1 La dernière parution des cahiers du patrimoine, Les artisans traditionnels de l'est du Québec, impressionne par la qualité de sa présentation: une mise en page soignée, des photographies d'une excellente qualité servant non seulement à agrémenter le volume mais à appuyer le texte; des plans et relevés architexturaux répondant bien aux exigences scientifiques des enquêtes ethnographiques; des dessins à main levée illustrant clairement et simplement les détails techniques qui trop souvent échappent à la photographie.
2 Les artisans traditionnels de l'est du Québec n'est pas une étude en profondeur du monde artisanal tel que son titre pourrait le suggérer. Et les auteurs, là-dessus, ne trompent pas le lecteur. Leurs objectifs sont clairs: "identifier de façon systématique les gens de métier qui pratiquent encore au Québec une activité artisanale touchant la transformation des matériaux de base tels que le fer, le bois, la pierre, le cuir, dans un but ultime de conservation et de protection" (p. 9).
3 Le lecteur pourrait donc se contenter d'un inventaire détaillé des artisans contemporains mais on lui offre beaucoup plus. La primière partie, la plus substantielle, traite des métiers. Les grands secteurs de l'activité artisanale (bois, métal, pierre, cuir) y sont représentés, quoique de façon très inégale. Pour la plupart des métiers, on essaie de s'en tenir aux mêmes thèmes: données quantitatives sur les artisans encore actifs et utilisés comme informateurs, bref historique du métier, malheureusement trop souvent escamoté, description plus ou moins élaborée, selon les métiers, de la boutique et de l'outillage. On ne réussit cependant pas toujours avec le même bonheur, de sorte qu'on a souvent l'impression désagréable d'un déséquilibre marqué non seulement entre les différents secteurs touchés mais aussi entre les métiers. Certains d'entre eux, tels que le forgeron, le ferblantier, le cordonnier, ont mérité une plus grande attention. D'autres, tels que le tonnelier, le charpentier et le menuisier, semblent avoir été négligés. Et pourtant, ce ne sont pas les informateurs ni les données qui leur manquent car dans les "éléments remarquables," sortes de chapitres qui viennent conclure chaque secteur d'activités, on y trouve de nombreuses données partielles sur des types d'artisans ou d'ateliers jugés hors de l'ordinaire ou plus représentatifs d'un métier. On sait, en outre, que la Direction générale du patrimoine possède de riches dossiers bien documentés sur chacun de ces artisans. Le fait que plusieurs auteurs aient participé à l'ouvrage n'est sans doute pas étranger à ce déséquilibre. Aussi, une synthèse des nombreuses monographies aurait-elle été souhaitable car ce que l'étude a gagné en les multipliant, elle l'a perdu en clarté et en valeur interprétative.
4 Il y a peu à dire sur la deuxième partie du volume. Appelée "répertoire raisonné," elle est consacrée entièrement à un inventaire de tous les artisans regroupés par régions administratives couvertes par l'enquête: Gaspésie et Îles-de-la-Madeleine, Saguenay et Lac Saint-Jean, Québec, Côte-Nord.
5 Quelques données biographiques telles que l'âge, le métier, l'apprentissage, les activités secondaires, le lieu de travail, accompagnent chacune des mentions d'artisans. Si, comme les auteurs oublient de le mentionner dans la préface et dans l'introduction, ce répertoire est surtout utile aux chercheurs ou aux organismes régionaux responsables de la préservation et de la mise en valeur du patrimoine, il aurait pu constituer un appendice tout aussi utile et n'aurait en aucune façon affaiblit la première partie.
6 Cette imposante enquête s'inscrit dans un mouvement déjà fort avancé d'indentification, de protection et de mise en valeur du patrimoine québécois. En faisant le point de façon si complète sur la situation artisanale actuelle la Direction générale du patrimoine s'est donné un outil sans précédent. Mais l'ouvrage ne pourra certainement pas "enrayer le mouvement actuel qui fera vraisemblablement disparaître ces activités si caractéristiques de la culture québécoise" (p. 8). Les cultures, comme les sociétés, sont des éléments dynamiques en soi. Et les "artisans traditionnels" furent des composantes parmi bien d'autres d'une culture en perpétuelle mutation. S'ils refont surface et s'imposent dans certaines régions, ce sera sous la pression d'organismes extérieurs et leurs raisons d'être comme leurs finalités seront tout autres que celles qu'ils ont jadis connues. Et il est certain qu'ils ne pourront récupérer leur place d'antan dans le mode de production et la hiérarchie sociale. Tel est le lot de l'évolution.
7 L'enquête n'en est pas moins utile et vient répondre à de nombreux besoins immédiats. Les chercheurs, de plus en plus intéressés au monde artisanal, peuvent y puiser là et dans les nombreux dossiers conservés à la Direction générale du patrimoine un corpus d'informations qui permettent des études davantage orientées par des problématiques précises. Citons ici la place des artisans dans le mode de production et les catégories économiques, la hiérarchie des métiers tant du point de vue social qu'économique, les changements qui ont fait de ce groupe de travailleurs jadis importants une réalité marginale aujourd'hui. Le public en général et plus particulièrement celui des régions concernées par l'enquête peut en bénéficier à plusieurs égards: meilleure connaissance de leur milieu, redécouverte d'une de leurs réalités passées et présentes, sensibilisation à un aspect trop souvent délaissé de leur environnement mais aussi, ne l'oublions pas, chasse aux antiquités ou aux vieux objets. En effet, collectionneurs et antiquaires n'auront aucun scrupule à briser ces ensembles que constituent l'outillage et l'équipement des boutiques. Enfin, plus important encore, les organismes régionaux (les musées, les sociétés historiques et même les chambres de commerce et les syndicats qui devront un jour s'intéresser à leur environnement culturel) pourront l'utiliser pour mette en valeur cet aspect de leur patrimoine régional.