In 1759, a brutal event occurred in the area now known as Fredericton. A company of rangers led by Moses Hazen raided the Acadian village of Pointe Sainte-Anne, scalped women and children who were over-wintering in the area until the snow melted enough for them to flee north to Quebec. Yet the historical narrative of the area has only passing mention of the Acadian presence in Fredericton. This article re-centres the French presence on the Wolostoq River, their role in maintaining alliances with the Wabanaki, and the displacement and upheaval caused by the imperial contests between Britain and France.
>En 1759, un incident brutal a eu lieu dans la région qu’on appelle aujourd’hui Fredericton quand un régiment de rangers dirigé par Moses Hazen a attaqué le village acadien de Pointe Sainte-Anne. Ils ont scalpé des femmes et des enfants qui passaient l’hiver dans la région en attendant la fonte des neiges pour fuir au nord vers le Québec. Le narratif historique de la région mentionne seulement en passant une présence acadienne à Fredericton. Le présent document recentre la présence française sur la rivière Wolastoq, son rôle dans le maintien des alliances avec les Wabanaki, ainsi que le déplacement et le bouleversement qui ont été engendrés par les concurrences impériales entre l’Angleterre et la France.
1 La rivière Wolastoq, renommée “la rivière Saint-Jean” par les Français, occupe une place prépondérante sur la côte atlantique depuis le début de la colonisation française. Champlain a inscrit la rivière dans les premières cartes de la région (voir l’image 1) et elle a été fortifiée par Charles de la Tour qui a construit un poste de traite et une fortification à l’embouchure même de la rivière dans la région actuelle de Saint-Jean. La rivière a servi de grande route de traite avec les Wabanakis et elle était un point d’accès principal pour la navigation vers l’intérieur du territoire. Le terrain le long de la rivière était très fertile et cultivable1. La région a attiré l’attention des empires rivaux, y compris la Hollande, mais la source principale de conflit pour le contrôle de la rivière Saint-Jean était la Grande-Bretagne qui a installé des colonies dans la région avoisinante de la Nouvelle-Angleterre. À partir de l’établissement du Massachusetts en 1626, jusqu’à la fin de la guerre de Sept Ans en 1763, la rivière Saint-Jean demeura sous le contrôle des Français, donc elle était une épine au pied de la Nouvelle-Angleterre. Il a fallu plus de cent ans pour sortir les Français de la côte de la rivière, mais ce déplacement a été tellement brutal et complet que l’histoire a pratiquement oublié leur présence sur le territoire. Cet article veut rétablir le narratif acadien de la “rivière Saint-Jean” : le patrimoine des colonies françaises et la façon dont la rivière a facilité la traite et les rapports avec leurs voisins Wabanakis, ainsi que leur déplacement définitif provoqué par la guerre de Sept Ans, la Déportation et le régiment de rangers de la Nouvelle-Angleterre, et achevé complètement par les Loyalistes.
2 Malgré l’intérêt initial à l’égard de la vallée de la rivière, aucun effort sérieux n’a été déployé pour coloniser la rivière avant les années 1670, durant le bref mandat du gouverneur de l’Acadie, Hector d’Andigné de Grandfontaine (1670-73). En 1654, l’Acadie avait été capturée par le puritain du Massachusetts, Robert Sedgwick, général de flottille et commandant en chef de la côte de la Nouvelle-Angleterre. Oliver Cromwell lui avait ordonné d’exécuter des représailles contre les Français à cause des attaques des navires marchands anglais par les corsaires français, et Sedgwick a profité de cette excellente occasion pour s’emparer de la colonie d’Acadie, riche en ressources, mais affaiblie par les guerres civiles entre Charles de la Tour et Charles de Menou.2 Thomas Temple devint gouverneur par intérim de la colonie après avoir acheté de La Tour les intérêts de traite dans la région et après avoir payé les dettes encourues par Sedgwick pour s’emparer de la colonie française. Le domaine de compétences de Temple incluait le territoire autour de la baie de Fundy, y compris la rivière Saint-Jean et la côte du Maine jusqu’à Pentagouet. Il a reconnu la valeur stratégique de la rivière Saint-Jean et a fait construire un fort sur le bord de la rivière à Jemseg, un peu plus au nord que les fortifications des Français. Bien que l’embouchure de la rivière ait une présence française accrue depuis l’arrivée des Français dans la région, il n’y avait aucune construction européenne le long de la rivière avant celle du fort Jemseg. Une fois que le Traité de Breda (1667) a remis le contrôle du territoire aux Français, l’administration coloniale de la Nouvelle-France a également reconnu l’importance stratégique du fort Jemseg, ce qui signifiait que soutenir sa fortification était devenu une priorité.3
3 Tout aussi importante que la fortification de la rivière fut la volonté d’agrandir la colonie française le long de ses côtes. Toutefois, les tentatives de Grandfontaine d’attirer les seigneurs coloniaux ont connu peu de succès. En fait, des quatre subventions seigneuriales enregistrées durant son mandat, trois étaient des propriétaires absents et aucun parmi eux n’avait réellement pu attirer des colons. Le seul parmi ces quatre seigneurs qui a connu un peu de succès était Pierre de Joybert, le commandant adjoint de Grandfontaine, sauf que c’était en réalité un succès négligeable. En effet, capturé par des pirates hollandais au fort Jemseg en 1674 et transporté à Boston, il a été tenu en rançon contre mille peaux de castors que le gouverneur Louis de Buade de Frontenac a finalement accepté de payer. Par contre, la nécessité de secourir Joybert a mis Frontenac au courant du corridor vital que représentait la rivière Saint-Jean par rapport à la traite et au transport, ainsi que la vulnérabilité, non seulement des réseaux de traite acadiens, mais également de ceux du fleuve Saint-Laurent. Or, la rivière Saint-Jean avait le potentiel de servir de corridor aux colons de la Nouvelle-Angleterre pour s’infiltrer vers d’autres territoires de la Nouvelle-France s’ils réussissaient à la contrôler. Le fait que les fortifications étaient facilement capturées par des pirates était très préoccupant. Ainsi, la solution du gouverneur a été de protéger la rivière contre des incursions tout en essayant de sécuriser la colonisation par l’ajout de colons français.4
4 Une fois retourné en Acadie, Frontenac a récompensé Joybert et son frère en leur accordant des terrains sur le long de la rivière, moyennant leur ferme intention de peupler ces territoires. En 1677, Pierre Joybert a obtenu un lotissement supplémentaire sur les côtes du Nashwaak (aujourd’hui connu comme Fredericton), avec la stipulation qu’il s’engageait à défricher la terre et y amener d’autres colons français. Toutefois, Joybert n’a pas réussi à réaliser son projet avant son décès en 1678. Son rôle d’administrateur en Acadie a ensuite été pris en charge par Michel Leneuf de la Vallière, qui a installé sa famille et ses colons le long de l’Isthme de Chignectou plutôt que sur les berges de la rivière Saint-Jean.5
5 C’est la famille Damours qui a réussi à coloniser les bords des rivières Saint-Jean et Nashwaak. Mathieu Damours de Chauffour a été un des premiers membres du conseil souverain du Québec. Il était membre de la noblesse française et il possédait plusieurs seigneuries à Anjou en France. Le père de Damours était conseiller du roi, ce qui plaçait la famille dans une sphère importante d’influence politique et dans un cercle prestigieux de noblesse. Les frères Damours, Mathieu, Louis et René, ont obtenu des lotissements le long des rivières Saint-Jean, Richibucto et Nashwaak. Ces lotissements incluaient non seulement ceux de l’ancienne seigneurie de Pierre Joybert et de son frère, mais aussi les territoires actuels de Meductic, Fredericton et Marysville, jusqu’à Jemseg. Louis Damours de Chauffours a été le seigneur du territoire autour de la rivière Nashwaak qui incluerait éventuellement Fort Nashwaak et Pointe Sainte-Anne. René Damours de Clignancour se trouvait seigneur de la région de Meductic, tandis que Mathieu Damours de Freneuse était le seigneur de la région de Jemseg.6 Les frères ont eu beaucoup de succès à cultiver la terre et à coloniser le territoire. Ils ont également cultivé de grandes étendues de terres, et établi des moulins à bois et des moulins à grain.7 Bien qu’ils aient seulement obtenu leurs lotissements formels en 1684, Louis Damours avait construit des postes de traites et des résidences au moins deux ans avant l’acquisition des lotissements octroyés.8 Au moment de faire arpenter leurs lotissements en 1695, les Damours avaient déjà cultivé 130 acres de terre, ils avaient défriché presque soixante acres de pâturage et l’année précédente, ils avaient produit six cents boisseaux de légumes et de grain. Leur colonie comptait quarante-cinq pionniers français, alors qu’en 1688, on avait enregistré seulement cinq pionniers.9
6 Le projet de mobiliser la rivière Saint-Jean au nom des Français a été repris par le gouverneur Villebon. Joseph Robineau de Villebon, est le fils de René Robineau de Bécancour et de Marie-Anne Leneuf de la Poterie et il a été baptisé à Québec en 1655. Il a sans doute passé la plus grande partie de son enfance dans la région de Trois-Rivières, où ses grands-parents s’étaient établis durant les années 1630.10 Sa mère, Marie-Anne Leneuf, était la sœur de Michel Leneuf de la Vallière, qui est devenu le seigneur de Beaubassin en 1676, et le gouverneur d’Acadie en 1684-85. À son arrivée en Acadie en 1685, Villebon possédait déjà une imposante expérience des services militaires en France et en Nouvelle-France. Sa mission à Port Royal était d’assister le gouverneur Perrot et après lui, le gouverneur Meneval, mais Villebon était déjà retourné en France quand Phips a saccagé la colonie en 1690. Il est revenu de la France en juin 1690, quelques semaines seulement après le départ de Phips pour Boston avec cinquante prisonniers, y compris le gouverneur Meneval. Villebon est donc devenu le chef intérimaire de la colonie d’Acadie. Un an plus tard, le titre d’administrateur intérimaire de Villebon et été formalisé par le roi qui l’a nommé gouverneur d’Acadie.11
7 En tant que gouverneur d’Acadie, Villebon était responsable de maintenir de bons rapports avec les Wabanakis, en encourageant surtout les Abénakis à rester alliés aux Français plutôt qu’aux Anglais, tout en se servant de cette alliance pour mener la “guerre continuelle” contre la Nouvelle-Angleterre.12 Le but était clair : la mission de Villebon n’était pas seulement de sécuriser la colonie d’Acadie, mais aussi d’utiliser la position stratégique de l’Acadie et ses rapports généralement favorables avec les habitants autochtones pour bloquer l’accès des Britanniques au fleuve Saint-Laurent. L’Acadie était une zone tampon. Les gouverneurs de la Nouvelle-France avaient la tâche d’exécuter des stratégies militaires selon les décisions venues de Paris et de l’administration coloniale du Québec. Les ordres étaient décrétés par le gouverneur général Frontenac qui était le chef de l’armée de la Nouvelle-France et le représentant du roi en tout ce qui avait trait aux relations diplomatiques. Les gouverneurs “régionaux”, tels que Villebon, étaient responsables de l’exécution des ordres du gouverneur général, mais sans aucun pouvoir d’exécuter les ordres militaires sans son approbation. La discussion autour du sujet de l’administration de l’Acadie a souvent été éclipsée par la vision très différente de l’administration britannique. En effet, tandis que les gouverneurs de la Nouvelle-Angleterre ne répondaient qu’à Londres, les gouverneurs régionaux de la Nouvelle-France répondaient au gouverneur général et à l’intendant de la Nouvelle-France. La Nouvelle-Angleterre n’avait ni gouverneur général ni officier colonial semblable à l’intendant français. Le gouverneur anglais du Massachusetts pouvait déclarer unilatéralement la guerre contre l’Acadie avec la seule approbation de la Couronne, tandis que le gouverneur de l’Acadie n’avait pas un tel pouvoir. Seul le gouverneur général de la Nouvelle-France pouvait donner des ordres qui relevaient de la diplomatie internationale (y compris les relations avec les peuples autochtones) et de la politique militaire. Les actions de Villebon doivent donc être examinées à travers cette lentille qui est souvent mise de côté. Les chercheurs interprètent plutôt les actions militaires de Villebon comme étant les résultats de ses propres décisions unilatérales.13
8 La première action militaire de ce genre que Villebon a entreprise a été de rétablir des fortifications françaises le long de la rivière Saint-Jean, une action que Frontenac a fortement encouragée. Port-Royal était stratégiquement vulnérable en tant que centre administratif colonial, et les rafles nombreuses des Britanniques et des Hollandais en sont la preuve flagrante. De plus, la sécurité de Port-Royal se détériorait davantage en raison de la décroissance de sa population. En effet, les familles s’éloignaient de plus en plus de Port-Royal pour migrer à des lieux comme Beaubassin.14 Percevant le fort Jemseg comme étant intrinsèquement vulnérable, Villebon a entrepris d’établir un tout nouveau site plus en amont de la rivière, à l’embouchure de la Nashwaak. Bien qu’il ait désigné la nouvelle fortification sous le nom de “fort Saint-Jean,” presque personne ne le nommait ainsi. En fait, tout le monde, sauf Villebon lui-même, le nommait d’après la rivière Nashwaak. De plus, tandis que l’on construisait le fort Nashwaak, Phips rebâtissait le fort William Henry (voir l’image 2).15
9 Le fort William Henry à Pemaquid était central à la concurrence impériale et coloniale entre les Anglais et les Français en Amérique du nord, en plus d’être au cœur de la dispute du territoire qui a persisté pendant plus d’un siècle. Les Français croyaient que les frontières de leur colonie allaient aussi loin que le fort Pentagouet qui avait été construit à l’embouchure de la rivière Penobscot, situé aujourd’hui à Castine au Maine. Les tensions à Pemaquid dataient du retour de la colonie d’Acadie aux Français selon le Traité de Breda, lorsque Grandfontaine a tenté sans succès d’établir de façon définitive la frontière la plus éloignée au sud de l’Acadie à la rivière Kennebec.16 Le fort William Henry, situé aujourd’hui à Bristol au Maine, avait été construit en 1692 par-dessus les ruines de nombreux autres forts qui l’avaient précédé. Le fort répondait au besoin de sécuriser la frontière nord contre les Français et les Abénakis qui s’étaient rendus à soixante-dix miles de Boston, en détruisant toutes les installations anglaises sur leur passage.17 Pendant quelques années, ces deux forts étaient les sites principaux d’affrontements entre les Anglais, les Français et les Wabanakis. En fait, avec l’aide de la confédération wabanaki, les Français avaient envahi le fort William Henry, et, à leur tour, les Anglais avaient envahi le fort Nashwaak. En 1696, le fort William Henry a été détruit de nouveau après sa capture par les Français durant une campagne militaire menée par Pierre Le Moyne d’Iberville, un officier décoré par les Compagnies Franches de la Marine.18 En représailles, Benjamin Church a dirigé une force venue du Massachusetts contre le fort Nashwaak en septembre de la même année. Bien que ses forces n’aient pas réussi à saisir Villebon ou le fort, l’invasion qui a duré neuf jours a été désastreuse pour Beaubassin, car les maisons et les granges ont été incendiées, le bétail a été abattu et les récoltes, détruites.19
10 Bien que Church n’ait pas atteint son but à Nashwaak, un pionnier important a été victime de l’attaque sur le fort : il s’agissait de Mathieu Damours de Freneuse qui avait habité la région avec ses frères. Le fort Nashwaak avait pourtant eu au moins deux semaines d’avis de l’arrivée éminente de Church. Un canot avait apporté le message qu’un navire anglais arrivait au fort Menagoèche avec deux cents hommes à bord. Le fort avait donc suffisamment de temps pour solliciter de l’aide, y compris celle des frères Damours qui habitaient les installations avoisinantes. Mathieu Damours de Freneuse avait un emplacement idéal sur la rivière Jemseg pour obtenir les nouvelles provenant de Menagoèche et du fort Nashwaak. Il aurait sans doute prêté main-forte aux fortifications de Nashwaak, mais ce même site idéal était également vulnérable. Les troupes de Church ont surgi sur sa ferme en se dirigeant au bas de la rivière vers l’embouchure de la rivière Saint-Jean. Frustrées par leur manque de succès, ces troupes de la Nouvelle-Angleterre ont attaqué la ferme de Damours, mis le feu à la maison et à la grange et ils ont exterminé le bétail. Peu de temps après, Mathieu Damours est mort de froid.20
11 Lorsque Villebon est décédé en 1700, le fort qu’il avait établi est tombé en désuétude et Port-Royal est redevenu la capitale administrative. Toutefois, la majorité de la population coloniale française est restée sur place au lieu de migrer avec l’administration. Bien que le recensement de la population soit inexact, certaines familles acadiennes étaient fermement établies dans la région de Fredericton dans les années 1700, y compris les familles des Martel et des Godin. Une fois que l’Acadie a été de nouveau cédée aux Britanniques en 1710, d’autres familles ont commencé à migrer à la vallée de la rivière Saint-Jean. Malheureusement, il existe peu de détails au sujet du mouvement des populations vers la région. Bien que les registres archivés contiennent un certain nombre de recensements et des recensements partiels, ainsi que des registres paroissiaux et des listes de noms des chefs de famille sur la péninsule de la Nouvelle-Écosse, le Cap-Breton (Île Royale) et même l’Île-du-Prince-Édouard (Île Saint-Jean) au dix-huitième siècle, il n’existe pratiquement aucun registre archivé de la population française le long de la rivière Saint-Jean durant la première moitié du dix-huitième siècle. Les documents qui existent indiquent la présence importante d’au moins deux installations acadiennes le long de la rivière Saint-Jean jusqu’aux années 1730, l’une à Jemseg et l’autre à Pointe Sainte-Anne, connue aujourd’hui comme Fredericton.21
12 Un des premiers sondages détaillés de la région a été fait par le Père Danilou en 1739. À ce moment-là, l’établissement autour de ce qui était connu sous le nom de fort Nashwaak était désormais nommé Pointe Sainte-Anne par les Français, et Sitansisk par les Wolostoqiyiks. La date exacte du changement du nom français n’est pas connue, mais vers les années 1730, le nom “Pointe Sainte-Anne” était inscrit dans les documents français en référence à la région. Le recensement de 1739 indique qu’environ cent colons français habitaient la région entre Pointe Sainte-Anne et Jemseg. Les familles de la région inscrites par Danilou incluaient, entre autres, les Godin, les Laforêt, les Boisjolie et les St Aubin. Il a également énuméré certains résidents du village avoisinant de Wolostoqiyik de Aukpak, situé dans la région actuelle de Kingsclear.22 Les Wolostoqiyiks cultivaient les terres de la région depuis des siècles et ils semaient du blé et du maïs le long des rives. Tout indique un solide rapport de traite entre les Français et les communautés autochtones de la région.23 Ce rapport était entretenu principalement par Joseph Godin, le patriarche et le chef de la communauté de Pointe Sainte-Anne.
13 Gabriel, le père de Joseph Godin, était arrivé dans la région de Nashwaak dans les années 1680 et Villebon lui avait octroyé un lotissement en plus de l’employer comme interprète, puisque Gabriel Godin était connu dans la communauté coloniale pour son aptitude pour les langues autochtones locales. Il servait donc d’interprète entre les peuples Wabanakis et le gouvernement français à Nashwaak. Quand l’administration gouvernementale est repartie à Port-Royal, la famille Godin est restée sur place. Pendant ses dernières années, Joseph Godin se référait à son père comme étant le ‘fondateur de Sainte-Anne.’ Comme son père avant lui, Joseph avait une facilité avec les langues et il a servi d’interprète pour les Français et les peuples Wabanakis des alentours. Son rôle principal était de maintenir de bons rapports entre les Français, les Wolostoqiyiks, les Mi’kmaqs et les Penobscots. Chaque année, il voyageait pour aller renégocier les termes des traités locaux avec les représentants de ces tribus.24 C’était un élément important des relations entre les Français et les Wabanakis, car les traités n’étaient pas perçus comme étant fixes, mais ils affirmaient plutôt une relation vivante qui devait être renouvelée et entretenue avec des cadeaux et des démonstrations d’amitié.25
14 Ce maintien des bons rapports a été perçu par de nombreux chercheurs comme un moyen de contrôler les Wabanakis. Les Français se servaient de ce peuple autochtone comme des pions plutôt que comme des communautés avec lesquelles ils jouissaient de rapports mutuellement bénéfiques. Ainsi, plutôt que décider d’attaquer eux-mêmes les Britanniques qui s’installaient sans permission sur le territoire des Wabanakis, les Français les encourageaient ou les incitaient à le faire. Ce récit de l’histoire des relations entre les Wabanakis et les puissances coloniales rend compte de trois choses : en premier lieu, on enlève aux Wabanakis leur droit d’exister en tant que nations souveraines ayant leurs propres raisons d’attaquer des envahisseurs étrangers dans la région et on leur assigne un rôle de mercenaires. En deuxième lieu, on réfute toute réclamation des Wabanakis sur leur propre territoire, en désignant les combats impériaux pour la possession de l’Acadie comme étant uniquement une question touchant les européens. Pour quelle autre raison les Wabanakis se seraient-ils engagés dans les guerres européennes? En troisième lieu, ce récit renie complètement le contrôle des Wabanakis sur de grandes portions de territoires considérés comme faisant partie de l’Acadie, et ce, jusqu’au milieu du dix-huitième siècle. Tandis que les puissances européennes avaient peut-être pris le contrôle des régions côtières de la Nouvelle-France et de la Nouvelle-Angleterre, les systèmes des rivières à l’intérieur du pays demeuraient un véritable mystère pour les étrangers. Le récit de John Gyles décrit qu’il a été emmené loin de sa famille après avoir été enlevé et transporté dans un réseau enchevêtré de rivières et de routes de portages pour finalement aboutir dans la vallée de la rivière Saint-Jean. En 1758, le colonel Robert Monckton a également été incapable de naviguer l’embouchure de la rivière Saint-Jean sans être guidé.26 L’Acadie existait comme une “fiction impériale” à l’intérieur d’un territoire encore gouverné par les Wabanakis et les puissances coloniales ont ignoré cette réalité à leurs risques et périls.27
15 En plus des implications des stratégies militaires, les Français dépendaient sur les peuples Wabanakis pour leur survie, donc le maintien de bons rapports avec eux était crucial. Pourtant, les représentants du gouvernement d’Annapolis Royal, et plus tard ceux de Halifax, ne souhaitaient pas maintenir ces rapports. Leurs efforts reposaient seulement sur l’imposition des traités de style européen avec les Wabanakis, des traités contrôlés par des documents signés par tous les partis et qui seraient honorés par tous, à moins d’être révoqués, et ce, sans la nécessité continuelle de renégociations.28 Le fait que Joseph Godin et les Français de la rivière Saint-Jean ont continué de renégocier constamment leurs rapports avec les peuples Wabanakis rendaient les Godin suspects aux yeux des Britanniques, un point de vue qui a persisté jusqu'à la représentation historique actuelle au sujet des installations françaises de la rivière Saint-Jean. L’exemple le plus flagrant de cette représentation est l’inscription de Joseph Godin dans le Dictionary of Canadian Biography, un capitaine de la milice qui dirigeait une résistance totale depuis Pointe Sainte-Anne à partir de 1749.29
16 Il est fort douteux qu’il y ait eu une insurrection par la milice à partir de Pointe Sainte-Anne qui a été dirigée par Godin ou par toute autre personne. Contrairement aux textes se rapportant à plusieurs cités acadiennes qui ont été détruites durant la déportation, un certain nombre de documents décrivant la défaite de Pointe Sainte-Anne affirment que la communauté n’avait rien de menaçant. La destruction du village qui a eu lieu pendant l’hiver de 1759 était simplement au cœur d’une campagne qui avait duré treize mois et dont le but était de débarrasser la rivière Saint-Jean des habitants acadiens.
17 Durant l’été de 1758, la déportation des Acadiens de la région maritime durait déjà depuis trois ans. Louisbourg avait été vaincu une deuxième fois par les Britanniques et les forces de la Nouvelle-Angleterre, de sorte que les Acadiens se trouvaient avec de moins en moins de lieux où ils pouvaient s’enfuir. Ils se déplaçaient dans un véritable exode vers le nord en direction du fleuve Saint-Laurent, et dans bien des cas, la rivière Saint-Jean était un point d’arrêt, sinon le premier, pour les réfugiés qui se dirigeaient vers le Québec. On ne connait pas bien ni les mouvements des populations à la suite de la capitulation de Port-Royal aux Britanniques en 1710, ni le nombre d’Acadiens qui se sont rendus à la rivière Saint-Jean entre 1755 et 1758. Par contre, il est évident que la population française a beaucoup augmenté sur le long de la rivière à cette époque. Une fois que la campagne contre Louisbourg a été terminée, Monckton a reçu de nouveaux ordres de débarrasser la vallée de la rivière Saint-Jean des habitants français.30
18 Monckton est donc arrivé à l’embouchure de la rivière Saint-Jean en septembre 1758 avec une troupe de soldats britanniques ainsi qu’un régiment de rangers de la Nouvelle-Angleterre mené par le capitaine McCurdy. Fondé par Benjamin Church, le régiment de rangers de la Nouvelle-Angleterre avait comme but de protéger les colonies de la Nouvelle-Angleterre contre les attaques des autochtones en imitant leur mode de combat. En 1758, presque tous les rangers étaient natifs de la Nouvelle-Angleterre et leur service contre les Français à Louisbourg et la rivière Saint-Jean était leur première sortie de leur milieu natal. On leur avait toujours fait croire que les Acadiens, surnommés les “neutres français”, étaient des sauvages qui convainquaient les tribus autochtones locales de les attaquer et de brûler leurs maisons, et qu’ils menaçaient leur bien-être, et aussi, que les Français et les peuples autochtones étaient de connivence contre eux et de plus, que l’un était aussi dangereux que l’autre.31 Les soldats britanniques avaient un mode d’entraînement et de combat traditionnel. Ils étaient des soldats professionnels qui avaient sans doute connu de nombreux autres champs de bataille.
19 Durant tout le temps que Monckton a passé à la rivière Saint-Jean, il a tenu un journal détaillé de ses activités et il gardait des copies des lettres et des rapports qu’il envoyait à ses supérieurs. Ces documents fournissent un excellent aperçu des succès et des échecs de ses troupes, ainsi que les buts de leurs missions. La première activité entreprise à leur arrivée a été la reconstruction de l’ancien fort français à l’embouchure de la rivière qu’ils ont renommé ‘Fort Frederick’.32
20 En novembre, Monckton a écrit un compte rendu détaillé des activités de ses troupes qui voulaient chasser les résidents français des lieux. Il explique qu’un informateur acadien, un détenu en fait, qui aidait les troupes à naviguer la rivière, prétendument contre son gré, leur avait été envoyé du fort Cumberland, anciennement le fort Beauséjour. Il mentionne que ce prisonnier avait été capturé quand il essayait de fuir l’endroit deux ans auparavant et que sa famille avait déjà été transférée à l’Île Saint-Jean, ou l’Île-du-Prince-Édouard. Sa tâche principale était de servir de pilote pour monter la rivière puisque personne au service de Monckton n’en était capable. Les régiments britanniques étaient déjà au courant que leurs navires étaient trop massifs pour naviguer très loin sur la rivière. Toutefois, de plus petits navires ne pouvaient pas transporter des provisions aux troupes, ni porter des canons ou accommoder des prisonniers. Ainsi, ils ont perdu deux navires dans les chutes réversibles avant de découvrir les effets des marées sur la navigation. Puis, quand ils ont essayé une fois de plus de monter la rivière, ils ne se sont rendus pas plus loin que Grimross, connu aujourd’hui comme Gagetown.33
21 La destruction de Grimross est un événement marquant de l’histoire de la déportation au Nouveau-Brunswick. Elle est représentée dans une œuvre contemporaine célèbre réalisée par Thomas Davies. Le tableau A View of the Plundering and Burning of the City of Grimross34 (voir l’image 3), montre la ville incendiée, enveloppée de fumée, et les navires britanniques qui attendent sur la rivière. C’est la seule représentation artistique du moment de l’acte destructif de la déportation. Monckton a considéré cette rafle comme un succès, même si on n’avait pas capturé d‘ennemis.’ Les Acadiens qui habitaient Grimross à cette époque s’enfuyaient vers le haut de la rivière en canots au moment même de l’arrivée des troupes de Monckton.35 La destruction de leurs maisons, des victuailles et du bétail était tellement dévastatrice qu’elle garantissait qu’ils ne reviendraient pas. C’était au mois de novembre, au seuil de l’hiver, et les habitants se retrouvaient entièrement sans vivres, sans abri et sans même du lait ou des œufs. Ils étaient donc complètement démunis juste au moment de l’arrivée du froid de l’hiver.
22 La bonne chance de Monckton a changé à ce moment-là. Lorsque sa troupe a essayé de continuer vers le sud de la rivière jusqu’à Pointe Sainte-Anne, deux de leurs navires se sont échoués. Il avait pourtant été averti que les navires prenaient beaucoup d’eau et que la rivière était trop basse. Ils ont donc été obligés de faire demi-tour et retourner à Fort Frederick en incendiant tous les bâtiments qu’ils voyaient en route et en tuant le bétail qu’ils trouvaient. Plutôt que d’essayer une deuxième fois de se rendre à Pointe Sainte-Anne, il a tenté de justifier les raisons pour lesquelles il avait laissé Pointe Sainte-Anne telle quelle dans son rapport de novembre 1758. En premier lieu, même s’ils réussissaient à se rendre au sud de la rivière, ils avaient trop peu de provisions à Fort Frederick pour subvenir aux besoins de la troupe qui était déjà sur place, et ils n’avaient aucun approvisionnement pour les prisonniers qui y passeraient l’hiver. En fait, l’emprisonnement des habitants qui demeuraient encore à Pointe Sainte-Anne aurait été très cruel, car ils risquaient de mourir de faim. Deuxièmement, les informateurs de Monckton lui avaient rapporté qu’il n’y avait aucun signe de canon ou de fortification dans la région. Enfin, on l’avait renseigné au sujet de l’évasion des résidents français encore sur place, vers le nord en direction du “Canada,” ou du fleuve Saint-Laurent. Alors pourquoi aurait-il gaspillé des ressources supplémentaires sur un problème qui se réglait évidemment par soi-même?36
23 La menace que comportait Pointe Sainte-Anne à l’automne de 1758 est encore un point de débat aujourd’hui. Dans son article au sujet de la campagne sur la rivière Saint-Jean, Geoffrey Plank cite un représentant britannique dénommé William Martin qui avait “des connaissances de première main de Pointe Sainte-Anne en 1758”. Il affirmait qu’il y avait non seulement une centaine de familles acadiennes dans le village, mais aussi une petite force militaire.37 Pourtant, même si une présence militaire existait à Pointe Sainte-Anne, elle avait cessé d’être une menace en novembre 1758, selon le compte rendu de Monckton, puisqu’il n’y avait ni canon, ni fortification, ni troupes, mais seulement quelques retardataires qui cherchaient à fuir vers le nord.38
24 Si Monckton était demeuré en tête de la garnison de Fort Frederick, ce statu quo aurait possiblement été maintenu, et les résidents de Pointe Sainte-Anne auraient peut-être pu y passer l’hiver en paix avant de partir pour le Québec au printemps. Cependant, Monckton a été rappelé à Halifax à la mi-novembre avant d’être envoyé à Québec, où il a participé à la bataille des Plaines d’Abraham. Il avait emmené avec lui la plupart des troupes britanniques en laissant le capitaine McCurdy et ses rangers chargés du Fort Frederick.39
25 Il existe plusieurs comptes rendus très détaillés de ce qui a suivi, tels que des articles de journaux et des journaux contemporains écrits par un officier britannique qui était demeuré dans la région, ainsi qu’une lettre écrite par Joseph Godin lui-même. En janvier 1759, la rivière a gelé, laissant les rangers de Fort Frederick avec l’impression d’être plus exposés qu’ils ne l’étaient lorsque la rivière était navigable. De plus, la rivière gelée avait un autre inconvénient : avec une paire de raquettes aux pieds, n’importe qui pouvait accéder facilement à leur position. La question du nombre d’habitants qui se trouvaient plus haut le long de la rivière est donc devenue plus urgente et les rangers ont commencé à planifier des missions exploratoires à Pointe Sainte-Anne pour se rendre compte de l’ampleur de la population française qui s’y trouvait. Toutefois, lors de leur première tentative, McCurdy a été tué par une branche qui s’est détachée d’un arbre et les troupes qui l’accompagnaient sont retournées au fort. Par la suite, McCurdy a été remplacé par Moses Hazen.40
26 Né au Massachusetts en 1733, Hazen avait joint les rangers en 1755 au début de la guerre contre les Français. Il a été de service à Louisbourg avant qu’on le commande de se diriger à la rivière Saint-Jean avec la compagnie de McCurdy. Lorsqu’il a remplacé McCurdy, il a entrepris la mission de mieux connaître le nombre de Français habitant Pointe Sainte-Anne. Ainsi, vers la fin février, il a rassemblé environ vingt hommes pour se rendre au sud de la rivière une seconde fois. Le résultat de cette mission a été une véritable boucherie, un incident désastreux reconnu comme étant d’une cruauté notoire parmi les événements atroces de la déportation.41 Joseph Godin, qui a éventuellement été déporté en France, où il a vécu une existence destituée avec sa femme, a écrit au roi dans les années 1780 au sujet des événements de ce jour-là. Son récit demeure un témoignage déchirant, même 250 ans plus tard.
27 À Cherbourg en France, en 1776, Godin a raconté l’histoire de son père qui avait fondé la région de Sainte-Anne et qui avait vécu une existence prospère et paisible avec sa famille. Il a décrit son rôle d’interprète du roi et le fait qu’il dépensait parfois son propre argent pour offrir des cadeaux aux autochtones et ainsi garantir des rapports paisibles entre les Français et les peuples Wolostoqiyik. Bien qu’il ait indiqué qu’il était capitaine de milice, il ne mentionne aucune action qu’il aurait entreprise à ce titre.42 Il a également expliqué que tout cela a changé quand les Britanniques sont arrivés et qu’ils ont attaqué les communautés françaises installées sur le long de la rivière. Pendant l’hiver, Godin et sa famille attendaient le printemps 1759 pour quitter la région et se rendre au fleuve Saint-Laurent. En tant que chef de la communauté, il se sentait obligé d’y rester pour assurer que les membres de sa communauté puissent naviguer en sécurité sur la rivière. Lui et sa famille ont été les derniers à partir, car ils attendaient des conditions favorables pour voyager. Son petit groupe comptait son gendre Eustache Paré, fils de Pierre Paré et de Jeanne Dugas de Louisbourg, ainsi que sa femme, Anne Bergeron, leur fille et leurs petits-enfants. Lorsqu’ils ont vu les rangers approcher, ils se sont enfuis dans la forêt, mais ils ont été capturés. Le régiment de Hazen n’a pas seulement brulé les bâtiments, tué le bétail et détruit leurs caches de provisions, ils ont attaché Godin et Paré à des arbres et les ont forcés à les regarder alors qu’ils ont torturé et tué la femme de Paré et qu’ils ont tué et scalpé la fille de Godin.43 Témoin de ces atrocités, Anne Godin a rassemblé les petits-enfants et ils se sont enfuis plus creux dans la forêt sans nourriture ou biens quelconques, mais ils ont été capturés un peu plus tard et tenus prisonniers. Hazen a déclaré que Godin et Paré seraient amenés à Fort Frederick, où leur statut de capitaines de milice servirait d’échange pour des prisonniers pris par les Français. Toutefois, à l’arrivée de ces prisonniers à Port-Royal, le commandant militaire a reconnu la futilité de l’échange proposée, car un capitaine de milice et son gendre n’étaient d’aucune importance pour l’armée française puisqu’ils n’étaient pas des officiers brevetés. Ils ont donc été envoyés à Fort Cumberland et éventuellement déportés à Boston, avant d’être envoyés en Nouvelle-Écosse et ensuite en Angleterre, puis enfin à Cherbourg. Godin décrit la détresse absolue de ces transferts : l’état piteux des navires, la nourriture pourrie, le manque d’eau potable, la saleté et les maladies et la multitude de gens morts de froid.44 Même lorsque la rafle de Hazen a confirmé que Pointe Sainte-Anne n’était pas peuplée, les rangers de la Nouvelle-Angleterre étaient convaincus que les Acadiens de la rivière Saint-Jean préparaient une attaque imminente. Ils ont donc fait deux autres rafles avant que les Acadiens se soient rendus à Fort Frederick en octobre 1759 en demandant la paix, car ils venaient d’apprendre que Québec avait capitulé.45
28 À la fin de la guerre de Sept Ans en 1763, des Acadiens ont commencé à retourner à la vallée de la rivière Saint-Jean. Plusieurs d’entre eux n’avaient pas loin à voyager puisqu’ils ne s’étaient pas rendus plus loin que la région de Madawaska ou la vallée du fleuve Saint-Laurent. Lorsqu’ils sont arrivés dans la région de Pointe Sainte-Anne, ils ont trouvé Maugerville peuplé par un groupe de ‘planteurs’ de la Nouvelle-Angleterre avec lesquels ils ont réussi à maintenir de bons rapports. Il y avait aussi des commerçants de la Nouvelle-Angleterre avec lesquels ils ont eu des échanges de traite jusqu’aux années 1780. Ce n’est qu’à l’arrivée des Loyalistes que cette dynamique a changé. En 1783, la population d’environ 340 personnes a soudainement été bouleversée par l’arrivée de plus de dix mille pionniers des régiments loyalistes auxquels on avait promis des terres en compensation pour les pertes qu’ils avaient subies durant la Révolution américaine. L’année suivante, la province qui est devenue le Nouveau-Brunswick s’est séparée de la Nouvelle-Écosse pour devenir une province autonome afin d’accommoder la population loyaliste. Tous les lotissements ont été accordés de nouveau, même ceux qui étaient déjà habités et cultivés depuis des décennies. La majorité des Acadiens de la région de Fredericton qui avaient pu garder leurs terres sont toutefois repartis vers des régions plus loin au sud de la rivière.46 Les autres qui sont restés ont maintenu une présence francophone dans cette région renommée Fredericton.
29 En 1926, une plaque a été installée à l’embouchure de la Nashwaak, où la rivière se verse dans la rivière Saint-Jean (voir l’image 4). En raison des travaux de construction, elle a été déplacée sur le côté nord du pont piéton Bill Thorpe Walking Bridge. Il s’agit d’une brève reconnaissance que la région connue aujourd’hui comme Fredericton était anciennement la capitale de l’Acadie. La plaque contient un paragraphe en français, suivi d’une traduction anglaise. La version française se lit comme suit : Fort Nashwaak (Naxoat) : construit en 1692 par le gouverneur Villebon au confluent des rivières Saint-Jean et Nashwaak. Point de départ de nombreuses incursions françaises, notamment de celle où fut pris le fort William Henry à Pemaquid en août 1696. Vainement assiégé en octobre suivant par les troupes de la Nouvelle-Angleterre sous le colonel M. Hawthorne, il fut abandonné par les Français en 1698.47
30 Pour de nombreux résidents de Fredericton et pour les visiteurs, cette plaque scellée dans un cairn de pierre sur le long du sentier piéton est la seule reconnaissance de l’existence de l’ancienne communauté acadienne prospère qui existait où Fredericton est désormais situé. Il existe quelques autres indices, tels que la Promenade Sainte-Anne nommée pour l’ancien village, l’école Sainte-Anne pour la communauté francophone, et depuis 2019, une exposition au musée régional de Fredericton dévouée à l’histoire des Acadiens dans la région. Cependant, cette plaque est l’indice le plus visible, et ce, depuis presque un siècle. Elle représente la pierre angulaire de la méconnaissance au sujet des Acadiens qui habitaient le long de la rivière Saint-Jean. Ils y étaient pendant un bref moment, et maintenant, ils n’y sont plus.
31 Tel que démontrent le dialogue récent et les nombreuses discussions autour des monuments historiques et les démontages de statues, de tels monuments publics ne sont pas nécessairement les meilleurs moyens d’enseigner l’histoire locale.48 La plaque au bout du pont piéton laisse beaucoup à désirer, comme tant de monuments historiques commémoratifs dans tout le pays. L’histoire de Pointe Sainte-Anne a été si complètement déplacée en faveur des mythes de la fondation d’un Fredericton loyaliste que les Acadiens qui y vivent aujourd’hui se sentent souvent eux-mêmes déplacés. La recherche pour cet article a été inspirée par une exposition au musée régional de Fredericton qui a été en montre depuis le vernissage en 2019, le jour même de la fête nationale de l’Acadie, le 15 août. Plusieurs visiteurs acadiens m’ont signalé que l’exposition leur donnait l’impression d’appartenance à la région pour la première fois de leur vie. Ces aveux m’indiquent que la façon dont nous enseignons l’histoire de la rivière Saint-Jean est un énorme problème. En effet, en effaçant le récit historique des Wabanakis, des Acadiens et de toute personne qui n’est pas descendante des Loyalistes qui sont arrivés dans les années 1780, nous créons un sentiment de déplacement à l’intérieur même de notre propre population. Nous exacerbons, ou plutôt nous causons la distinction entre ‘nous et eux’ qui est si souvent manifeste dans les débats au sujet des droits langagiers, des revendications territoriales autochtones et de tant d’autres questions. Il est temps de revenir à une version plus holistique de l’histoire du Nouveau-Brunswick.
To comment on this article, please write to editorjnbs@stu.ca. Veuillez transmettre vos commentaires sur cet article à editorjnbs@stu.ca.