1 Tout de suite après une exposition sur les métiers traditionnels au Québec, le Musée du Québec présentait du 9 octobre au 1er décembre 1975, une exposition sur les arts populaires du Québec. Au dire même des responsables de l'exposition, un public très nombreux s'y est présenté et la majorité des commentaires furent élogieux. Mon propos n'est pas ici d'abonder dans le même sens, mais de discuter trois aspects de l'exposition qui m'ont semblé en diminuer la qualité et la portée: l'organisation matérielle, l'abondance des objets exposés et la conception de l'art populaire qui sous-tend toute l'exposition.
2 Dans une grande salle rectangulaire, on y avait disposé six alcôves (trois dos à dos), dont les ouvertures faisaient face aux murs latéraux de la salle où les objets de plus grande dimension tels les tapis, les tapisseries, les courtepointes, les couvertures, les huiles sur bois, les bois polychromes étaient suspendus. Quelques horloges grands-pères, quelques meubles ou tables gravées de motifs traditionnels y étaient aussi appuyés.
3 L'entrée de la salle, il faut le dire, n'avait rien de bien invitant: on s'y rivait le nez aux parois latérales des alcôves qui formaient un immense mur. Heureusement de chaque côté de ce mur, deux écrans nous présentaient un montage visuel d'objets anciens et contemporains faisant partie de l'art populaire. On aurait aimé y entendre certains commentaires, notamment sur certaines pièces dont on avait peine à dire en quoi exactement elles relevaient de l'art populaire.
4 On comprend fort bien que le public ait été enthousiasmé par cette exposition — et c'est un bon signe — puisqu'il est habitué à voir des expositions-objets depuis toujours. Cette fois, il fut servi à satiété. Les pièces exposées étaient nombreuses, trop nombreuses à mon avis, d'une très grande variété, tantôt belles â envier, naives â en rire, tantôt presque laides mais révélatrices d'un esprit de création et d'invention qui ne peut qu'émerveiller. Quand on considère la profusion et la qualité artistique de la production issue du territoire québécois depuis au-delà de trois siècles, il est évidemment tentant de "charger" les alcôves. Mais le visiteur, le grand public, comprend-il davantage? Reconnaît-il davantage les manifestations, les témoins de sa propre culture et apprend-il plus rapidement à s'identifier à une forme d'expression plus qu'à une autre? Ses héritages, ses traditions et ses emprunts sont-ils plus évidents?
5 Une salle beaucoup plus dégagée, des alcôves aux dimensions plus réduites, quelques commentaires ou écriteaux apportant plus de précisions ou d'informations que les objets ne peuvent révéler, placeraient sûrement le visiteur dans une autre atmosphère. Il se sentirait peut-être moins assailli par les objets, circulerait plus librement et peut-être s'attarderait-il davantage à comprendre qu'à simplement regarder et admirer?
6 A cette profusion d'objets s'ajoute un autre aspect de l'exposition qui mérite réflexion. Il s'agit du manque d'unité apparente entre les différentes pièces d'une même alcôve. C'est du moins l'impression que j'ai eue et qui fut partagée par une dizaine d'autres visiteurs interrogés. C'est ainsi que dans une même alcôve se voisinent un porte-chapelet en argent, un coffret, un cadenas en forme de coeur, une lampe de procession, des cornes à poudre et plusieurs moules à sucre et à beurre. J'ai bien dit "manque d'unité apparente" car en réalité chaque alcôve était réservée à un seul thème que des pièces les plus disparates illustraient. Une première visite révèle assez clairement qu'une alcôve est réservée aux objets à motifs religieux, une autre, aux motifs animaliers mais il a fallu que les responsables nous informassent des autres: motifs géométriques, en forme de coeur, mofits inspirés de l'humain (personnages), des astres et des plantes. Il aurait été souhaitable, puisque cette exposition s'adressait au grand public, que ces thèmes fussent annoncés clairement à l'aide d'un ecriteau quelconque, ce qui aurait diminué la confusion qui régnait chez la majorité des visiteurs au sujet de la logique qui sous-tend l'agencement des alcôves et des pièces exhibées.
7 Malgré cette amgiuïté, ce regroupement demeure fort justifiable si l'on tient compte de la conception de l'art populaire qui a inspiré les auteurs de l'exposition. Pour ceux-ci les principaux critères qui ont présidé au choix des objets semblent les suivants: il fallait que l'objet présente un aspect original, qu'il y ait utilisation de motifs traditionnels, tels le coeur, le trèfle, les végétaux et enfin, que l'objet soit fabriqué par un artisan de métiers ou un simple citoyen n'a aucune importance, pourvu qu'il y ait souci de créer. C'est donc une définition aux frontières extrêmement vastes, trop vastes même, qui ne peut porter qu'à confusion. Elle est pourtant partagée — à quelques nuances près — par la plupart des ethnologues et chercheurs québécois intéressés à l'art populaire. Il faut donc espérer que les chercheurs se penchent davantage sur la définition de l'art populaire afin que la subjectivité y prenne une part de plus en plus minime dans la sélection des pièces appartenant à l'art populaire. Il faut en tout cas trouver les moyens de distinguer davantage ce qui relève de l'art populaire et de l'art artisanal. L'exposition du Musée du Québec n'a pas été d'une grande aide dans ce débat. Mais au fait, ce n'était pas le but de l'exposition.
N.B. Comme une exposition est d'abord faite pour être vue, je n'ai pas décrit d'objets. On peut cependant s'en faire une bonne idée en commandant le catalogue de l'exposition Arts Populaires du Québec au Musée du Québec, Parc des Champs de Bataille, Québec, P.Q., G1A 1A3.