Book Reviews

Recension de Philippe Volpé et Julien Massicotte, Au temps de la « révolution acadienne ». Les marxistes-léninistes en Acadie, Ottawa, Les Presses de l’Université d’Ottawa, 2019. Collection « Amérique française. »

Patrick Noël
Université de Saint-Boniface

1 Philippe Volpé, postdoctorant en histoire à l’Université d’Ottawa, et Julien Massicotte, professeur de sociologie et d’histoire au Campus d’Edmundston de l’Université de Moncton, sont des collaborateurs fréquents qui ont tous deux déjà donné une impulsion considérable à l’histoire intellectuelle et culturelle acadienne. Cet ouvrage nous offre une « première synthèse de l’histoire des mobilisations marxistes-léninistes » (8) qui se veut aussi, de manière plus générale, une étude sur le militantisme de gauche dans l’Acadie de la longue décennie des années 1970 (1968–1983). À ce titre, le livre vient non seulement combler une lacune importante de l’historiographie acadienne, mais il s’interroge aussi sur l’occultation historique et mémorielle de ce phénomène. En somme, cette monographie peut se lire comme un plaidoyer pour l’histoire de la gauche en Acadie et offre une réflexion stimulante sur les facteurs qui mènent à l’inclusion d’actions passées dans la mémoire et dans l’historiographie.

2 L’ouvrage préconise un traitement de la question en quatre chapitres qui marient le diachronique événementiel (historique) et le synchronique structurel (sociologique) dans le but d’étudier l’émergence, l’évolution, la transmission et le contenu des discours de gauche dans l’Acadie des années 1970. Le premier chapitre aborde les années 1960 à 1972, soit le « contexte de l’Acadie révolutionnaire. » Les auteurs y dépeignent les conditions socio-économiques difficiles en Acadie et le climat d’indignation et de révolte qui y régnait, tant dans les milieux universitaires, que chez les pêcheurs/euses, travailleur.e.s forestiers, chômeurs/euses et assisté.e.s sociaux de plusieurs régions acadiennes. Ces conditions et ce climat ont favorisé une certaine « organisation des masses » (27) et ont provoqué un changement de la référence acadienne accélérée par une « crise de l’autorité » (52) et une « sociologie de l’émancipation » (36). Cette organisation et ce changement ont été déterminants dans l’émergence d’idéaux socialistes en Acadie « critiquant le système capitaliste, l’impérialisme américain et aspirant à l’organisation et à la politisation de la classe ouvrière » (52).

3 Le chapitre deuxième a pour objet les années 1972 à 1977 où les auteurs présentent le « creuset organisationnel des mobilisations acadiennes du début des années 1970, » comprenant plusieurs nouvelles organisations – les Conseils régionaux d’aménagement, la revue L’Acayen et le Parti acadien – qui sont critiques des élites traditionnelles, et qui s’empressent de dire que leur priorité va aux enjeux dits « réels » d’ordre socio-économique. Volpé et Massicotte expliquent comment et pourquoi certains de leurs membres en viendront à rejeter le « réformisme » des organisations communes pour basculer dans le marxisme-léninisme. Cette transition aurait été grandement favorisée par un intérêt de plus en plus grand pour le tiers monde et ses combats, intérêt qui va les pousser à « universaliser » [leur] réflexion. » Désormais, l’ennemi n’est plus la figure de l’Anglais, mais plutôt le système capitaliste; la question nationale acquiert le statut de « contradiction secondaire. »

4 Le troisième chapitre brosse un portrait de l’organisation et des mobilisations principales de la Ligue communiste (marxiste-léniniste) du Canada et du Parti communiste ouvrier en Acadie. À la fin des années 1970, certains de leurs militants réussirent quelques bons coups, notamment leur participation aux efforts d’organiser les pêcheurs côtiers avec la création de l’Union des pêcheurs des Maritimes. Pour ce faire, ils durent toutefois garder discrète leur affiliation au communisme. D’autres militants réussirent à organiser les assistés sociaux et à s’en faire les porte-voix de manière éphémère, ou à temporairement noyauter et contrôler une section régionale (Petitcodiac) de la Société des Acadiens du Nouveau-Brunswick. Mais de manière générale, l’action des marxistes-léninistes acadiens a été compromise par la représentation sociale stigmatisée du communisme présente en Acadie. Pour cette raison et d’autres, le mouvement marxiste-léniniste acadien traverse les années 1970 sans réellement croître en nombre ou en force.

5 Le quatrième chapitre aborde le déclin et la disparition du mouvement marxiste-léniniste acadien au début des années 1980 sous l’impulsion du néolibéralisme triomphant et de la judiciarisation grandissante de la référence collective acadienne. Ces enjeux amènent les Acadiens et Acadiennes à investir de plus en plus les tribunaux au détriment de l’action politique collective, ainsi que la « réorganisation des forces militantes dans de multiples associations, qui reprendront les luttes du mouvement progressiste en Acadie chacune de leur côté, de manière fragmentée »: le mouvement féministe, le renouvellement du mouvement étudiant et une mouvance « progressiste » aux contours flous.

6 La conclusion de l’ouvrage s’interroge sur l’« héritage de l’extrême gauche en Acadie » (223). Au nombre des « contributions » du mouvement, les auteurs évoquent « une habilitation politique, une plus grande sensibilité à l’égard de l’oppression des femmes et des défavorisés, une prédisposition à l’engagement, une meilleure connaissance des rouages de la politique électorale et un enrichissement du capital culturel et du répertoire d’actions des militantes et militants » (224). Or, aux dires des auteurs, ce legs ne participe pas de ce qu’ils appellent - en termes dumontiens - « la référence acadienne » étant donné son absence de la mémoire collective.

7 L’ouvrage aurait gagné à expliciter davantage ses choix méthodologiques. On y retrouve le « silence artisanal » caractéristique de bon nombre de livres d’histoire. Certes, le corpus documentaire est riche et abondant, mais comment celui-ci a-t-il été traité? On aurait également apprécié que les auteurs se réfèrent davantage aux travaux récents (et moins récents) qui ont étudié les marxistesléninistes ailleurs qu’en Acadie. Espérons que cet ouvrage puisse contribuer à sortir le marxisme de son « refoulement collectif » (226) en Acadie.


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Patrick Noël est Professeur agrégé d’histoire Faculté des Arts, Université de Saint-Boniface.