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Sources archivistiques concernant la culture matérielle

Luce Vermette

1 Étudier la culture matérielle d'un peuple à travers diverses époques et dans divers lieux et milieux ouvre la porte à de nombreux et vastes champs de recherche, basés tant sur la documentation écrite, iconographique, muséologique qu'archéologique. Au niveau de la documentation écrite, les sources archivistiques, susceptibles de nous faire connaître les différents aspects de la civilisation matérielle, sont abondantes et variées. Vu la qualité et la quantité des sources, nous avons choisi de privilégier un aspect de la culture matérielle: la vie domestique. Les plus riches des sources s'avèrent les archives notariales; elles prendront une large part de notre exposé. Nous soulignerons de plus les sources officielles (administratives, gouvernementales) et privées (fonds de collection). Nous parlerons également mais brièvement des sources manuscrites et imprimées que sont les journaux personnels, les relations de voyage et les journaux en général.

2 Cette présentation de sources ne sera pas uniquement énumérative mais s'insérera dans un cadre thématique en tentant autant qu'il sera possible de louer leur potentiel et de cerner leurs limites. Cette façon de procéder démontrera, nous l'espérons, la nécessité de consulter une multiplicité de sources afin d'obtenir un bon éventail de renseignements sur un sujet, permettant ainsi de cerner davantage la réalité historique.

LA VIE DOMESTIQUE

L'habitation

3 On ne saurait débuter sans faire d'abord référence à l'habitation, cadre à l'intérieur duquel évolue la vie domestique. Pour connaître cette habitation, les documents de première valeur sont les marchés de construction, les devis de maçonnerie et de menuiserie. Il y est particulièrement question de la nature de l'ouvrage, du nombre des matériaux à fournir et à poser, du prix des gages, des modalités de paiement et de la durée du travail. Si les termes des marchés décrivent bien certains aspects, plusieurs omissions nous empêchent parfois de reconstituer la physionomie réelle de la maison, telle la localisation exacte de certains éléments (les ouvertures, par exemple). Le texte du marché est souvent, suppose-t-on, le résultat de discussions et de négociations entamées préalablement entre les parties. Ceci explique en partie les omissions, les mentions «faire comme il se doit» aussi bien que les précisions et les particularités exigées par le propriétaire. Néanmoins, ces documents sont les plus précieux pour nous renseigner sur le type archi-tectonique et sur les techniques de construction de l'habitation.

4 Les inventaires après décès contiennent également des données architecturales. Au cours de la rédaction de l'acte, sont mentionnés les pièces de la maison, les étages, les cheminées et les foyers. Au chapitre des biens immeubles, plus d'un fournit des détails de construction (sur les dimensions, le type, les ouvertures, la toiture) auxquels s'ajoute une remarque concernant l'état de la maison. Parfois, certains procès-verbaux de construction, des accords. des conventions, des états de matériaux à fournir, des actes de partage, des donations, des baux, des ventes, des contrats de concession renferment aussi des données architecturales, mais elles sont moins nombreuses que dans les actes pré-cités. Quelques ordonnances d'intendant et des actes législatifs imposent des modifications à la construction des habitations, soit, par exemple, en vue de minimiser les risques d'incendie ou de réglementer les dimensions d'un élément (d'un mur, d'une cheminée). Cherche-t-on la date ou la valeur d'un bâtiment, il faut de plus consulter les aveux et dénombrements des seigneuries, les recensements fédéraux, les rôles d'évaluation, les sources d'enregistrement, les procès-verbaux des arpenteurs, les registres des concessions de terres, les archives fiscales, les annuaires de ville et parfois même les archives des différentes Cours de justice (Cour des faillites, par exemple).

L'aménagement intérieur

5 En ce qui concerne l'intérieur de l'habitation, le mode de fabrication des murs, des cloisons, des plafonds et des planchers est spécialement connu par les marchés et les devis de construction. De plus, les devis de menuiserie renseignent sur les croisées, les escaliers, les armoires encastrées et les marchés de maçonnerie sur les foyers, les éviers et les potagers, s'il y a lieu. Quelques rares inventaires de l'état de la maison constituent des documents fort précieux, surtout en l'absence de devis, car bien des éléments pré-cités ainsi que les pièces de ferronnerie et de serrurerie y figurent. Malgré toutes ces données, maintes questions surgissent en ce qui a trait au revêtement des surfaces et à leur décoration. Les murs et les cloisons sont-ils chaulés, peints ou, plus tard, couverts de papier peint? Les planchers sont-ils en bois naturel, verni ou peint, faits de carrelage ou de tout autre matériau? Quelles sont les modes les plus populaires à travers le temps? Autant de questions, autant de silences dans les actes notariés. L'inventaire après décès apportera certaines précisions quant à la décoration murale (tapisseries, tableaux, objets décoratifs, luminaires, miroirs et rideaux). Les états de droit de taxation, les listes d'importations ainsi que les annonces de journaux sont aussi susceptibles de nous renseigner.

6 Les marchés de construction et les inventaires après décès peuvent divulguer le nombre de pièces dans les intérieurs, leur localisation par rapport à la maison (côté nord ou sud, vue sur la rue ou sur la cour) et par rapport les unes aux autres (cabinet de la chambre). Par l'inventaire, on apprendra de plus les diverses façons de les nommer au cours des siècles. On saura également si l'habitation est aussi un lieu de travail, c'est-à-dire s'il y a une boutique, un magasin, un bureau, un entrepôt et si ceux-ci s'intègrent aux fonctions domestiques. Quelques baux et donations offriront d'autres informations, notamment sur les usages réglementant la vie des domiciliés, sur le partage et l'occupation des lieux (cuisine, corridor, escalier, chambre).

L'équipement

7 Le mobilier et les objets domestiques révèlent le mode de vie, les habitudes et les mentalités des gens. Pour les connaître, Yinventaire après décès s'avère, à ce niveau-ci, le document le plus précieux. Tel un mandat de perquisition, il constitue une véritable intrusion dans une habitation. Il décrit pièce par pièce, selon un schéma assez constant, les ensembles mobiliers et l'équipement domestique qui les complète. De chaque meuble ou objet, on obtient facilement plusieurs détails concernant la nature, l'usage particulier, le matériau, le contenu, la fonction, l'état de service et le prix. Ainsi sont mentionnés, selon l'ordre dans lequel ils se trouvent, les meubles, les objets décoratifs, les biens culturels, les luminaires, les ustensiles pour la cheminée et le poêle, pour la préparation, la consommation et la conservation des aliments, l'argenterie, la tonnellerie, les outils et les instruments pour les travaux ménagers et artisanaux, les objets de toilette, le linge de lit et de table.

8 L'inventaire nous offre de plus les éléments d'une réflexion possible sur l'objet. La prisée de l'objet s'accompagne d'une description qui, si brève ou si détaillée soit-elle, porte sur l'essentiel et prouve son importance matérielle et économique. L'équipement tant décrié par les qualificatifs dépréciatifs du vocabulaire de la description témoigne de la longue durée accordée à l'objet qui, même abîmé, se voit octroyer une seconde chance en vertu du principe de réemploi. Il existe de plus entre les objets des relations de complémentarité ou d'opposition. Existant en étroite connexion avec les habitants de la maison, ils déterminent des activités liées à la vie quotidienne et évoquent la complicité des actes et des gestes de leurs utilisateurs. Ces objets permettent aussi de connaître les fonctions des pièces et, de là, la conception de l'espace et son évolution au cours des siècles. Par l'utilisation de tel ou tel objet, par le choix de telle ou telle couleur des tissus, des vernis ou des peintures, par la préférence, par exemple, du feu de l'âtre ou du poêle, on peut retrouver certaines habitudes et mentalités d'un ensemble socio-professionnel.

9 Mais si l'inventaire permet l'étude des objets de la vie domestique, de leur organisation et même des comportements sous-jacents, il n'est pas pour autant représentatif des biens de toute une société, car il n'est pas un acte obligatoire. L'on établit le pour-centage de la relation décès-inventaire à vingt pour cent, ce qui amoindrit certes la valeur de cet acte. En revanche, par la richesse de son contenu, il s'avère une mine précieuse de renseignements sur la vie domestique et un élément essentiel pour saisir et interpréter la vie des gens à une époque donnée.

10 D'autres documents sont susceptibles de nous faire connaître le mobilier et l'équipement de la maison. Le premier, la vente par encan des biens mobiliers, énumère les biens d'un intérieur mais n'a pas le charme d'un inventaire où les objets sont décrits pièce par pièce et in situ. Par contre, la confrontation de ces deux documents, lorsque les deux existent, permet de constater la différence entre l'estimation d'un objet et son prix de vente. Le second, le contrat de mariage, nous éclaire sur certaines omissions ou restrictions de l'inventaire des biens d'une communauté. Il y entre l'apport des biens des époux, surtout dans les cas de remariage, les dots, les avancements d'hoirie ainsi que les clauses protégeant des biens, tel le lit garni, la chambre garnie, les hardes, les bijoux et les biens personnels. On trouve parfois annexé à cet acte un inventaire des hardes et effets mobiliers qu'un conjoint apporte en mariage. Le troisième et non le moindre document est la donation entre vifs, par laquelle un homme transmet à un autre, généralement son fils ou son gendre, la propriété ou l'usufruit de ses biens. L'acte peut en principe comprendre trois parties. En premier lieu, le donateur expose tous les biens meubles et immeubles qu'il cède au donataire, dévoilant ainsi les meubles et objets de son intérieur domestique. En second lieu, apparaît une liste des obligations du donataire envers le donateur applicables en cas d'incompatibilité des parties. Outre la pension alimentaire, l'habillement, les soins médicaux et les secours religieux, les obligations impliquent le gîte, le partage et le privilège exclusif de certains lieux et de certains meubles (privilège d'une chambre garnie, partage de la cuisine, de l'escalier et des corridors). Dans la dernière partie, l'acte concerne les frères et les soeurs du donataire. Le marché assure en somme le gîte et la subsistance des enfants mineurs et impotents, ceci influant sur la pension viagère et alimentaire du donateur. De plus, le donataire doit doter ses frères et soeurs, le plus souvent de biens meubles, au moment de leur mariage, ainsi que ceux qui n'ont pas reçu d'avancement d'hoirie, au moment du décès des parents. Tous ces engagements et ces obligations témoignent des besoins et des coutumes d'une époque.

11 Tout le mobilier et l'équipement utilisés dans un intérieur nous sont connus principalement par ces quatre types de documents. S'imposent de plus des études sur les objets eux-mêmes. En quoi consistent-ils, comment se les procure-t-on et qui les fabrique?Il faut alors consulter les inventaires de magasin (inventaires après décès de marchands), les états de droit de taxation, les listes d'importations, les annonces de journaux des fabricants et de détaillants ainsi que les brevets d'invention.

L'environnement domestique

12 A la maison est relié tout un ensemble de bâtiments et de dépendances qui font partie de l'enceinte domestique. Ils s'ajustent aux besoins et aux moyens des uns et des autres; ils sont uni- ou multi-fonctionnels et leur utilisation est exclusive à une famille ou partagée entre voisins. Ce sont la laiterie, la boulangerie ou le four à pain, la latrine et le puits; pour les soins des animaux, l'écurie, l'étable, le poulailler, la porcherie et la grange; pour l'entreposage, le hangar et l'abri pour le bois de chauffage; enfin, d'un autre ordre, la maison est entourée de jardins, de vergers et de clôtures. Si quelques bâtiments requièrent pour leur construction des marchés, des conventions ou des états de matériaux à fournir, ils sont généralement peu nombreux. Quelques dépendances nous sont connues par les lois en force (par exemple, l'ordonnance de 1806 concernant les latrines, ville de Québec). Les inventaires après décès, les baux et les ventes énumèrent les plus grands bâtiments, ne signalant les autres éléments qu'au hasard ou lorsqu'il est question de droits de mitoyenneté. Les archives des Cours de Justice, les journaux personnels et les récits de voyage peuvent également venir au secours de nos interrogations. En dernier ressort, il convient d'étendre l'enceinte domestique au domaine public. Les procès-verbaux des Sessions spéciales des juges de paix, ceux des conseils municipaux et les rapports de l'inspecteur des chemins nous donnent plusieurs informations concernant l'entretien des chemins et, en milieu urbain, ayant trait aux services dans les quartiers, l'entretien des rues, la construction des trottoirs, l'éclairage, la prévention des incendies, la distribution de l'eau et l'organisation du système des égouts.

Les activités domestiques

13 Dans cette enceinte domestique où la maison est le haut-lieu, se déroulent maintes activités plus ou moins connues mais aussi importantes les unes que les autres. L'une d'elles se rapporte à l'alimentation. Elle requiert à elle seule un temps infini que ce soit pour l'acquisition, la préparation, la conservation et la consommation des aliments. Cherche-t-on des informations dans Vinventaire après décès? Les omissions sont nombreuses car les denrées périssables et les produits de consommation courante passent le plus souvent sous silence. Dans cet acte, il vaut mieux rechercher à travers les ustensiles les aliments consommés (par exemple, poêles à frire, grils, poissonnières, tourtières sont significatifs). En revanche, il nous apprend beaucoup sur l'utilisation des ustensiles pour la préparation, la conservation et la consommation des aliments. Par le fait même, nombre d'habitudes alimentaires, de manières de table et de façons de servir les mets nous sont connues, et ce, à travers les siècles et les milieux sociaux. Les pensions alimentaires, détaillées dans les donations, nous offrent un éventail des aliments de base au rythme des besoins annuels et saisonniers du donateur et de son conjoint. Ces deux documents nous apprennent explicitement ce que les gens consomment selon leurs goûts, leurs besoins et leurs moyens. D'un autre côté, il faut aussi considérer ce que le milieu leur procure (chasse, pêche, cueillette, agriculture, élevage) et ce que le marché leur offre. Il faut alors consulter les «état(s) présent(s) du Canada», les relevés des produits de l'agriculture et de l'élevage contenus dans les recensements fédéraux, les inventaires de magasin (inventaires après décès des marchands) ainsi que les journaux où l'on trouve autant les annonces publicitaires des marchands que les règlements pour les marchés et les rapports des sociétés d'agriculture. On peut jeter aussi un regard dans les récits de voyage et dans les journaux personnels, scrutant avec circonspection les dires de l'auteur, selon qu'il parle de lui ou des autres, car ils sont souvent le reflet de la façon de vivre et de voir d'une classe de la société. On peut enfin mentionner les livres d'étiquette, d'économie domestique et de recettes publiés au Canada au XIXe siècle. Inutile de dire cependant qu'ils ne sont pas légion.

14 En ce qui a trait aux travaux ménagers, les faits de la vie courante font rarement l'objet de grands discours et sont rarement consignés. Ce n'est qu'à travers des indices épars que l'on peut deviner la nature et l'importance des tâches ménagères. Certaines de celles-ci exigent équipement et matériels particuliers qui nous sont révélés, entre autres, par les inventaires après décès. De plus, dans ces actes, on compte parfois des dettes envers la blanchisseuse, le boulanger, le (la) domestique. Les contrats d'engagement de domestique sont également une source utile. Si certains s'accommodent d'une formule stéréotypée, d'autres spécifient les tâches à accomplir ou celles dont on désire s'abstenir (faire le train de la maison trois fois par semaine, ne pas transporter l'eau et le bois). Enfin, en dépit de ce que l'on aurait pensé, les récits de voyage et les journaux personnels nous en apprennent peu à ce sujet.

L'HOMME

15 Les biens domestiques ne se rapportent pas qu'à la maison proprement dite et aux diverses activités qui s'y déroulent, mais sont également associés directement à l'homme, que ce soit, par exemple, le vêtement, les objets de toilette, les biens culturels et religieux.

Le costume

16 En ce qui concerne l'habillement, les documents sont nombreux, variés et d'une grande richesse. On peut tout d'abord parler des donations qui, à l'article de la pension viagère, incluent une liste des vêtements à fournir aux donateurs au gré des saisons et des ans. On connaît ainsi le costume des jours ordinaires et des fêtes ainsi que le rythme de leur remplacement. Les contrats d'engagement et d'apprentissage spécifient le plus souvent comme obligations de l'employeur envers l'engagé ou l'apprenti de le «vêtir, blanchir et raccommoder». Plusieurs contiennent les détails du costume, celui de tous les jours, celui des fêtes ou celui qu'il apportera au terme de son contrat, ce dernier étant souvent considéré en guise de paiement. Les inventaires après décès constituent également une source abondante de renseignements. Quelques-uns d'entre eux décrivent avec minutie la garde-robe complète du défunt et du survivant, allant des moindres pièces aux accessoires. Cependant ne sont pas consignés les vêtements de tous les défunts et de tous les survivants. Si l'inventaire est dressé plusieurs années après le décès d'une personne, il arrive que ses vêtements aient été distribués aux enfants. Quant à ceux du conjoint survivant, ils échappent parfois à toute estimation en vertu d'une clause du contrat de mariage. Enfin, les vêtements des enfants ne figurent jamais dans cet acte, n'étant pas considérés comme biens de la communauté des parents à moins qu'ils n'aient appartenu à un enfant décédé. Les testaments fournissent à leur tour quelques données, car souvent lègue-t-on à un parent, à un ami ou à un domestique aimé des pièces de vêtements. Plus riches que ces derniers, les récits de voyage abondent de renseignements intéressants sur le costume. Il faut cependant réitérer notre mise en garde contre eux, compte tenu du point de vue qu'adopte l'auteur de par sa situation sociale, ses intérêts culturels et les conditions dans lesquelles il effectue son voyage. On ne saurait passer sous silence les multiples informations contenues dans les journaux. Les réclames affluent de toutes parts pour annoncer et vanter les marchandises et les vêtements autant que les services des couturières et des tailleurs. Quelques quotidiens et hebdomadaires de la fin du ⅪⅩe siècle tiennent même une chronique sur la mode parisienne et londonienne. Il faut, en dernier ressort, jeter un coup d'oeil furtif sur les livres de compte de famille, rares mais combien précieux, ainsi que sur les listes d'importations.

17 Quant à l'entretien des vêtements, les objets de tonnellerie destinés aux lessives ainsi que les instruments pour le brossage et le repassage sont cités dans les inventaires après décès. Si on ne connaît pas le rythme des lessives, on sait par contre qu'elles s'effectuent autant à la maison qu'à l'extérieur. Des dettes envers les blanchisseuses révélées dans les inventaires après décès et les mentions «blanchir et raccommoder dans la maison» ou «faire blanchir et raccommoder» les vêtements des engagés et des apprentis, contenus dans les contrats d'engagement et d'apprentissage, témoignent de ce fait. En ce qui concerne la fabrication des vêtements, instruments et matériels pour la couturière et le tailleur sont relevés dans les inventaires après décès. Des fournitures de matériel et de mercerie sont signalées dans les inventaires de magasin, dans les annonces de journaux des fabricants et des détaillants ainsi que dans les listes d'importations.

L'hygiène

18 L'habillement nous amène à parler des soins de la toilette et, par là même, de l'hygiène. Bien que les objets qui s'y rapportent s'avèrent en principe des biens personnels, par conséquent plus difficiles à cerner, les inventaires après décès contiennent plusieurs mentions de linges et de mobilier de toilette ainsi que d'objets d'hygiène personnelle. Ces informations ne sont cependant pas suffisantes pour nous faire connaître les concepts d'hygiène et de propreté véhiculés au cours des différentes époques.

La santé et la maladie

19 De la santé, peu de documents en glissent un mot, si ce n'est plutôt ceux qui manifestent le désir de la conserver. Font exception quelques rapports administratifs, des «état(s) présent(s) du Canada» notamment du ⅩⅧe siècle ainsi que quelques récits de voyage. Les secrets de la médecine populaire sont bien gardés et ne font pas la manchette de la documentation écrite. Quant à la médecine officielle, les livres de compte et inventaires après décès de médecins et de particuliers font état de dettes actives et passives concernant l'administration et le recours aux soins et aux médicaments. Les donations, les contrats d'engagement et d'apprentissage contiennent le plus souvent une clause garantissant des soins et même le recours au médecin, en cas de maladie. Il faut de plus consulter les archives hospitalières, les registres de baptême et de sépulture, les procès-verbaux des Sessions spéciales des juges de paix et des conseils municipaux afin de connaître le taux de mortalité générale et infantile, les maladies et les épidémies ainsi que les mauvaises conditions de logement dans les villes et les effets de la malnutrition.

La religion

20 La religion régit tant la vie spirituelle que temporelle des fidèles. La correspondance des curés et des évêques, les rapports des visites pastorales et les mandements des évêques, conservés dans les archives des diocèses et des paroisses, comprennent des directives aux fidèles sur leur façon de vivre (interdiction aux femmes de coucher avec leur nourrisson, réprimande au sujet des abus de boissons lors des fêtes patronales). Le Rituel en usage aux diverses époques dicte le nombre de jours fériés et réglemente les jours de jeûne et d'abstinence, ayant ainsi des implications directes sur le nombre de jours ouvrables et sur le régime alimentaire. Les pensions alimentaires exigées dans les donations en sont des peuves à l'appui. Les donations et testaments contiennent de leur côté des clauses assurant le secours de l'Église à l'article de la mort et pour le salut de l'âme (derniers sacrements, inhumation, messes pour le repos de l'âme). À leur tour, les contrats d'apprentissage et d'engagement d'enfants mineurs obligent l'employeur à veiller à leur instruction religieuse et ceux des adultes, à leur faciliter l'exercice de leur religion.

Le travail

21 On ne saurait parler ici de tous les métiers, professions et occupations des hommes, des femmes et des enfants. Le sujet est vaste et nécessite autant d'études qu'il y a de corps de métiers, faisant appel à des sources multiples et variées. D'ailleurs, plusieurs études s'y attardent. Nous n'effleurerons ici que quelques aspects du travail qui touchent de très près la vie domestique.

22 Comme nous l'avons déjà mentionné, pour plusieurs gens, la maison est également un lieu de travail. Partageant les mêmes pièces de la maison, confinés dans une pièce particulière ou dans un bâtiment adjacent, on trouve la boutique, le magasin ou le bureau. Dans ces cas, les inventaires après décès relatent les instruments et les outils se rapportant au travail et faisant partie du décor quotidien de l'habitation. Les contrats de société, contrats de mariage (par les dots) et listes des biens meubles et immeubles offrent également des informations à ce sujet. D'autre part, les conditions de travail influent sur le rythme de la vie domestique, que ce soit les heures de repas et de repos des travaillants ou la présence à la maison d'apprentis et d'engagés. Les contrats d'apprentissage et d'engagement fournis-sent des renseignements substantiels sur les heures de travail, les tâches, les congés, les salaires ainsi que les conditions de vie des apprentis et des engagés et les obligations des maîtres. Les apprentis et les engagés sont, selon l'expression usuelle, «logés, nourris, vêtus, blanchis et raccommodés» au domicile du maître. Ils apprennent ainsi un métier, une profession et/ou effectuent des tâches à la boutique et à la maison. Les cas des engagements d'enfants très jeunes, voire même de nourrissons, sont pour le moins surprenants à prime abord et fort révélateurs d'un mode de vie. Car plus que les autres apprentis et engagés, ces enfants participent intensément à la vie de la famille qui les reçoit. Celle-ci s'oblige à élever l'enfant qui lui est confié et à lui montrer un métier. En retour, l'enfant est astreint à des tâches «selon son âge, son sexe et son état». Peut-on parler d'abus de la part des maîtres envers cette jeune classe ouvrière? Nécessité de protéger l'enfant et volonté de le favoriser, plusieurs contrats sont rédigés au profit de l'enfant: assurance d'un gîte, d'un entretien adéquat et d'une subsistance suffisante (ce qui pour des parents incapables de subvenir aux besoins de leur enfant s'avère une solution acceptable), opportunité dans certains cas de l'instruire (le maître s'obligeant à lui montrer à lire et à écrire) et moyen d'apprendre un métier (lui apprendre le service de domestique, lui enseigner la couture, lui apprendre le métier de boucher s'il le désire). Enfin si quelques enfants sont traités comme des domestiques selon les conditions de cette classe, d'autres doivent être, selon les termes du contrat, considérés comme des membres de la famille (manger à la même table, l'élever comme leur enfant).

23 Maints aspects et maintes sources n'ont pu être ici tous abordés. Nous espérons cependant avoir souligné l'importance de consulter une multiplicité et une hétérogénéité de sources. Plusieurs fonds d'archives semblent éloignés des propos auxquels s'intéresse un chercheur; mais on peut souvent tirer profit d'indications éparses et fugaces. Il est donc essentiel d'exploiter les sources archivistiques de façon exhaustive, visant une tentative de synthèse globale, aussi proche que possible de la vérité historique. Dans un autre ordre d'idée, il est tout aussi primordial, en culture matérielle, de joindre à ces recherches la consultation des sources iconographiques,, muséologiques et archéologiques.