1 Le champ de la recherche ethnologique au Québec s'étend maintenant "a l'étude du XIXe siècle victorien. L'ethnologie québécoise se concentrait principalement sur l'analyse de la société traditionnelle; elle porte maintenant son attention sur cette période qui a vu la naissance de l'industrialisation. La période victorienne, désignée ainsi d'après le nom de la souveraine britannique dont l'influence en matière de gout dépassa largement le cadre de ses îles, a été mieux approfondie du côté de l'Ontario et des Etats-Unis. La curiosité sur le goût victorien y occasionna, plus tôt, des études, peut-être " cause d'une plus grande affinité culturelle. Cependant, l'un des styles les plus en vogue au cours de la période victorienne, le néo-rococo, plut énormément a la société québécoise et montréalaise. Cette mise en lumière récente nous fait constater que le néo-rococo était une réinterprétation d'un style décoratif français déjà connu à Québec et à Montréal. L'analyse du phénomène s'avère fort intéressante.
2 Le Musée du Quebec nous présente trois volets sur la période en nous offrant simultanément trois expositions dont l'une sur l'architecture des villas à Québec au XIXe siècle, l'autre sur le costume dans la société québécoise de 1850 à 1925 et enfin, une troisième sur le mobilier victorien. Les collections du Musée du Québec, ainsi que plusieurs pièces provenant de la collection Sir Thomas Chapais de la Direction générale du patrimoine, servent d'appui a cette dernière exposition qui fait l'objet de notre propos.
3 L'exposition de plus de 150 pièces se propose de rappeler quelques aspects de la vie de l'époque dans un cadre domestique bourgeois sans toutefois prétendre à réaliser une reconstitution historique complete. Notre rapport avec les pièces du mobilier est facilité par la suggestion d'une présence humaine, telle qu'un chapeau à plumes suspendu, une canne déposée ou encore des cartes a jouer déployées.
4 Les meubles de l'exposition sont regroupes en ensembles recréant leur localisation normale dans une maison: vestibule, salon, salle à dîner et chambre a coucher. Les oeuvres choisies pour chaque ensemble correspondent a une thématique qui les lie entre elles. Un panneau explicatif illustre chaque thème. Les sujets évoqués sont les suivants: l'époque victorienne, la vogue de la sculpture, le confort victorien, les dorures, les meubliers québécois, le romantisme, l'amour de la nature et le gout du pittoresque.
5 Ces explications nous apprennent que les "victoriens québe'cois" avaient un goût éclectique et n'hésitaient pas à mélanger les styles. Menuisiers et ébénistes se sont ingéniés, devant la montée de la compétition du mobilier fabriqué en usine, a sculpter des motifs décoratifs complexes qu'ils étaient les seuls à pouvoir réussir. Parmi les fabriques de meubles les plus réputées à Québec étaient celles de William Drum et des frères Vallières. Au cours de cette période, des dorures, devenus symbole de réussite financière, ont souvent agrémenté les objets décoratifs. Des capitonnages se sont ajoutés aux fauteuils pour améliorer leur confort. Enfin, on nous rappelle avec justesse que les victoriens d'ici exprimaient leur fantaisie dans une attitude romantique, un amour de la nature et du pittoresque de même que dans un goût pour l'exotisme.
6 Certains détails de parties d'ameublement inaccessibles à l'oeil nous sont révélés par des photographies. Comme autre accompagnement didactique, l'organisatrice de l'exposition a écrit des textes de style poétique qui, tout en désignant la fonction utilitaire du meuble, s'harmonisent à l'esprit romantique du temps. De plus, une musique appropriée incite le public à s'attarder.
7 Par contre, l'identification des pièces, la provenance de celles-ci, les dates approximatives de leur fabrication, les matériaux utilisés, sont absents de la présentation didactique. Le visiteur aurait apprécié une information plus complète qui aurait satisfait en partie sa curiosité. Il semble que l'état de l'inventaire et de la recherche sur les collections de mobilier victorien du Musée du Québec ne permette pas d'offrir des informations détaillées sur les pièces.
8 Le style victorien se remarque par un éclectisme notoire dans ses emprunts a des styles historiques: néo-gothique pour les églises, néo-grec pour les hôtels de ville, néo-renaissance pour les clubs et néo-rococo pour la décoration intérieure. Vers 1850 le néo-rococo fut le style international le plus en vogue auprès des fabricants commerciaux. Les artisans québécois s'en sont largement inspirés. L'exposition nous offre l'occasion d'apprécier plusieurs meubles de la fabrique Vallieres, spécialisée dans la confection d'un mobilier raffiné et dispendieux. Les objets décoratifs et utilitaires de l'exposition proviennent des Etats-Unis et d'Angleterre.
9 Quelques meubles de l'exposition relèvent d'influences autres que celles du néo-rococo. Par exemple, l'horloge grandpère, le porte-parapluie et le buffet sont d'inspiration renaissance ou empire. Un mélange de styles, en proportions inégales, était fort courant a l'époque. Une profusion d'éléments décoratifs somptueux faisait état de la nouvelle richesse des classes bourgeoises que l'industrialisation avait rapprochées du pouvoir. L'encombrement qui caractérise le gout victorien n'est cependant pas apparent dans cette exposition. On nous propose plutôt une vision contemporaine sur l'époque en privilégiant certaines caractéristiques particulières.
10 La conception du design de l'exposition tente de faire comprendre l'interprétation particulière apportée par les meubliers québécois au style néo-rococo qui sera plus léger et moins chargé que sa contrepartie américaine ou britannique. La vogue du néo-rococo, lancée depuis l'Angleterre, s'est poursuivie au Canada jusque dans la seconde partie du XIX siècle, alors qu'en Angleterre le style régnait entre 1820 et 1830. Héritiers directs de la tradition française, les meubliers québécois ont assimilé aisément cette réinterpretation du rococo puisque ce style décoratif leur était familier.
11 Le design discret de l'exposition révèle relativement bien la simplicité (évidemment par rapport à l'époque) et la beauté des pièces. Le vestibule et la chambre à coucher sont notamment les pièces le mieux réussies. On a créé l'impression d'entrer dans une maison victorienne par son vestibule. La chambre à coucher, circonscrite par des écrans de tissus suspendus du plafond, transforme habilement le visiteur en spectateur indiscret. Il suffit de se placer près de la fenêtre pour éprouver le sentiment d'"écornifler" littéralement dans la fenêtre du voisin.
12 Les visiteurs circulent à l'aise autour des ensembles. Cependant, la salle a diner et le salon semblent amputés de leur espace réel. La présentation la moins réussie nous a semblé être la vitrine du service de vaisselle Tea Leaf Lustre. Puisque la spécialiste du design avait choisi de ne pas surcharger sa présentation d'ensemble, il eut été plus heureux d'éviter d'encombrer la vitrine. Quelques pièces auraient suffi à la démonstration.
13 Des cubes de plexiglas ont été posés sur les meubles pour des raisons sécuritaires, afin de protéger les objets délicats. On s'y habitue assez facilement et leur présence devient fort discrète après un certain temps. Par contre, en ce qui a trait à d'autres mesures sécuritaires, les gardiens du musée devraient surveiller davantage les visiteurs qui touchent aux meubles.
14 Les Canadiens se souviennent peut-être de cette exposition sur l'art de la période victorienne, Le style de la grande époque victorienne, qui a circulé au Canada en 1974-75 (exposition organisée par le Victoria and Albert Museum de Londres). Nous avons maintenant l'occasion de comparer notre propre art victorien, fabriqué ici, avec celui qui nous vint du pays qui l'a créé.
15 Souvent considéré à tort de bric-à-brac, le "victorien" est maintenant réhabilite' en champ d'études sérieux. L'engouement des familles bourgeoises pour ce type d'ameublement fait partie de notre histoire du XIXe siècle et mérite notre attention à cet égard. L'histoire du gout au Québec en est encore à ses balbutiements. Cependant, les expositions récentes du Musée du Québec montrent qu'on se propose de corriger cet état de choses. L'exposition aiguise notre curiosité sur la nature des collections auxquelles le Musée du Québec consacrera, nous l'espérons, temps et budget à leur étude. La connaissance de cet aspect de notre histoire récente en dépend.
16 L'exposition "Regard sur le mobilier victorien" met surtout en valeur l'influence rococo qui a été très populaire au Québec à l'époque victorienne (1837-1901), en particulier durant la seconde moitié du XIX siècle. Ma préoccupation majeure a été de découvrir, au moyen de cette exposition, ce que les meubles et les objets pouvaient me révéler sur l'homme qui les a créés et utilisés. J'ai cherché à rejoindre, par l'observation et l'analyse des formes structurelles et ornementales, la partie universelle qui réside dans l'homme. J'ai voulu comprendre, dans une perspective évolutive, les rapports qu'il a cultivés avec son environnement naturel et technologique.
17 Bien sûr, dans une recherche aussi brève, il subsiste beaucoup de questions, mais je me suis efforcée de saisir les aspects essentiels du sujet et de les livrer au public d'une façon concise afin que le visiteur puisse retirer une perception globale et significative du phénomène néo-rococo.
18 Les principaux aspects qui se sont dégagés sont les thèmes de l'amour de la nature, du romantisme et du pittoresque. Comme les différentes facettes d'une mentalité sont liées entre elles, les significations de ces thèmes s'interpénétrent. L'amour de la nature se retrouve au coeur de tous les thèmes, tout en étant interprété selon l'esprit romantique qui voit dans le contact avec la nature un moyen de s'unir à la vie, a l'essence des choses. Ce contact, il le maintient dans son environnement immédiat en créant des meubles et des objets qui rappellent constamment la nature.
19 A l'époque victorienne, on renoue avec les grandes périodes artistiques antérieures qu'on fait revivre d'une façon nouvelle. Le style Louis XV rococo, par ses formes galbées, ses fleurs abondantes et ses feuillages ondulants, fournit une source d'inspiration stimulante au romantisme qui, en réaction contre le néo-classicisme, valorise l'imagination. Les roses ne cessent de proliférer sur les meubles d'influence rococo et font rêver à l'amour (fig. 3). On exalte le goût du pittoresque qui est à la fois lié au romantisme et à la nature et qui développe l'attrait pour l'exotisme.
20 L'exposition fait ensuite ressortir l'évolution du métier d'ébéniste et du mobilier de cette époque qui coïncide avec l'avènement de l'ère industrielle. Elle rend compte des éléments nouveaux apportés dans le secteur du meuble et perpétues au XX siècle tout en établissant les liens avec le milieu social concerné.
21 Les meubles sont regroupés par ensembles qui correspondent aux agencements habituels que l'on retrouve dans la vie domestique. Ils sont accompagnés de quelques accessoires qui apportent une meilleure compréhension de leur utilisation et qui permettent de mieux illustrer la thématique.
22 Des textes présentent les thèmes et donnent des renseignements sur les objets exposés dans les vitrines. J'aurais aimé ajouter des détails complémentaires sur chaque pièce de mobilier et chaque accessoire, mais l'inventaire incomplet de la collection et les courts délais ne permettaient pas de le faire.
23 La mise en valeur d'une exposition nécessite aussi une bonne collaboration du designer. Lyse Brousseau, responsable du secteur du design, nous explique elle-même le rôle de ce secteur dans la conception visuelle de l'exposition: