Interviews

L’avenir de la mobilisation des citoyens :

un entretien avec les membres de la Commission du Nouveau-Brunswick sur la fracturation hydraulique

Jamie Gillies
St. Thomas University

Marc Léger, John McLaughlin, and Cheryl Robertson, the three members of the New Brunswick Commission on Hydraulic Fracturing, spent months consulting various publics in New Brunswick. Their final report, released in early 2016, was not just about the controversial and divisive policy area. It spoke to a need for the province to engage with its citizens more transparently, more openly, and to understand why the paternalism and corporate and government elitism of the past is no longer viable. In this interview, their insights into how to address and engage with these publics are outlined and the observations gleaned from direct interaction with groups suggest a way forward in future public consultations.

Marc Léger, John McLaughlin, et Cheryl Robertson, les trois membres de la Commission du Nouveau-Brunswick sur la fracturation hydraulique, ont passé des mois à consulter divers groupes au Nouveau-Brunswick. Leur rapport final, qu’ils présentaient au début de 2016, ne touche pas qu’au dossier politique marqué par la controverse et la discorde. En effet, les auteurs évoquent la nécessité pour la province de mobiliser ses citoyens avec davantage de transparence et d’ouverture et de comprendre pourquoi le paternalisme et l’élitisme des grandes compagnies et du gouvernement du passé ne sont plus des attitudes acceptables. Dans cet entretien, les membres de la Commission font part de leurs idées sur la manière de nouer des contacts avec le public et partagent des observations glanées au fil de leurs interactions avec divers groupes, autant d’éléments qui tracent des voies à suivre lorsqu’il s’agira de mener des consultations publiques à l’avenir.

Introduction

1 En février 2016, suite à la décision en 2014 du gouvernement libéral de Brian Gallant d’imposer un moratoire sur la fracturation hydraulique dans la province, la Commission du Nouveau-Brunswick sur la fracturation hydraulique publiait un rapport après avoir consacré près d’un an à échanger avec chacun des principaux intervenants de la province. Les membres de la Commission avaient été chargés de présenter un rapport au Cabinet dans un délai d’un an suivant la date de début des travaux, en mars 2015, et certaines personnes ont été un peu étonnées par le contenu du document, sachant qu’il s’agissait d’un rapport mandaté par le gouvernement. Marqué par une approche agréablement progressiste à la question de la fracturation hydraulique, le rapport affirme directement et indirectement que les Néo-Brunswickois, et de fait l’ensemble des Canadiens, n’en peuvent plus de voir les représentants du gouvernement conclure des ententes secrètes et collaborer sans transparence avec le secteur privé sur des dossiers de grand intérêt public.

2 La Commission avait pour mandat de formuler des conclusions sur cinq conditions relatives à la fracturation hydraulique au Nouveau-Brunswick, mais elle présente un tissu narratif bien plus important sur la manière de faire les choses au Nouveau-Brunswick. Celle-ci serait souvent marquée par une mentalité paternaliste et exclusive, ne prévoirait pas un dialogue avec le public et permettrait aux intervenants du milieu des affaires et du gouvernement d’échapper à toute responsabilité. Qu’il s’agisse ou non d’un juste reflet de la réalité, l’image d’une province au service des grandes entreprises est celle à laquelle croit la vaste majorité du grand public. Dans son rapport, la Commission présente ses conclusions selon les cinq conditions qu’elle était mandatée d’étudier par le premier ministre Gallant afin de déterminer s’il serait possible, une fois les conditions respectées, de lever le moratoire. Ces conditions sont :

  • l’établissement d’un contrat social;
  • l’accès à de l’information claire et crédible sur les répercussions de la fracturation hydraulique sur la santé humaine, l’environnement et l’eau, nous permettant de mettre en place un régime de règlementation de premier plan au pays, comportant des capacités suffisantes de mise en application;
  • l’élaboration d’un plan qui atténue les répercussions sur notre infrastructure publique et qui aborde des questions telles que le rejet des eaux usées;
  • la mise en place d’un processus qui assure le respect de nos obligations de consulter les Premières Nations;
  • la mise en place d’un mécanisme qui assure un maximum de retombées pour les Néo-Brunswickois, incluant l’établissement d’une structure de redevances appropriée.

3 Tout en se tenant aux conditions énoncées, la Commission aborde dans son rapport les problèmes de mobilisation et de crédibilité associés au processus de consultation qu’il faudrait régler avant de pouvoir passer aux conditions à respecter. Cela implique une série de changements à apporter dans la façon dont le gouvernement, les intervenants du secteur de l’énergie et des ressources, ainsi que les groupes de citoyens, nouent des contacts avec le public. Il ne s’agit pas tout à fait d’un rapport accablant, et les auteurs ne demandent pas non plus que l’on mette fin à l’ensemble des activités liées à l’extraction des ressources. Mais eu égard surtout à l’utilisation du territoire et de l’espace public, il est fortement suggéré qu’on ne peut plus recourir aux anciennes façons de faire des affaires au Nouveau-Brunswick sans procéder aux consultations qui s’imposent.

4 Dans la réalisation de ses travaux, la Commission s’est heurtée à une absence de modèles qui sauraient dicter la façon de procéder pour effectuer des activités de consultation et de mobilisation en vue de conclure un contrat social qui mènerait à un changement politique. Il est clair, en lisant le rapport de la Commission, que le gouvernement a besoin de reconnaître l’évolution qui a eu lieu dans les attitudes du public face à ses institutions et la confiance qui leur est vouée. À certains égards, le document donne à penser qu’une transformation se serait opérée en ce qui concerne l’idée du représentant élu comme « fiduciaire », tel que proposé par Edmund Burke. Le public n’adhère plus au concept du politicien qui agit pour le bien de tous ou dans l’intérêt de la province quand ces représentants ne cherchent pas activement et en toute transparence à mobiliser et à consulter le public.

5 Mais il n’adhère pas non plus au modèle de représentation qui repose sur le rôle de délégué. Le public souhaite voir un élément d’engagement direct qui aura une véritable influence sur les décisions en matière de politique publique. Il s’agit là d’une toute autre forme de représentation.

6 En juin 2016, sur l’invitation de la Journal of New Brunswick Studies/Revue d’études sur le Nouveau-Brunswick, je me suis réuni avec Marc Léger, John McLaughlin et Cheryl Robertson pour réaliser un entretien de fin de mission et pour faire le point sur les expériences qu’ils ont vécues alors qu’ils siégeaient à la Commission du Nouveau-Brunswick sur la fracturation hydraulique. Non seulement m’ont-ils parlé de leurs préoccupations à l’égard des moyens employés par les institutions pour mobiliser le public, ils ont également expliqué pourquoi le Nouveau-Brunswick accuse un retard par rapport à d’autres provinces et territoires lorsqu’il s’agit d’adopter un nouveau modèle qui permettrait de mobiliser les intervenants et le public de manière plus efficace et transparente. Le contenu de l’entretien a été légèrement révisé et condensé, et nous en présentons ici une traduction. Nous avons cherché à reproduire, dans la mesure du possible, le caractère oral de l’échange et traduire les propos de façon à laisser transparaître la voix des personnes interviewées. L’entretien est découpé en trois sections. La première porte sur le processus de consultation et d’engagement du public; la deuxième, sur le grand thème qui sous-tend l’ensemble du rapport, soit la confiance à l’égard des institutions de la province; et la troisième, sur les voies à suivre à l’avenir lorsqu’il s’agira de consulter et de mobiliser le public. Vous pourrez lire le rapport final de la Commission au http://www2.gnb.ca/content/gnb/en/departments/ erd/energy/content/NBCHF_FinalReport.html.

Le processus de consultation et de mobilisation du public

7 Jamie Gillies (JG) : À quoi ressemblait le climat dans la province et l’attitude des Néo-Brunswickois quand on leur a proposé de participer au processus de consultation? Quelle a été la réaction du public?

8 Marc Léger (ML) : Je dirais tout d’abord que la province avait eu jusque là une façon très traditionnelle de faire des consultations sur cette politique sociale et économique très controversée. Ça ne pouvait pas être plus traditionnel. On se trouvait face à deux camps très polarisés. Chacun avait son discours à lire, tout était prévisible. C’était agis, réagis, fais des aller-retours. C’était l’exemple même du débat qui sème la discorde, quand aucun des partis n’écoute ce que disent les autres et chacun s’en tient au discours officiel. C’est dans ce contexte-là que nous avons commencé notre travail. C’est important de le savoir.

9 John McLaughlin (JM) : De mon point de vue, la province a eu une série d’entretiens ratés, de très importants échanges en plus, sur l’éducation postsecondaire et sur des enjeux plus précis liés au vieillissement, par exemple, alors nous avons commencé cet exercice en ayant derrière nous une longue histoire d’échecs en matière de mobilisation du public à l’échelle de la province.

10 Cheryl Robertson (CR) : Personnellement, avant qu’on me demande de siéger à la Commission, je me serais considérée comme une citoyenne assez bien informée qui n’avait pas d’idées toutes faites sur le sujet. Je pense qu’aucun d’entre nous aurait pu en avoir pour pouvoir examiner les cinq conditions comme nous l’avons fait. Ce que j’apportais à l’exercice, c’était ma conscience de citoyenne qu’il s’agissait d’un problème qui créait des divisions dans la province, qui suscitait beaucoup d’opinions et qui faisait s’élever des voix de chaque côté. Mais il y avait des gens comme moi qui ne semblaient pas exprimer leurs questions et leurs préoccupations, alors j’avais l’impression qu’il allait falloir adopter une nouvelle approche.

11 ML : Très tôt, il a fallu modifier la question et faire évoluer la conversation à cause de la façon dont nous étions perçus et de qui étaient ces personnes, qui avaient au départ des idées très arrêtées sur la fracturation. Dans notre premier communiqué de presse et sur notre site Web, nous avons laissé entendre que la conversation allait au-delà la question de la fracturation hydraulique. Nous allions parler de notre avenir énergétique. Nous demander ce que ça impliquerait pour les politiques liées au changement climatique et à l’énergie. Dès le départ, nous avons commencé à tester ces idées-là. Tout notre processus reposait sur notre volonté de mettre des idées à l’épreuve. Notre blogue servait à lancer des idées et à accueillir des réactions qui viendraient nourrir nos discussions. Au tout début du processus, pendant notre premier atelier avec Lisa Hrabluk de la firme Wicked Ideas, nous nous sommes penchés sur les questions clés à poser. Et c’est là, je pense, que nous avons compris qu’il allait falloir adopter une façon de penser qui tenait compte d’un contexte plus large.

12 CR : Pendant l’atelier, Lisa Hrabluk et Christine Comeau nous avaient lancé le défi d’envisager ce processus comme une expérience qui nous permettrait de poser une première question et de garder l’esprit ouvert, sachant que la question allait probablement évoluer à mesure que nous avancions dans l’exercice. Je n’avais pas tout à fait compris ce qu’elles voulaient dire sur le coup, mais maintenant, avec du recul, c’est vrai que la question a évolué. Et ça, on le voit dans le rapport.

13 JM : La Commission a failli ne pas voir le jour parce que les premiers temps avaient été marqués par des moments de tension quand le gouvernement cherchait à s’entendre sur ce que nous devions faire. Deux choses importantes ont été déterminées : d’abord, ce que l’on entendait vraiment par « engagement » des citoyens et les moyens par lesquels nous allions y arriver. Je ne pense pas qu’il y ait eu d’opposition du gouvernement pendant ces discussions, mais je ne sais pas si les représentants savaient à quel point la confiance que le public leur vouait était faible, pas seulement au Nouveau-Brunswick mais ailleurs aussi. La deuxième chose, qui a fini par être une ligne tracée dans le sable, a été d’établir qu’on ne pouvait pas aborder la question de la fracturation de façon isolée. Pour parler de fracturation, il faut regarder le contexte. Il faut essayer de mieux comprendre comment les stratégies énergétiques et environnementales de la province ont évolué et la façon dont elles convergent sans chercher à répondre à ces questions de manière isolée. Au début, les échanges avec le gouvernement à ce sujet ont été assez tendus.

14 ML : À mesure que nous montions les échelons de la bureaucratie, les gens étaient étaient assez étonnés par notre manière de penser. Ils ne s’opposaient pas à nous, mais ils exprimaient quand même des préoccupations. L’incertitude leur faisait peur et ils craignaient de perdre le contrôle.

15 CR : J’aimerais préciser qu’il n’y a pas eu d’ingérence par le gouvernement ou les fonctionnaires dans notre travail.

16 JG : Dans le rapport qui fait état de vos conclusions, vous écrivez ceci : « [b]ien que la Commission ait limité ses recherches et ses enquêtes au gaz de schiste, il est rapidement devenu évident que les causes profondes de l’impasse concernant le gaz de schiste sont directement liées au processus d’identification, d’évaluation et d’approbation de tout projet de mise en valeur des ressources. » Quand vous avez réalisé de quoi il s’agissait vraiment, avez-vous senti qu’il allait falloir modifier les questions?

17 ML : Nous avons adopté une approche très disciplinée à notre travail et nous étions déterminés à ne pas nous prononcer sur tous les thèmes. Cependant, au moment de rédiger le rapport, nous étions convaincus que les lecteurs attentifs verraient l’utilité du document au-delà de la question du gaz de schiste.

18 CR : En rédigeant, nous avions l’impression qu’il faudrait mettre des passages en gras pour souligner des passages importants et éviter que les lecteurs passent à côté de l’essentiel du message.

19 JM : Nous avons été surpris de voir combien de gens réussissaient à faire une lecture au deuxième degré.

20 JG : Les groupes qui ont participé au processus et qui vous ont fait part de leurs idées et de leurs commentaires ont-ils eu l’impression que leur contribution allait servir à quelque chose, ou bien ont-ils cru que le processus ne servait qu’à jeter de la poudre aux yeux, qu’il s’agirait d’un héritage du paternalisme du passé?

21 ML : Laissez-moi vous donner un exemple. Au début du processus, nous avons rencontré deux groupes très en vue, et quand nous avons pu leur montrer qu’il ne s’agirait pas d’une consultation traditionnelle mais plutôt d’un dialogue, quelqu’un nous a dit « Soit ils sont de très bons acteurs, soit ils nous écoutent vraiment. » Et quand la nouvelle s’est mise à circuler que nous écoutions vraiment, c’est devenu un exercice où nous voulions faire évoluer la question et la conversation que nous avions commencée. Quelques acteurs importants dans ce débat sont partis en pensant que nous les écoutions et que nous discutions avec eux. Une fois que l’échange d’idées est lancée, on peut s’éloigner des positions auxquelles on se sent lié pour entamer un vrai dialogue.

22 JM : Je pense que dès le départ, plusieurs groupes s’étaient formés. À la base, il y avait d’abord un scepticisme profond par rapport à la province qui avait inspiré son propre récit. C’est devenu un récit puissant en soi sur la méfiance, qui se greffait à une histoire déjà longue à ce sujet. L’autre chose, c’est que les intérêts particuliers ont vu une autre foule à qui il allait falloir vendre un point de vue. Ces genslà sont devenus fatigués et capricieux à force de mener ce débat depuis longtemps. Ils allaient nous tolérer, mais ils restaient méfiants. Mais ils voyaient une autre plateforme qui leur permettrait de passer leur message et d’exposer leur plan. Derrière tout ça, il y avait la tradition. C’est un des facteurs qui font que la province n’a pas grandi. Il y a tellement de signes d’une immaturité sociale au point où nous accusons du retard dans cette province. Dans les premiers jours de la Commission, le Telegraph-Journal n’appuyait ni la Commission ni son mandat et laissait entendre que nous n’avions pas besoin de procéder à d’autres études. Ils affirmaient que les questions et les réponses appropriées étaient bien comprises et ainsi de suite, et déclaraient que le moment était venu de passer à la création d’emplois. Mais une chose intéressante s’est produite : ils n’ont pas été capable de prendre la conversation en main.

23 CR : La plupart des intervenants avec qui nous avons échangé, surtout ceux qui ont demandé à nous rencontrer, les fonctionnaires et tous ceux qui avaient des intérêts particuliers à défendre, étaient assez sceptiques au début. Il fallait donc faire très attention à la façon de présenter les choses. La Commission n’avait pas de président; nous occupions cette fonction à tour de rôle. Très tôt, nous avons décidé de ne pas tenir d’assemblées publiques et de procéder plutôt en invitant des gens et en rencontrant chacun des groupes et des individus qui nous demanderaient de les rencontrer. Et avec leur permission, nous avons mis sur notre site Web tout ce qui nous était présenté pour que les histoires et les points de vue puissent être lus en ligne par tout le monde. Nous avons été aussi transparents que possible. C’était important de montrer que la Commission fonctionnait de manière autonome et indépendante, qu’elle était distincte du gouvernement, formé par un comité de citoyens et non pas d’experts, et que nous étions là pour écouter et pour formuler des constats liés aux cinq conditions fixées par le premier ministre. Tout le monde a été très courtois et respectueux, mais dans certaines réunions, il y a fallu du temps pour que ce respect s’installe, surtout dans les groupes plus nombreux. Avant la fin de ces réunions, le ton changeait, devenait plus respectueux et plus crédible. Et je pense que les gens, même s’ils ont pu être méfiants quand on leur a demandé de faire confiance à une autre commission, se sont consolés en se disant que le premier ministre avait imposé un moratoire, et de cette façon-là, tout le monde avait la possibilité de respirer un peu et d’exprimer son point de vue avec respect. Certaines personnes étaient épuisées physiquement et mentalement par les efforts qu’ils avaient déjà dépensés pour se faire entendre et respecter.

La confiance à l’égard des institutions au Nouveau-Brunswick

24 JG : Vous avez déjà évoqué ce passage de la consultation au dialogue dans l’exercice de votre mandat à la Commission et parlé du profond scepticisme que vous avez vu chez presque tous les groupes que vous avez rencontrés. J’aimerais creuser la question un peu et m’éloigner du sujet de la fracturation pour aborder des points qui sous-tendent votre rapport. Quelle est selon vous l’origine de ce scepticisme, de l’immaturité sociale et de la réticence des groupes d’intérêts à envisager une nouvelle approche à la mobilisation des citoyens?

25 CR : Une partie de ce manque de confiance a été bien méritée par toute une série de gouvernements, par l’industrie, et aussi, dans une certaine mesure, par le milieu universitaire. Nous avons vu que les gens faisaient très peu confiance de façon générale aux institutions publiques et aux entreprises privées. L’origine du problème, ce sont les promesses brisées et les mensonges qui leur ont été racontés par le gouvernement, par les représentants du gouvernement et par certaines entreprises. Si ça se produit une ou deux fois, certaines personnes deviennent sceptiques, avec raison je trouve. On ne peut pas regagner la confiance des gens du jour au lendemain. Alors un des objectifs fondamentaux de la Commission a été de jeter des bases qui nous permettraient d’entamer un travail visant à rétablir la confiance à l’endroit du gouvernement et des entreprises. Nous y avons travaillé fort dans nos rencontres avec les groupes et avons tenté de faire preuve de leadership en donnant l’exemple de comment il fallait faire pour aller de l’avant.

26 JM : Je ne veux pas oublier la courtoisie que nous avons vu. L’image de la fracturation, c’est celle des voitures incendiées près de Rexton, et ces jours-ci, avec les manifestations populistes un peu partout dans le monde, nous voyons beaucoup de choses horribles. Il y a un bassin de courtoisie dans cette province – mais agir avec courtoisie ne veut pas nécessairement dire avoir confiance. Pour une raison ou une autre, les gens ont conservé un niveau de courtoisie qui m’a beaucoup impressionné même s’ils avaient de bonnes raisons d’être en colère. Ça s’est avéré très important.

27 ML : Plusieurs groupes sont venus nous rencontrer. Ils étaient tous courtois. Pour vous donner un bon exemple à cet effet, nous avons eu une pleine journée de consultations au comté de Kent. La plupart des gens que nous avons rencontrés étaient présents quand les voitures avaient été incendiées; certains d’entre eux avaient été emprisonnés, d’autres encore présentaient des blessures subies là-bas. Ces genslà avaient été profondément affectés. Ils avaient des raisons d’être méfiants ou en colère. Nous avons aussi passé plusieurs journées dans la région de Penobsquis où nous avons rencontré des gens qui étaient satisfaits de l’industrie et d’autres qui avaient des points de vue différents. Nous sortions toujours de ces rencontres en nous disant à quel point ces personnes avaient fait preuve de respect malgré leur colère. Ces rencontres-là étaient marquées par des émotions vives qui venaient des expériences personnelles que les gens partageaient avec nous.

28 CR : À la première rencontre dans la région de Sussex l’été dernier, des gens avaient été invités par l’entreprise qui opérait là-bas. Nous y sommes retournés en décembre rencontrer des citoyens qui pouvaient avoir d’autres points de vue. Ces rencontres-là ont été plutôt impressionnantes en ce sens qu’elles nous ont permis de mieux mesurer l’ampleur de la souffrance des gens et de comprendre d’où venait leur méfiance. Il est important de souligner que nous avons travaillé de concert pour rencontrer nos peuples autochtones parce qu’ils sont des acteurs clé dans cette histoire en tant que détenteurs de droits. Nous avons fait tout notre possible pour entendre ce qu’ils avaient à nous dire.

29 JM : La question de la courtoisie est très importante. Pour ce qui est de la culture de la méfiance, il nous a fallu beaucoup de temps pour en arriver là où nous sommes, et c’est difficile de déterminer qui sont les méchants. Nous sommes en période de transition depuis vingt ans, à penser que notre récit commun ne fait plus de sens, que l’économie ne fonctionne pas, que les réalités sociales sont devenues très troublantes. Il nous a fallu longtemps pour arriver à comprendre ce que nous vivons et des frustrations incroyables se font sentir par rapport à notre volonté d’échapper à ce mode. Le fait que nous ayons perdu le sens du bien commun. D’un côté, nous agissons à Fredericton comme si nous sommes dans la poche des entreprises et nous gardons cette impression de ne pas être maîtres de notre destin. D’un autre côté, il y a ce stéréotype du Néo-Brunswickois en région rurale qui vit de l’assurance-emploi et qui ne croit pas à l’importance de créer de la richesse. Et une des raisons pour lesquelles nous en sommes arrivés là, c’est que les gens ne se parlent pas. Il n’y a pas de médias de masse dans cette province. Nous avons quelque chose qui fait semblant de l’être, mais qui ne l’est pas réellement. Alors le contexte général, c’est que depuis au moins vingt ans, nous avons arrêté de nous parler les uns avec les autres et toute une série d’institutions publiques vivent un déclin progressif et sont en perte de confiance. Ce n’est pas arrivé du jour au lendemain, mais des milliers de petites choses se sont produites au fil du temps. C’est le gouvernement, ce sont les médias, les universités. Il a fallu faire venir des experts d’ailleurs parce que la communauté de chercheurs à l’échelle locale ne relève pas le défi. Dans le milieu universitaire, le concept de citoyenneté n’est pas très développé. Ainsi, beaucoup de facteurs ont contribué à ce ralentissement du développement. Le monde évolue, mais nous sommes incapables de tenir une conversation franche.

30 ML : Si la courtoisie est un fil conducteur ici, un deuxième dénominateur commun est un très grand désir d’obtenir des renseignements sur lesquels les gens peuvent se fier. Ça se voit partout. L’industrie n’a pas toujours pu obtenir ce dont elle avait besoin auprès du gouvernement. Le public avait l’impression de ne pas pouvoir obtenir des renseignements ni auprès de l’industrie, ni auprès du gouvernement. Nous avons entendu de nombreux témoignages de gens qui nous disaient qu’ils étaient incapables d’obtenir les renseignements fiables et objectifs dont ils avaient besoin pour prendre une décision informée. Ce problème est revenu plusieurs fois pendant nos rencontres avec des groupes de citoyens. Ils veulent être informés.

31 CR : Non seulement les gens veulent des renseignements fiables, mais certains nous ont rappelé l’importance de se fier uniquement aux recherches solides et examinées par les pairs et aux renseignements du même calibre. Avant de devenir commissaire, les articles dans les médias et les nombreux commentaires que je lisais sur ceux qui exprimaient leur opposition à la fracturation hydraulique pouvaient donner l’impression que les opposants étaient ignorants, mal informés, qu’ils ne savaient pas de quoi ils parlaient. Quand on m’a nommé à la Commission et que j’ai eu à rencontrer ces citoyens, dont la plupart avaient très peu de ressources à leur disposition, l’impression qu’ils m’ont donnée était très différente de celle mise de l’avant par les médias. J’ai été très impressionnée par la quantité de temps et d’énergie que la plupart de ces gens consacraient à trouver eux-mêmes l’information dont ils avaient besoin. Que ce soit ou non dans les ouvrages examinés par les pairs ou des preuves scientifiques de haut calibre, ils avaient de l’information et semblaient pour la plupart s’être bien renseignés.

32 ML : Quand nous parlons dans ce rapport de la nécessité de mettre en place un processus de règlementation indépendant, nous évoquons le problème du manque de confiance à l’endroit du gouvernement et de ses institutions. Nous avons besoin d’un organisme indépendant qui puisse avoir un véritable dialogue avec les citoyens sur un sujet donné et fournir des renseignements objectifs auxquels on peut faire confiance.

33 JG : Permettez-moi de troubler cette notion de méfiance et cette nécessité d’obtenir des renseignements fiables auprès du gouvernement et de l’industrie. Un des récits que j’ai pu observer au cours des premiers débats, au moment où le gouvernement conservateur de David Alward mettait de l’avant l’idée de l’extraction du gaz de schiste comme option politique et plus tard quand le dossier est devenu l’enjeu le plus important de la dernière élection provinciale, c’est que les personnes en faveur de la fracturation de manière plus générale voyaient les opposants s’unir autour d’idées exposées par des documentaires polémiques comme Gasland qui ne donnent pas un aperçu complet de la situation. D’un autre côté, le site Web du gouvernement qui fournissait des renseignements sur le gaz de schiste à l’époque ne contenait que des renseignements obtenus auprès de Chesapeake Energy, une société d’énergie américaine, et ces renseignements étaient présentés comme des faits à diffuser auprès de la population. Il semble y avoir un manque de confiance même parmi l’élite politique, universitaire et gouvernementale lorsqu’il s’agit d’employer le talent de chez nous pour résoudre des problèmes ou de créer de nouvelles opportunités. Sachant qu’il y a des universitaires et des experts dans la région qui ne sont pas consultés, comment peut-on remédier à la situation? Parce qu’il y a beaucoup d’experts au Nouveau-Brunswick qui comprennent peut-être mieux les enjeux de la fracturation que les experts-conseils auxquels le gouvernement aurait pu avoir recours.

34 JM : Ne rejetez pas tout le blâme sur les experts externes. Tout ce qui s’est passé nous concerne aussi. Nous souffrons dans cette province d’un retard de développement et d’une immaturité qui ne se limite pas à la fracturation mais s’étend à d’autres dossiers politiques et qui joue sur l’avenir de la province. Il y a une méfiance lorsqu’on tente de mobiliser le public parce que chaque côté voit cette démarche comme étant inutile pour son image de marque. D’un côté, nous avons la figure menaçante, les soi-disant détenteurs du pouvoir, qui ont peur de participer à un dialogue public. Ensuite, nous avons un processus politique qui est prisonnier d’un jeu à somme nulle et d’un problème de tribalisme. Je pense que les politiciens réagissent en ce moment en pensant à une période qui est déjà révolue. Ils ne veulent pas mettre de vrais enjeux sur la table, et le phénomène est compliqué. De l’autre côté, nous avons une communauté environnementaliste qui n’a pas été entendue du tout. On les a traités avec condescendance et on ne leur a pas vraiment demandé depuis longtemps de participer à un processus de consultation. Ce que je trouve remarquable chez eux, c’est de voir des organismes pour qui des manifestations sont une forme de performance artistique à côté de groupes environnementaux grand public comme le Conseil de conservation du Nouveau-Brunswick pour qui les manifestations revêtent une toute autre signification. Ce qui m’impressionne, c’est que malgré le manque d’efficacité au niveau de la mobilisation et même s’ils sont traités avec condescendance, ces groupes continuent de participer aux échanges. Dans toute cette histoire, ils sont des héros pour moi. Je pense qu’il y a des héros du côté de l’industrie aussi. Brunswick News appartient peut-être à une autre époque, mais JD Irving, dans leurs interactions avec nous, ont fait preuve de raffinement et d’attention, et s’il est vrai qu’il a pu y avoir dans leur présentation un élément de spectacle, ils l’ont soutenue avec beaucoup d’information solide. Ils nous ont impressionnés.

35 CR : Pendant une séance avec des intervenants où se trouvaient plusieurs dirigeants d’une grande société de la province, j’ai décidé sur un coup de tête de poser cette question : « Que pensez-vous du concept de contrat social, et comment peut-on en obtenir un, à votre avis, sachant que certaines personnes ont été fâchées de voir les représentants de SWN arriver au Nouveau-Brunswick avec leurs bottes de cowboy et leurs chapeaux Stetsons en affichant ce qu’ils considéraient être un air supérieur? » Je crois bien que j’ai été étonnée et déçue d’entendre des chefs d’entreprise aussi expérimentés et respectés me répondre comme ils l’ont fait. Pour moi, leur réponse indiquait qu’ils accueilleraient une entreprise comme celle-là n’importe quand, sans poser de questions, ce qui pour moi indiquait un manque de compréhension effarant tant de l’importance du contrat social que de la façon dont on doit se prendre pour en obtenir un. Je suis repartie en me disant qu’il s’agissait là d’une autre preuve du grand gouffre qui sépare certains des résidents et des entreprises du Nouveau-Brunswick dont les valeurs et les points de vue ne sont pas les mêmes.

36 JM : Mon interprétation est différente de la sienne. Un sous-thème important traversait l’ensemble des échanges menés du côté des industries. C’est celui d’un récit très saisissant que JDI a aidé à faire ressortir, qui raconte comment, dès le début de cet exercice et même avant à l’époque du gouvernement conservateur Alward, l’industrie parlait de la fracturation comme s’il s’agissait d’une panacée qui permettrait de créer de la richesse pour notre marché d’exportation. Entretemps bien sûr l’économie du gaz naturel dans son ensemble s’effondrait, ce que les représentants de l’industrie ont fait exprès de ne pas reconnaître. Mais JDI n’était pas de cette trempe-là. Ses représentants voulaient engager une conversation à l’échelle de la province sur l’industrie lourde et l’industrie manufacturière, et la province avait commencé à s’éloigner du pétrole lourd pour passer au gaz naturel et en était devenue à dépendre beaucoup de ce secteur. Leur récit a été une partie très importante de cet échange.

37 ML : Quand nous nous sommes adressées à des personnes qui avaient une perspective unidimensionnelle sur la fracturation, nous leur disions d’accord, nous allons nous servir de ce que vous aurez à nous dire, alors parlons ensemble du message qui doit ressortir de votre témoignage. Cette approche changeait complètement la dynamique.

38 CR : C’est là où la question a commencé à changer! Les gens se sont demandés s’il fallait que nous ayons ce combustible fossile puis, au fil des échanges, ils se sont rendus compte qu’au Nouveau-Brunswick, nous en dépendions déjà. Nous avons fini par mieux comprendre cette dépendance déjà acquise, et la question était finalement de savoir comment il fallait s’y prendre pour en obtenir. Pas En avons-nous besoin?, mais plutôt Allons-nous avoir notre propre source d’approvisionnement ou la faire venir par gazoduc des États-Unis?

39 ML : Chacun d’entre nous a une partie du rapport qu’il préfère aux autres. Pour moi, c’est les pages 29 à 31 du volume II, où on examine le système de redevances. Il est écrit qu’en tenant compte des facteurs qui peuvent avoir un effet sur les redevances, on peut s’attendre à ce que les recettes issues du gaz naturel au Nouveau-Brunswick varient de plus ou moins 50 %. Certaines questions complexes peuvent être réduites à un seul problème. Mais sur la question du gaz de schiste, beaucoup de gens ont voulu limiter le débat à quelques points de discussion. Le problème de la fracturation était symptomatique de l’absence d’un débat de société sur le dossier dans toute sa complexité, ce que la section sur les redevances illustre bien.

40 CR : Sur la question des retards de développement, nous avons beaucoup d’expertise au Nouveau-Brunswick; nous y avons été beaucoup exposé, et une grande partie de l’expertise se trouve dans la fonction publique. Des professionnels spécialisés, compétents et bien formés travaillent comme fonctionnaires. J’ai eu l’impression que le gouvernement ne les utilise pas autant qu’il le pourrait, et j’oserais dire qu’il devrait le faire davantage. J’imagine que ce manque de consultation, qui peut peut- être varier selon le gouvernement au pouvoir, doit contribuer à une baisse du moral à la fonction publique. Ces spécialistes possèdent tant de connaissances et personne ne leur demande de les partager. Ils ont beaucoup de savoir-faire.

41 JG : Comment peut-on, en tant que province, se défaire de certaines de ces habitudes ou tendances dont vous avez tous parlé? Comment peut-on venir à bout du stéréotype du Nouveau-Brunswick comme « province d’entreprise », où l’on se méfie poliment de ceux qui ne connaissent pas leur place et où règne un climat de morosité? Vous avez évoqué les réunions en salle de conférence qui renforcent ce stéréotype, mais vous avez aussi parlé d’une autre façon de faire les choses. Comment peut-on en tant que province apporter les changements nécessaires?

42 JM : Une chose à faire serait de renouveler notre capital social. Nous avons construit un réseau avec des organisations et des partenariats formés dans des conseils d’entreprises, avec des organismes comme 21 Inc., avec une variété d’instituts de recherche. Une partie de ce réseau est déjà implanté, d’autres éléments n’en sont qu’à leurs débuts, et nous avons tout un groupe de jeunes personnes juste au-dessous de la surface qui ont envie de faire évoluer le discours. Le processus est lent et il faut beaucoup de temps pour le mettre en place, mais c’est bien de créer une infrastructure qui accueille un discours social et l’engagement public. Nous vivons une période de transition en ce moment au niveau de la communication et de la presse publiques. La presse écrite traditionnelle commence à disparaître. Nous n’avons pas d’outil commun à notre disposition pour les remplacer et nous fréquentons beaucoup de chambres d’écho, mais des initiatives très créatives sont en cours en ce moment pour tenter de remédier à la situation. La deuxième chose à dire, c’est que nous menons par l’exemple, et une des raisons pour lesquelles nous voulions parler de tout ceci, c’est pour célébrer les échanges que nous avons eus; c’est en ayant un peu de succès qu’on peut gagner en confiance. C’est vrai que cet exercice pourrait se solder par un échec. Reste qu’il faut avoir des exemples à notre disposition pour savoir comment s’y prendre pour développer des politiques publiques.

43 CR : Je pense que l’éducation à tous les niveaux joue un rôle extrêmement important lorsqu’il s’agit d’aider à éveiller un esprit d’engagement chez les citoyens. Je me souviens d’une époque dans les années 1990 où le Nouveau-Brunswick était considéré comme étant un leader en matière de mobilisation des citoyens. Don Lenihan et d’autres ont créé des documents et des stratégies and on se sentait bien d’être un Néo-Brunswickois dans la fonction publique et de penser que d’autres provinces nous considéraient comme un leader dans le domaine. Mais nous avons eu du mal à conserver cet élan, et je pense que le gouvernement a eu un grand rôle à jouer à cet égard. Autant il peut susciter de la méfiance, le gouvernement a un grand rôle à jouer, et c’est une question de leadership à tous les niveaux. Le gouvernement doit continuer d’essayer de nouer des contacts avec le public de façon significative. Après un certain temps, la stratégie réussira à attirer des gens qui voudront prendre place autour de la table, et un jour ou l’autre ces personnes auront l’impression d’être entendues et respectées même si le résultat ne correspond pas à ce qu’ils auraient souhaité.

44 ML : Je vais allez dans le détail en répondant à cette question et la ramener à la Commission. Nous avons fait preuve d’ouverture, nous avons publié nos procès-verbaux, publié des billets sur notre blog, reçu des commentaires. Rien de tout ça n’est révolutionnaire, et pourtant ce l’était. Les gens venaient nous voir en disant « Ce n’est pas normal. Ce n’est pas comme ça qu’une commission fonctionne. » Pour faire bouger les choses un peu, il a suffi de créer un site Web et de rendre nos procès-verbaux publics. C’était une autre façon de faire les choses.

45 CR : Nous le savons parce que des gens sont venus nous voir après les rencontres pour nous dire qu’ils se sentaient écoutés et interpellés.

46 ML : Nous disions aux gens, « peu importe ce que vous nous dites, c’est l’occasion pour vous de faire entendre votre histoire. » Alors pour ceux qui sont habitués à tenir des réunions à huis clos dans des salles de conférences et de partager des informations confidentielles, l’échange n’est plus le même quand on sait que tout sera rendu public. Je pense que la discussion s’en est mieux portée.

47 CR : Une chose qui a contribué de façon assez inattendue au manque de confiance à l’endroit du gouvernement et qui a eu des répercussions sur notre commission, c’est le congédiement de Dre Eilish Cleary. Quand l’histoire est sortie dans les médias, nous étions en pleine réunion avec des intervenants et un des représentants a dit « si cette histoire n’est pas réglée, elle ternira l’image de la Commission même si ça n’a rien à voir avec vous ». Et en effet, notre secrétariat a reçu des courriels négatifs nous accusant d’être méprisants.

48 ML : Nous avons publié un très bon billet sur notre blogue à ce sujet.

49 CR : Il aurait été préférable pour la Commission que Dre Cleary ne soit pas congédiée en plein milieu de notre projet. Le fait est qu’elle était une personne respectée et reconnue dans la province. Son renvoi a alimenté la méfiance, le scepticisme, de cynisme et le manque de confiance de certaines personnes.

50 JM : Il y a eu quelques histoires comme celle-là qui auraient pu nous décrédibiliser. Les Progressistes-Conservateurs, par exemple, n’ont pas voulu participer au début du processus, et leur stratégie initiale était de chercher à discréditer la commission. Ils ont fini par nous accepter, et nous avons eu un échange réfléchi avec eux. Mais il reste qu’il y a de vieilles stratégies que certaines personnes essaient encore d’employer. Des stratégies du genre ce n’est qu’un autre obstacle que nous pouvons contourner comme nous l’avons fait avec les autres.

51 ML : Certaines stratégies font appel à l’attaque personnelle, mais à une certaine époque, c’était moins le cas. Il y a d’autres moyens de faire passer un message.

52 JM : Mais ceux-là n’ont pas gagné la faveur du public. Nous ne réagissions tout simplement pas aux éditoriaux ou aux commentaires.

53 JG : Chaque secteur compte son lot d’intérêts particuliers, et les fonctionnaires savent qu’ils doivent travailler avec ces groupes-là et qu’ils ne peuvent pas changer le point de vue de tout le monde. Est-ce que c’est le cas au Nouveau-Brunswick?

54 JM : Il y a trois groupes au Nouveau-Brunswick. Il y a les experts techniques, les fonctionnaires de rang moyen et les spécialistes de rang moyen de la fonction public, qui sont très doués ici, et tous ces groupes nous ont donné l’aide que nous leur avons demandée. Ensuite, il y a l’écosystème qui entoure l’environnement règlementaire, et chaque secteur a peur d’être récupéré par quiconque doit être règlementé. Sur ce plan-là, nous sommes au milieu du peloton. Là où nous avons vraiment des problèmes, c’est dans notre absence de groupes d’élaboration de politiques et notre manque de capacité politique.

55 CR : S’agissant d’aller de l’avant, si c’est moi qui étais aux commandes, je travaillerais fort pour tout recommencer à zéro et j’appuierais une commission indépendante par tous les moyens possibles. Mais il faut essayer d’apprendre en même temps qu’eux.

Dialogue et mobilisation du public : une voie à suivre pour aller de l’avant

56 JG : Qu’en est-il du rôle des fonctionnaires dans la création d’une capacité d’intervention politique en relation à la mobilisation des citoyens? Comment pourrait-on changer et améliorer l’état des choses à l’avenir?

57 CR : C’est une question de leadership à tous les niveaux. Il faut non seulement saisir l’importance de mobiliser les citoyens, mais aussi mettre des mesures en place pour s’assurer que les choses se mettent en marche.

58 ML : Le gouvernement du Nouveau-Brunswick, comme ceux des autres provinces et territoires, a miné sa capacité politique avec les années. Mon expérience avec la Commission, c’est de ne pas avoir vu beaucoup d’innovation dans la capacité politique autour de ce dossier, ni autour des plus grandes questions que nous posions.

59 JM : Nous vivons une période de grands changements, et d’énormes réformes structurelles se profilent à l’horizon; nous n’avons tout simplement pas la capacité de faire face à ces défis à l’interne. Cela dit, je ne pense pas que ce soit une bonne idée de développer cette capacité à l’interne seulement. Il faut créer un réseau qui regroupe des partenaires et des points de vue différents. Développer notre capacité politique au niveau de la province en serait une composante.

60 JG : Que pensez-vous de l’importance accordée par les citoyens à la séparation entre les communautés rurales et urbaines, ou francophones et anglophones et autochtones, ou celles du Nord et celles du Sud, ou selon l’âge et le sexe? Comment ces groupes se sont-ils sentis face à ce processus? Les séparations se sont-elles matérialisées?

61 JM : La question à poser, c’est Comment des citoyens relativement intelligents arrivent-ils à résoudre des problèmes assez techniques? Nous avons été mis à l’épreuve dès le départ par ces groupes-là. Nous avons travaillé à la question en pensant à ce que nous représentions.

62 CR : J’ai l’impression qu’il existe différents points de vue selon que les perspectives sont rurales ou urbaines parce que la plupart des activités prévues ou souhaitées qui sont liées à l’exploration de gaz de schiste, aux essais séismiques et aux puits d’essai ont lieu en milieu rural. Les municipalités urbaines qui appuyaient la fracturation n’avaient pas à soutenir des activités qui se déroulaient dans leur cour. Ils n’auraient peut-être pas été en faveur si ça se produisait près de chez eux. Pendant une rencontre à Richibouctou, par exemple, une femme est venue me dire : « J’ai entendu dire que tu viens de Rothesay; comment ça se passerait là-bas à ton avis? » Poser la question, c’est un peu y répondre. Alors ces gens qui ont des propriétés et qui vivent près d’où les travaux d’extraction du gaz de schiste auraient tout probablement lieu ou avaient déjà eu lieu avaient une autre façon de voir les choses; ils étaient plus vigilants et plus craintifs.

63 ML : Je ne suis pas convaincu que les camps se divisent selon les appartenances Francophones/Anglophones et milieux urbain/rural. Je pense qu’il faut plutôt parler des risques versus les avantages. Nous avons essayé d’étudier objectivement les risques et les avantages. Les deux sont présents. Mais certaines personnes assumeront les risques de façon disproportionnée. Si quelque chose est dans l’intérêt de la province et que les risques seront ressentis à l’échelle locale, il faut prévoir un dialogue sur la façon dont les avantages pourront être partagés avec ceux qui doivent assumer les risques.

64 JM : Quand on parle du jeu à somme nulle et du tribalisme en politique au Nouveau-Brunswick, c’est toujours présent. Nous avons vu des tentatives de diviser pour régner et même entendu des promesses de l’industrie du gaz de schiste qui disait vouloir créer des emplois et une infrastructure, mais tout ça a eu peu d’impact. Ce qui était beaucoup plus important pour nous, c’étaient les bénéficiaires dans l’ensemble de la population. Je pense que ceux qui risquaient de perdre leur propriété et leur style de vie ont aidé à donner une autre raison d’être à cette Commission.

65 CR : En ce qui concerne les groupes autochtones, ceux-ci nous a parlé des effets cumulatifs de l’activité industrielle. Quand on parle d’effets cumulatifs, ces groupes ont une idée et une mémoire de ce qui peut se produire dans la longue durée. Les puits d’essai et les techniques employées pour le forage n’étaient pas le principal souci. Il s’agissait de savoir ce qui se passait ailleurs dans la région et sur les terres ancestrales. Les groupes autochtones examinaient le grand contexte parce que dans la vie de tous les jours, ils dépendent de l’utilisation des terres.

66 JM : En Pennsylvanie, la distinction est claire parce que les propriétaires privés détiennent la totalité des droits liés à leur terrain. Nous avons posé des questions sur l’infrastructure et l’héritage que ces compagnies énergétiques laisseraient à ces communautés, et on nous a dit que le patrimoine collectif, il n’y en aura pas. Alors la géographie économique et provinciale de notre province n’était pas tout à fait la même que celles d’ailleurs.

67 JG : Nous avons besoin de mobiliser le public sur des questions liées au vieillissement, aux ressources naturelles, à l’avenir des soins de santé livrés dans la province et à toute une série d’autres enjeux. Comment la province doit-elle se prendre pour mener des consultations publiques à l’avenir? La Commission pourrait-elle servir de modèle ou de plan? Les Néo-Brunswickois sont-ils prêts à s’engager, et le gouvernement est-il prêt à lancer un processus de mobilisation chaque fois qu’il faut trancher sur un dossier compliqué ou controversé?

68 JM : Je pense que c’était un premier pas vers la création d’un bon modèle de mobilisation. Nous ne sommes pas encore prêts à avoir les grandes discussions dont nous avons besoin, mais avec un peu de chance, nous le serons bientôt. Mais écoutez, il faut vraiment améliorer la situation. Peu importe l’enjeu, tout est lié. Il y a longtemps que nous avons besoin de tenir un grand débat public sur l’avenir de la province et les nouvelles priorités à adopter. Est-ce que nous sommes prêts à le faire aujourd’hui? Non. Pourrions-nous l’être dans les prochaines années? Oui, je pense. La Commission nous a-t-elle, de façon modeste, aidé à trouver un moyen de le faire? Je l’espère.

69 CR : Je pense que les consultations publiques en 2012 avec Louis Lapierre et le Groupe de travail sur le gaz naturel n’ont pas été aussi fructueuses que nous l’aurions souhaité. Nous avons entendu tellement de commentaires négatifs à ce sujet, autant des fonctionnaires concernés que des divers groupes qui y ont participé. Ces consultations publiques n’ont pas été productives. Des fois, il est plus facile de se prononcer sur ce qui ne marche pas. J’ai très hâte de lire les conclusions des expériences menées par la professeure Kelly Bronson de l’Université St. Thomas sur la mobilisation des citoyens et le gaz de schiste, ainsi que les résultats des expériences et de la recherche menée par le professeur Tom Beckley de l’Université du Nouveau-Brunswick. Ce sont des travaux très intéressants. Parmi nos recommandations plus subtiles, nous avançons indirectement dans notre rapport que ce genre de participation est nécessaire et nous laissons entendre qu’il faudrait aménager un espace à cette fin. Ensuite, – et ceci est très important –, il faudrait éviter d’encourager un côté plutôt qu’un autre mais plutôt laisser les gens se présenter à la table pour participer à l’apprentissage et au débat.

70 JG : Sur la base des conversations et des échanges que vous avez eus, que veulent les citoyens du Nouveau-Brunswick en ce qui concerne l’appel à la participation? Et comment peut-on faire en sorte qu’un gouvernement provincial en arrive à vouloir ce type de mobilisation? Je ne parle pas ici d’une mobilisation pour la forme. Comment peut-on convaincre un gouvernement qui met sur pied une commission sur l’engagement citoyen d’accepter les conclusions de cette commission et s’attendre d’entrée de jeu que les choses se dérouleront comme il se doit.

71 JM : Nous accusons un peu de retard, mais je pense que nous sommes en train de passer d’une manière de fonctionner où le seul objectif du gouvernement est de consulter le public sur une base pro forma à quelque chose de plus légitime, où aucun des partis n’impose son programme. Le gouvernement dispose de plateformes uniques que l’on peut apprivoiser pour ce type de conversations, mais le message qui sortira de tout ceci sera façonné par l’ensemble des participants. C’est la société civile qui ouvrira la voie aux grand changements. Dans une petite mesure, nous en sommes un exemple. Ce n’est peut-être pas ce que le gouvernement aurait voulu ou prévu. La conversation a évolué.

72 CR : Beaucoup de Néo-Brunswickois avaient l’impression et l’ont toujours qu’on nous avait donné pour mandat de formuler des recommandations. Ce n’est pas le cas, mais la perception était là et l’est toujours. Je ne sais même pas s’il était question de mobiliser les citoyens au moment de former la commission (notre mandat ne faisait qu’une page). C’est la Commission qui a décidé de demander des renseignements au public qui nous permettraient de trouver des réponses ou de l’information relativement aux cinq conditions qui composaient notre mandat. Personne ne nous a dit comment nous y prendre.

73 ML : Le communiqué de presse annonçant la formation de la Commission précisait que nous allions devoir mener des consultations, mais personne ne nous a dit comment le faire.

74 JM : Quand nous disons que le gouvernement a besoin de changer, c’est la communauté qui va devoir amener les changements véritables. Nous vivons une période absurde en ce moment où les gouvernements parlent de la nécessité de créer des emplois, mènent toute une charade autour de promesses électorales de créer des emplois, ne tiennent pas à leurs engagements et après nous nous fâchons contre eux. Ce n’est pas le gouvernement qui rompra ce cycle vicieux; il est plus probable qu’un électorat plus exigeant y arrivera. Le changement viendra en partie d’une preuve qu’il est possible de faire évoluer les choses. À mon avis, il faudra que la communauté pousse la porte au lieu de laisser le gouvernement la tirer.

75 ML : Je ne dis pas que les consultations publiques n’ont pas leur rôle à jouer. Nous avons eu la bonne approche aux questions que nous devions étudier. Pour les questions profondes d’ordre social, nous avons peut-être un modèle utile. Mais des assemblées publiques ont lieu en ce moment, et il s’agit peut-être de la bonne tribune pour examiner certaines questions. Je pense que le piège qui nous est tendu, c’est que le gouvernement et les fonctionnaires nous recommandent toujours d’adopter l’approche traditionnelle, qui conviendrait à tous les besoins. Pensons par exemple aux consultations prébudgétaires. La même formule sert depuis toujours : un ministre assiste à des assemblées publiques un peu partout dans la province. Les mêmes groupes se déplacent, et quand tout est fini ils se félicitent entre eux. Pour obtenir la participation des gens, à mon avis, il faut adapter la stratégie à l’enjeu; quand il s’agit d’obtenir l’avis du public, il y a différents moyens, comme nous l’avons montré, de faire un meilleur travail.

76 CR : Un peu de succès et de renforcement positif nous aident à garder le moral.

77 ML : Quand notre rapport est sorti, l’industrie et ceux qui s’opposaient à l’exploitation du gaz de schiste y ont vu chacun de leur côté des éléments qui appuyaient leur cause. Pour donner l’impression aux gens qu’ils ont été entendus, il ne s’agit pas toujours d’un jeu à somme nulle, pas plus qu’il faut nommer un gagnant et un perdant, s’ils peuvent voir certains de leurs objectifs figurer dans le résultat.

78 CR : Nous avons travaillé fort en écrivant ce rapport pour nous assurer que les gens s’y reconnaissent et qu’ils aient l’impression d’avoir été véritablement entendus.

79 ML : Un exemple de ces efforts a été la section sur les expériences des collectivités. Ce volet était important parce qu’elles n’avaient jamais été racontées, et elles s’inscrivaient dans le tissu narratif plus vaste de la fracturation hydraulique.

80 JG : Je veux changer un peu de sujet et vous demander ce que vous avez appris sur ce que les Néo-Brunswickois pensent de leur province. Est-ce qu’ils ont dit que nous sommes une province paternaliste, surtout en ce qui a trait aux grandes questions de politique publique? Si c’est le cas, comme le laisseraient entendre certains de vos commentaires, comment peut-on contrebalancer ce paternalisme et en venir à créer un bon équilibre?

81 CR : Il nous faut davantage de maternalisme.

82 JM : Le paternalisme est présent partout, mais c’est vrai que le Nouveau-Brunswick se démarque à cet égard, alors c’est un plus grand défi ici. C’est un vrai problème qui est complexe, mais la situation évolue tranquillement. Des forces économiques et sociales sont en jeux et elles nous amènent ailleurs. La ruralité du Nouveau-Brunswick nous a empêché de construire une culture urbaine ici. Notre communauté est la moins urbaine au Canada, pas seulement parce qu’il n’y a pas de « Ville » chez nous, mais aussi parce que même dans nos collectivités urbaines, la densité sociale est très faible, ce qui devient un énorme problème à mesure que nous nous éloignons d’une économie traditionnelle axée sur les ressources naturelles. Régler ce problème naturellement avec le temps, c’est un grand défi. Quand on y ajoute les changements démographiques et l’évolution des valeurs associée au vieillissement, on voit que les défis sont énormes. Le leadership à ce sujet ne viendra peut-être pas de l’intérieur du gouvernement. Si nous voulons accélérer les choses, il faudra avoir recours à un leadership partagé. Mais même en ce qui concerne l’exercice de la Commission, il y a de ces institutions traditionnelles, comme Brunswick News, qui viennent appuyer l’ancienne culture – et celles-là n’arrivent plus depuis un certain temps à rejoindre le public. Le niveau de paternalisme ici est élevé, même par rapport à nos normes au Canada atlantique. Mais il est à la baisse, et certaines forces sont en jeu qui font en sorte que l’économie traditionnelle fondée sur les matières premières touche à sa fin. Il y a des forces sociales qui font en sorte que la modernité a tout simplement gagné. Pouvons-nous concentrer ces forces, les appuyer, les diriger? Oui, mais… L’exemple de St. Stephen nous montre un groupe de citoyens qui cherche à revitaliser leur collectivité sans compter sur le leadership du gouvernement. Ce sont de nouvelles coalitions, c’est l’idée de partir sur la lancée d’une vague démographique. Beaucoup de choses peuvent être faite. Un autre facteur est l’évolution rapide de plusieurs aspects de la géographie économique et sociale de la province. Si nous réussissons à canaliser ces phénomènes, nous pourrons nous attaquer au paternalisme et à d’autres facteurs qui appartiennent à notre passé récent.

83 CR : Ce qui me vient à l’esprit, c’est le dernier accord conclu par le gouvernement conservateur Alward sur l’industrie forestière. Même si des gens avaient formulé des objections à l’étape de la collecte de données, même si des spécialistes de la foresterie et de la conservation en milieu universitaire avaient dénoncé l’accord, même si des politiciens avaient exprimé leur désaccord, on n’a pas su respecter le seuil établi en matière d’inclusion. Si jamais un gouvernement devait réussir à donner l’impression qu’une décision contenait des mesures pour tout le monde, nous aurions des années-lumière d’avance pour ce qui est de la confiance et perdrions ce sentiment paternaliste que Big Brother nous surveille dans une ville d’entreprise et dans une province d’entreprise.

84 JM : Le dernier accord sur l’industrie forestière nous donne un excellent repère parce qu’une situation comme celle-là ne se reproduira plus jamais. Le rôle joué par la presse écrite traditionnelle dans cet exercice a engendré beaucoup de scepticisme. L’histoire a marqué la fin d’une époque.

85 JG : Cette commission a peut-être trouvé un bon modèle à suivre à l’avenir pour mener des consultations publiques dans la province sur des questions de politique publique. Y a-t-il des endroits à l’extérieur du Nouveau-Brunswick où l’on fait bien les choses? Sans vouloir laisser entendre que les conditions sont identiques dans tous les contextes, avez-vous remarqué pendant que vous meniez vos consultations s’il y a d’autres endroits qui font le même type d’exercice, et auriez-vous des recommandations à ce sujet?

86 ML : La Commission n’a pas abordé la question, alors nous ne le savons pas.

87 CR : Quand la Nouvelle-Écosse a présenté son rapport sur le même sujet en 2014, le groupe de spécialistes disait qu’ils avaient bon espoir que le gouvernement et les citoyens engageraient une conversation sur l’avenir de cette région. Le gouvernement a plutôt imposé un moratoire. Nous suivons leur exemple parce qu’il est temps que les gens viennent à la table et qu’ils aient une conversation sur les enjeux. Ce n’est pas grave si nous ne sommes pas d’accord, mais il faut nous rencontrer et trouver des solutions raisonnables pour les directives et la surveillance.

88 JM : Nous avons tiré beaucoup de leçons de Terre-Neuve en termes d’expertise technique, et la province de Terre-Neuve a changé d’orientation après avoir vu le modèle que nous avons adopté pour mobiliser le public. Nous avons appris les uns des autres. Si vous lisez leur rapport final, vous verrez qu’ils remercient la province du Nouveau-Brunswick. Nous sommes tous allés en Pennsylvanie, et nous n’avons pas trouvé beaucoup d’exemples crédibles de mobilisation du public là-bas. Il a fallu inventer les règles en cours de route, et certaines personnes ont commencé à se tourner vers nous.

89 ML : Ce qui est intéressant à mon avis, c’est de penser à ce qui pourrait découler de notre rapport. Des gens qui ne se parlaient pas avant concentrent leurs efforts sur un sujet très compliqué et disent qu’il y a quelque chose là-dedans qui pourra les aider. On peut maintenant poursuivre un échange avec des joueurs qui, avant notre intervention, ne pensaient pas avoir de choses en commun et qui se voyaient comme des adversaires. Alors à cause des marchés et de l’offre et la demande du gaz naturel en général, le moratoire a été prolongé. Mais je pense qu’en faisant évoluer la conversation et en réunissant des gens autour de la table, nous avons présenté une occasion de poursuivre cet échange important.

90 CR : Six mois se sont écoulés depuis que nous avons présenté notre rapport, ce qui n’est pas très long sauf dans le contexte d’un mandat de quatre ans d’un gouvernement. Je ne suis pas au courant d’initiatives en cours actuellement pour régler les problèmes que nous avons souligné à part prolonger le moratoire de façon indéfinie. À ma connaissance, le ministre Donald Arsenault et le premier ministre Gallant n’ont pas parlé publiquement d’un suivi. Un groupe qui a accompli de bonnes choses, c’est le juge en chef Murray Sinclair et la Commission de vérité et de réconciliation [relative aux pensionnats indiens]. Un suivi a été fait pour ce travail important.

91 JM : Nous avons produit du capital social. Nous avons réussi à faire progresser la conversation, mais jusqu’ici, personne n’a saisi la balle au bond.

92 ML : Mais un exemple de la façon de procéder est sur la table.

93 CR : Une autre chose qu’on nous a dit pendant les rencontres avec divers intervenants, surtout au comté de Kent, dans le comté de Westmorland et dans certaines régions du comté d’Albert, c’est que les Anglophones, les Francophones et les Autochtones s’étaient unis et avaient très bien travaillé ensemble. C’est quelque chose qui ne s’en ira pas, surtout dans le contexte du développement des ressources. Ils se regrouperont de nouveau, pour le meilleur ou pour le pire.

94 ML : Ce sera la même tendance que d’habitude; les gens qui devraient être présents autour de la table adopteront la même position au lieu de lancer un dialogue plus vaste. Les mêmes groupes pourraient s’aligner dans les mêmes camps et le résultat serait le même.

95 CR : Mais s’il y avait des espaces qui permettraient aux gens d’échanger sur leurs points de vue, cette démarche-là contribuerait à améliorer le dialogue.

96 JM : Comme nous l’a dit un fermier au comté de Kent, le modèle traditionnel de mobilisation du public n’a pas de sens. Les idées de ce fermier-là, ce dialogue que nous avons entamé, feronpartie de la solution.

97 JG : Du fait qu’il s’agit ici d’un entretien de fin de mission centré sur l’engagement du public, y a-t-il quelque chose que nous n’avons pas abordé dont vous aimeriez parler?

98 ML : Une des raisons pour lesquelles nous avons réussi à relever notre mandat, c’est que nous avons travaillé de façon indépendant et affirmé que la conversation allait au-delà de la question de fracturation. Peu importe ce que les spécialistes de l’image du gouvernement auraient pu vouloir, nous avons fait les choses à notre manière. C’est naturel que l’administration centrale ait voulu fonctionner de cette comme ça; ils aiment avoir le contrôle des choses. Mais ils nous ont permis de prendre des risques. J’ai eu l’occasion de faire un compte rendu avec des gens du bureau du Premier Ministre, et un des messages que je leur ai transmis, c’est que si jamais ils décidaient de répéter l’expérience, il faudrait qu’ils choisissent les membres de l’équipe et qu’ils leur fassent confiance, qu’ils les laisse agir comme ils l’entendent. Quand nous avons commencé à travailler ensemble, nous ne nous connaissions pas bien. Nous nous connaissions de réputation. Et au début, nous ne savions pas comment procéder. Nous avons décidé qu’il fallait faire preuve d’ouverture et de transparence. En allant au comté de Kent, nous prenions un risque. Ils ont invité les médias, c’est devenu un spectacle, c’était très tendu, et la rencontre aurait pu basculer. Mais notre présence prouvait que nous étions prêts à prendre un risque. L’expérience que nous avons vécue montre que quand le gouvernement décide de participer à des exercices comme celui-ci, il faut permettre aux commissaires d’agir comme ils l’entendent.

99 CR : Après les discussions de groupe au comté de Kent, nous avons passé du temps avec la commission de services régionaux et je leur ai demandé s’ils avaient parlé à des gens de Penobsquis au sujet de la fracturation. Ils m’ont répondu non, alors à la dernière rencontre avec les gens de Penobsquis, je leur ai demandé s’ils avaient entamé un dialogue avec les gens du comté de Kent. Une des personnes m’a dit qu’ils avaient été en contact avec eux mais que les gens du comté de Kent n’avaient pas vécu la même expérience qu’eux. Il y a eu des essais séismiques chez eux, mais pas de fracturation comme telle. J’aurais peut-être dû poser ma question autrement : Dans une si petite province, comment se fait-il que nous ne nous parlons pas de nos expériences au lieu de chercher à tout régler nous-mêmes? Nous n’allons pas toujours vers les autres et n’apprenons pas toujours les uns des autres.

100 ML : Ces grandes questions exigent que nous allions vers les autres.

101 CR : Finalement, j’ai vécu une expérience très enrichissante en faisant partie de ce panel de citoyens, et j’ai appris plein de choses au sujet de ma province et des gens qui l’habitent. J’ai l’impression de mieux comprendre le dossier maintenant, surtout en ce qui concerne les préoccupations des Autochtones. Il faut souligner à quel point les gens ont fait preuve de respect et de courtoisie tout en exprimant leur point de vue avec ardeur. J’ai été impressionnée par les efforts de ceux qui ont voulu trouver des renseignements pertinents avec le peu de moyens qu’ils avaient et partager ensuite cette information. J’ai espoir que nous pourrons tirer des leçons de toutes ces expériences que nous avons vécues. Quand nous parlerons des moyens à emprunter pour aller de l’avant dans ces échanges, il faudra permettre aux gens de sentir qu’ils ont leur mot à dire même si le résultat ne correspond pas à ce qu’ils auraient souhaité.

102 JM : Au début, je n’ai pas voulu siéger à cette commission. Quand on m’a appelé pour me demander de le faire, j’ai refusé à quelques reprises. Maintenant, je suis vraiment heureux que j’ai accepté de le faire.

103 CR : Je suis très fière de ce rapport.

104 JG : Merci à vous tous d’avoir partagé vos réflexions avec nous.

Jamie Gillies est professeur adjoint au programme de communications et de politique publique de l’Université St. Thomas.