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Interactions dans les medias sociaux entre le gouvernement et les internautes pendant la crise de verglas 2017 au N.-B. :

politesse et impolitesse

Natalie Melanson Breau
Université de Moncton
Sylvia Kasparian
Université de Moncton

Les marques de politesse et d’impolitesse – les Face Threatening Acts (FTA) et les Face Flattering Acts (FFA) – régissent les conversations et les relations interpersonnelles au quotidien (Brown et Levinson, 1987; Kerbrat-Orecchioni, 1996). Dans ce travail, nous nous intéresserons à ces marques dans les médias sociaux lors d’un événement précis, soit une tempête de verglas qui a paralysé le Nouveau-Brunswick. Plus spécifiquement, nous répondons à la question de recherche suivante : quelles sont les marques de politesse et d’impolitesse retrouvées dans les conversations initiées par les entités gouvernementales sur les médias sociaux, lors de la crise du verglas qui s’est abattue sur le N.-B. en janvier-février 2017? En identifiant et en analysant les FTA et les FFA parmi les 695 publications recensées, nous apportons un éclairage original sur la construction et la négociation de la relation entre le gouvernement et les citoyens, via les médias sociaux.

The signs of politeness and rudeness - Face Threatening Acts (FTA) and Face Flattering Acts (FFA) - govern everyday conversations and interpersonal relationships (Brown and Levinson 1987; Kerbrat-Orecchioni 1996). In this work, we will look at these signs in social media during a specific event - an ice storm that paralyzed New Brunswick. More specifically, we answer the following research question: what are the signs of politeness and rudeness found in conversations initiated by government entities on social media during the ice storm that hit New Brunswick in January/February of 2017? By identifying and analyzing FTAs and FFAs among the 695 listed publications, we bring an original perspective to the construction and negotiation of the relationship between government and citizens via social media.

Introduction et mise en contexte de la problématique

1 Les médias sociaux transforment les manières de converser, de bâtir et de maintenir des relations. Devenus un médium de choix pour les communications, ils font naître de nouveaux processus de socialisation et complexifient les règles de la politesse qui, jusqu’ici, ont régi les interactions quotidiennes.

2 Plusieurs études traitent des marques de politesse et d’impolitesse à l’oral et de leurs impacts sur les relations en jeu. Kerbrat-Orecchioni (2005), pionnière en analyse des conversations, explique que différents « types de discours » sont prononcés selon les « types de rencontres ». Ces discours sont improvisés et co-construits selon les différents contextes et relations des personnes impliquées. L’importance du contexte est également relevée par Sandré (2009) dans son étude sur un débat politique entre Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal. L’auteure s’intéresse aux chevauchements de parole, tactiques « impolies » essentielles dans le contexte des débats politiques. Ces chevauchements causent des dysfonctionnements interactionnels et influencent les relations négociées par les locuteurs impliqués.

3 La nouvelle ère technologique incite également les chercheurs à étudier la politesse et l’impolitesse dans les communications écrites, via des dispositifs technologiques tels les courriels et les messages textes (SMS). Les résultats démontrent la complexité du sujet. Morand et Ocker (2003) expliquent qu’en contexte de communication médiée par ordinateurs (CMO), la communication est plus maigre car les éléments para-verbaux (intonation, débit) et non-verbaux (gestuelle, posture) de l’émetteur ou du récepteur sont rarement visibles. Pour contrer ce « désavantage », l’écriture électronique serait plus souvent directe, parfois même considérée comme impolie, afin d’aller droit au but et d’éviter les malentendus. D’autres études, dont celle de Bellachham et Le Gal (2012), démontrent un lien important entre la politesse et l’asymétrie de la relation en jeu, en utilisant comme exemple l’entreprise qui doit garder son sang-froid en ligne, devant le client qui peut se permettre de nombreuses insultes et impolitesses. Kerbrat-Orecchioni (2007), pour sa part, présente un aspect plus positif de la politesse dans l’écriture médiée par ordinateurs, à travers ce qu’elle nomme la « cyberpolitesse », qu’elle identifie surtout par les formules d’adresse, le vouvoiement, les ouvertures et les clôtures polies dans les courriels.

4 Les médias sociaux sont également dignes d’intérêt scientifique, non seulement en raison de leur omniprésence, mais à cause de leur spécificité en tant que genre hybride, se situant entre les normes de l’écrit et de l’oral. Plusieurs internautes écrivent comme ils parlent. Ainsi, respectent-ils les règles de la politesse écrite? Ou orale? Ou les deux? Dubuquoy et Prat (2013), dans leur livre sur Twitter, proposent aussi une piste intéressante, avançant que les internautes peuvent être plus impolis via les médias sociaux en raison de l’anonymat ou du fait qu’il n’y a pas de représailles directes, contrairement à une communication en face à face.

5 Peu d’études empiriques se lancent toutefois dans l’exploration et la description de la politesse dans la négociation des relations via les médias sociaux. Aucune ne s’est penchée sur ce phénomène en contexte néo-brunswickois. Nous avons donc choisi d’étudier la politesse telle que pratiquée dans les communications via les médias sociaux lors d’une récente tempête de verglas qui s’est abattue sur le Nouveau-Brunswick les 24 et 25 janvier 2017. Des milliers de Néo-Brunswickois se sont tournés vers les médias sociaux afin de converser avec les entités gouvernementales. Avec tant de personnes en mode de survie, comment la politesse ou l’impolitesse s’est-elle manifestée dans ces échanges? Comment la relation entre les entités gouvernementales et les internautes a-t-elle été négociée? Plus spécifiquement, dans cet article, nous voulons répondre à la question de recherche suivante : quelles sont les marques de politesse et d’impolitesse retrouvées dans les conversations initiées par les entités gouvernementales sur les médias sociaux, lors de la crise du verglas qui s’est abattue sur le N.-B. en janvier-février 2017?

Cadre théorique

6 Pour répondre à cette question, nous nous basons sur les théories développées dans le domaine de la politesse en analyse des conversations. Les travaux de Goffman (1955) sont fondamentaux en ce qui a trait à l’étude du phénomène de la politesse. L’auteur développe la notion des « faces », de l’image qu’un individu dégage, une « face » de lui-même différente selon le contexte des interactions et la valorisation recherchée. L’individu se forge aussi une idée des autres selon les « faces » que ceux-ci présentent. Les considérations, les ajustements et la négociation des faces projetées se résument par ce que Brown et Levinson (1987) appelle le « face-work ».

7 Le « face-work » nous intéresse dans le cadre de notre recherche : comment les participants d’une conversation préservent-ils ou menacent-ils la face de l’autre, ou encore la leur? C’est à Brown et Levinson (1987) que l’on doit l’un des outils d’analyse importants quant aux menaces à la face. Ces auteurs développent le concept de FTA, Face Threatening Acts, pour étudier les actes menaçants pour les faces, associés à l’impolitesse, qui sont produits par les participants. Pour Kerbrat-Orecchioni (1996), une offense, un ordre, une requête, une interdiction, un reproche, une moquerie ou une réfutation sont des genres d’actes de parole qui menacent la face. Un participant peut aussi menacer sa propre face, par exemple en formulant des offres, des prévisions ou des promesses qu’il ne pourrait tenir plus tard, ou encore en s’autocritiquant. L’auteure vient aussi compléter cet outil d’analyse en proposant le pendant positif aux FTA, soit les FFA, Face Flattering Acts. Si les participants peuvent être impolis ou menacer les faces pendant des échanges, ils peuvent aussi, au contraire, « flatter » les faces des autres (ou la leur) en faisant des éloges, en offrant des actes de parole généreux, tels que des compliments ou des remerciements. Elle rappelle que l’on peut difficilement concevoir une société qui ne fonctionne que sur la pratique systémique de l’impolitesse ou des FTA.

8 Nuance importante, les FTA et les FFA n’ont toutefois pas tous le même « degré de gravité » (Brown et Levinson, 1987, p.55). Pour Kerbrat-Orecchioni (1996), les stratégies qui aggravent ou durcissent les FTA sont l’utilisation d’un langage injurieux ou d’insultes extrêmes. L’auteure conçoit aussi des stratégies qui peuvent, au contraire, adoucir ou atténuer les FTA, comme les formulations indirectes (prendre une approche moins coercitive, mais qui demeure tout de même un ordre, dire par exemple « il y a des courants d’airs » pour demander de fermer la porte), les euphémismes (dire le contraire ou l’ironie, « c’est sympa » quand ça ne l’est pas), ou des amadoueurs (utiliser un terme gentil avant sa requête, « « sois gentil, passe-moi cela »). Tout comme les FTA, les FFA peuvent avoir aussi différents degrés de politesse. En effet, il existe différentes stratégies pour amplifier les FFA. Par exemple, les participants peuvent hyperboliser leurs FFA en les intensifiant ou en les exagérant : « mille merci, merci infiniment, exceptionnellement bon » (Kerbrat-Orecchioni, 1996).

9 Qu’il s’agisse de FFA ou de FTA, le contexte est un facteur non négligeable, car un même acte de parole peut être interprété comme un FTA dans un certain contexte, mais comme un FFA dans un contexte différent. Par exemple, « c’est beau » peut être un FFA (compliment), mais peut aussi être une remarque sarcastique ou une moquerie (FTA). Il peut même être question ici de « polirudesse », c’est-à- dire des FFA qui cachent des FTA (Kerbrat-Orecchioni, 2010), comme une violence détournée.

10 Nous nous appuyons donc sur ces théories pour analyser la politesse et l’impolitesse dans les conversations recueillies sur Twitter et Facebook lors de la crise du verglas au N.-B. en 2017.

Corpus et méthodologie

11 Le terrain choisi pour cette étude est d’intérêt en raison de son envergure médiatique et sociale. Décrite comme la « pire crise de l’histoire d’Énergie NB » (Radio-Canada, 31 janvier 2017) à son apogée, plus de 200 000 Néo-Brunswickois étaient privés d’électricité, alors que les températures se situaient souvent entre -15 et -25 degrés Celsius. L’état d’urgence a été déclaré par plusieurs municipalités paralysées par les dégâts et les Forces canadiennes ont été déployées sur le terrain pour prêter main forte aux sinistrés. Pendant la crise, deux personnes sont décédées, intoxiquées par du monoxyde de carbone. Énergie NB a annoncé que le courant électrique de la grande majorité des clients avaient été rétabli et que la crise était terminée le 5 février 2017, une douzaine de jours après la tempête initiale (Radio-Canada, 5 février 2017). Vivre 12 jours sans électricité a été très éprouvant pour les victimes de la crise.

12 En plus de son impact social, cette crise a capté l’attention des médias locaux, provinciaux, nationaux et internationaux. Les médias sociaux, en raison de leur accessibilité et de la rapidité d’interaction qu’ils permettent, ont aussi été mobilisés pour le partage d’information et pour les conversations entre le gouvernement et les citoyens. Six comptes d’entités gouvernementales (quatre intervenants) ont retenu notre attention, par leur rôle primordial dans la crise, ou par leur portée due au nombre d’abonnés qui les suivent:

13 La totalité des conversations web par rapport à la crise de verglas initiées par Justin Trudeau – premier ministre du Canada, Brian Gallant – premier ministre du N.-B., le gouvernement du N.-B. (GNB) et Énergie NB – société de la couronne responsable de la production et la distribution de l’électricité dans la province, compose donc notre corpus d’étude. Les conversations, recueillies le 8 février 2017, ont été publiées entre le 24 janvier et le 7 février 2017, c’est-à-dire au début, au cœur et à la fin de la crise. Le Tableau 1 ci-dessous, « Nombre de messages selon les intervenants », représente la distribution des messages par entité gouvernementale.

Tableau 1 - Nombre de messages selon les intervenants.
Thumbnail of Table 1Display large image of Table 1Note #2.

14 Justin Trudeau a publié quatre tweets et a obtenu 356 réponses. Brian Gallant, pour sa part, a publié 131 messages par rapport à la crise du verglas et il a obtenu 39 réponses. Énergie NB a publié 181 tweets et obtenu 230 réponses. Finalement, le gouvernement du N.-B. a publié 76 messages sur ses comptes Facebook et a obtenu 70 réponses. Ces comptes Facebook sont plus génériques, car ils sont transférés d’un parti à l’autre, à chaque élection; la plateforme demeure, mais ceux qui les animent changent selon le parti politique au pouvoir. Un grand total de 392 publications ont donc été initiées par les entités à l’étude et un grand total de 695 réponses individuelles par les internautes ont été recensées et analysées. Puisque nous voulons analyser la politesse dans les conversations, nous avons éliminé les messages des entités gouvernementales qui abordaient la crise de verglas, mais qui n’engendraient pas de conversation, c’est-à-dire aucune réponse de la part des internautes. La Figure 1 présente un extrait du corpus, conversation web sur le compte de NB Power.

Figure 1 - Capture d'écran d'une conversation web du compte de NB Power.
Thumbnail of Figure 1 Display large image of Figure 1

15 Une réponse est donc considérée comme une publication individuelle par un internaute, postée directement sous un message initié par l’un des six comptes (quatre entités) à l’étude. Si un même internaute publie plusieurs messages, ils sont comptabilisés comme des réponses différentes.

16 Pour étudier les marques de politesse et d’impolitesse dans ce corpus, nous avons identifié tous les FFA et les FTA contenus dans les messages des internautes en réponse aux messages initiés par les quatre entités gouvernementales à l’étude. Rappelons qu’un FFA représente le pendant « poli » et flatte la face de l’autre (ex : un remerciement, un compliment), alors qu’un FTA est le pendant « impoli » et attaque la face de l’autre (ex : un reproche, une moquerie, une critique). Au-delà de leur distribution quantitative, nous avons aussi analysé les différentes stratégies contenues dans les actes de paroles (FFA et FTA) utilisées par les internautes, ainsi que les adoucisseurs et les durcisseurs.

17 Il est à noter que toutes les réponses qui ont été publiées dans des langues autres que le français ou l’anglais ont été classées dans une catégorie N/A. Dans la catégorie N/A ont aussi été catégorisées les réponses qui n’avaient aucun FFA ou FTA. Nous ne prétendons pas que les 695 réponses recueillies représentent la totalité des réponses publiées dans ces conversations, puisque les internautes peuvent activer une fonction « privée » afin que leurs messages soient invisibles aux yeux de ceux qui ne sont pas leurs « amis ». Aussi, Twitter avait une limite de 140 caractères lors de l’étude, contrôlant ainsi la longueur des messages et donc des FFA ou FTA. Facebook pour sa part, n’a pas de limite de caractère. Finalement, vu le type de corpus, certaines nuances contextuelles des conversations ont pu nous échapper. Il pourrait ainsi y avoir des messages provenant de faux-comptes. Ceux-ci font tout de même partie de notre étude quand ils sont rédigés comme des réponses.

Analyse

18 Afin d’analyser les marques de politesse et d’impolitesse dans les conversations, nous avons divisé notre corpus en sous-corpus correspondant aux différentes entités gouvernementales : le gouvernement du N.-B., le gouvernement du Canada et Énergie Nouveau-Brunswick. Seront présentées tout d’abord les marques de politesse affichées par entité gouvernementale, ensuite l’analyse des stratégies utilisées pour adoucir ou durcir les marques de politesse et d’impolitesse et finalement, l’analyse comparée des marques de politesse selon la langue utilisée.

Résultats selon les entités gouvernementales

19 Nous présentons donc dans cette section, pour chacune des entités gouvernementales, sous forme de figure, la distribution des marques de politesse (FFA et FTA) selon les langues utilisées. Dans toutes ces figures, l’axe vertical représente le nombre de FFA et FTA dans les messages des répondants. En faisant l’inventaire de ces marques de politesse, nous avons remarqué que les internautes s’adressaient parfois à des personnes autres que l’instigateur du message (ex : un internaute produit un FTA à l’égard d’un autre internaute impliqué dans la conversation et non à l’égard de l’entité gouvernementale). Pour cette raison, des catégories d’analyse plus précises ont donc été créées afin d’indiquer plus clairement à qui s’adressent les FFA et FTA. L’axe horizontal des figures représente le nombre de messages initiés par l’entité gouvernementale, de même que la langue dans laquelle sont produits ces messages.

Réponses à Brian Gallant et au GNB : le gouvernement insulté (FTA)

20 La Figure 2 ci-dessous démontre la répartition des FTA et FFA dans les réponses aux tweets du premier ministre du Nouveau-Brunswick, Brian Gallant. Le contenu des tweets du premier ministre a varié grandement, allant de conseils sur la sécurité et de mises à jour (ex : « Please continue to go to the warming centres, eat some food & get important information on the financial support that is in place. » (corpus Gallant, 2), à des messages de remerciements (ex : « Merci à tous les citoyens du N-B pour votre patience et votre générosité au cours de cette épreuve. C’est une immense source d’inspiration. » (corpus Gallant, 8), ou encore des messages relayant des efforts de relations publiques (ex : « Spent the day back in the Acadian Peninsula speaking with people from around the region. » (corpus Gallant, 14).

Figure 2 - Distribution des marques de politesse dans les réponses aux tweets de Brian Gallant.
Thumbnail of Figure 2 Display large image of Figure 2

21 Des 131 tweets publiés par Brian Gallant, 21 ont obtenu des réponses. Parmi les résultats significatifs présentés dans cette figure, notons les 26 FTA (threatening) à l’égard du premier ministre, contre 4 FFA (flattering). D’autres intervenants (ex : Énergie NB, ou d’autres personnes impliquées dans la conversation) sont les cibles de 13 FFA et de 11 FTA. Les répondants produisent beaucoup plus de marques de politesse et d’impolitesse en réponse aux tweets publiés en anglais par Brian Gallant qu’à ses tweets en français.

22 Les FTA, marques d’impolitesse les plus populaires produites par des internautes envers Brian Gallant (à 26 reprises), étaient surtout des critiques sur la lenteur des progrès, des reproches d’incompétence gouvernementale, ou encore des commentaires des internautes qui prétendaient savoir mieux que le GNB : « Call in for more help on the first or second day… not the fifth! » (corpus Gallant, 13-2). En analysant plus en profondeur, nous avons aussi remarqué un duo intéressant dans les réponses des internautes. Souvent, à l’intérieur d’un même message, les travailleurs de ligne (Énergie NB) sont remerciés (FFA) pour leur travail, alors que le gouvernement est critiqué : « @BrianGallantNB I’m thankful for the hardworking crews but angry at government officials such as you for not doing more » (corpus Gallant, 83-2). La face de Brian Gallant est donc attaquée, alors que celle d’Énergie NB est flattée. Comme le rappellent Han, Hu et Nigg (2011), dans leur étude sur le tremblement de terre qui a eu lieu en Chine en 2008, il y a souvent un écart entre les attentes des citoyens et les possibilités d’intervention ou de dispositions d’un gouvernement lors d’une crise, ce qui pourrait expliquer le lot d’attaques envers le premier ministre. En raison de l’anonymat, le dispositif des médias sociaux facilite aussi le partage de ces attaques.

23 Quant au GNB, la Figure 3 ci-dessous illustre la répartition des FTA et FFA dans les 20 messages Facebook qui ont initié des conversations avec les citoyens. On peut noter que le contenu des messages envoyés par le GNB est similaire à celui du compte Twitter de Brian Gallant : conseils sur la sécurité, mises à jour, remerciements, efforts de relations publiques. Nous notons toutefois que les messages sur Facebook sont parfois plus longs que sur Twitter, puisque ce médium n’a pas de contraintes en termes de longueur de texte (ex : « Le premier ministre, Brian Gallant, s’est joint aux représentants de l’Organisation des mesures d’urgence du Nouveau-Brunswick et d’Énergie NB pour une visite du centre de réception régional à Bas-Caraquet hier. Merci aux centaines de personnes qui font du bénévolat dans les centres de réchauffement afin d’assurer la sécurité de leur communauté, qui 2018) font du porte-à-porte afin d’aider leurs voisins à traverser la tempête et qui donnent des ressources afin d’aider les gens à retrouver une vie normale. » (corpus GNB-fr, 1)).

Figure 3 - Distribution des marques de politesse dans les réponses aux messages Facebook du GNB.
Thumbnail of Figure 3 Display large image of Figure 3

24 Parmi les résultats significatifs révélés par cette figure, on note 28 FTA (threatening) à l’égard du GNB contre 4 FFA (flattering), alors que 3 FTA et 33 FFA visent d’autres intervenants. Encore une fois, les messages en anglais (initiés par le GNB) recueillent beaucoup plus de marques de politesse et d’impolitesse que ceux en français, quoique les FFA à l’égard d’autres personnes (non le GNB) soient quand même fréquents. En identifiant la cible des marques de politesse et d’impolitesse, nous avons pu constater qu’Énergie NB, les bénévoles et les autres organismes qui sont venus prêter main forte étaient encore les grands collecteurs des FFA « envers d’autres » : « Thank you Hydro-Québec » (corpus GNB- ang, 15-4). Les 28 attaques (FTA) à l’égard du GNB sur Facebook sont similaires à celles déjà évoquées contre Brian Gallant sur Twitter, soit des reproches sur les compétences et des ordres: « avez-vous penser de remplacer les vieux poteaux de hydro nbpower qui tombent comme des pailles aux vents........... !!!!!!!!! » (corpus GNB-ang, 11-1). Dans ces FTA, nous identifions aussi des durcisseurs (exemple, les points d’exclamation multiples), stratégies que nous aborderons dans la section 4.2.

Réponses à Énergie NB : les FTA surtout quand ils font des prévisions

25 Quoiqu’Énergie NB ait reçu de nombreux compliments (FFA) dans des conversations instiguées par le gouvernement provincial, la Figure 4 démontre que la situation n’est pas tout à fait pareille dans ses propres publications.

Figure 4 - Distribution des marques de politesse dans les réponses aux tweets d'Énergie NB.
Thumbnail of Figure 4 Display large image of Figure 4

26 Cette figure nous dévoile la production de 131 FTA (threatening) envers Énergie NB, mais tout de même 118 FFA (flattering). Les répondants ne s’en prennent d’ailleurs majoritairement qu’à Énergie NB, c’est-à-dire que peu de FTA ou de FFA sont évoqués à l’égard d’autres entités ou personnes. Les répondants conversent aussi beaucoup plus avec Énergie NB dans leurs tweets en anglais. 48 tweets dans cette langue méritent des réponses, et la quantité de FTA et de FFA en anglais y est beaucoup plus élevée que les tweets d’Énergie NB en français. En analysant plus en profondeur, nous remarquons qu’un type précis d’acte de parole initié par Énergie NB entraîne une réaction négative (FTA) des internautes. À quelques reprises, Énergie NB choisit de publier des messages contenant des prévisions du genre : « We expect to have approx. 65% of customers in Tracadie/Acadian Peninsula restored by the end of Friday night (January 27.) » (corpus NB Power, 38). L’organisme publie une dizaine de messages de la sorte pour différentes villes ou régions. Les réponses à ces messages contiennent la très grande majorité des FTA recensés. Les internautes demandent des clarifications ou encore accusent Énergie NB de manquer de précision : quelles villes au juste? Est-ce que la région comprend un tel village? Et à quand le retour de l’électricité partout? De plus, plusieurs internautes expriment des frustrations en disant que les prévisions, qui ont été perçues comme des promesses, n’ont pas été respectées : «@NB_Power thinking this goal was very inflated  why not give us realistic ETRs so we can plan accordingly! » (corpus NB Power, 40-4). Mis à part ces quelques actes de parole qui ont entraîné des FTA, en général, NB Power n’a reçu que des éloges. D’ailleurs, lorsqu’Énergie NB publie des messages pour indiquer des progrès concrets, ceux-ci reçoivent des compliments (FFA). Le contenu du message initial détermine donc la politesse ou l’impolitesse à l’égard de la société de la couronne. Comme le rappellent Brown et Levinson (1987), les promesses ouvrent la porte aux FTA, surtout si elles ne sont pas tenues.

Réponses à Trudeau : le gagnant des FFA

27 La Figure 5 dresse le portrait des FFA et des FTA dans les réponses des internautes aux messages publiés par le premier ministre du Canada, Justin Trudeau. Il a publié deux messages, chacun publié dans les deux langues officielles du Canada, l’anglais et le français, pour un total de quatre tweets individuels : « Une terrible tempête de verglas a frappé de N.-B. Aujourd’hui, j’ai remercié les 1ers répondants & les bénévoles d’avoir aidé la population. » (corpus Trudeau-fr, 1) et « @CanadianForces personnel put in hard work helping people in NB recover. Thank you so much for the welcome today. » (corpus Trudeau-ang, 2). Chaque tweet a reçu une quantité importante de réponses que nous allons analyser.

Figure 5 - Distribution des marques de politesse dans les réponses aux tweets de Justin Trudeau.
Thumbnail of Figure 5 Display large image of Figure 5

28 Dans cette figure, qui présente la distribution des marques de politesse dans les réponses aux tweets de Justin Trudeau, nous recensons 173 FFA (flattering) et 125 FTA (threatening) à son égard, donc des réponses plus polies qu’impolies, alors que 53 FFA et 92 FTA ont été comptabilisés envers d’autres intervenants. Encore une fois, une quantité beaucoup plus élevée de FTA et de FFA a été recensée dans les tweets de Justin Trudeau écrits en anglais.

29 Trudeau a reçu beaucoup de FFA de type admiratif de la part des internautes. En analysant plus en profondeur les actes de paroles contenant ces FFA, l’admiration semble toutefois plus reliée au personnage même du premier ministre qu’à son implication dans la crise du verglas au N.-B. Par exemple, la relation négociée dans les réponses « @JustinTrudeau You are one of the best Prime Ministers Canada has ever had. Thank you for standing up for people of all religions and races » (corpus Trudeau-fr, 1-1), ou encore « @JustinTrudeau vous méritez d’être le président du monde vous êtes idéal généreux un vrai homme de paix… merci » (corpus Trudeau-fr, 1-29) n’est pas nécessairement liée au contenu présenté par Trudeau : « Une terrible tempête de verglas a frappé le N.-B. Aujourd’hui, j’ai remercié les 1ers répondants & les bénévoles d’avoir aidé la population. » (corpus Trudeau-fr, 1). Nous supposons que les priorités et actions politiques de Trudeau, entre autres en immigration, lui valent plusieurs éloges « générales » de la part d’internautes provenant de partout dans le monde. En effet, comme l’expliquent Halpern et Gibbs (2013) dans leur étude sur la délibération via les médias sociaux, les internautes profitent de n’importe quelle occasion pour passer un message, sans nécessairement répondre au contenu précis.

30 De ce fait, la question de l’immigration ouvre aussi la porte à des FTA vis-à-vis de Trudeau, mais presqu’autant envers d’autres intervenants, dont les musulmans : « @JustinTrudeau a week later. If they were Muslim you’d have been there within an hour » (corpus Trudeau-ang,1-39) ou encore « Oublie ca Sara… les neo-brunswickois ne sont pas musulmans… ils vont attendre longtemps… lol » (corpus Trudeau-fr, 1-14).

31 Dans les réponses aux messages de Justin Trudeau, beaucoup de FTA sont aussi émis à l’égard de Donald Trump précisément, même si ce dernier n’est pas directement impliqué : « can we just clone you and put you in the WH… We are vexed with the old lunatic grandpa there » (WH pour White House) (corpus Trudeau-fr, 1-30) ou « I wish the US had a leader like you » (corpus Trudeau-ang, 1-81). Comparé à son homologue américain et aux problèmes politiques chez les voisins du sud, l’image de Trudeau se voit bonifiée (FFA). En envoyant un FTA à l’égard de Donald Trump, les internautes envoient aussi un FFA détourné à Justin Trudeau. Cette nuance importante justifie la nécessité d’identifier la cible des actes de parole.

Degré de gravité des FTA et FFA : stratégies pour adoucir ou durcir

32 En analysant les FTA et les FFA produits dans les conversations sur les médias sociaux, nous avons aussi observé trois grandes stratégies qui influencent le degré de gravité des marques de politesse et d’impolitesse, soit l’hyperbolisation à travers la ponctuation, les émojis et le langage injurieux.

Hyperbolisation : la ponctuation négative et les émojis positifs

33 Une stratégie communicationnelle fréquemment utilisée par les internautes sur Twitter et sur Facebook est l’hyperbolisation. Cette manière d’exagérer, propre aux communications médiées par ordinateurs (CMO), se manifeste entre autres par l’utilisation de ponctuations multiples. La ponctuation à répétition, comme les points d’exclamation multiple, accentue surtout le négatif (FTA) ou la frustration dans les réponses recensées, tels « avez-vous penser de remplacer les vieux poteaux de hydro nbpower qui tombent comme des pailles aux vents……….. !!!!!!!!! » (corpus GNB-ang, 11-1). Les 11 points de suspension et neuf points d’exclamation dans cet exemple viennent ajouter l’émotion manquante à l’écrit, qu’on pourrait identifier plus facilement dans une conversation en face à face par des intonations, une gestuelle, ou des indices visuels ou sonores, comme le rappellent Morand et Ocker (2003). Certains internautes utilisent aussi la ponctuation multiple pour amplifier des messages positifs, tels « Thanks people!!! » (corpus GNB-ang, 15-3), mais cette stratégie est considérablement plus populaire dans le partage de contenu négatif.

34 Sur ce point de l’hyperbolisation des émotions, les médias sociaux présentent un autre élément technodiscursif particulier, les émojis (ou émoticons). Ces petites icônes visuelles, qui représentent souvent une émotion, comme un visage souriant, un visage triste, ou encore le « thumbs-up », tentent également de contrebalancer l’absence d’un contact visuel dans la conversation écrite. Dans notre étude, les émojis sont surtout utilisés pour accentuer les émotions ou réponses positives. Le « j’aime » (thumbs-up) est l’emoji le plus populaire, utilisé des centaines de fois par les internautes. D’autres émojis ont été utilisés, à plus petite fréquence, pour hyperboliser des FFA (flattering) : « Merci à tous ❤ » (corpus GNB-fr, 14-1), « grandement apprécié 💋 » (corpus GNB-fr, 14-2). Des internautes ont aussi envoyé des bisous à Trudeau « @JustinTrudeau that’s my PM, you remind me that world is still a peaceful place for human existence 😘 » (corpus Trudeau-fr, 2-6). Sur Twitter particulièrement, l’utilisation d’emojis est aussi une stratégie pour détourner la limite de caractères textuels imposée à l’intérieur d’un tweet. Ainsi, certains emojis ont également remplacé des mots, comme clown pour décrire Donald Trump : « @JustinTrudeau @CanadianForces Must be nice to have a great leader. We used to have one. Now we have a 🤡 » (corpus Trudeau-ang, 1-20).

35 Incontestablement, les émojis interagissent avec la politesse et l’impolitesse. Icônes visuelles, ils permettent de compléter la strate émotionnelle manquante dans ce genre hybride entre l’écrit et l’oral, dans lequel s’inscrivent les communications médiées par ordinateur. Les emojis demeurent toutefois ouverts à l’interprétation. Miller et al. (2015) expliquent que 25% du temps, les internautes ne s’entendent pas sur l’émotion exacte dégagée par les émojis. Le signifiant est le même, mais le signifié ne fait pas l’unanimité. De plus, le style « dessin animé » des émojis infantilise ou amadoue presque automatiquement les propos. Finalement, en termes de marques de politesse ou d’impolitesse, l’internaute est limité aux émojis qui s’offrent à lui, selon son appareil technologique, en plus d’être influencé par des algorithmes qui placent au premier plan les émojis les plus utilisés. Le choix d’insérer un émoji n’est pas toujours réfléchi, il s’agit parfois simplement d’un choix accessible ou esthétique. Une analyse plus poussée et axée sur l’utilisation précise des émojis pourrait être intéressante afin d’expliquer davantage les tendances.

Langue injurieuse à l’égard des politiciens : les durcisseurs

36 Beaucoup de FTA (threatening), principalement ceux envers les politiciens, sont accompagnés de « durcisseurs », soit par des insultes fortes ou encore des jurons: « tu es un trou de cul comme ton père » (corpus Trudeau-fr, 2-9), ou « Only took U what 10 days after to figure out?To busy telling lies;stealing taxpayers money?Dirty corrupt lying cockroach » (corpus Trudeau-ang, 1-13), disent certains internautes à Justin Trudeau. Brian Gallant n’y échappe pas non plus : « @BrianGallantNB @JustinTrudeau – all show, no substance. Stop flapping your gums rather than kissing ass » (corpus Gallant, 10-1). Ces actes de parole exprimant un désaccord, qui constituent déjà des FTA, sont durcis par des insultes, des paroles violentes : « trou de cul » ou « dirty corrupt lying cockroach ». Donald Trump, quoique pas un intervenant à l’étude ou un personnage principal dans la situation, y passe aussi : «Trump is a certified asshole… Trudeau is the best PM ever… » (corpus Trudeau-ang, 2-3).

37 L’anonymat et l’absence de conséquences peuvent justifier ce langage osé de la part des internautes. Comme l’explique Kerbrat-Orecchioni, la violence verbale peut davantage se produire dans un « face-à-face distanciel » que dans un « face-à-face présentiel » (2011, p.178), le premier faisant référence aux conversations via les technologies (Skype, FaceTime, médias sociaux). Les apports de Bellachham et Le Gal (2012) sur la relation asymétrique viennent aussi enrichir notre analyse. En effet, la relation citoyen-gouvernement se retrouve dans une situation asymétrique. Le gouvernement du N.- B., figure d’autorité traditionnellement, est élu pour gérer les dépenses publiques, mais ne peut se permettre un langage injurieux car il doit constamment gérer et peaufiner ses relations avec les citoyens afin d’obtenir un appui populaire. Il doit aussi se méfier de l’effet boomerang, notamment le retour de bâton auquel il peut s’attendre suite à l’expression de propos injurieux, tel le « casse-toi pauvre con » prononcé par Sarkozy en 2008 dans un bain de foule, qui est devenu un slogan pour le clan adverse. « L’injure dans le champ politique se distingue de l’injure ordinaire du fait de ses effets sociaux remarquables, même si, sur le plan pénal, l’injure demeure une infraction quels que soient le contexte et l’identité de celui qui la profère » (Boutet, 2010, p.81). En contexte de médias sociaux, la nouvelle bidirectionnalité des communications rend les entités gouvernementales plus vulnérables et ouvertes aux critiques. Constamment en « face-work », le contenu et le style de leurs messages peuvent être influencés afin de prévenir ou de gérer les réactions ou réponses possibles.

38 Le contexte et les relations de pouvoir en jeu sont ainsi de grande importance; qui parle, à qui, dans quel contexte, avec quelles conséquences? On remarque aussi que les pratiques langagières injurieuses par les politiciens prennent de plus en plus de place. Millette (2016) parle même d’une « normalisation des propos haineux » dans son étude sur des tweets de Donald Trump. Ce qui est acceptable en privé l’est maintenant de plus en plus en public, alors que l’individualisme est en montée VOL. 10 (FALL 2018) et que la politesse qui régit les relations se voit transformée. Selon Bourdieu (dans Boutet, 2010), cette augmentation de l’injurieux ou cette réfutation de l’autorité (gouvernementale ou autre) engendre des transformations majeures des relations sociales. L’énonciation et la réception des discours d’autorité ne sont plus les mêmes et le respect, la politesse, l’ordre collectif, sont effacés pour laisser place à l’individualisme.

Plus poli dans une langue que dans l’autre?

39 Initialement, nous voulions aussi voir si l’une des deux communautés linguistiques était plus (im)polie que l’autre. Malheureusement rien ne nous permet de vérifier, dans notre corpus, si toutes les réponses en anglais ont été produites par des anglophones, et pareillement, que celles produites en français l’ont été par de francophones. Nous observons par ailleurs que de nombreux abonnés avec des noms francophones commentent en anglais ou répondent aux messages instigués en anglais dans l’étude. L’inverse se produit peu (des anglophones qui commentent sur des messages francophones). Vu le faible nombre de réponses en langue française et les variations culturelles, nous ne pouvons que proposer des hypothèses ou des pistes de recherche futures quant à la question des langues et de la politesse lors de cette crise.

40 Première observation, de façon générale, les messages en anglais des quatre entités gouvernementales suscitent beaucoup plus de conversations et de réponses d’internautes que les messages en français. La province du N.-B. est officiellement bilingue, mais les francophones y sont minoritaires (31,8% selon le recensement de Statistiques Canada 2016). Ainsi, le nombre d’abonnés ou de réponses en anglais et en français n’est pas proportionnel au pourcentage des communautés respectives dans la population provinciale, ce qui est intriguant. En cumulant les résultats des Figures 2, 3, 4 et 5 ci-haut, nous recensons 106 marques de politesse ou d’impolitesse (12%) dans les réponses aux messages en français et 796 marques auprès des messages instigués en anglais (88%). Pourquoi la population francophone est-elle moins engagée dans les médias sociaux des entités gouvernementales et surtout, pourquoi produit-elle moins de marques de politesse et d’impolitesse? Pour Brian Gallant, le gouvernement du N.-B. et Énergie NB, la quantité de réponses à des messages initiés en français est très limitée et donc peu représentative.

41 Il est tout aussi important de considérer le fait que la tempête a touché plus durement le nord de la province, région surtout constituée de francophones. Nous pourrions nous attendre, d’une part, à plus de conversations en français, mais aussi d’autre part, à plus de FTA de leur part car ils sont les plus touchés. Pourtant, ce n’est pas le cas.

42 Finalement, certains internautes s’attaquent au bilinguisme de la province dans leurs réponses. « I thought this was a bilingual province? » (corpus GNB-ang, 31-1) est l’une des réponses publiées, alors que la vidéo présentée dans le message du GNB est, en fait, bilingue, et est plutôt une mise à jour des efforts de rétablissement déployés dans la province suite à la tempête. Au N.-B., le bilinguisme est un sujet tabou qui ne fait pas l’unanimité et qui est souvent mis de l’avant dans les débats politiques, même s’il n’en est pas le sujet principal. Cette constatation et toutes les autres sur la langue, présentées plus haut, mériteraient une étude plus approfondie.

Conclusion

43 En étudiant les marques de politesse et d’impolitesse, nous avons pu comprendre le genre de relation poli/ impoli développé et négocié via les médias sociaux, entre les entités gouvernementales et les citoyens, lors de cette crise météorologique précise qui a eu lieu au Nouveau-Brunswick en 2017.

44 En réponse à notre question de recherche, « quelles sont les marques de politesse et d’impolitesse retrouvées dans les conversations initiées par les entités gouvernementales, sur les médias sociaux, lors de la crise du verglas qui s’est abattue sur le N.-B. en janvier-février 2017 ?», nous pouvons répondre en affirmant que plusieurs FTA et FFA ont été produits. En effet, la majorité des FTA (threatening) sont des critiques à l’endroit des entités gouvernementales, des reproches quant à la lenteur des progrès, des accusations de visites trop tardives ou de visites de « coups publicitaires », ou des désaccords quant aux promesses d’aide ou de rétablissement non tenues ou encore des reproches de manque de clarté dans les informations données. Quant aux FFA (flattering), nous repérons surtout des remerciements pour le travail accompli et des encouragements. Certains FFA sont aussi plus généraux et non liés à la crise du verglas, mais flattent la personne plutôt que ses actions vis-à-vis de la crise. Ces FFA sont aussi quelquefois indirects, c’est-à-dire qu’un FTA lancé à une tierce personne se transforme en un FFA valorisant la personne à qui on répond. Au-delà de ces types d’actes de paroles, marques de politesse et d’impolitesse, nous identifions des stratégies de durcissement ou d’adoucissement qui explicitent davantage les relations polies/impolies négociées entre internautes et entités gouvernementales. L’utilisation d’injures et la ponctuation répétée, exagérée pour intensifier la strate émotionnelle du propos sont les stratégies les plus présentes dans notre corpus et viennent hyperboliser surtout les frustrations (Kerbrat-Orecchioni, 1996). L’utilisation d’émojis, formes particulières à ce type d’interaction, met en relief ou complète la strate émotionnelle dans ces interactions. Propres aux médias sociaux, ils viennent surtout amplifier les actes de parole positifs (les émojis du pouce en l’air et du cœur semblent être les plus populaires). Ces stratégies permettent de mieux comprendre les FTA et les FFA, en clarifiant leur degré de gravité.

45 Puisque les quatre entités gouvernementales à l’étude ont obtenu un traitement unique en termes de types et du nombre de FTA et de FFA de la part des internautes, nous proposons dans la Figure 6 ci- dessous de placer chaque entité gouvernementale sur un continuum, allant de traitement très impoli à très poli, selon la synthèse des types de réponses obtenues pour chacune.

Figure 6 - Continuum de la politesse à l’égard des intervenants.
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46 Ainsi, d’après cette figure, nous pouvons conclure et nuancer en disant que les réponses des internautes sont très impolies envers Brian Gallant. En effet, nous avons recensé une proportion élevée de FTA, notamment des critiques injurieuses ou des actes de parole impolis par rapport à la lenteur des progrès. Le premier ministre du N.-B. reçoit peu de FFA, quoique ses messages incitent les internautes à offrir des FFA à d’autres (par exemple à Énergie NB). En effet, la décision de distinguer les types de FFA ou de FTA, mais aussi à qui ils s’adressent a été déterminante dans cette recherche, puisqu’elle permet de voir que les FTA ou FFA ne sont pas toujours dirigés envers l’instigateur de la conversation.

47 Le continuum de la Figure 6 nous permet aussi de comprendre que les internautes utilisent pratiquement un nombre égal des marques de politesse (FFA) et d’impolitesse (FTA) à l’égard d’Énergie NB. Toutefois, en analysant plus en profondeur, nous constatons qu’un type de messages, celui des prévisions quant au retour de l’électricité, incite la très grande majorité des FTA (demandes de clarifications, frustrations, déceptions). Sans ces quelques messages de promesses, les FFA (remerciements et compliments) auraient dépassé de beaucoup les FTA.

48 Justin Trudeau est en grande partie louangé (FFA, admiration, remerciements) en réponse aux tweets qu’il publie par rapport à la crise du verglas. Toutefois, en examinant de plus près les actes de parole, nous percevons que les internautes l’admirent de façon générale et non pour un travail lié à la tempête. Il fait bonne figure et il est souvent vu comme un héros à côté de Donald Trump. Il faudrait noter par contre que les FTA qu’il reçoit, quoique moins nombreux que les FFA, sont durs et parfois injurieux.

49 Ces résultats sont donc très informatifs et utiles. En effet, ils pourraient servir aux politiciens et agences de communication impliqués dans ce genre de crise, car ils démontrent quels types de messages se méritent des FFA ou des FTA. Dans un contexte de CMO où les interprétations sont plus libres et les malentendus plus fréquents, ces marques de politesse et d’impolitesse sont le reflet de la négociation de la relation entre les citoyens et les entités gouvernementales.

50 Nous croyons que l’étude de la politesse dans les conversations sur les médias sociaux lors de prochaines crises pourrait être bénéfique. Elle permettrait d’élargir le corpus et d’effectuer des comparaisons qui sont d’ores et déjà possibles par rapport aux études de Han et al. (2011) sur un tremblement de terre en Chine, de celle de Sylves (2006) sur l’ouragan Katrina aux États-Unis et même de celle de Flanagan (1999) sur la tempête de verglas au Québec (1998) Peut-être pourrions-nous identifier alors des universaux de la grammaire propres à ces conversations médiées par ordinateurs (CMO) dans ce contexte particulier de crise naturelle?

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Natalie Melanson Breau est doctorante en sciences du langage à l’Université de Moncton, où elle enseigne au Programme d’information-communication.
Sylvia Kasparian est professeure titulaire en linguistique, au Département d’études françaises à l’Université de Moncton et directrice du Laboratoire d’analyse de données textuelles (LADT).
Références bibliographiques
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Boutet, J. (2010). Le pouvoir des mots. Paris : La Dispute.
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Articles médiatiques consultés
Radio-Canada, 31 janvier 2017, « Verglas au N.-B. : la pire crise de l’histoire d’Énergie NB », consulté le 31 janvier 2017. En ligne : http://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1014047/verglas-au-n-b-la-pire-crise-de-lhistoire-denergie-nb
Radio-Canada, 5 février 2017, « La crise du verglas au N.-B. se termine », consulté le 19 mars 2017. En ligne : http://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1015014/crise-verglas-energie-nouveau-brunswick-vise-reparations-dimanche
Notes
1 À noter que Justin Trudeau n’a rien publié par rapport à la crise du verglas sur sa page Facebook, et qu’Énergie NB ne possède pas de page Facebook.
2 À noter que 67 messages ont obtenu des réponses, mais 46 de ces 67 réponses sont de Brian Gallant qui ajoute des informations, donc puisqu’il ne converse pas avec des gens, ces messages n’ont pas été analysés.