à la législation statutaire des maîtres et serviteurs dans les cantons ruraux.
21 Mais de quelque juridiction qu'ils relèvent, les contrats d'embauché des forestiers mauriciens, à l'instar des lois en vigueur, consacrent les pleins pouvoirs de l'employeur sur sa main-d'oeuvre. Ceci n'est d'ailleurs pas le seul fait de la période qui nous occupe. En effet, la loi statutaire provinciale de 1881 concernant les travailleurs des cantons ruraux, qui est encote en vigueur en 1909, est quasi identique à la législation de 1849. Ce même phénomène se produit aussi dans le cas des règlements municipaux de Québec, de Montréal et de Trois-Rivières qui restent inchangés jusqu'à la toute fin du XIXe siècle.28 Ces lois élaborées à l'époque où l'industrie était artisanale ne font que perpétuer à l'ère industrielle le même esprit de totale soumission de l'employé malgré les rapports de la Commission royale d'enquête sur les relations entre le capital et le travail au Canada de 1889.