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Un projet sur l'histoire de la culture et de la société Québécoises

Jean-Pierre Hardy
Thiery Ruddel

1 Un des projets effectués depuis une dizaine d'années au Musée national de l'Homme porte sur l'histoire de la culture et de la société québécoises. C'est à la fois un projet de recherche à long terme et un programme de mise en valeur des artefacts. Le but de ce propos est de préciser, dans un premier temps, l'aspect théorique du projet et, dans un deuxième temps, les principales réalisations.

I APPROCHE SOCIO-CULTURELLE1

Introduction

2 En étudiant le monde ouvrier, nous avons vite constaté la nécessité d'encadrer cette étude dans un contexte plus global. C'est pourquoi nous travaillons depuis quelques années à mettre au point un cadre théorique qui servira à nos projets à long terme et qui nous aidera à intégrer les artefacts dans un contexte thématique. L'approche s'inspire des études en sociologie et en anthropologie et vise à cerner la situation socio-culturelle et économique du Québec avant l'industrialisation rapide de la fin du XIXe siècle. Jusqu'ici nous nous sommes limités à l'étudede la société québécoise et particulièrement à la ville de Québec entre 1660 et 1840. Notre but est de définir les traditions des groupes sociaux et ethniques et d'identifier leurs réactions face aux changements. Ceci comprend une étude des traits socio-culturels qui sont à la fois communs (en ce sens qu'ils sont partagés par le monde occidental) et particuliers (c'est-à-dire les traits qui distinguent les groupes les uns des autres). Une fois ces caractéristiques esquissées, nous pourrons mieux saisir les éléments qui changent et par la suite, leurs effets sur la population.

Continuité culturelle

3 Avant d'étudier les conséquences des changements socio-culturels, il faut évidemment considérer la situation qui prévalait antérieurement. Ceci comprend l'analyse des traditions qui donnent à la société sa cohésion, sa force et à travers lesquelles elle s'exprime. Ces coutumes et ces traditions sont des aspects fondamentaux qui caractérisent les structures physiques et mentales de la société et qui permettent aux individus de faire face aux changements. La continuité culturelle est évidente, par exemple, dans la persistance des idées et se manifeste dans des artefacts de même que dans les activités par lesquelles l'homme interprète son univers. Ces idées sont révélatrices d'un ensemble de valeurs, de croyances et de coutumes que l'homme fabrique afin d'expliquer l'inconnu et d'organiser ses relations sociales. La façon dont chaque groupe constitue ou élabore son système détermine en partie son comportement. Une fois façonnés, assimilés et vécus, ces traits sont perpétués par le biais de l'apprentissage (de la langue, des techniques, et autres). C'est en analysant cet apprentissage à travers la vie des individus (naissance, éducation, religion, mariage, occupation, mort) qu'on peut réussir à cerner les coutumes et les traditions.

Changement socio-culturel

4 Afin de bien comprendre l'impact du changement, il importe de retracer d'abord les relations entre les traditions, les éléments nouveaux et les comportements des groupes. Une fois les traditions décrites, il devient possible d'identifier les influences étrangères et par la suite, d'évaluer les différences entre la situation antérieure et celle qui fait suite aux changements. C'est ainsi que certaines caractéristiques du changement deviennent perceptibles.

5 Le changement socio-culturel prend des formes multiples (y compris, par exemple, des modifications d'ordre démographique, linguistique et économique), mais son trait distinctif, c'est qu'il arrive de l'extérieur. S'il provient de l'intérieur du système, comme les inventions d'ordre technologique, il fait partie de l'évolution normale de la culture et s'y intègre sans conséquences sérieuses. Il n'y a pas là modification radicale, car ces transformations font partie des attitudes et des activités existantes; la population concernée a déjà les structures sociales et mentales pour s'adapter à de telles transformations.

Réactions face aux changements

6 La capacité d'une culture de faire face aux changements tient à deux séries de facteurs. Premièrement, la cohésion et l'enracinement des traditions menacées (la nature des structures socio-culturelles et la mobilité sociale font aussi partie de cette première série) et, deuxièment, la puissance des influences étrangères. Si des traditions fondamentales (comme la religion, la structure sociale ou les modes de production) sont menacées, il y aura une forte résistance de la part de la population locale et conflit entre groupes sociaux et ethniques.

7 Les groupes réagissent en fonction de leurs caractéristiques et de leur position socio-culturelle. Ceux qui se sentent bouleversés ou incapables de surmonter certains changements se mettent sur la défensive et essaient de préserver leurs traditions. D'autres se mobilisent et cherchent à trouver des modèles de comportement qui leur permettraient de bénéficier des changements. L'acceptation de nouvelles formes de comportement entraîne des modifications aux structures. L'échec subi par ceux qui essaient d'utiliser des anciennes coutumes dans une situation en voie de changement amène l'anxiété et l'insécurité. L'opportunisme en général caractérise ceux qui réussissent à en profiter. Dans la plupart des cas, le stress provoque à son tour de l'intolérance et des conflits à la fois entre les groupes sociaux d'un même système culturel et entre les groupes ethniques. C'est pendant une période de transition que les valeurs sont mises en question et que les gens font l'expérience de nouvelles formes de comportement.

8 Le compromis est également un résultat du changement. Il intervient à la suite d'un échec militaire ou d'une immigration massive. Dans ces circonstances, la population locale est soumise au pouvoir et aux influences étrangères qui l'obligent à accepter certaines limites à sa résistance. Dans le cas d'un conflit militaire, une entente se fait entre les vainqueurs et les leaders de la population sur les moyens minimums de maintenir la paix et le contrôle social. L'entente n'élimine pas toujours les conflits mais elle modifie tout au moins l'ampleur du changement.

9 Différents autres types de réaction sont perceptibles à travers le comportement des groupes sociaux et ethniques du Québec de la fin du XVIIIe et du début du XIXe siècle. Le changement de pouvoir en 1760 et la croissance économique du début du XIXe siècle sont deux situations où les Canadiens font face à un problème d'adaptation. Considérons l'exemple de quelques groupes sociaux.

  1. La noblesse. L'arrivée de l'armée britannique et le changement de gouvernement réduisent les postes disponibles pour les jeunes nobles. Ceux-ci s'allient d'abord avec la haute bourgeoisie britannique et, un peu plus tard, avec les grands commerçants britanniques. Ces alliances aident certains individus du groupe à conserver un statut socio-économique donné mais à court terme seulement. La déchéance de ce groupe est déjà amorcée au moment où ces réactions sont perceptibles.
  2. Les marchands. Les marchands canadiens et français sont durement affectés par le changement de gouvernement de 1760. L'instauration d'un régime britannique réduit ou élimine certaines relations commerciales entre les francophones, laissant le champ libre aux marchands britanniques. Parmi ceux qui ne quittent pas le pays, il existe des marchands âgés qui, au lieu de réorienter leurs affaires, prennent leur retraite. D'autres essaient de garder des liens avec la traite de fourrures, un commerce bien ancré dans les coutumes du Canada. A la fin du XVIIIe siècle, ils sont disparus du grand commerce. Comme le disent Gilles Paquet et Jean-Pierre Wallot, une fois éliminés de ce commerce, «les Canadiens font face à divers obstacles s'ils veulent percer sur le plan économique.»2 Les jeunes Canadiens ambitieux s'orientent vers d'autres occupations où leurs coutumes et leurs traditions seront mieux appréciées.
  3. Les professionnels. Le changement de gouvernement et la désorganisation des lois ont eu comme conséquence la perte de postes parmi les jeunes professionnels. Cette situation s'améliore cependant avec la création de nouveaux emplois (notaires et avocats) à la fin du XVIIIe siècle et lors de la croissance économique du début du XIXe siècle. C'est à ce moment surtout que les professionnels se mobilisent, s'engageant à la fois dans des échanges commerciaux et dans la politique. Ils réussissent à bénéficier de la situation, en partie à cause de leurs relations socio-économiques avec des Britanniques, en partie à cause de leur rôle comme agents, conseillers et porte-parole des Canadiens.
  4. Les artisans. À l'exception de leur participation aux guerres, les événements de la fin du XVIIIe siècle n'affectent pas sérieusement les artisans. C'est surtout au début du XIXe siècle qu'on aperçoit des changements majeurs. L'établissement des grandes entreprises britanniques apporte des modifications à l'organisation du travail. Au lieu de fabriquer des produits sur commande, des maîtres britanniques organisent leur main-d'oeuvre afin de fabriquer des produits standardisés qu'ils mettent en vente à la devanture de leurs boutiques.3 Ces entreprises sont caractérisées par une réglementation plus stricte du travail, l'existence d'une plus grande spécialisation et des relations de travail plus rigides. Les réactions des artisans canadiens face à ces changements sont multiples. L'intégration dans les boutiques britanniques est mitigée, on s'éloigne des métiers contrôlés par ces derniers, on choisit des occupations rurales où il y a moins de changement et surtout, on insiste sur les conditions de travail traditionnelles. C'est de cette façon que les artisans canadiens restent fidèles à leurs anciennes traditions tout en s'adaptant aux changements.
Fig. 1 Même si cette illustration est d'origine britannique, elle témoigne bien des étapes de fabrication des grandes boutiques de Québec dans la première moitié du XIXe siècle. La spécialisation des ouvriers chapeliers qui ont chacun leur tâche à effectuer est évidente. L'introduction de ce type d'organisation du travail dans une boutique de chapelier a provoqué une des premières grèves à Québec en 1815.
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10 Enfin, un autre aspect du changement socio-culturel qui influence tous les groupes est la consommation de masse. Même si les Canadiens, et surtout les citadins, étaient toujours conscients de la mode, bon nombre fabriquaient leurs vêtements, se contentant d'acheter quelques objets de luxe importés. L'industrialisation dans le secteur des textiles en Angleterre rendait le vêtement plus accessible. Isolés de la France et pas tout à fait au courant des modes anglaises, les Canadiens étaient intéressés à divers produits offerts par les marchands britanniques. Y voyant là un marché plus ou moins exigeant, un marchand écossais de Montréal écrivait en 1802 à sa maison d'affaires d'Ecosse: "envoyez-nous tout ce qui est beau, coloré et pas cher.»

11 L'intérêt pour les modes anglaises et les produits manufacturés facilement accessibles ont contribué à modifier graduellement les habitudes non seulement dans l'habillement mais aussi dans d'autres secteurs tels que l'alimentation, le mobilier et l'architecture.

12 L'altération des formes socio-culturelles suscite toute une gamme de réponses de la part de la population qui témoignent à la fois de son désir de préserver ses traditions et de profiter des changements. C'est par ce biais que les groupes réussissent à se protéger tout en modifiant leurs structures.

II DE LA THÉORIE A LA PRATIQUE: LA VIE MATÉRIELLE D'UN GROUPE SOCIAL, LES ARTISANS

13 Notre recherche sur la vie matérielle des artisans s'inspire de la théorie du changement culturel déjà esquissée et s'inscrit dans le cadre d'un projet plus vaste sur le monde ouvrier. Les perspectives de ce projet ont déjà été explicitées dans la Revue d'histoire de l'Amérique française puis résumées et mises à jour dans la Gazette de l'Association des musées Canadiens.4 Only posait là les jalons de recherche dans une multitude de secteurs: aspects techniques, organisation du travail, relations de travail, milieu physique, urbanisation, niveau de vie, éducation, religion, mobilité sociale, conflits, relations ethniques, et autres. Le cadre d'analyse proposé était suffisamment souple de sorte que de nombreux chercheurs, étudiants comme professeurs, s'en sont inspirés. Nous sommes de ceux-là. Après avoir concentré nos efforts sur l'arrière-plan social et économique des apprentis et sur l'organisation artisanale du travail du VIIe au début du XIXe siècle,5 nous entreprenions un sous-projet sur les artisans. C'est de ce projet, plus spécifique, qu'il sera question dans les pages qui suivent.

Objectifs et approches

14 Dès l'origine du projet, étant donné la richesse et la diversité des sources dont nous disposions, nous avons privilégié trois avenues de recherche: la recherche documentaire, l'enquête ethno-historique, la description et l'analyse de l'objet. Ajoutons que l'archéologie aurait pu être utilisée dans certaines circonstances mais ce moyen de connaissance n'était pas administrativement de notre ressort. En même temps, nous fixions les objectifs généraux. Il s'agissait premièrement de cerner les éléments permanents et les changements survenus dans le monde artisanal. Ces éléments se retrouvent autant dans l'outillage, les techniques, l'apprentissage ou la formation que dans les relations de travail, l'organisation du travail et le mode de production, pour ne citer que quelques cas. Deuxièmement, un objectif d'ordre pratique, préserver des biens culturels en voie de disparition rapide par l'acquisition d'ensembles et mettre en valeur ces mêmes biens. Des objectifs aussi généraux amènent nécessairement à une délimitation du champ de recherche et à la précision de certains concepts.

Fig. 2. Lors des enquêtes sur le terrain, l'artisan explique le fonctionnement de son outillage. Nous voyons ici le ferblantier Albert Lévesque de SaintPacôme. âgé de 82 ans, et encore à l'oeuvre.
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(Photo de l'auteur.)

15 Les résultats des études sur l'arrière-plan social et économique des artisans révélaient les métiers les plus importants numériquement dans la société de l'époque et aussi les plus lourds de traditions. Un choix de métiers s'est donc effectué aisément. De même, ces études indiquaient clairement que la première moitié du XIXe siècle était une période clé dans la transformation industrielle du Québec. Nous avons donc décidé de nous en tenir dans un premier temps à cette période et de nous concentrer sur la ville de Québec. C'est en effet à cette époque que la production en ateliers dispersés est graduellement remplacée par la fabrique et la manufacture, que la division du travail et la spécialisation deviennent de plus en plus courantes, que les sources d'énergie traditionnelles que sont la force des muscles et de l'eau sont en perte de vitesse et que l'outil manuel n'est plus le principal moyen de transformation de la matière. L'étude des métiers et des occupations durant cette période apparaît dès lors capitale pour saisir non seulement les caractéristiques du monde artisanal mais tout un mode de production que la révolution industrielle transformera.

16 Pour ce qui est des enquêtes ethno-historiques, l'existence de plus en plus rare des boutiques d'artisans nous imposait comme cadre spatial la campagne environnante de la région de Québec riche en traditions artisanales et le tournant du XXe siècle comme cadre temporel.

17 Enfin, une partie ardue et qui exige toujours plus de précision, la définition des concepts. Qu'il suffise ici de mentionner l'importance particulière de certains termes tels que «révolution technologique et industrielle», «spécialisation», «culture», «culture matérielle» et «coexistence de modes de production», qui sous-tendent une bonne partie de nos études.

Fig. 3. Une des premières machines-outils rotatives inventées aux États-Unis au début du XIXe siècle et introduite au pays vers 1825 Celle-ci est un tourneur d'encastrement ("turning machine") et sert à rabattre les bords d'une tôle en vue d'y insérer un fil de fer qui solidifiera le produit En changeant les molettes, cette même machine-outil peut effectuer différentes opérations: le bordage. le rabottage. le roulage, le crêpage et le cannelage. Dès cette époque, elle est déjà la cause d'une transformation de l'organisation du travail dans un atelier. Elle illustre aussi la lenteur des changements techniques qui s'échelonnent sur plusieurs décennies. 42 cm x 19 cm. Collection du Musée national de l'Homme. Musées nationaux du Canada. n° de cat A-3633.
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(Photo: Musées nationaux du Canada, n° de nég. 76-2540.)

18 Notons que ces concepts sont aussi indispensables pour bien saisir les principales phases qui ont marqué le passage, sur le plan économique, de l'économie de type commercial à une économie de type industriel et, sur le plan social, d'une société traditionnelle à une société technique. Il n'y a pas lieu d'élaborer ici sur ces concepts mais il en est un autre sur lequel il importe de s'arrêter un peu, non seulement parce qu'il soutient une bonne partie des recherches mais aussi parce qu'il apparaît trop souvent utilisé à mauvais escient. Il s'agit du concept de culture matérielle.

19 Précisons tout de suite que dans cette expression, si le terme culture est synonyme de civilisation, le qualificatif «matérielle» lui donne un sens relativement précis même si son implication demeure vaste. Sinon, on ne voit pas comment une culture peut être matérielle pas plus que l'objet (auquel on se réfère souvent en parlant de culture matérielle) n'est une culture. En effet, en optant pour l'acception la plus large et la plus englobante des notions de culture, celle-ci se définirait comme un ensemble d'idées, de concepts, de valeurs, de sentiments, de normes transmissibles d'une génération à l'autre, que les hommes organisent en différentes catégories: les convenances, la religion, la politique, la technique, et le reste.

20 Dans ce contexte, l'objet n'est qu'une manifestation, une trace matérielle d'une culture, un témoin culturel. Il est le produit d'une association d'idées, de comportements que l'homme transmet d'une génération à l'autre. Et, lors de la transmission, il n'y a pas que l'objet qui soit transmis, mais aussi et surtout la connaissance nécessaire pour le fabriquer et l'utiliser. Ainsi lorsqu'on étudie des objets fabriqués (artefacts) notre but est d'élucider un aspect de la culture, c'est-à-dire de comprendre les comportements, les idées, les intentions, l'art, la technique, les associations, bref tout le contexte qui a permis la création, la transformation ou l'aménagement des objets. On peut même aller jusqu'à dire que l'objet n'existe pas, sinon physiquement, en dehors de ses significations pour l'homme.6

21 Une telle compréhension de la culture et de l'objet comme témoin culturel nous amène inévitablement à négliger l'objet isolé, individuel, unique, au profit des ensembles. Seuls les ensembles, en effet, permettent les liens indispensables entre le matériel, le social et l'économique. Seuls les ensembles aussi, par le biais des méthodes autant quantitatives que qualitatives, permettent de déceler les changements, les évolutions.

Réalisations

22 C'est dans cette optique que nous avons fait entreprendre une série d'enquêtes ethno-historiques sur certains métiers de même que quelques études thématiques. Les enquêtes ont porté sur les métiers suivants: parmi les métiers du métal, le forgeron et le ferblantier; parmi les métiers du bois, le menuisiercharpentier, le charpentier de navire, le tonnelier, le travailleur forestier; et parmi les métiers du cuir, le cordonnier, le sellier et le tanneur.7 La plupart sont déjà publiées ou en voie de l'être et sont d'inégales valeurs. Certaines ne dépassent guère l'inventaire descriptif de la boutique et une brève biographie de l'artisan qui sert d'arrière-plan historique. D'autres sont beaucoup plus étoffées au point de vue historique.8 Toutes, par contre, ont, comme matériaux d'appui, des enregistrements sur bandes magnétiques et un fonds iconographique qui peuvent être utilisés à plusieurs autres fins.

Fig. 4. Reconstitution partielle d'un établi de ferblantier à la salle d'histoire du Musée national de l'Homme.
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(Photo: Musées nationaux du Canada. n° de nég. 77-5832)
Fig 5. Ancien atelier qui faisait partie d'un chantier de navire à l'île d'Orléans Le rez-de-chaussée servait d'atelier de charpentier de navire et le premier étage à la fabrication des voiles. (Photo Musées nationaux du Canada, n° de nég. 76-4996.)
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23 Quant aux ètudes thèmatiques, elles ont surtout abordé la boutique et l'interiur domestique de ľartisan.9 Du point de vue méthodolgique, ces deux genres ďune boutique ľartisan couvrant une longue période (deux ou trois générations), les études thématiques visaient à produire une esquisse, un cliché ďun groupe social à un moment donné (une période de dix environs) et non pas de suivre son ajustement dans le temp.

Fig. 6. Établi de menuisier-charpentier de l'atelier d'Edmond Picard à Sainte-Louise de l'Islet. Lors des enquêtes sur le terrain. chaque ilôt d'activités est considéré
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(Photo. Musées nationaux du Canada. n° de nég. 76-4986.)

24 Ces deux genres d'études se complètent cependant lorsqu'on compare les données recueillies par les enquêtes à celles des études thématiques. Mais cette comparaison, cette vérification des données, ne nous révèle que des indices de changement, ne nous permet d'émettre que des hypothèses de sorte que cette méthode, après expérimentation et réflexion, apparaît nettement insuffisante pour cerner les indicateurs de changements matériels, sociaux ou culturels et ainsi pouvoir comprendre et analyser les mutations et les nombreuses adaptations du groupe social concerné. Aussi, nous est-il apparu nécessaire de modifier nos stratégies de recherche. Mais avant d'aborder cette réorientation, quelques mots sur le deuxième objectif du projet qui compte déjà quelques réalisations clignes de mention. Il s'agit de l'utilité immédiate et future de ces recherches pour la muséologie.

25 En plus des publications dont nous venons de faire mention, le projet sert d'abord à enrichir la collection et le catalogue descriptif du Musée. Ensuite, les résultats des recherches et plusieurs biens acquis ont déjà été utilisés pour des reconstitutions d'ensembles à l'exposition permanente (salle d'histoire du Musée national de l'Homme) alors que d'autres le seront bientôt dans une série d'expositions itinérantes sur les artisans du métal, du cuir et du bois. La permière de celles-ci sera prête dès septembre prochain. Voilà qui, à notre avis, couronnera une sorte de cycle prévu à l'origine du projet: recherches, acquisitions, publications, expositions.

Fig. 7. Reconstitution partielle d'un établi de menuisier à la salle d'histoire du Musée national de l'Homme. Un exemple de l'utilisation des acquisitions et des photographies prises lors des enquêtes sur le terrain.
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(Photo Musées nationaux du Canada n° de nég 77-5829.)

Réorientation

26 Dans cette nouvelle orientation du projet, il ne s'agit pas de renier ou de rejeter ce qui a été fait. Au contraire, même si les résultats sont modestes, les sondages et les études effectués sont des acquis qui nous permettent maintenant d'aller plus en profondeur, d'aborder d'autres dimensions de la réalité sociale et culturelle de l'époque concernée. Les éléments de cette nouvelle stratégie sont de deux ordres. D'abord envisager quelques nouvelles facettes du projet global sur la société et la culture; ensuite se concentrer davantage sur la recherche documentaire en privilégiant certaines sources indispensables à l'étude de la culture et de la civilisation matérielle.

27 C'est ainsi que quelques études sur les coutumes et les traditions portant entre autres sur le mariage, la religion et la justice sont en voie de réalisation. Elles visent à déterminer les traits socio-culturels de certains groupes sociaux et ethniques par rapport à d'autres et à identifier les réactions face aux changements. Les sources utilisées sont surtout les recensements, les contrats de mariage, les procès et les inventaires après décès. L'exemple de l'étude du mariage peut s'avérer assez éloquent. Elle peut révéler, par exemple, les réseaux de parentés et de relations entre groupes sociaux et ethniques. Ces réseaux peuvent servir à leur tour à cerner les fondements de la famille et le rôle du mariage dans la propagation des valeurs familiales. Vu dans une perspective évolutive, une telle étude nous permet de saisir des changements aussi significatifs que ceux apportés au mariage canadien par l'introduction de traditions britanniques.

Fig. 8. Robe de mariée de style "empire " portée par Anne Hanna, fille d'horloger, lors de son mariage à George Read, militaire, en 1819. à l'église anglicane de Québec. La provenance et le style raffiné de cette robe indiquent bien l'importance des modes britanniques et des célébrations sociales pour les élites anglophones de Québec. Collection du Musée McCord. Montréal. n° de cat. M20962
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(Photo de l'auteur.)

28 Dans la même optique d'un élargissement du projet, nous poussons plus loin l'étude des artisans en analysant leur rôle dans le secteur de l'habitation. Ce projet vise, de façon générale, à saisir l'évolution d'un groupe de métiers durant une période de croissance urbaine rapide, celle de la ville de Québec dans la première moitié du XIXe siècle. Plus particulièrement, l'objectif poursuivi est d'abord de saisir certains aspects de la vie matérielle des individus et des familles à différentes périodes de ce demi-siècle et ensuite de cerner l'interaction entre ce groupe et les changements. En d'autres mots, à travers la dialectique adoption-adaptation qui survient dans toute dynamique de changement, on peut percevoir comment les atisans en tant que groupe social vivent ces changements.

29 L'habitation qui nous intéresse est celle qui fait partie de l'appareil de production artisanale, c'est celle de la masse difficile à atteindre.'10 La maison s'identifie rapidement à la famille qu'elle abrite et devient le mode d'expression d'une société. Elle constitue donc un précieux témoin culturel et plusieurs documents nous y donnent accès: recensements, cartes, rôles d'évaluation, baux de location, inventaires après décès et marchés de construction. Ces deux derniers sont cependant les plus riches et nous font souvent saisir des aspects complémentaires de la vie socio-matérielle des individus puis des groupes.

30 Avec les marchés de construction, ce n'est pas seulement le volume de la construction et l'importance de cette industrie motrice qu'on peut évaluer mais aussi le producteur, le mode de production, le produit fini et le consommateur.

31 Avec l'inventaire après décès, c'est la vie quotidienne de l'artisan que nous atteignons par le biais de son univers intérieur; c'est autant le procès de la consommation que celui de la production. Le dépouillement systématique de ces documents, à des périodes précises du demi-siècle qui nous intéresse, permettra de baser nos analyses et nos interprétations sur des séries de données plus uniformes. Mais il faut dépasser ce dépouillement qui permet de reconstituer certains segments de la vie socio-matérielle d'un groupe à un moment donné. En effet, comme les objets n'ont pas que valeur d'usage et qu'ils sont tous porteurs de significations et de symboles, il importe de s'arrêter aux ensembles au détriment de l'unique, à la disposition des biens, à l'organisation et à la structure de l'espace, bref, à l'atmosphère souvent perceptible.

32 C'est à cette tâche immense que nous allons nous adonner dans les années à venir. Quelques chercheurs seulement ne peuvent suffire à répondre aux exigences de ce projet. Aussi ne peut-on que souhaiter la poursuite de la collaboration déjà établie avec des chercheurs universitaires.

NOTES
1 Cette partie du travail est le résumé d'un manuscrit en voie de préparation pour publication. Parmi les références consultées, les plus importantes sont:
Lewis A. Coser, Continuities in the Study of Social Conflict (New York: Free Press, 1967);
George Dalton, ed., Primitive, Archaic and Modern Economies: Essays of Karl Polanyi (New York: Anchor Books, 1968);
Meyer Fortes, Social Structure (Oxford: Clarendon Press, 1949);
Gino Germani, "Social Change and Intergroup Conflicts," dans TheNew Sociology, édité par Louis Horowitz (New York: Oxford University Press, 1964), pp 391-408;
Alexander Gerschenkron, Continuity in History and Other Essays (Cambridge, Mass.: Harvard University Press, 1968);
Thomas S. Kuhn, The Structure of Scientific Revolutions (Chicago: University of Chicago Press, 1970);
Claude Lévi-Strauss, Anthropologie structurale: 2 (Paris: Librairie Pion, 1973);
Robert K. Merton, "Anomie, Anomia, and Social Interaction: Contexts of Deviant Behaviour," dans Anomie and Deviant Behavior, édité par M.B. Clinard (New York: Free Press, 1967), pp 213-41;
Roland Mousnier, Progrès scientifique et technique au XVIIIe siècle (Paris: Librairie Pion, 1958);
Claude Rivière, «Le changement social», dans Les encyclopédies du savoir moderne: La sociologie et les sciences de la société, 1970;
Alain Touraine, Sociologie de l'action (Paris Éditions du Seuil, 1965);
Leslie A. White, The Science of Culture (New York: Farrar, Straus & Cudahy, 1971);
Bryan R. Wilson, Rationality (Oxford: Blackwell, 1977).
2 Patronage et pouvoir dans le Bas-Canada (Montréal: Presses de l'Université du Québec; 1973), p. 130.
3 Jean-Pierre Hardy et David-Thiery Ruddel, Les apprentis artisans à Québec, 1660-1815 (Montréal: Presses de l'Université du Québec, 1977), p. 187.
4 H. Espesset, J.-P. Hardy et D.-T. Ruddel, «Le monde du travail au Québec au XVIIIe et au XIXe siècle: historiographie et état de la question», Revue d'histoire de l'Amérique française 25, n° 4 (mars 1972): 499-570. J.-P. Hardy, «Un projet de recherche sur les artisans du Québec», Gazette 11, n° 3 (été 1978): 26-34.
5 Hardy et Ruddel, Les apprentis artisans.
6 Sur les notions de culture, nous référons le lecteur à quelques ouvrages qui nous ont guidés: A.L. Kroeler and C. Kluckhohn. Culture: A Critical Review of Concepts and Definitions (Cambridge, Mass.: Peabody Museum, 1952). pp 145-57; «Culture», in International Encyclopedia of the Social Sciences (Toronto: MacMillan Company and Free Press, 1968), vol 3. pp 527-68; M. Crubellier, Histoire culturelle de la France. XIXeXXesiècles (Paris: Armand Colin, 1974), pp 2-23; S.M. Beckow, «Culture. History and Artifact», Gazette 8. n° 4 (automne 1975) 13-15.
7 Sont publiés à ce jour dans la Collection Mercure du Musée national de l'Homme, Division de l'histoire: André Bérubé et al., Le forgeron de campagne: un inventaire d'outils. (Dossier n° 12, 1975); Jean-Pierre Hardy, Un ferblantier de campagne (1875-1950). (Dossier n° 8, 1975); Hélène Simard, Trois générations de cordonniers à Saint Jean, Port Joli (Dossier n° 16, 1976) En voie de publication dans la même collection: Ronald Labelle, L'artisan tanneur de la société pré-industrielle.
8 Déjà publié dans une collection dite populaire: J.-P. Hardy, Le forgeron et le ferblantier (Montréal: Boréal Express. 1978). A paraître Y Fortier, Le menuisier-charpentier: J Hamelin, Les cordonniers et l'industrie du cuir à Québec: E Marcil. Le tonnelier: E Marcil, Le charpentier de navire: N Séguin, Le travailleur forestier dans la Mauricie.
9 J. Bernier, Quelques boutiques de menuisiers et charpentiers au tournant du XIXesiècle. Ottawa, Musée national de l'Homme, 1976, (Collection Mercure, Division de l'histoire. Dossier n° 17). Aussi Les intérieurs domestiques des menuisiers et charpentiers de la région de Québec 1810-1819. Ottawa, Musée national de l'Homme. 1977, (Collection Mercure, Division de l'histoire. Dossier n° 23).
10 D'autres organismes ou individus s'intéressent à la maison. L'Inventaire des bâtiments historiques du Canada et la Recherche historique, deux sections de Parcs Canada, s'arrêtent davantage à l'aspect architectural et aux maisons de pierres et de briques. Le travail de M. J.J. Richardson de Parcs Canada s'inscrit dans la même lignée. Notre projet se limite dans une première étape aux quartiers ouvriers et met l'accent sur l'aspect social et matériel.