1 La publication du volume Les maîtres-potiers du bourg Saint-Denis, 1785-1888 répondait à un besoin qui se faisait de plus en plus remarqué au Québec. Le développement connu par l'archéologie historique au Québec a créé la nécessité de se doter d'instruments de recherche nécessaires à une meilleure compréhension de toutes les facettes de l'évolution de la culture matérielle. Les chercheurs québécois ont constaté que, comparativement aux types céramiques importés, la production céramique québécoise était très peu connue. C'est ainsi qu'à l'intérieur du programme général d'inventaire des ressources archéologiques du Québec, une importance spéciale a été accordée à l'inventaire des sites de potiers québécois.
2 Michel Gaumond et Paul-Louis Martin sont deux pionniers de ce programme et leur ouvrage représente un premier essai d'étude globale d'un important centre de production de la céramique québécoise.
3 Le choix du bourg Saint-Denis s'explique facilement par le grand nombre d'artisans-potiers qui ont travaillé dans ce village et par la période de production qui correspond en grande partie au développement maximal de ce type de production au Québec.
4 Deux autres motifs non moins importants viennent justifier le choix: l'emplacement du bourg Saint-Denis sur une importante voie de communication et de commerce (la rivière Richelieu) et l'influence exercée par les potiers de Saint-Denis sur les autres régions du Québec.
5 L'ouvrage présenté par les deux auteurs se veut une approche interdisciplinaire où l'histoire, l'ethnologie et l'archéologie collaborent étroitement afin d'offrir une image globale de cette catégorie d'artisans et de leur production.
6 Le volume débute avec une présentation historique de la seigneurie, de l'évolution du bourg et de sa population (pp. 15-28). Si la présentation générale est bien faite, on doit remarquer la pauvre qualité de l'appareil critique. Sauf quelques exceptions, les notes et les références constituent une rareté pour un chapitre dans lequel on fait souvent référence aux actes notariés. De plus, le plan du village (p. 24, fig. 4) est totalement inadéquat.
7 La deuxième partie traite de l'objet même de l'étude, les artisans-potiers. Un rappel historique nous présente brièvement l'évolution du métier de potier au Québec, les premiers potiers de Saint-Denis et la prolifération des ateliers au cours de la période 1810-1840. Encore une fois, on constate un manque obsédant de notes et de références, ce qui rend très difficile l'utilisation des données présentées. Concernant la question posée par les auteurs - comment expliquer la prolifération des artisans-potiers vers 1780 "donc vingt ans après la conquête alors que la population n'a pas encore doublé depuis 1750?" (p. 31) - nous croyons que l'explication devra être cherchée non pas dans les archives mais dans les conditions économiques qui caractérisaient les deux pays métropoles de la Nouvelle-France, l'Angleterre et la France. Après la conquête, la production céramique anglaise (grès salin blanc, creamware, pearlware), ne pouvait plus satisfaire aux besoins en terre cuite ordinaire exprimés par la population majoritairement agricole de sa nouvelle colonie. Il nous semble que le développement de la production locale correspond justement à une demande que les importations ne pouvaient plus satisfaire.
8 Une partie importante du livre concerne la vie artisanale et présente toutes les étapes nécessaires pour devenir maître-potier: l'apprentissage, le compagnonnage et la maîtrise (pp. 40-56). On constate qu'on se trouve en présence de "la deuxième école de production artisanale de terres cuites communes québécoises" (p. 56).
9 Les deux chapitres suivants sont consacrés à la pratique du métier (pp. 57-71) et à la production (pp. 72-93). Les deux chapitres sont bien documentés et nous donnent une image globale du métier et de la production écoulée par les potiers de Saint-Denis. Les auteurs mettent en relief l'individualisme des potiers, caractéristique générale de la société québécoise à cette époque (p. 93). Si l'aspect d'ensemble est très intéressant, on doit remarquer une confusion totale quant aux termes techniques employés. C'est ainsi qu'on trouve sur deux pages (pp. 66-67) un amalgame de termes techniques mal employés: émail, vernis, glaçure, oxyde ou sulfure, minium (Pb304) ou titharge (PbO) etc. Si nous insistons sur cet aspect, c'est qu'il nous semble que l'emploi d'une bonne terminologie est essentiel dans une étude de cette importance.
10 Les auteurs ont fait un important pas vers la compréhension du milieu en nous présentant le système de transmission du métier (pp. 94-106) et la vie domestique de potiers (pp. 107-31). On réalise, grâce aux nombreux documents et tableaux, que les potiers travaillaient à l'intérieur d'un réseau d'alliances familiales et qu'ils formaient un cercle fermé. Ils appartenaient à la catégorie moyenne de villageois, ce qui est illustré par une abondante documentation (inventaires après décès, plans de maisons, etc.). Il est important de mentionner l'implication politique des potiers à l'occasion des événements de 1837-1838.
11 L'importance du centre de Saint-Denis est très bien illustrée dans le chapitre sur la renommée extra-territoriale (pp. 133-41). Des potiers de Saint-Denis iront travailler partout au Québec (Beauce, Nicolet, New Carlisle, Cap Rouge, etc.) et aux États-Unis (Burlington, Clintonville, etc.).
12 Pour finir, les auteurs nous présentent trois hypothèses concernant les facteurs de disparation (pp. 142-44). A ce tableau historique et ethnologique, vient s'ajouter les résultats de la reconnaissance archéologique (pp. 161-77). Cette présentation est très sommaire et plusieurs éléments manquent (localisation des sites et des sondages, coupes stratigraphiques, analyse des pâtes et des glaçures, etc.). Il s'agit d'une partie qui demande une étude approfondie et une présentation en conséquence.
13 En annexe, on retrouve la liste des maîtres-potiers du bourg Saint-Denis (pp. 157-59).
14 On peut dire, en conclusion, qu'il s'agit d'un ouvrage intéressant qui ouvre de nouvelles voies d'exploration. Le point fort de cette publication se situe au niveau de l'approche interdisciplinaire qui représente, à notre avis, l'approche idéale pour l'étude de l'évolution de la céramique québécoise. Quant aux aspects faibles (manque de notes et de références, mauvais emploi de la terminologie), il s'agit là de détails de réalisation qui n'influencent pas sur la conception générale de l'ouvrage.