Reviews / Comptes rendus

Lise Boily et Jean-François Blanchette, Les Fours à pain au Québec.

Pierre Rastoul
Chercheur indépendant, Québec
Les Fours à pain au Québec. Lise Boily et Jean-François Blanchette. Ottawa: Musée national de l'Homme, Les Musées nationaux du Canada, 1976. 127p., illus. ISBN 0-660-00004-0. $6.00

1 Base incontestée de l'alimentation québécoise depuis plus de trois siècles, le pain a constitué un fait majeur dans notre civilisation traditionnelle, autour duquel gravitent un grand nombre d'attributs qui relèvent de la culture matérielle autant que spirituelle. Parmi les produits de la culture matérielle qui se rattachent à ce phénomène, le four à pain occupe sans doute la place principale: omniprésent dans l'environnement bâti, foyer d'attraction particulièrement marquant dans la vie quotidienne, le four justifie certes un intérêt qui dépasse largement sa fonction première en ce sens qu'il constitue l'un des éléments du milieu matériel qui ont le plus affecté le comportement même des anciens québécois.

2 Le rôle fonctionnel et à la fois profondément intime du four à pain se mesure autant dans la diversité des technologies qui s'y rattachent que dans cette polarisation saisonnière de la vie quotidienne qui accompagne son utilisation. Le four à pain devenait une véritable extension de l'intérieur durant la saison chaude, à un point tel qu'il déplaçait une bonne part des activités domestiques auprès du fournil. En ce sens, une étude du four à pain commande une approche de caractère global sans quoi la dimension fondamentale du sujet risque de passer inaperçue. Par ailleurs, faut-il rappeler l'importance du four à pain sur le plan affectif, importance que motivait son rôle dans la survie des habitants. Cet état de choses s'apprécie de façon très concrète dans la multitude de traits de littérature orale qu'il a engendrés, jusqu'à s'approprier au même titre que le pain lui-même un symbolisme étroitement lié à la vie.

3 Ce sont là des considérations qui nous semblent transpirer de l'ouvrage qui viennent de publier Lise Boily et Jean-François Blanchee au Musée national de l'Homme. Cet ouvrage, rédigé avec beaucoup de soin, vient combler en partie un vide pour la moins criant dans la recherche en culture matérille au Québec. Si dans l'ensemble les auteurs ne parviennent pas à cerner de façon satisfaisante les aspects fondamentaux du phénomè de la panification ni même du four à pain proprement dit, ils y réussisent toutefois beaucoup mieux que ne l'avait fait Jean Claude Dupont dans Le pain d'habitant (Montréal: Leméac, 1974).

4 La principale qualité de l'ouvrage réside dans la richesse de l'information orale qui s'y trouve consignée: 215 informateurs ont été consultés durant la recherche dans plusieurs régions du Québec. Il en résulte information très dense quant à la terminologie et à la construction de certains types de fours à pain. Malheureusement, les auteurs n'ont pas su utiliser cette information avec autant d'adresse qu'on l'eut souhaité: par souci de concision, semble-t-ent, ceux-ci ont sacrifié la facilité de lecteur doit très souvent se référer au lexique, parfois jusqu'à cinq ou six fois dans la même phrase. Certes, la présence du lexique facilite quelque peu la lecture, mais sa position saugrenue par rapport aux autres éléments de l'ouvrage en rend la consultation malaisée et trouble la compréhension du texte.

5 Malgré cette richesse incontestable de l'information orale, l'ouvrage comprend toutefois de graves lacunes. Ainsi, en premier lieu, on constate de la part des auteurs une profonde négligence envers tous les types de sources autres qu'orales de sorte qu'on garde l'impression que Les fours à pain au Québec n'est autre chose qu'un rapport fouillé d'enquêtes orales et non ce qu'on aurait été en droit de s'attendre, un ouvrage de portée globale. On remarque en particulier une presque compléte indifférence face aux données historiques disponsibles de sorte que l'ouvrage ne présente que très peu d'intérêt à ce point de vue. Bien sûr, on a tenté une maigre interprétation à partir des archives notariales, mais il apparaît évident que la cueillette à cet égard n'a pas été poussée très loin.

6 De ce côté, l'élément le plus intéressant que fournissent les auteurs consiste en ce tableau dit "représentatif" réalisé à partir des relevés d'archives; on n'y amène cependant rien de bien concluant car d'une part, on ne fournit aucun indice quant à la représentativité de l'échantillonnage et d'autre part, l'interprétation qu'on en fait dans le texte n'approfondit aucunement la question. Pourtant, on sait que la documentation notariale disponible sur les fours à pain, moyennant une analyse plus serrée, aurait révélé considérablement plus que ce dont se sont contentés les auteurs. Du reste, il nous apparaît aberrant qu'on ne consacre en tout qu'une dizaine de pages éparpillées à la dimension historique du phénomène. Quiconque connaît un peu l'histoire québécoise est en mesure d'apprécier dans ses grandes lignes la portée des implications ethno-historiques du phénomène de la panification, et par extension, d'un trait de culture matérielle aussi fondamental que le four à pain. On en conclut que les auteurs, en négligeant de mieux situer dans sa perspective historique leur sujet, ont accepté un compromis facile qui ne les obligeait pas à pousser plus loin leur analyse.

7 En ce sens, le titre choisi pour l'ouvrage est quelque peu trompeur, et il l'est d'autant plus si on considère une autre grave lacune de l'ouvrage. On doit, en effet, reprocher aux auteurs d'avoir privilégié un type de four particulier -<- les fours en terre d'extérieur —-, qui occupe le plus clair des deux plus importants parmi les quatre chapitres du livre. Les fours constitués d'autres matériaux (brique, pierre, etc.) y sont à peine abordés, sinon pour en résumer très sommairement les caractéristiques les plus évidentes; on n'accorde, par ailleurs, qu'une place fort restreinte aux fours intérieurs (deux paragraphes!), et on oublie tout simplement la question des fours en milieu urbain, ou d'autres types de fours, tels les fours de boulangers qui ont joué un rôle important dans notre continuité ethno-historique depuis le Ⅶe siècle.

8 Plutôt que de documenter ces questions dans les derniers chapitres de l'ouvrage, on a préféré y exposer quelques résultats sommaires d'enquêtes orales sur la panification et le folklore du pain, qui ne vont guère plus loin que la contribution déjà apportée par Jean Claude Dupont. Malgré l'intérêt légitime de ces aspects du phénomène, il eut été préférable de ne s'en tenir qu'aux fours proprement dits et de tenter d'approfondir la question dans la même mesure qu'on l'a fait pour les fours en terre. C'eût été plus honnête car dans cette optique, les derniers chapitres nous apparaissent comme des "béquilles", des solutions de rechange maladroites pour pallier une absence trop flagrante de cohérence.

9 Quant au contenu, donc, Les fours à pain au Québec reste néanmoins un ouvrage précieux en ce qui a trait aux fours en terre, et par là, une contribution importante à la recherche en culture matérielle au Québec. On regrette, malgré cela, que les auteurs n'aient pas atteint les objectifs qu'ils s'étaient fixés dans leur introduction; tel qu'il se présente, l'ouvrage ne nous apparaît aucunement comme un "travail qui tend à démontrer l'utilité de joindre les recherches sur la culture matérielle aux autres composantes du tout culturel" (p.3). Mais les auteurs ne sont probablement pas les seuls responsables des manquements de l'ouvrage; en effet, à ce jour, il n'existe au Québec aucun centre de formation qui soit en mesure de fournir un apprentissage sérieux des démarches vraiment scientifiques de l'ethnographie et des disciplines connexes, et les chercheurs doivent s'en remettre le plus souvent à un fonctionnement empirique. Il n'est pas exclu, non plus, que l'éditeur et dans ce cas-ci le commanditaire de la recherche, ait nuit plutôt qu'aidé les auteurs en imposant un cadre de travail trop restreint dans le temps et dans l'espace; on en a vu bien d'autres, et de pires, dans ce genre. Quoi qu'il en soit, le ton qu'on perçoit trop souvent dans le langage des auteurs, où l'on s'assoit volontiers sur des termes défraîchis comme "pittoresque" ou "bon paysan", présageait une attitude de facilité de leur part, telle qu'on en retrouve à profusion dans notre littérature concernant le patrimoine. Il serait temps que les chercheurs en viennent à exiger plus d'eux-mêmes, et qu'ils se resaisissent de cette complaisance malsaine qui les caractérise trop souvent, au détriment de leurs responsabilités envers la population. Il serait temps également que les organismes de recherche et les éditeurs en fassent autant. Encore une fois, le menu promettait des plats appétissants, mais le repas s'est arrêté après la soupe...

10 Mentionnons enfin l'emphase mise sur la présentation visuelle de cet ouvrage, qui nous apparaît à certains points de vue pour le moins douteuse. Bien sûr, l'ouvrage apporte à ce titre beaucoup de neuf: on y a soigné la typographie, l'impression, la mise en pages et la qualité des photographies — toutes choses fort louables car elles rehaussent le caractère didactique de l'ouvrage de façon peu commune — mais on est allé trop loin et l'ouvrage transpire le "marketing" de l'etideur. On se demande d'ailleurs pourquoi, puisque le livre est à peu près introuvable au Québec et qu'à toutes fins pratiques, ce "marketing" ne s'adresse à personne. A cet égard, la présence nauséabonde d'une floraison de bordures décoratives, souvent en surimpression ou en renversé sur les illustrations, n'ajoute absolument rien à la valeur de l'ouvrage et ne fait qu'accentuer le grotesque "pittoresque" qu'on sent dans tous les éléments du livre; bien au contraire, le caractère didactique du matériel s'en trouve compromis. De telles fantaisies, par leur inutilité et leur manque de goût évident, sont excessives et certes inacceptables dans une publication de caractère quelque peu scientifique.

11 Il convient, pour finir d'ajouter quelques mots sur l'iconographie de l'ouvrage. Quant au photographies, on serait mesquin d'y chercher à redire: les images de terrain sont excellentes, et tant pour les photographies en noir et blanc que pour celles en couleurs, la reproduction est impeccable. On aurait espéré trouver dans Les fours à pain au Québec plus d'iconographie ancienne, mais compte tenu de la quantité invraisemblable d'images qui existent sur ce thème, on ne saurait reprocher aux auteurs de n'avoir choisi que les plus intéressantes. La vingtaine de dessins qui complètent l'illustration présente par contre de sérieux défauts. Ces croquis ne possèdent, en effet, aucune valeur scientifique, et à peine peut-on leur reconnaître un intérêt didactique valable. Nous touchons là à un problème à peu près constant dans tous les ouvrages qui traitent de culture matérielle: rares sont les chercheurs qui, à ce jour, ont su profiter des avantages que présente un graphisme soigné et précis. Mais le problème est de taille et il serait fastidieux de l'aborder ici.

12 Dans l'ensemble, Les fours à pain au Québec reste un ouvrage utile et soigné, bien qu'il soit malheureusement loin d'être complet ou même suffisamment cohérent. Il serait à souhaiter que les auteurs poursuivent leur recherche et nous livrent éventuellement un travail sur l'ensemble du phénomène des fours à pain avec le même effort fourni pour les fours en terre du Québec.

Pierre Rastoul
Chercheur indépendant
Québec