Durant plus d’une décennie, la Semaine de la fierté française/acadienne a été l’une des activités phares d’Activités-Jeunesse. Par ses activités, l’évènement s’est à la fois constitué en microcosme et catalyseur des préoccupations et des intérêts de la jeunesse francophone et acadienne des écoles secondaires du Nouveau-Brunswick. Véritable vecteur et indicateur des débats référentiels ayant interpelé la jeunesse francophone et acadienne des années 1970 et 1980, cette étude rend compte du rôle de cet évènement et de ses activités dans le façonnement des débats identitaires (francophones, jeunesses, acadiens et régionaux), qui ont animé les jeunes membres de l’organisme.
For more than a decade, the Semaine de la fierté française/acadienne (French/Acadian Pride Week) has been one of the most iconic activities of the francophone youth association Activités-Jeunesse. Through its activities, the event was both a microcosm and a catalyst of concerns and interests of Francophones and Acadians of New Brunswick high schools. True vector and indicator of the debates having preoccupied the French-speaking and Acadian youth of the 1970s and 1980s, this study analyses the role of this event and its activities in shaping identity debates (French-speaking, youth, Acadian and regional), that animated the members of the association.
1 La Semaine de la fierté française/acadienne (SFFA) a été l’une des activités iconiques d’Activités-Jeunesse (AJ), l’ancêtre de la Fédération des jeunes francophones du Nouveau-Brunswick (FJFNB); association porte-parole des élèves francophones des écoles secondaires du Nouveau-Brunswick. Tantôt coordonnée par les comités locaux d’Activités-Jeunesse, tantôt par ses animateurs régionaux ou encore par son bureau de direction, l’activité annuelle s’est notamment démarquée par sa longévité (1974–1986). Cette pérennité de la Semaine de la fierté française/acadienne, qui couvre une bonne part de l’existence d’Activités-Jeunesse (1971–1988), fait de l’évènement un microcosme fascinant nous permettant d’analyser une bonne part des préoccupations, voire des débats identitaires (« référentiels », dirait le sociologue Fernand Dumont3), ayant animé la jeunesse acadienne et francophone du Nouveau-Brunswick durant plus d’une décennie. Par ses activités, la Semaine de la fierté française/acadienne a d’ailleurs contribué de façon significative auxdits exercices de construction référentielle des jeunes de l’époque.
2 Si notre entreprise table sur l’absence d’études d’Activités-Jeunesse pour mener plus avant notre compréhension du militantisme des jeunes francophones d’âge scolaire au Nouveau-Brunswick, elle s’inscrit aussi dans l’histoire des débats référentiels en Acadie des années 1970. Autour de la redéfinition du projet national acadien, déjà enclenché à la suite de la Seconde Guerre mondiale, la petite société4 acadienne des années 1970 est traversée d’une ambivalence identitaire accompagnant les aspirations plurielles qui l’interpellent et la définissent.5 La fratrie militante acadienne de l’époque étant tiraillée entre diverses idéologies (humanisme, socialisme, idées de la décolonisation, etc.) et un ensemble de projets prospectifs leur sous-tendant (canadianité, province acadienne, québécisation, union des provinces maritimes, etc.), nous ne prétendons pas à l’uniformité de sa référence, laquelle est divisée entre des référents acadiens, francophones, canadiens-français, régionaux, et nous en passons.6 Loin de nous en tenir à une lecture essentialiste de la situation, qui tend par moment à lisser ce pluralisme à dessein de tout ramener à une vision unidimensionnelle de la référence acadienne, notre analyse permettra de mieux comprendre les formes, leur justification et la durée de cette ambivalence identitaire au cours des années 1970–1980.
3 Partant ainsi de la fenêtre privilégiée que nous offre la Semaine de la fierté française/acadienne pour comprendre les mobilisations des jeunes eu égard à leur identité, nous nous proposons dans cet article de rendre compte des remaniements et interrogations référentielles des jeunes Acadiens et francophones du Nouveau-Brunswick durant cette période charnière du militantisme néonationaliste (1970–1980) et de mettre en évidence la fonction occupée par les loisirs dans ces processus de construction. En bref, nous voulons étudier comment et suivant quels fondements idéologiques et axiologiques les activités de la Semaine de la fierté française/acadienne ont contribué aux débats référentiels des participantes et participants de même que la façon dont ils s’inscrivent dans le canevas plus large des débats identitaires en Acadie de la période. Ce travail nous permettra par ailleurs d’analyser une bonne part des aspects caractéristiques des mobilisations d’Activités-Jeunesse, une association, permettons-nous de le redire, encore largement méconnue de la production scientifique.7
4 Gage de l’intérêt d’étudier la Semaine de la fierté française/acadienne pour comprendre les débats référentiels des jeunes francophones du Nouveau-Brunswick de la période, notons de suite que l’évènement change d’appellations à de nombreuses reprises, suivant le rapport changeant des jeunes à leur identité, en plus d’arborer, à certains moments, plusieurs dénominations simultanément : Semaine Activités-Jeunesse, Semaine de fierté française, Semaine de la fierté acadienne, Semaine de la jeunesse, etc. En raison de cet éclectisme, précisons qu’à l’exception des occasions où nous userons de la dénomination appropriée pour l’édition étudiée, lorsque nous traiterons de l’évènement de façon générale, nous emploierons l’appellation « Semaine de la fierté française/acadienne » ou SFFA.
5 Par ailleurs, soulignons que bien qu’il existe encore aujourd’hui une Semaine provinciale de la fierté française au Nouveau-Brunswick, organisée annuellement par le ministère de l’Éducation, notre étude porte strictement sur celle d’Activités-Jeunesse. Bien que la Semaine provinciale de la fierté française orchestrée par les responsables gouvernementaux du Nouveau-Brunswick succède à la Semaine de la fierté française/acadienne d’AJ, les deux évènements demeurent distincts.
6 Afin d’analyser les activités organisées dans le cadre des diverses éditions de la SFFA, nous avons dépouillé les principaux fonds d’archives d’AJ (181) et de la FJFNB (1518) du Centre d’études acadiennes Anselme-Chiasson (CEAAC) de Moncton, de même que le Fonds Activités-Jeunesse (17) du Centre de documentation et d’études madawaskayennes (CDEM) d’Edmundston. Dans le cadre de notre collecte de données, nous avons non seulement dépouillé la documentation se rapportant à la Semaine de la fierté française de façon spécifique – rapports d’activités, correspondances, programmations, etc. –, mais également l’ensemble des rapports annuels, des procès-verbaux d’Assemblées générales annuelles, des communiqués de presse et des mémoires produits par AJ afin d’en relever toutes les informations concernant l’activité. Dans la même optique, nous avons aussi dépouillé les périodiques – Eurêka, Mashqoui, etc. – publiés par Activités-Jeunesse. Pour compléter ce corpus, nous avons aussi analysé le contenu d’articles de journaux tirés de la presse acadienne. À ce sujet, notons que le Fonds Activités-Jeunesse du CEAAC contient des dossiers de presse pour chacune des années d’existence de l’association. Dans ces volumineux dossiers de presse, constitués à partir d’un large corpus de la presse acadienne – L’Évangéline, Le Point, L’Aviron, Le Voilier, Le Madawaska, La Boueille, etc. –, nous avons prélevé tous les articles en lien avec la SFFA.
7 Relevons que malgré l’étendue de cette documentation, notre corpus n’est pas sans failles et des zones d’ombre demeurent. Par exemple, les rapports d’activités rédigés à l’occasion de la SFFA n’ont pas toujours été conservés, ou même produits, par certains comités locaux. À ce sujet, précisons de suite que bien que la Semaine de la fierté française/acadienne paraît se poursuivre au-delà de l’édition de 1985, le manque de données pour les années subséquentes (1986 et 1987) nous a contraint de limiter notre analyse à l’année 1985. Malgré ces limites, notre généreux échantillon demeure tout de même fort représentatif des formes et du contenu des activités organisées à l’occasion des diverses éditions de la SFFA et nous permet de répondre à notre problématique.
8 Ainsi, par l’analyse du contenu de l’ensemble de cette documentation, nous avons classé chacune des activités des diverses éditions de la Semaine de la fierté française/acadienne par année et par école.8 La mise en relation de ces données classifiées (Annexe 1), croisée à une analyse qualitative des documents textuels produits par AJ, nous a permis d’interpréter la façon dont les loisirs ont répondu et ont été adaptés en fonction des préoccupations, des questionnements identitaires et des intérêts changeants des jeunes au sein d’Activités-Jeunesse, de 1974 à la fin des années 1980.
9 Notre argumentation dans cet article suit une trame chronologique. Partant d’un évènement initialement créé en vue d’amasser des fonds pour AJ (1974), à sa mise au ban relative à la fin des années 1980, alors que le militantisme par-delà les frontières des écoles s’accompagne d’une distanciation des enjeux ethnolinguistiques dans le militantisme jeunesse (1985–1988), en passant par un moment d’affirmation de la culture française (1975–1976), puis de la culture acadienne (1977–1979) et enfin d’une vision résolument moderne de l’Acadie et de la place des jeunes en société (1980–1983), nous mettons en évidence et contextualisons les remaniements connus par la Semaine de la fierté française/acadienne au long de son existence. En somme, cette vue d’ensemble nous permet de mettre en évidence les débats référentiels ayant animé la jeunesse d’AJ au long de son existence. Qui plus est, par notre classification et notre analyse des diverses activités organisées à l’occasion des différentes éditions de la SFFA, notre article offre également une intéressante incursion dans la culture de consommation et de loisirs de la jeunesse acadienne et francophone du Nouveau-Brunswick de l’époque.
10 L’origine de la Semaine de la fierté française/acadienne remonte au mois de janvier 1974 alors qu’AJ organise la « Semaine Activités-Jeunesse ». L’évènement avait alors pour but d’engager les différents comités locaux de l’association dans un ensemble d’activités visant, d’une part, à faire la promotion d’Activités-Jeunesse dans leur école respective et, d’autre part, à amasser des fonds pour financer le Centre d’éducation populaire9 de l’organisme établi au Madawaska. Cinq des huit écoles participantes (selon nos données) ont alors effectué des ventes et organisé un ensemble d’activités pour amasser des fonds : vente de macarons (42,9%), de drapeaux acadiens (57,1%), de verres (14,3%), de tags (28,6%), de pâtisseries acadiennes (14,3%) et l’organisation de quatre bercethons, d’un bingo, d’une loterie, d’un tirage, etc. Au nombre de ces initiatives pour collecter des fonds, l’activité phare a sans contredit été le bercethon10 organisé par quatre écoles. Malgré l’importance accordée aux activités de financement, les comités d’AJ dans les différentes écoles ne s’y sont pas limités, comme en atteste l’inventaire des activités organisées dans les écoles secondaires francophones de Saint-Léonard et de Bathurst, lesquelles ont toutes deux organisé six activités distinctes : danse, vente de sucreries, bingo, soirée de cartes, concours bébé, projection de film, vente de pâtisseries, bercethon, journée chapeaux et loterie.
11 Les succès de cette semaine d’activités coordonnées à l’échelle provinciale mènent les leaders d’AJ à répéter l’expérience l’année suivante. Tablant sur le mandat initial d’Activités-Jeunesse de « sensibiliser les jeunes au fait français »11, les jeunes organisent une semaine d’activités de sensibilisation au fait français sous le thème « Semaine de fierté française ». Bien que cette semaine d’activités devait initialement se dérouler du 1er au 8 mars, elle est reportée à la semaine du 5 au 12 avril en raison d’une grève du zèle des enseignantes et enseignants de la province. Suivant le programme en trois points de l’évènement – (1) sensibilisation au fait français; (2) faire connaître les organismes sociaux francophones; (3) promouvoir la langue française – chaque comité local12 des 13 écoles participantes était tenu d’organiser un ensemble d’activités en vue de promouvoir le fait français et de faire connaître AJ dans leur établissement. Ensuite, en vue d’amasser des fonds pour l’organisme, bien qu’aucun bercethon n’ait été organisé, les jeunes lui substituent des soupers (organisés par quatre écoles) et poursuivent des activités de ventes (menées par sept écoles) : macarons (42,9%), drapeaux acadiens (57,1%), verres (14,3%), tags (28,6%), pâtisseries acadiennes (14,3%). La danse est alors l’activité la plus populaire (six écoles), suivie par les kiosques d’informations, les spectacles d’artistes locaux et un ensemble d’autres activités : activités sportives, concours du bon parler français, émissions de radio, ramasse-bouteilles, glissades, feux de joie, sculptures sur neige, pêche à la ligne, théâtre, messe, soirées du bon vieux temps, etc.
12 À compter de cette édition de 1975, la Semaine de fierté française est conçue comme évènement annuel. Cette récurrence n’est pas pour le moins parsemée d’adaptations et de louvoiements conditionnés par les préoccupations changeantes des jeunes au long des années. À ce sujet, nous l’avons énoncé plus haut, la Semaine de la fierté française/acadienne change d’appellation à quelques reprises (cf. Annexe 1). Par ailleurs, il faut dire que les différentes éditions de la SFFA n’ont pas eu la même ampleur, ce que semble attester la non-organisation de l’évènement dans certaines écoles au cours des années. En 1976, bien que 13 écoles participent à la Semaine de fierté française du 2 au 9 mai13, nous constatons qu’il ne s’agit pas des mêmes écoles ayant participé à l’édition de 1975. Selon les données que nous avons compilées, il est récurrent que certaines écoles n’organisent aucune activité à l’occasion des différentes éditions de la SFFA, dont l’école Sainte-Anne de Fredericton qui, à l’exception de 1979, ne semble à peu près pas avoir participé aux activités de la Semaine de 1976 à 1980. Aucune justification de ces absences n’est donnée dans les documents que nous avons consultés. Est-ce que cet apparent désengagement de certaines écoles est lié aux limites de notre corpus, que nous avons énoncées, ou s’explique-t-il plutôt par un relatif désintérêt envers la Semaine, conditionné par son manque de coordination, sur lequel nous reviendrons, de la part du bureau de direction d’AJ? Quoi qu’il en soit, malgré les données parcellaires, nous savons que des projections de films, des danses, des conférences, des concerts et spectacles, des journées costumées et une sortie « à la cabane à sucre » sont au nombre des activités organisées en 1976.
13 Bien que certaines activités organisées durant les premières éditions de la Semaine de fierté française accordent une place à l’identité acadienne (drapeaux acadiens, pâtisseries acadiennes, etc.), dans l’ensemble c’est la référence « francophone » qui prédomine. Largement tournée vers l’organisation d’activités culturelles et linguistiques qui visent à faire la promotion du « fait français », par des films, des concerts, et autres loisirs « francophones », la Semaine se fait d’abord, à l’image d’AJ durant ses premières années d’existence, un vecteur de promotion de la langue et de la vie françaises plutôt qu’un relent d’affirmation de l’identité acadienne.
14 Il n’est pas inutile de le souligner, mais à ses origines Activités-Jeunesse cherche d’abord à « sensibiliser les jeunes au fait français » et non pas à la culture acadienne. Produit de son temps, AJ n’est pas épargnée des débats référentiels, à la fois régionaux et nationaux, qui traversent l’Acadie. Nombre de jeunes sont à ce moment d’avis que l’acadianité recèle de connotations passéistes, voire folkloriques, peu propices à favoriser leur épanouissement. Dès lors, un bon nombre de jeunes préfèrent se dire francophones et s’imaginer comme participant d’un projet collectif canadien ou canadien-français, pour ne pas dire québécois advenant l’annexion d’une part du Nouveau-Brunswick à un Québec indépendant. Intitulé le « Rallye Frog », en évocation évidente au mouvement pan-canadien-français Frog Power14, le ralliement de jeunes menant à la fondation d’AJ en 1971 illustre bien, par sa dénomination, la posture identitaire de ses premiers membres, qui se revendiquent à ce moment moins d’une identité acadienne que canadienne-française, voire francophone.15 La donne est toutefois appelée à changer durant les dernières années de la décennie 1970 alors que la consolidation du néonationalisme acadien (particulièrement de son volet autonomiste) et des disparités provinciales au sein la francophonie canadienne se font particulièrement favorable à la politisation et à l’acadianisation du militantisme des jeunes d’AJ.
15 À compter de l’année 1977, nous remarquons qu’Activités-Jeunesse commence à témoigner d’un engouement plus ferme eu égard à la politique, ce qui est notamment caractérisé par le lancement de son projet « Droits des jeunes » qui aspire mener à la rédaction d’une charte des droits dont pourraient se réclamer les jeunes dans la société.16 C’est aussi à cette époque qu’un bon nombre de jeunes d’Activités-Jeunesse s’éprennent d’un intérêt pour le Parti acadien – plusieurs membres d’AJ deviennent membres et militants du parti – et pour son projet de créer une province acadienne.17 Ces premières inclinations marquées envers la politique et l’identité acadienne seront d’ailleurs manifestées dans le choix du thème de la Semaine de fierté française de 1977 : « Les droits des jeunes / Identité culturelle acadienne ». Seize écoles participent alors à l’évènement en organisant un ensemble d’activités, qui, sans délaisser la promotion du fait français, commencent à donner davantage d’espace à la référence acadienne. En ce sens, treize écoles organisent des projections de films ayant, pour une bonne part, des liens avec l’identité acadienne. Au nombre de ces projections, nous retrouvons notamment : L’Acadie, l’Acadie?!? (2x), Mourir d’aimer, Pour un bout de papier, La gueule de l’emploi, La grande Nouba, C’est pas la faute à Jacques Cartier. Les spectacles de musiques, les journées costumées (Gabriel et Évangéline) et les dîners acadiens soulignent également le fait français, mais aussi plus particulièrement l’identité acadienne. Il en va de même d’autres activités comme le jeu « un billet à chaque fois que quelqu’un dit un anglicisme », l’envoi de lettres aux commerçants concernant l’affichage unilingue anglaise, un cours d’histoire acadienne, le jeu-questionnaire sur le vocabulaire français et acadien, des concours de littérature et des journées du bon parler français. À ces activités s’ajoutent des expositions d’art organisées dans sept écoles et deux conférences traitant de l’Acadie : « Légende acadienne », par l’ethnologue sœur Catherine Jolicoeur, ou encore « L’Acadie actuelle » prononcée par Denis Losier de la Société des Acadiens du Nouveau-Brunswick.18 Les traditionnelles activités de levées de fonds avaient quant à elles été maintenues, à la différence toutefois que les articles vendus arboraient plus fréquemment une iconographie acadienne : drapeaux acadiens (90%), macarons (90%), disques (10%), livres (10%) et gobelets (10%).19
16 En 1978, le thème de la Semaine, organisée du 20 au 24 février, est à nouveau axé sur la culture française : « On le fait … en français ». Néanmoins, malgré ce net plaidoyer en faveur du « fait français », l’affirmation acadienne poursuit son ascension dans les activités qui sont organisées. Du dépouillement que nous avons effectué, nous avons relevé un total de 91 activités, réparties en 26 catégories, organisées par 13 écoles sur 19.20 Ainsi neuf écoles ont projeté des films, tels que La reconnaissance du chien, Une légende du Cap-Breton, 747 en péril, Les Charlots s’en vont en guerre (3x). Dix écoles ont organisé des spectacles variés, six ont offert des dîners acadiens où étaient servis, par exemple, des poutines râpées, du fricot, du pâté et des desserts traditionnels : galettes à la mélasse, au sucre, etc.21, qui, en somme, faisaient partie des activités de collectes de fonds. À cette fin, des ventes ont aussi été organisées dans sept écoles : drapeaux acadiens (85,7%), macarons (100%), bottins étudiants (14,3%). Huit écoles ont accueilli des conférences dont le thème le plus récurrent portait sur l’Acadie, dont cinq sur les États généraux de l’Acadie présentées par Bernard Valcourt ou Gastien Godin.
17 En somme, nous constatons aussi, avec l’édition de 1978, un élargissement notable de la palette d’activités organisées dans le cadre de l’évènement. De 16 activités distinctes à l’occasion de l’édition de 1974, voilà que ce nombre s’élève à 26 : journée costumée (6) ou chapeau, débats (2), journée/concours du bon parlé français (2), kiosques d’informations (3), activités théâtrales (4), activités sportives (2), lancements de livre d’Angèle Arsenault (4), jeux-questionnaires (3), marches en raquettes, feux de camp, couronnement de la reine, mini-exposition muséale, soirée sociale, et nous en passons.
18 Cette sensibilité accrue envers l’acadianité devait recevoir sa consécration au tournant de la décennie, à commencer par l’édition de la Semaine de fierté française de 1979, soit durant l’année du 375e anniversaire de fondation de l’Acadie française avec l’arrivée de colons à l’Île Sainte-Croix en 1604. Sous le thème « On est venus, c’est pour rester »22, les jeunes qui ont participé à la Semaine affichent fermement leur appartenance à l’acadianité, ce qui ne manque pas de se refléter dans les activités organisées, à commencer par la levée du drapeau acadien qui figure au programme de l’ensemble des écoles participantes.23 À cela s’ajoute l’organisation d’une pièce de théâtre sur un thème acadien, d’un concours de génie en herbe portant sur l’Acadie, de la projection de films acadiens, dont Truck qui avait été particulièrement apprécié à l’école Louis-J.-Robichaud de Shédiac.24 Au sujet des projections filmiques, nous devons dire que bien qu’elles aient occupé une place largement dominante à l’occasion des éditions des SFFA précédentes, elles se sont en quelque sorte vues déclassées par l’organisation de journées paysannes et de conférences/panels, ayant respectivement été organisées par 14 et 15 écoles, suivi par les jeux-questionnaires qui se sont déroulés dans huit écoles.
19 Il nous faut relever qu’avec l’organisation de 110 activités, réparties en 32 catégories, l’édition de 1979 marque une ascension considérable de l’étendue des loisirs offerts aux jeunes à l’occasion de la Semaine de fierté française, le nombre d’activités distinctes et leur total ayant respectivement augmenté de 200% et de 418,23% depuis 1974.
20 La Semaine de fierté française des 2 au 6 avril 1979 est caractérisée par le contenu nettement acadien d’une large part des activités organisées. Dans l’esprit du 375e anniversaire de l’Acadie, ajoutons qu’un bon nombre de ces activités, cherchant à vérifier et reconnaître « l’histoire de nos ancêtres »25, recèle d’un certain fond traditionaliste : concours de bûcherons, journées paysannes, violoneux, exposition d’antiquités, « danse du bon vieux temps », personnification par divers artistes acadiens de Samuel de Champlain, etc. Ce traditionalisme apparent au moment de la Semaine de 1979 est toutefois supplanté à l’occasion des SFFA subséquentes. Au début des années 1980, alors que la consolidation de la référence acadienne au sein d’Activités-Jeunesse se poursuit, les jeunes membres de l’organisme ne manquent pas de préciser que leur appartenance à l’Acadie se veut résolument moderne et tournée vers l’avenir.
21 Cette distanciation eu égard à une représentation jugée trop passéiste de l’Acadie commence à se dessiner au moment de la Semaine de fierté française des 3 au 9 février 1980, qui est organisée sous le thème : « Pour changer d’ère, on s’donne l’air ». Par ce slogan, les jeunes attestent de leur désir de dépoussiérer et d’actualiser la référence acadienne. Tenant en ce sens à « se donner de l’air » par un regard de reconnaissance envers les réalisations passées de leurs « ancêtres », les jeunes ne comptaient pas moins se servir de cette rétrospection sur le passé comme un point d’appui pour se propulser vers l’avant, soit pour conduire l’Acadie vers de nouveaux sommets; bref pour que l’Acadie « change d’ère »26 et s’actualise. « Ainsi, les étudiants et étudiantes seront invités à réfléchir sur leur avenir tout en tenant compte de leur bagage du passé ».27 Sans que les activités à connotations traditionnalistes de l’édition de 1979 soient entièrement écartées en février 1980 – concours de sciage de bois, « danses du bon vieux temps », vieux objets acadiens, etc. –, nous notons une inclination marquée pour des activités plus « contemporaines » – conférences sur les drogues, table ronde sur l’avenir de la jeunesse, etc. Nous retrouvons également cette trace de contemporanéité dans les projections de films (organisées par 13 écoles) tels L’Affaire Bronswik (2) sur les méfaits de la publicité télévisuelle, Le Frolic cé pour ayder (2), une éloquente illustration du point de rencontre entre les pratiques traditionnelles et contemporaines dans la culture musicale acadienne, etc. Plusieurs groupes de musique performent également dans les écoles à l’occasion de cette édition de la Semaine de fierté acadienne : 1755, Beausoleil Broussard, Calixte Duguay, Lorraine Diotte, Bois-Franc, Denis Losier, Angèle Arsenault, etc.
22 Cette ferveur acadienne manifestée à l’occasion des Semaines de fierté française de novembre 1979 et de février 1980 devait conduire la SFFA, de même qu’Activités-Jeunesse de façon générale, à connaître un premier remaniement substantiel. C’est à la suite de cette sensibilité acadienne nettement affirmée que les jeunes d’AJ décident de rebaptiser la Semaine de fierté française, au cours de l’année 1980, la « Semaine de fierté acadienne ». Il faut dire que le contexte de la période, notamment marqué par le 375e anniversaire de l’Acadie, les succès relatifs du Parti acadien à l’élection générale provinciale de 1978 et les résultats positifs de la Convention d’orientation nationale des Acadiens du Nouveau-Brunswick (CONA), qui avait pris le relais des États généraux de l’Acadie, en faveur d’un projet autonomiste acadien – province, pays, etc. –, s’est avéré particulièrement favorable à l’affirmation acadienne au sein d’Activités-Jeunesse. C’est notamment pour cette raison que l’organisation amende ses statuts et règlements en 1980 pour « que partout où l’on retrouve les termes français et francophone dans les règlements actuels, que ces termes soient remplacés par le terme acadien ».28 Le premier objectif de l’association énoncé dans ses statuts et règlements passe dès lors de « sensibiliser la jeunesse au fait français » à « sensibiliser la jeunesse au fait acadien ».29 Initialement repoussée ou marginalisée en faveur du référent « francophone », la référence acadienne est dès lors reçue positivement par un bon nombre des jeunes d’Activités-Jeunesse.
23 C’est dans ce contexte que la SFFA est pour la première fois présentée sous l’appellation « Semaine de la fierté acadienne » à l’occasion de son édition des 16 au 21 novembre 1980; une semaine d’activités qui, par son thème, affirme sans ambages l’appartenance des jeunes à l’acadianité : « Plus fier que jamais on s’affirme acadien ». À nouveau, les conférences, traitant notamment de la question référentielle acadienne, et les projections filmiques occupent les premiers rangs des activités les plus populaires avec 15 et 13 écoles respectivement s’y adonnant sur 18 écoles recensées dans notre corpus. Parmi les films visionnés, nous retrouvons : Au boutte du quai (3), Kouchibouguac (2), Y’a du bois dans ma cours (2), La cabane, Louisbourg, L’extrême nord canadien, Les Gossipeuses, Je ne sais rien mais je dirai tout, Truck, L’Affaire Bronswik, La fièvre du castor, La quadrille acadienne.
24 La Semaine de la fierté acadienne des 16 au 20 novembre 1981 prend place sous le thème « Jeune artisan du jour ». L’évènement se déroule en quelque sorte au même moment où le projet de longue date mené par Activités-Jeunesse, « Droit des jeunes », culmine par la publication du rapport Place aux jeunes.30 Le document de plus d’une centaine de pages rend compte de la situation des jeunes du Nouveau-Brunswick dans les milieux scolaires, du travail et des loisirs et se conclut par 23 recommandations demandant, notamment, aux autorités gouvernementales d’entreprendre des démarches pour amoindrir l’effet du chômage chez les jeunes, « l’humanisation du système scolaire », l’élimination du sexisme dans le système d’éducation (manuels scolaires, services d’orientation, choix de cours, etc.) et d’aligner ses politiques relatives aux loisirs avec la loi 88 concernant le respect de « la dualité des deux comités linguistiques du N.-B. ». En somme, le rapport témoigne de la volonté d’engagement des jeunes d’Activités-Jeunesse dans leur milieu. En effet, les jeunes de l’époque, se considérant citoyennes et citoyens à part entière de la société – ce pour quoi ils revendiquent des « droits » –, sont aussi d’avis qu’ils ont des « devoirs » sociétaux. Comme le soutient Michelle Carnelle, présidente d’Activités-Jeunesse de 1981–1982, le rapport se veut un appel à la participation des jeunes dans l’espace public :
25 Sans revenir en détail sur l’ensemble de la pédagogie du mouvement incarné par AJ, relevons qu’à compter des années 1980, les idées d’habilitation politique et d’engagement – ou de « participation » – des jeunes, dont les évocations remontent aux origines de l’association, prennent du galon. Les jeunes réprouvent à ce moment toute perception faisant d’eux des personnes ne vivant que pour l’avenir – soit l’idée du jeune écolier devant attendre d’avoir complété ses études avant de prendre part aux débats publics –, revendiquant un droit d’engagement dans le présent.32 Ce « droit » d’action dans l’immédiat que revendiquent les leaders d’AJ est aussi, de leur point de vue, une responsabilité sociale des jeunes : s’engager dans la société c’est un devoir de la jeunesse. C’est en suivant ce raisonnement que Diane Beaulieu, présidente d’Activités-Jeunesse en 1982–1983, écrivait :
26 Dans ce contexte, sous le thème « Jeunes artisans du jour », la Semaine de la fierté acadienne de novembre 1981 veut mettre l’accent sur l’actualité de la jeunesse qui revendique une participation plus active des jeunes aux mobilisations sociétales de leur temps. À nouveau, les projections filmiques (14), les conférences (11) et les spectacles de musiques (14) offerts par divers groupes – 1755, Gamek, Bois-Franc, Stephen Boyce, Ping Pong Tansitor, un groupe de musique « rock-nouvelle-vague », etc. – sont au nombre des activités les plus populaires. Notons également que les traditionnelles activités de ventes en vue d’amasser des fonds pour l’organisme ont sérieusement diminué en faveur d’activités culturelles (musique, théâtre, concours oratoire, expositions d’art, gastronomie, etc.).
27 Les appels en faveur de l’engagement et de l’habilitation politique des jeunes en société, de même que pour une actualisation de la référence acadienne, ont bientôt mené l’organisme jeunesse à rebaptiser la SFFA : « Semaine de la jeunesse acadienne ». Par cette nouvelle appellation, qui supprime le terme « fierté » et lui substitue celui de « jeunesse », les jeunes répondent définitivement aux intérêts qu’ils poursuivent depuis 1979, en insistant nettement sur la dimension acadienne de l’évènement, mais non pas sans préciser que leur référence se veut moderne. La « fierté » étant une attitude plutôt passive, qui transpire des connotations réactionnaires de « survivance », détonnait avec les préoccupations d’une jeunesse qui se revendique une « place » dans le présent et dont les regards sont résolument tournés « vers l’avenir » et non pas le passé. Cette précision idéologique est notamment reflétée dans les activités de l’évènement, lesquelles tournent, pour une bonne part, autour de l’organisation de joutes sportives – ballon-volant, soccer, basketball, souque à la corde, ballon prisonnier, etc. –, de même que des projections filmiques et des conférences abordant des thèmes hautement d’actualité, dont la toxicomanie (5) et les droits des jeunes (6).
28 Malgré cette actualisation de la SSFA pour son édition des 15 au 19 novembre 1982, un apparent désengagement des jeunes d’Activités-Jeunesse est manifeste alors que seulement 9 écoles, d’après les données de notre corpus, ont participé aux activités de la Semaine. Loin d’être une conséquence des limites de notre corpus, cet état des choses s’explique notamment par le fait que bien que la SFFA ait actualisé son appellation et le contenu de certaines de ses activités afin de répondre davantage aux intérêts des membres d’AJ, les jeunes sont de plus en plus d’avis que l’activité manque, en somme, de nouveautés, une certaine redondance apparaissant s’être établie dans les activités organisées chaque année.
29 À ce sujet, des discussions éloquentes ont eu cours quelques mois auparavant, lors de l’Assemblée générale annuelle d’AJ de mai 1982. À l’occasion de cette Assemblée, un atelier est consacré à l’étude de la SFFA. Les rapports d’introspection, qui sont présentés par les membres d’AJ participants34, laissent entendre que les comités locaux, assistés par moments des animateurs régionaux, sont les principales personnes engagées dans le choix et l’organisation des activités. Un dénommé Daniel relève toutefois, dans son rapport, que l’état des choses, en l’absence d’une coordination du bureau de direction d’AJ, a engendré un certain laxisme dans le choix des activités de la part des jeunes et des animateurs régionaux. C’est-àdire, bien que le bureau de direction coordonne le choix d’un thème annuel et des dates de la Semaine, les jeunes et les animateurs, laissés à eux-mêmes par la suite, sont, de l’avis de Daniel, tentés de s’abandonner à ce qui leur est le plus accessible et ainsi, reproduire banalement, année après année, les mêmes activités plutôt que chercher à en initier de nouvelles, suivant les intérêts des jeunes du moment. Il écrit à ce propos : « Cependant, les organisateurs peuvent facilement devenir répétitifs au niveau du choix d’activités d’une année à l’autre. Possédant aucun encadrement, ils semblent oublier le côté créatif et original de l’organisation. Sans dévaloriser le travail des comités, ils prennent souvent le chemin court. »35
30 Afin de donner suite à ces critiques, les jeunes de l’Assemblée votent pour « que chaque jour de cette semaine soit identifié par un thème et une activité spéciale basés sur les buts d’Activités-Jeunesse »36 afin d’assurer davantage d’originalité et de créativité dans l’organisation de la SFFA. C’est en ce sens que chacune des journées de l’édition de la SFFA de 1982 a pour la première fois été assignée à un sousthème : « le jeune et la société, droit des jeunes, jeunes artistes, l’avenir de la jeunesse, les sports et loisirs ». Par ces thèmes, représentant les intérêts des membres d’AJ de plus en plus tournés vers les enjeux particuliers de la jeunesse des années 1980, la Semaine aspire à se distancier de plus en plus du cadre strictement culturo-linguistique, voire folklorique, d’un bon nombre d’activités passées. À l’occasion de l’atelier de l’AGA de 1982, un dénommé Gilles avait d’ailleurs affirmé que sans abandonner le volet culturel de la Semaine, il serait à propos que les activités soient actualisées pour surpasser le folklorisme de certaines, ce que la restructuration, par l’attribution de sous-thèmes suivant les préoccupations des jeunes de l’heure, a pu entraîner :
31 Malgré ces adaptations, les insuccès relatifs de la SFFA en 1982 conduisent le bureau de direction d’AJ, toujours à la suite des recommandations formulées par les jeunes à l’Assemblée générale annuelle de 1982, à recruter l’étudiant en loisirs Yves Ducharme comme stagiaire en vue de coordonner l’organisation de la Semaine de la jeunesse acadienne de novembre 1983. À nouveau, il est décidé que chaque journée de l’édition de 1983 se déroulera suivant un thème précis rejoignant les intérêts des membres d’AJ : « a) Communauté et gens de chez-nous b) Environnement c) Réalités sociales d) Les lois e) Journée internationale f) Le jeune et ses loisirs g) Moi j’m’exprime h) Société de demain. »38
32 Ainsi, c’est largement dans ce contexte d’une assurance renouvelée que la Semaine de la jeunesse acadienne se déroule sous le thème « Toujours de l’avant, toujours plus fort ». Même si, en définitive, nous avons recensé moins d’activités pour cette édition (64) que pour celles de novembre 1979 (110), février 1980 (113), novembre 1980 (121) et novembre 1981 (127), il nous faut noter que le travail de coordination d’Yves Ducharme a permis à l’ensemble des 20 écoles secondaires francophones de la province de l’époque de prendre part aux activités de la Semaine.
33 En continuité avec les préoccupations d’une jeunesse de plus en plus soucieuse de « prendre sa place en société » depuis 1981–1982, les activités de l’édition de 1983 abordent des thèmes tout aussi sensibles et d’actualité pour les jeunes. Les diverses activités, dont les conférences, traitent de thèmes tels que le stress, la sexualité, la criminalité, les drogues, l’alcool, mais également d’enjeux environnementaux, avec la projection du film Si cette planète vous tient à cœur, à l’école Clément-Cormier de Bouctouche, ainsi que l’organisation d’un concours d’affiches sur l’environnement à l’école Aux quatre vents de Dalhousie et de kiosques sur les pluies acides à Edmundston et à Saint-Quentin.39 Il est alors manifeste que les activités organisées ont irrémédiablement passé de loisirs pour le plaisir, à des loisirs pour la connaissance, avec plus de conférences et toujours autant de projections de films, d’expositions et de kiosques d’informations.
34 Bien qu’à compter de la seconde moitié des années 1970, l’affirmation acadienne prend du galon auprès d’une bonne part des membres d’AJ jusqu’à la consécration de la référence dans l’appellation de la Semaine en 1981, relevons que cette appartenance plus prononcée envers l’acadianité ne fait pas l’unanimité chez les jeunes. Au Madawaska, bien que certains jeunes acceptent volontiers de se dire Acadiens – comme ceux qui fondent L’Acadie s’rencontre au Centre universitaire d’Edmundston – un bon nombre, s’affirmant Brayons en exclusivité de la référence acadienne, rejettent d’emblée tout ce qui transpire les couleurs du tricolore étoilé.40 Dans un rapport de rencontre avec l’animateur régional d’Activités-Jeunesse du Nord-Ouest, Linda Haché, la coordonnatrice provinciale, relevait que cette posture de certains Brayons du Madawaska envers l’acadianité en était venue à nuire au développement d’AJ dans la région, l’organisme étant perçu par ces derniers comme une association strictement acadienne dans laquelle ils ne se reconnaissent pas.41
35 C’est pour cette raison qu’au Madawaska, la SFFA sera tantôt boudée, non organisée, renommée ou remplacée en faveur d’une semaine d’activités indépendante des initiatives d’Activités-Jeunesse. Alors que l’organisation de la Semaine de fierté française rencontre un certain succès au Madawaska en 1977, avec des appels à l’unité des francophonies scandées par certains jeunes42, dans le contexte de la montée des référents acadiens dans la SFFA, le comité Activités-Jeunesse de la Cité des jeunes est désorganisé en 197843 et une activité indépendante nommée « Notre semaine »44 est organisée en parallèle et indépendamment de la Semaine de fierté française. La SFFA est à nouveau célébrée à Edmundston en 1979, mais non pas sans que certains élèves de l’école soulignent qu’ils ne se sentent pas interpellés par les référents acadiens, dès lors omniprésents en cette année du 375e anniversaire de l’Acadie.45 Ce mécontentement à l’occasion de la SFFA de 1979 mène au retour de « Notre semaine » en 1980.46 En 1981, la SFFA effectue un retour à la Cité des jeunes, mais les organisateurs sont contraints de reconnaître que la participation des élèves y a été « médiocre ».47 Les choses s’améliorent pour la SFFA au cours des années subséquentes, notamment en 1982 – « l’une des mieux réussies dans toute l’histoire d’Activités-Jeunesse à la Cité des Jeunes A.-M.-Sormany »48 et au cours de laquelle la question des débats référentiels Acadien/Brayon est abordée par une conférence de l’historien Benoît Bérubé49 – et en 198350, laissant entrevoir que les succès de l’évènement à la Cité des jeunes sont largement redevables au dynamisme des membres d’AJ et à la fluctuation des débats entre acadianité et brayonnité chez les jeunes de la région; l’identité de ces derniers demeurant plurielle.
36 À la lecture des diatribes formulées de part et d’autre par les partisans de la brayonnité, de l’acadianité, d’une appartenance au Canada français, et nous en passons, nous remarquons que les jeunes d’Edmundston les plus critiques de l’évènement fondent leur jugement eu égard à la SFFA sur deux aspects. D’une part, plusieurs sont d’avis que la Semaine de fierté française recèle d’un caractère anglophobe qui ne manque pas d’en indigner quelques-uns, et ce, malgré le fait que la population du comté de Madawaska soit à plus de 90% francophone : « Notre objectif premier n’est pas d’être contre les anglais mais pour les français. Une différence réelle existe entre ces deux points et vous vous devez d’éviter les nuances possibles. »51 L’obstacle déterminant néanmoins, demeure la « crise d’identité qui semble se maintenir dans la région »52 et qui mène plusieurs partisans de la brayonnité à rejeter d’emblée toute évocation de l’Acadie, adoptant une interprétation strictement généalogique du référent qui exclut toutes les personnes n’ayant pas de lien de consanguinité avec les déportés de 1755–1763. Comme l’écrit Jacinthe Nadeau dans le journal de l’école au moment de la Semaine de fierté acadienne de 1981, une opposition tous azimuts envers l’acadianité explique bien souvent les déboires de la SSFA à Edmundston : « Malgré tous les efforts de la part du comité d’Activités-Jeunesse pour la réussite de cette semaine, la participation fut médiocre. La cause? […] Personnellement, je crois que cette lacune de participation à tout ce qu’organise Activité Jeunesse [sic] dans l’école, d’ailleurs, est due, au préjugé énorme que la population en général a envers le mot “Acadien”. »53
37 Précisons à ce sujet que malgré la définition généalogique et exclusiviste de l’identité acadienne adoptée par certains jeunes du Madawaska, le nationalisme acadien des jeunes d’AJ du temps se veut plutôt, comme nous l’avons vu, prospectif et détaché d’une stricte vénération du passé. À la façon du néonationalisme promu par un bon nombre de membres du Parti acadien, dont l’historien Léon Thériault, bien qu’ils entretiennent un certain respect envers l’Acadie historique – coloniale –, les jeunes d’Activités-Jeunesse, les yeux tournés vers l’avenir, veulent se défaire des pesanteurs d’un nationalisme poussiéreux et folklorique pour se faire inclusifs et progressifs, en ne se limitant pas à l’adoption d’une définition strictement généalogique de l’acadianité :
38 Bien que l’organisation de la Semaine de la jeunesse acadienne ait connu un certain succès pour son édition de 1983, coordonnée à l’échelle provinciale par un stagiaire du bureau de direction, l’année suivante rencontra un imprévu qui perturba l’organisation de la Semaine. Au cours de l’année 1984, le Secrétariat d’État, principal bailleur de fonds d’Activités-Jeunesse, impose une « coupure draconienne »56 de 45 000 $ (20%) au financement normalement alloué à l’organisme.57 Les restrictions financières, contraignant les membres de l’organisme à s’adonner à une véritable « course aux subventions »58 durant l’année, empêchèrent d’organiser une Semaine de la jeunesse acadienne en 1984.
39 Cette discontinuité subie par la SSFA en 1984 nous est apparue en partie en cause dans la diminution progressive de son organisation au cours des années subséquentes. Il est notamment apparent qu’à compter de 1985, alors que des Semaines sont organisées dans certaines écoles, l’activité n’est à nouveau plus coordonnée par le bureau de direction d’AJ. Nous constatons notamment ce fait par l’éclectisme des dénominations adoptées, notamment au nord-ouest de la province où les appellations témoignent éloquemment du pluralisme référentiel des jeunes du temps :
40 Bien que notre corpus contienne peu d’informations concernant l’organisation de Semaines de la jeunesse acadienne après 1985, quelques occurrences nous permettent tout de même de confirmer que ces semaines ont été organisées dans certaines régions en 198660 et en 198761. Néanmoins, la faible ampleur que semble prendre l’activité après 1985 nous mène à poser l’hypothèse que cet état des choses a peutêtre été conditionné par les suites de l’Année internationale de la jeunesse (AIJ). Relevons que dans le contexte de l’Année internationale de la jeunesse et des activités qu’AJ organise en lien avec l’évènement, une double transition se met en branle au sein de l’organisme et dessine les prolégomènes devant éventuellement conduire à la mise sur pied de la Fédération des jeunes francophones du Nouveau-Brunswick. Premièrement, dans le contexte internationaliste de l’évènement, les jeunes en viennent pour une part à opter pour une conception « considérablement élargie », voire « étendue au pays et à l’Occident », de leur militantisme jeunesse.62 Deuxièmement, cette posture mena également les jeunes d’AJ à entreprendre plus significativement de rallier à leur mouvement une jeunesse plus étendue – 14 à 25 ans – que celle strictement issue des écoles secondaires de la province. Ce nouveau programme d’action des jeunes d’AJ en faveur d’un militantisme « jeunesse », prenant de plus en plus de distance eu égard à une action spécifiquement « acadienne », est notamment reflété par l’adoption d’une nouvelle dénomination par nombre d’écoles qui organiseront les dernières éditions de la SFFA, désignant dès lors l’évènement comme la « Semaine de la jeunesse », tout simplement. Nous devons également souligner que les tentatives de rapprochements avec la jeunesse universitaire, collégiale et travailleuse ont peut-être également contribué à la baisse d’intérêt pour l’organisation de la SFFA au sein d’AJ, cette dernière, étant largement centrée sur la jeunesse scolaire, reflétant mal les nouveaux intérêts des jeunes de l’organisme.
41 Fait intéressant pour notre propos, notons que c’est au même moment où l’organisation de la SFFA diminue dans les écoles que plusieurs jeunes d’Activités-Jeunesse militent auprès des responsables gouvernementaux pour que le 21 mars soit reconnu comme « Journée de la jeunesse » et organisent à cette date un ensemble d’activités analogues à celles de la SFFA. Cette reconnaissance est d’ailleurs accordée aux jeunes par le gouvernement de Frank Mckenna qui, peu de temps après son élection en 1987, reconnaît le 21 mars « Journée de la jeunesse ».63
42 Est-ce que les activités du 21 mars ont, dans certaines régions, remplacé celles de la Semaine de la jeunesse acadienne à la fin des années 1980? Les documents que nous avons consultés suggèrent plutôt que ces évènements auraient existé simultanément jusqu’à la fusion d’AJ à la FJFNB en 1988, alors qu’il est clairement énoncé, dans la documentation produite autour de la fusion, que la première souhaite voir la continuité des deux activités par la nouvelle Fédération : « Il est proposé par Josée Landry, appuyé de France Fournier, que la Fédération des jeunes francophones du Nouveau-Brunswick prenne éventuellement en main les projets prioritaires d’Activités-Jeunesse tels : la semaine de la jeunesse, la journée du 21 mars, […] – Adopté à la majorité. »64 Malgré ce souhait, la FJFNB n’a pas donné suite à ces activités après sa fondation.
43 Bien que la FJFNB ne se soit pas engagée à perpétuer l’organisation de la SFFA, il est intéressant de noter qu’à compter de 1989, exactement une année à la suite de la fusion d’AJ à la FJFNB, le ministère de l’Éducation du gouvernement de Frank McKenna entame l’organisation annuelle d’une « Semaine provinciale de la fierté française » (SFFP) dans les écoles francophones, laquelle a lieu systématiquement durant ses premières années autour de la journée du 21 mars. Enfin, bien que le concept d’une Semaine de la fierté française semble repris, sinon transféré de AJ/FJFNB au ministère de l’Éducation, selon l’historique de la SPFF publié sur son site web, la FJFNB n’aurait pas fait partie des organismes fondateurs de l’évènement.65 Des années 1990 jusqu’à aujourd’hui néanmoins, la FJFNB collabore, à des degrés variables, avec les responsables gouvernementaux pour l’organisation annuelle de la SPFF.66
44 Enfin, relevons que cette passation de l’organisation de la SFFA aux autorités gouvernementales n’allait pas à l’encontre des souhaits formulés par AJ dès les premières éditions de l’activité. Alors que l’évènement était uniquement organisé dans les écoles secondaires membres d’Activités-Jeunesse et qu’il dépendait de l’engagement des membres, ne rejoignant ainsi pas les jeunes des écoles primaires et exposant les activités aux contingences des conjonctures de chaque établissement d’enseignement, les membres du conseil d’administration avaient formulé le souhait, dans leur rapport annuel de 1978–1979, de voir un jour l’activité étendue à l’échelle de la province : « Cette semaine est donc appelée à s’élargir et peut-être un jour verrons-nous la semaine de la fierté française devenir une semaine provinciale fêtée par tous les jeunes et vieux. »67 C’est dans le même esprit qu’ils écrivent dans leur rapport de 1982–1983 : « Activités-Jeunesse désire que la Semaine de la Jeunesse acadienne soit reconnue par les instances gouvernementales et qu’elle figure dans le calendrier des évènements provinciaux de grande importance. »68
45 Durant plus d’une décennie, la Semaine de la fierté française/acadienne a été l’une des activités phares d’Activités-Jeunesse. Par son ensemble d’activités, ralliant et engageant la jeunesse francophone et acadienne des écoles secondaires du Nouveau-Brunswick, l’évènement s’est à la fois constitué en véritable microcosme et catalyseur des préoccupations et des intérêts des jeunes membres de l’organisme. Véritable vecteur et indicateur des débats référentiels ayant animé la jeunesse francophone et acadienne des années 1970 et 1980, l’étude de l’évènement et de ses activités de loisirs nous a permis de dresser un panorama de la SFFA et d’interpréter nombre des remaniements identitaires et précisions idéologiques ayant marqué Activités-Jeunesse au long de son histoire.
46 D’une activité qui cherchait initialement à faire connaître AJ et à amasser des fonds pour son Centre d’éducation populaire, voilà que la SFFA est reconduite et consacrée en 1975 pour obtenir sa pleine autonomie, n’étant plus organisée en vue de financer un autre projet de l’organisme. À l’image des objectifs d’Activités-Jeunesse du début des années 1970, les premières éditions de l’évènement sont surtout orientées vers la promotion du fait français, indépendamment des appartenances référentielles. Au moment où le néonationalisme acadien prend du galon en Acadie autour des activités du Parti acadien, des États généraux de l’Acadie, de la CONA et du 375e anniversaire de l’Acadie, les activités de la Semaine de fierté française tendent de plus en plus vers une affirmation acadienne, une tendance qui culmine en 1981 par l’adoption d’une nouvelle dénomination pour l’activité : Semaine de la fierté acadienne. Alors que les jeunes d’AJ insistent de plus en plus, au tournant de la décennie, sur l’engagement des jeunes en société, notamment autour de leur projet « Droit des jeunes », les membres d’Activités-Jeunesse commencent à prendre leur distance des référents jugés trop passéistes et folkloriques de l’acadianité pour embrasser une vision plus moderne et prospective de celle-ci. Dans cette optique, entrecroisée aux volontés d’engagement des jeunes et à leurs préoccupations pour les questions d’actualité, la SFFA est renommée « Semaine de la jeunesse acadienne » pour témoigner de cette insatisfaction eu égard aux strictes manifestations de « fierté », en faveur d’un militantisme plus politique et d’une identité réactualisée. Les activités à connotation plus folklorique cèdent dès lors le pas à des activités plus contemporaines et axées sur la connaissance relative aux enjeux d’actualité et le mieux-être, comme en témoignent les conférences sur les drogues et la sexualité, de même que les activités sportives prisées au moment de la SFFA de 1982. Alors que les membres d’Activités-Jeunesse se sensibilisent, autour des activités de l’Année internationale de la jeunesse, à une conception plus étendue de la jeunesse en termes d’âge et d’origine ethnique, à l’image des débats qui devaient bientôt conduire à la création de la FJFNB, la SSFA connaît à nouveau certaines adaptations pour se distancier des questions référentielles en s’identifiant bien souvent comme « Semaine de la jeunesse ».
47 Au terme de l’étude que nous venons de mener, nous devons reconnaître que plusieurs pistes de recherche restent à explorer pour mener plus avant notre compréhension de la portée symbolique et pédagogique qu’occupent les loisirs dans le façonnement de l’identité de la jeunesse francophone et acadienne du Nouveau-Brunswick. Il y aurait évidemment lieu de dépasser notre périodisation et de poursuivre l’enquête pour rendre compte des débats référentiels ayant animé cette dite jeunesse depuis la fin des années 1980, notamment en menant une étude sur les activités de la FJFNB ou encore sur les retombées des activités organisées dans le cadre de la SPFF du ministère de l’Éducation. Pour rester dans l’horizon de la période que nous venons d’étudier toutefois, il nous paraît maintenant utile de réaliser des entrevues avec d’anciennes et anciens membres d’AJ afin de documenter les zones d’ombre de certaines activités dont le déroulement, le contenu et la réception auprès des jeunes, malgré la richesse de notre corpus, reste à préciser. Par ailleurs, afin de mener encore plus avant notre enquête, il serait à propos de nous tourner vers l’étude d’autres activités, notamment extérieures à la SFFA, organisées à l’échelle des différentes écoles secondaires de la province. Une analyse des journaux scolaires et de la documentation produite par les conseils étudiants nous permettrait ainsi de venir étoffer notre corpus et, partant des constatations que l’étude de la SFFA nous a permis de dresser, préciser encore davantage la façon dont l’identité des jeunes a été modelée au gré des époques et, plus particulièrement, des contextes régionaux, voire locaux.