Une crise en puissance guette le Nouveau-Brunswick. Bien qu’elle soit de nature économique, elle pourrait rendre le Nouveau-Brunswick de plus en plus difficile à gouverner, à moins qu’on ne s’y attaque avec un sentiment d’urgence. Le Nouveau-Brunswick doit relever toute une série de défis économiques : un déficit structurel, une population vieillissante, l’incertitude entourant les transferts fédéraux, une croissance anémique de l’économie, une économie mondiale extrêmement concurrentielle et une incapacité à attirer de nouveaux Canadiens. Cet article soutient que le Nouveau-Brunswick ne doit pas rater l’occasion qu’offre cette crise et qu’il doit envisager de faire des choses « qu’il ne pensait pas pouvoir faire auparavant ». Cet article affirme que la communauté universitaire de la province doit exercer un certain leadership afin de s’assurer que cette crise serve à quelque chose.
1 De nos jours, les étudiants en politiques publiques du Nouveau-Brunswick ont beaucoup de mal à voir l’avenir de la province avec optimisme. Le mieux que l’on puisse dire, c’est qu’on doit chercher à tirer profit d’une situation de crise au lieu d’essayer de l’éviter. Les situations de crise offrent la possibilité d’élaborer de nouveaux programmes d’action, de restructurer des politiques et des programmes de longue date et d’inciter les citoyens à s’intéresser davantage à l’avenir de leurs communautés.
2 Compte tenu de la situation actuelle des finances publiques de la province, le Nouveau-Brunswick offre aux décideurs et aux citoyens l’occasion de tirer profit d’une crise, et nous devrions saisir cette occasion. En effet, il n’est pas exagéré d’affirmer que le Nouveau-Brunswick ne peut maintenir le financement de son secteur public à ses niveaux actuels et que, si l’on s’accroche au statu quo, cette situation difficile ne peut que dégénérer en une véritable crise financière. Bref, le statu quo comporte des dangers à la fois sur le plan politique et économique.
3 Le présent article vise à prendre le pouls de l’économie politique du Nouveau-Brunswick. J’examine l’histoire de la province et les événements qui y sont survenus récemment afin de démontrer que le Nouveau-Brunswick doit donner un solide coup de barre s’il veut changer de cap. Les circonstances actuelles exigent que nous prenions une nouvelle direction afin d’éviter la stagnation économique, des tensions sérieuses entre nos communautés et la perte de certains de nos pouvoirs économiques et politiques au profit de forces extérieures.
4 Stephen Harper s’est attiré bien des foudres dans notre région lorsqu’il a affirmé que le Canada atlantique devait surmonter sa « culture de défaitisme ». Ce que de nombreux résidents des provinces Maritimes n’ont pas compris, c’est que M. Harper n’attribuait pas la cause fondamentale du problème aux habitants eux-mêmes, mais plutôt au fonctionnement des institutions politiques nationales canadiennes. M. Harper relevait un bon point.
5 L’histoire est certes un facteur déterminant. Les institutions politiques nationales canadiennes n’ont pas bien servi les provinces Maritimes. Les résidents de l’Ontario et du Québec n’aiment pas entendre ce message : ils préfèrent penser que le succès économique relatif qu’ils ont obtenu par le passé était attribuable à leur esprit d’entreprise plus poussé, du moins comparativement à notre région. Si j’affirme cela, ce n’est pas pour dépeindre notre région comme l’enfant pleurnicheur de la Confédération canadienne, mais plutôt pour faire valoir que les institutions politiques canadiennes expliquent, en partie, le sous-développement relatif de notre région. À cet égard, il me suffit de citer Margaret Conrad, qui écrit : « À l’exception des années 1930, la région a connu une migration de sortie endémique depuis la Confédération. Si une pareille situation s’était produite n’importe où ailleurs au Canada, on aurait adopté des mesures d’urgence pour endiguer l’exode du capital humain. S’il y a quelque chose qui me met en colère, c’est le point de vue implicite dans bon nombre de politiques et débats nationaux selon lequel il est moins important d’encourager la santé et le dynamisme des collectivités du Canada atlantique que celles du Québec, de l’Ontario ou de l’Alberta 1 » (traduction de l’auteur). Elle ajoute que Joseph Howe, le plus ardent porte-parole du mouvement anti-Confédération en Nouvelle-Écosse, pourrait aujourd’hui déclarer : « Je vous l’avais bien dit 2 » (traduction de l’auteur). Howe avait compris que la région compterait un nombre insuffisant de députés à la Chambre des communes pour veiller à ses intérêts dans l’élaboration des politiques, contrairement au Québec et à l’Ontario.
6 La « politique nationale » est devenue et demeure le nom de code par lequel on désigne la promotion des intérêts économiques de l’Ontario et du Québec. Parmi de nombreuses autres initiatives, les investissements publics majeurs dans les canaux de l’Ontario et du Québec au début de la Confédération sont un témoignage éloquent de cette réalité. Pourtant, le canal de Chignectou n’a jamais été construit malgré les promesses en ce sens faites en 1867 par les principaux tenants de la Confédération pour gagner l’appui du Nouveau-Brunswick envers la Confédération. Pensons également à l’autoroute transcanadienne, à la Voie maritime du Saint-Laurent et au Pacte de l’automobile canado-américain. Que dire aussi de la décision d’Ottawa voulant que toutes – oui, toutes – les sociétés d’État destinées à soutenir l’effort de guerre national seraient situées en Ontario et au Québec 3? À elle seule, cette décision a pavé la voie à une prospérité économique impressionnante dans la région du Golden Horseshoe et au développement du secteur manufacturier au Canada central. Pensons aussi aux « efforts nationaux » continus visant à stimuler les échanges est-ouest. Pensons aux investissements publics massifs dans le secteur de l’aérospatial à Montréal et au secours qu’Ottawa s’est empressé d’offrir à pleines mains pour sauver l’industrie automobile de l’Ontario en 2009. Pensons à la volonté persistante d’Ottawa de concentrer toujours plus de fonctionnaires fédéraux dans la région de la capitale nationale. Il y a également l’incapacité d’Ottawa d’élaborer des politiques et des initiatives économiques qui tiennent compte des réalités économiques régionales. L’ancien premier ministre Paul Martin a très bien résumé la situation en déclarant que, « lorsqu’une question régionale surgit au Canada central, elle devient rapidement un enjeu national » (traduction de l’auteur), mais ce n’est pas le cas dans les autres régions 4. Le fait qu’un premier ministre canadien a avoué ce que les gens des Maritimes savent depuis longtemps est une mince consolation : c’est une chose d’admettre qu’il y a un problème, mais c’en est une autre d’y trouver une solution.
7 Les institutions politiques nationales ont permis – non, elles ont encouragé – les initiatives susmentionnées. Le Sénat, par exemple, n’a jamais réussi à fournir un contrepoids régional au système de représentation selon la population à la Chambre des communes. D’autres fédérations, notamment les États-Unis, l’Allemagne et l’Australie (également inspirées du système parlementaire de Westminster) ont une chambre haute conçue pour défendre les intérêts des provinces et États les plus petits. Certains lecteurs seront peut-être surpris d’apprendre que les pères de la Confédération avaient sérieusement songé à inscrire dans la Constitution le principe que les provinces Maritimes auraient un tiers des sièges au Cabinet 5. On imagine aisément que le Canada et les provinces Maritimes seraient fort différents aujourd’hui si cette proposition avait été acceptée.
8 Je suis toujours étonné de la rapidité avec laquelle le premier ministre de l’Ontario et les chroniqueurs « nationaux » d’Ottawa réagissent négativement à toute proposition de réformer le Sénat 6. Par exemple, le premier ministre McGuinty a réagi aux dernières tentatives de réforme du Sénat en soulignant que « la meilleure réforme du Sénat serait son abolition », ce qui revient essentiellement à dire aux petites provinces qu’elles doivent se contenter des conditions actuelles de l’union canadienne et se plier au bon vouloir des provinces les plus peuplées 7. On se souviendra, cependant, que McGuinty avait mené une campagne en faveur d’une « représentation équitable » afin que l’Ontario voie son nombre de sièges augmenter aux Communes en 2007, de façon à garder le pas sur l’attribution de nouveaux sièges à l’Alberta et à la Colombie-Britannique 8. On se rappellera également que le premier ministre Harper, réagissant aux pressions politiques de l’Ontario, a accepté d’accorder à cette province « 21 sièges de plus à la Chambre des communes » le 17 décembre 2008 9. Il suffit d’un moment de réflexion pour comprendre les répercussions à long terme de cette décision sur les trois provinces Maritimes. Cela dénote aussi que, de l’avis du premier ministre de l’Ontario, seul le principe de la représentation selon la population devrait exister dans le fédéralisme canadien et que, d’une certaine manière, les autres fédérations sont dans l’erreur en ayant une chambre haute qui peut parler en toute connaissance de cause des intérêts des régions et des petites provinces. Ce principe fait bien l’affaire de l’Ontario et de ses premiers ministres!
9 Mais ce n’est pas tout. Les premiers ministres de l’Ontario, depuis Bob Rae jusqu’à ce jour, se sont appliqués à promouvoir un fédéralisme « à partage équitable » au profit de l’Ontario. Une fois de plus, leurs efforts ont remporté un succès considérable, ce qui n’est guère surprenant étant donné que le poids politique de cette province est fondamental pour déterminer qui détient le pouvoir politique à Ottawa. McGuinty a soutenu pour sa part qu’Ottawa flouait « les Ontariens d’un montant d’environ 1,1 milliard de dollars par année en financement des soins de santé et de l’éducation postsecondaire 10 » (traduction de l’auteur). Ce n’est pas d’hier que l’Ontario insiste pour qu’Ottawa modifie les paiements de transfert en matière de santé, de services sociaux et d’éducation postsecondaire afin de les établir en fonction du nombre d’habitants, ce qui avantagerait une fois de plus les provinces les plus peuplées au détriment des provinces les plus petites et les moins nanties.
10 Dans le budget fédéral de 2007, le ministre des Finances Jim Flaherty a finalement consenti à ce virage. Il a déclaré : « À compter de 2007-2008, nous allons établir les paiements du Transfert canadien en matière de programmes sociaux selon un montant en espèces égal par habitant, pour appuyer l’enseignement postsecondaire, l’aide sociale et les services dans toutes les provinces. » Il a ajouté : « Nous nous engageons aussi à replacer le Transfert canadien en matière de santé selon un montant égal par habitant, lorsque les ententes actuelles se termineront en 2014 11. » Avant le budget de 2007, le Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux (TCSPS) était fondé sur trois facteurs, dont l’estimation de la valeur de l’espace fiscal libéré par Ottawa en faveur des provinces en 1977 (soit 14,9 % de l’impôt fédéral de base et 1 % du revenu imposable des sociétés) 12. La décision de 1977 reflétait la réalité économique selon laquelle la valeur de l’espace fiscal était supérieure dans le cas des provinces les plus riches et que l’on devait apporter certains ajustements pour que le niveau de services et le degré d’équité fiscale soient comparables partout au Canada.
11 Une fois de plus, le virage vers un montant égal par habitant pour calculer les paiements de transfert a nettement favorisé l’Ontario et les autres provinces les plus peuplées. Bien sûr, ce sont les plus gros chiens qui mangent les premiers. Mais, ce faisant, les premiers ministres de l’Ontario sont devenus, depuis le début des années 1990, les nouveaux pleurnicheurs de la fédération canadienne. Les premiers ministres Rae, Harris, Eves et McGuinty ont répété la même rengaine : la province de l’Ontario est traitée injustement par Ottawa. Bienvenue au club! Toutefois, vos arguments sont loin de nous convaincre, notamment parce qu’ils font fi de l’histoire et ne tiennent pas compte du parti pris inhérent des institutions politiques et administratives nationales envers l’Ontario et le Québec.
12 Les premiers ministres de l’Ontario ne sont pas les seuls à s’en prendre à Ottawa pour expliquer les difficultés économiques et fiscales de leur province. Les économistes ontariens Warren Lovely et Tom Courchene ont appuyé la thèse des politiciens ontariens et ont expliqué comment le gouvernement fédéral privait l’Ontario de fonds auxquels il avait droit 13. Dans son article « Killing the Golden Goose », Lovely a soutenu qu’Ottawa avait dégagé de l’Ontario un excédent de 23 milliards de dollars dans son budget de fonctionnement en 2004 14. Or, cette affirmation passe sous silence certaines questions très importantes. D’abord, les systèmes d’impôt progressif ont tendance à générer davantage de recettes auprès des salariés et des régions à revenu élevé. Cela ne devrait surprendre personne : c’est la raison d’être des systèmes d’impôt progressif. De plus, il est simpliste à outrance, voire carrément trompeur, d’inscrire les dépenses dans la colonne de gauche et les recettes dans la colonne de droite et, ensuite, de déclarer qu’Ottawa dégage un excédent de l’Ontario. Cela signifierait qu’un dollar investi en recherche et développement dans le Sud ontarien équivaut à un dollar en assurance-emploi versé à un chômeur du Cap-Breton, qu’un dollar consacré à la rémunération des hauts fonctionnaires fédéraux – dont la concentration est si forte à Ottawa – équivaut à un dollar investi dans la création artificielle d’emploi à Bouctouche, qu’un dollar investi dans le fonctionnement des sociétés d’État, dont la majorité est située en Ontario et au Québec, équivaut à un dollar investi dans les paiements de transfert à l’Île-du-Prince-Édouard, et ainsi de suite. Les économistes ont réellement tendance à écrire au sujet de l’économie comme si l’histoire n’y était pour rien… Ah! si seulement les choses étaient si simples!
13 Les paiements de transfert aux provinces Maritimes ont été conçus pour dédommager la région par suite de la création de courants artificiels d’échanges commerciaux entre l’est et l’ouest qui, invariablement, favorisaient le Canada central et le fonctionnement des institutions politiques et administratives nationales créées pour résoudre des problèmes politiques entre le Haut et le Bas-Canada. Les généreux paiements de transfert versés à notre région sont devenus, en quelque sorte, un moyen par lequel Ottawa soulageait sa conscience de légitimer des politiques nationales qui servaient si bien l’Ontario et le Québec, mais qui ne répondaient jamais aux besoins économiques des trois provinces Maritimes. Maintenant, l’Ontario bénéficie aussi de l’argent que verse Ottawa pour se donner bonne conscience puisque la province est admissible à des paiements de transfert.
14 Il y a quelque chose d’étrange en ce qui concerne cet argent de la bonne conscience. Au début des années 1980, plusieurs économistes ontariens ont commencé à faire valoir que les transferts du fédéral et certains éléments des politiques d’Ottawa en matière de développement économique régional étaient néfastes pour le Canada atlantique parce qu’ils créaient une dépendance économique 15. J’ai soutenu cette même thèse dans mes propres recherches 16. Maintenant que l’Ontario est admissible à l’argent de la bonne conscience du fédéral, ces mêmes économistes ne trouvent rien à redire sur les dangers d’une dépendance envers les paiements de transfert. Le vieil adage souvent entendu à Ottawa, selon lequel « en matière de politiques publiques le point de vue dépend d’où l’on se place », semble aussi s’appliquer aux économistes de l’Ontario.
15 On a l’impression que les premiers ministres des Maritimes ont été laissés de côté à se creuser les méninges pour essayer de comprendre ce qui s’est passé. Pendant que les premiers ministres de l’Ontario leur ont succédé dans le rôle de pleurnicheurs de la fédération canadienne, les premiers ministres des Maritimes sont, étrangement, restés muets comme des carpes. Peut-être se sont-ils ralliés à l’argument de la poule aux œufs d’or et hésitent-ils à se faire entendre sur la question? Mais ce qui est tout aussi étonnant est le silence de plomb des professeurs dans les départements d’économie des universités du Canada atlantique. Mis à part quelques exceptions notables, nos départements d’économie se sont très peu exprimés au sujet des répercussions des nouveaux arrangements fiscaux sur notre région 17.
16 Pourtant, une chose est certaine : on a établi un programme de paiements de transfert qui prévoit une augmentation des fonds transférés aux provinces les plus peuplées et une réduction de ceux destinés aux trois provinces Maritimes. Avec un Sénat non réformé et les nouveaux sièges créés à la Chambre des communes, qui auront pour effet de renforcer la domination de l’Ontario sur le pouvoir politique fédéral, nos institutions politiques nationales continueront de façonner de grandes politiques et initiatives qui privilégient les provinces les plus peuplées. Elles risquent aussi de transformer les trois provinces Maritimes en une région ayant le même poids politique que le Nord ontarien et dont les premiers ministres provinciaux seront de plus en plus marginalisés politiquement.
17 Les premiers ministres des Maritimes ne semblent plus trop savoir comment agir face à Ottawa et au Canada central. Contrairement au premier ministre de Terre-Neuve-et-Labrador, le premier ministre Shawn Graham, du Nouveau-Brunswick, a choisi une approche à la Neville Chamberlain, préconisant « la paix pour notre temps » avec Ottawa. Dans l’ensemble, M. Graham s’est abstenu de confronter publiquement le premier ministre canadien sur des questions fédérales-provinciales. Cependant, cette approche n’a guère porté fruit.
18 La concentration du pouvoir dans le bureau du premier ministre à Ottawa signifie également que nous avons peu de chances maintenant de voir des ministres puissants provenant de notre région, comme c’était le cas par le passé (tels Allan J. MacEachern et Roméo LeBlanc, pour ne nommer que ceux-là) 18. Autrefois, de puissants ministres des Maritimes ont réussi à obtenir quelques rares mais importantes initiatives de développement économique. Je pense ici, par exemple, à la décision du gouvernement fédéral de transférer la Direction des pensions de retraite à Shediac.
19 Bref, nous ne sommes plus les suppliants du fédéralisme canadien. L’Ontario s’est joint au Québec pour insister qu’Ottawa soit plus attentif à ses intérêts économiques et politiques. Quant à nous, il nous reste à tailler un rôle pour les trois provinces Maritimes à la table des négociations fédérales-provinciales. Nous n’avons plus de message clé, de cri de ralliement unissant les trois provinces dans leurs rapports avec Ottawa. Nous avons plutôt adopté l’approche du « chacun pour soi », comme en témoigne l’entente sur l’achat des actifs d’Énergie NB par Hydro-Québec.
20 L’argent de la bonne conscience a au moins servi à quelque chose : il a permis au Nouveau-Brunswick de bâtir une infrastructure publique qui dépasse de beaucoup sa propre capacité de financement. Il a aussi permis à l’importante minorité francophone de la province de développer ses propres institutions. La décision d’enchâsser la Charte canadienne des droits et libertés dans la Constitution et l’interprétation que les tribunaux en ont faite ont considérablement renforcé la position de la minorité dans ses efforts pour obtenir ses propres institutions et accroître la prestation des services publics dans leur langue. Ces progrès ont eu des effets positifs sur tous les plans – politique, économique et communautaire. Ils ont également ajouté de nouvelles couches à l’infrastructure publique qui, bien souvent, a été financée par les paiements de transfert.
21 Cela dit, il est difficile de faire valoir que les paiements de transfert peuvent mener à une croissance économique autonome dans notre province. Une économie dynamique en santé et une dépendance chronique envers des paiements de transfert fédéraux ne font pas bon ménage. Quoi qu’il en soit, nous n’avons maintenant guère le choix de réduire notre dépendance à l’égard des paiements de transfert fédéraux, compte tenu du virage d’Ottawa vers des dépenses en paiements de transfert calculées au prorata de la population et vers d’autres programmes (par exemple, le train de mesures de stimulation économique dans le contexte de la récession de 2008-2009), de la mise en place d’agences fédérales de développement régional d’après le modèle de l’APECA dans toutes les régions (y compris le Sud ontarien) et de la situation financière difficile d’Ottawa.
22 En 2006, quelques jours après avoir été élu, Shawn Graham, le premier ministre du Nouveau-Brunswick, a capté l’imagination de bon nombre de citoyens du Nouveau-Brunswick en lançant son programme d’autosuffisance. L’autosuffisance implique non seulement une croissance économique autonome, mais aussi la reconnaissance que la province ne pourra plus dépendre des paiements de transfert, comme c’était le cas par le passé, afin de développer et d’entretenir son infrastructure et ses services publics.
23 Cependant, le programme de Graham n’a pas fait long feu, et l’autosuffisance a maintenant mauvaise presse dans la province. L’autosuffisance ne se retrouvera probablement pas au palmarès des politiques publiques avant au moins une génération. Graham n’a pas su maintenir le cap et s’est lancé dans toutes les directions, essayant de régler tous les dossiers qui atterrissaient sur son propre bureau en croyant qu’ils étaient tous liés d’une façon ou d’une autre à son programme d’autosuffisance. Il a entrepris de mettre de l’ordre dans la prestation des soins de santé, le programme d’immersion en français, la rémunération des médecins, l’éducation postsecondaire, la lutte contre la pauvreté, les tarifs des traversiers provinciaux, l’éducation en français (rapport LeBlanc), les problèmes économiques du nord du Nouveau-Brunswick, les tarifs d’électricité, et la liste n’en finit plus. Dans tous les cas, Graham a fait un pas en avant avec témérité pour ensuite devoir reculer au bout de quelques semaines. Le politicologue néobrunswickois Don Desserud a bien résumé la situation en affirmant : « Je crois que le gouvernement Graham présente un comportement caractéristique : il fonce tête baissée et agit de façon beaucoup trop précipitée dans l’élaboration de ses plans, si bien qu’il doit ensuite revenir sur ses pas pour réparer les pots cassés. C’est plutôt problématique 19 » (traduction de l’auteur).
24 Les politiciens qui poursuivent avec succès des objectifs stratégiques en matière de politiques ont en commun plusieurs éléments. D’abord, ils possèdent un programme qu’ils ont élaboré en se fiant à leur instinct et en se fondant sur des croyances profondes qui trouvent aussi écho chez les principaux membres de leur parti politique. Deuxièmement, ces politiciens savent se concentrer sur trois ou quatre mesures politiques clés. Enfin, ils sont capables de garder le cap et de regarder l’opposition et l’adversité bien en face. Nous n’avons qu’à penser à Louis J. Robichaud chez les partis de gauche ou, du côté de la droite, à Margaret Thatcher et à sa fameuse phrase « cette dame ne fait jamais demi-tour ».
25 Afin d’avoir la moindre chance de réussir, un programme d’autosuffisance doit s’attacher à poursuivre un seul objectif et concentrer son attention de façon inflexible sur le développement économique. Le gouvernement Graham a remanié un certain nombre de secteurs de politique, peu importe s’ils avaient ou non un lien avec le programme d’autosuffisance. Il est intéressant de noter que, ce faisant, il a laissé essentiellement intact l’appareil gouvernemental provincial responsable du développement économique.
26 Il est certain que les lobbyistes, les spécialistes en communication, les consultants et les avocats qui sont amis des Libéraux jouissent d’une plus grande autosuffisance aujourd’hui qu’il y a quatre ans. Mais ce n’est pas le cas pour la majorité des autres citoyens et citoyennes du Nouveau-Brunswick, ni pour la situation financière de leur province. En 2007, on m’avait demandé de réaliser un examen de la loi en matière d’accès à l’information du Nouveau-Brunswick. Je l’ai fait bénévolement et j’en suis fier. J’avais seulement demandé que mes honoraires de consultant soient entièrement versés à un programme de perfectionnement des gestionnaires.
27 Ce Que je sais, cependant, c'est que le gouvernement du Nouveau-Brunswick a retenu ces dernières années les services d’une foule de consultants bien rémunérés afin qu’ils examinent de très nombreuses questions stratégiques. En fait, le gouvernement provincial a confié aux consultants le soin de mener la charge dans toutes les initiatives stratégiques énumérées ci-dessus. Certains des rapports qui en ont résulté comportaient d’immenses lacunes sur le plan de la recherche et manquaient beaucoup de rigueur, même selon les critères les moins exigeants. Au fil des ans, mon travail m’a amené à lire quantité de rapports de consultants, et j’estime que le rapport des consultants sur le programme d’immersion précoce au Nouveau-Brunswick est le plus faible que j’aie jamais lu. Je me suis longtemps demandé pourquoi aucun fonctionnaire du ministère de l’Éducation n’avait eu le courage de dire : « Non, nous n’allons pas demander aux contribuables du Nouveau-Brunswick de payer pour ce travail de si piètre qualité. »
28 Or, le Ministère a déboursé environ 100 000 $ pour ce rapport, et nous avons appris depuis que « des courriels rendus publics entre des employés du Ministère démontrent que les fonctionnaires du gouvernement ont voulu influencer les conclusions des commissaires James Croll et Patricia Lee 20 » (traduction de l’auteur). Si c’est vrai, les consultants devraient avoir honte et les fonctionnaires aussi. Un des rôles les plus importants des fonctionnaires dans notre système parlementaire est de « dire la vérité à ceux qui sont au pouvoir ». Il semble dans ce cas-ci qu’on ait jeté la vérité par les fenêtres pour accommoder le pouvoir politique et que les consultants aient tout simplement écrit dans le rapport ce que leur client souhaitait entendre.
29 Certains faits probants indiquent que le gouvernement provincial a monté une bureaucratie parallèle en se tournant vers des consultants de l’extérieur pour effectuer du travail qui, à juste titre, relève de la fonction publique. Par exemple, un cabinet de consultants de Washington a été retenu pour rédiger une réponse à un article rédigé par un étudiant universitaire de quatrième année qui contestait, d’un point de vue économique, l’entente proposée entre Énergie NB et Hydro-Québec. Faut-il en déduire que personne au ministère des Finances ou ailleurs dans l’édifice du Centenaire ne possédait les connaissances et l’expertise nécessaires pour préparer une réponse au texte d’un étudiant au baccalauréat? On ne sait plus trop exactement ce que font vraiment les fonctionnaires qui occupent des postes d’analyste des politiques à Fredericton s’ils sont incapables ne serait-ce que de réfuter les arguments d’un étudiant universitaire de quatrième année. Établir une bureaucratie parallèle de consultants est une mesure qui cadre bien mal avec le programme d’autosuffisance de la province. C’est une pratique coûteuse qui envoie un mauvais message lorsqu’on cherche à promouvoir une fonction publique compétente, professionnelle et non partisane.
30 Dans le dossier d’Énergie NB et d’Hydro-Québec, le gouvernement a fait appel à un nombre renversant de consultants. Presque chaque jour, on apprenait qu’un nouveau cabinet de consultants et de nouveaux spécialistes en communication (souvent étroitement liés aux Libéraux) avaient été retenus pour travailler au dossier. Compte tenu de la situation financière de la province, y compris le déficit qu’elle accuse au compte ordinaire (dépenses autres qu’en capital), le gouvernement se sert de sa carte de crédit pour embaucher des consultants. Il est clair que la situation financière de la province s’est beaucoup détériorée depuis 2006. La dette nette de la province s’accroît de la coquette somme d’un milliard de dollars par année. La forte récession économique explique en partie ces difficultés financières, mais la décision du gouvernement de réduire les taxes et d’augmenter les dépenses dans un même budget y est aussi pour quelque chose.
31 En effet, les nouveaux engagements financiers se sont succédé dans pratiquement tous les secteurs, tandis que l’on adoptait des réductions considérables de l’impôt sur le revenu des particuliers et celui des sociétés. Il suffit d’y réfléchir un moment pour comprendre que, dans le domaine des politiques publiques et des finances publiques, une telle formule n’augure rien de bon.
32 Au lieu de rationaliser ou de consolider l’infrastructure de notre secteur public, le gouvernement provincial s’est lancé dans la direction opposée : en fait, il l’a alourdie. Ainsi, il a récemment établi un précédent en accordant du financement à l’Université baptiste de l’Atlantique (renommée Université Crandall). Dans le cadre du Programme d’infrastructure du savoir (PIS) du Canada, le gouvernement a affecté 12 millions de dollars à l’amélioration des installations d’infrastructure de cette université 21. Le premier ministre Graham a soutenu que cet investissement permettrait « au Nouveau-Brunswick de continuer de se rapprocher de l’autosuffisance » sans expliquer comment, ni établir le lien entre les deux, ni faire voir comment l’attribution d’une aide financière à une cinquième université pourrait accroître l’autosuffisance de la province 22. La Fédération des associations de professeures et professeurs d’universités du Nouveau-Brunswick n’a pas tardé à se prononcer contre cette mesure en affirmant « qu’un investissement de 12 millions de dollars en fonds publics dans une université privée réduit d’autant les fonds accordés aux universités publiques de la province 23 » (traduction de l’auteur).
33 Le Nouveau-Brunswick, qui compte une population d’environ 750 000 personnes, a été relativement bien servi par ses quatre universités, dont deux ont des campus satellites dans trois localités. On peut se demander si la province peut continuer de financer tous les programmes universitaires existants et, à plus forte raison, accorder une aide financière aux bâtiments d’une cinquième université. Je ne prends aucun plaisir à rappeler au lecteur que le Nouveau-Brunswick est une province à la population stagnante et vieillissante.
34 La plupart des politiciens sont partisans d’une augmentation des dépenses publiques alors que d’autres préfèrent réduire les impôts. Le plus souvent, ceux qui favorisent les deux mesures fournissent les conditions propices à un déficit structurel. De nos jours, le Nouveau-Brunswick s’est manifestement engagé dans la voie d’un déficit structurel qui, à n’en pas douter, sera de taille. Or, les déficits structurels sont différents des déficits cycliques sous plusieurs aspects importants. Les déficits cycliques sont le résultat d’un cycle économique tandis que les déficits structurels perdurent en dépit des cycles économiques parce que le niveau des dépenses publiques est trop élevé comparativement au niveau effectif des recettes. Autrement dit, le retour d’une croissance économique vigoureuse au Nouveau-Brunswick ne sera pas suffisant pour rétablir l’équilibre budgétaire de la province.
35 Les politiciens qui sont fortement portés à délier les cordons de la bourse des dépenses ont pu se réfugier derrière les mesures introduites visant à contrer les effets de la récession de 2008-2009, ce qu’ont fait bon nombre d’entre eux. Les ensembles de mesures de stimulation économique sont devenus à la mode dans le monde occidental et dans certaines régions d’Asie. Bien entendu, les réalités économiques du jour ont ébranlé les politiciens et leurs conseillers économiques. Leurs répercussions se sont toutefois fait sentir de façon différente selon les régions et celles qui comprennent un vaste secteur manufacturier, tel l’Ontario, ont souffert davantage. Néanmoins, le Canada a mieux surmonté la tourmente économique que son principal partenaire commercial, les États-Unis. Le Canada atlantique s’en est aussi bien tiré par rapport à d’autres régions : on y a enregistré un déclin de 0,6 % de son économie en 2009 comparativement à 2,1 % à l’échelle nationale, et l’on y prévoit un gain de 1,4 % en 2010 24.
36 Ce qu’il faut retenir, c’est que le Nouveau-Brunswick n’était pas obligé d’augmenter ses dépenses dans la mesure où il l’a fait depuis quelques années, et qu’il devrait être plus rapide que d’autres régions à resserrer les cordons de la bourse. Non seulement les déficits structurels constituent une mauvaise politique économique, mais aussi il est difficile de s’en débarrasser après qu’on leur a ouvert la porte. Combien de fois avons-nous entendu des politiciens prévoir qu’ils élimineront le déficit dans deux ou trois ans, pour ensuite les voir prolonger cette échéance? Présentement, au Nouveau-Brunswick, nous empruntons de l’argent pour payer les factures et non pas pour investir dans un avenir meilleur. Plus exactement, le gouvernement provincial a utilisé sa carte de crédit pour payer la horde de consultants et spécialistes en communication qui ont travaillé à diverses initiatives, dont la vente d’Énergie NB à Hydro-Québec.
37 Alors même qu’il devrait s’imprégner d’une culture de la parcimonie à tous les niveaux, étant donné l’augmentation rapide du déficit annuel, la dette grandissante, le virage des paiements de transfert vers une formule calculée au prorata de la population et le vieillissement de la population provinciale qui demeure stagnante, le gouvernement provincial semble se diriger à pleine vitesse sur les récifs. Tels sont les ingrédients d’une crise en puissance.
38 Les défis qui attendent le Nouveau-Brunswick ne manquent pas. Les caractéristiques démographiques, la structure économique et la situation financière de la province sont parmi les plus importants d’entre eux. Le gouvernement du Nouveau-Brunswick a fort bien résumé la situation lorsqu’il a déclaré que les défis démographiques auxquels la province fait face comprennent le faible taux de fertilité, la baisse du taux de naissance, le déclin démographique et le vieillissement de la population, la migration élevée vers d’autres provinces – surtout chez les jeunes – et le nombre peu élevé de nouveaux arrivants, qui est en deçà de la moyenne nationale 25.
39 Depuis un certain nombre d’années, la population de la province est restée stable à environ 750 000 habitants. Pendant près d’un siècle, le Nouveau-Brunswick a vu sa part de la population canadienne décliner. En 1971, environ 3 % de la population canadienne habitait au Nouveau-Brunswick tandis que, de nos jours, cette proportion est légèrement supérieure à 2 % 26. Plus de gens du Nouveau-Brunswick déménagent dans d’autres provinces canadiennes qu’il n’y a de Canadiens des autres provinces qui viennent s’établir au Nouveau-Brunswick, ce qui est particulièrement vrai chez les jeunes 27.
40 À cette situation s’ajoute la population vieillissante de la province. En 1976, l’âge médian dans la province était de 25,7 ans, mais il avait augmenté à 40,8 ans en 2006. Pour sa part, l’âge médian au Canada était de 38,8 ans en 2006 28. On comprend aisément les implications du vieillissement de la population sur la main-d’œuvre de la province et sur notre capacité de payer les services publics. Le Groupe de travail sur l’autosuffisance du Nouveau-Brunswick a bien cerné le défi et a fait remarquer : « Afin d’étendre sensiblement notre base économique et d’atteindre l’autosuffisance, la population du Nouveau-Brunswick doit augmenter de plus de 100 000 personnes dans les vingt ans à venir. C’est une augmentation nette d’environ 5 000 personnes chaque année. Le Nouveau-Brunswick n’a jamais connu une croissance démographique soutenue de cette envergure 29. » Le Groupe de travail a déposé son rapport le 7 mai 2007 et rien n’indique que la population de la province ait atteint ou atteindra bientôt une croissance de 5 000 personnes par année.
41 C’est une chose d’espérer que la population de la province connaîtra une augmentation rapide, mais c’en est une autre de transformer cet espoir en réalité. Nous savons que les nouveaux Canadiens préfèrent s’installer dans les villes où il y a déjà des communautés établies de nouveaux Canadiens (p. ex., Toronto, Montréal et Vancouver) et que les Canadiens préfèrent déménager dans les régions qui offrent des perspectives économiques et des possibilités d’emploi intéressantes. Bien peu de nouveaux Canadiens ont choisi le Nouveau-Brunswick comme lieu de résidence, de sorte que de nombreuses possibilités économiques ne se sont pas matérialisées.
42 Qu’en est-il de la structure économique du Nouveau-Brunswick? À cet égard aussi, le défi est de taille et il devrait être relevé par tous les secteurs du gouvernement provincial. Non seulement la proportion de notre population diminue par rapport à la population canadienne, mais aussi il en va de même pour notre économie. De 2003 à 2008, l’économie provinciale a augmenté de 6,7 % alors que, au cours de la même période, l’économie du Canada a progressé de 12,8 % 30.
43 La part de l’emploi manufacturier diminue plus rapidement au Nouveau-Brunswick que dans les neuf autres provinces canadiennes. De 1999 à 2008, le Nouveau-Brunswick a perdu 8 300 emplois dans le secteur manufacturier, une chute de 21,1 %. Pour leur part, l’Ontario a enregistré une baisse de 17,5 % et la Nouvelle-Écosse, une baisse de 15,4 %, tandis que l’Alberta a connu un gain de 21,8 % et le Canada, une baisse de 14,0 % 31. Entre 1999 et 2008, le Nouveau-Brunswick a également enregistré la plus lente croissance totale de l’emploi de toutes les provinces, rapportant un gain de 12,7 % comparativement à un gain de 16,7 % en Nouvelle-Écosse et de 22,7 % au Manitoba 32.
44 Il est important de noter que 36 % de la croissance de l’emploi au Nouveau-Brunswick au cours de la période de 1999 à 2008 a eu lieu dans le secteur public 33. Voilà le nœud du problème. En 2004, le gouvernement fédéral a signé avec les provinces une généreuse entente sur les soins de santé qui comprenait une croissance de 6 % des dépenses. Cette entente vient à échéance en 2013. Or, en raison de la décision d’Ottawa de calculer désormais les transferts aux provinces au prorata de leur population, et compte tenu des défis financiers que le gouvernement fédéral doit lui-même relever, on peut facilement supposer qu’il est peu probable qu’Ottawa soit aussi généreux après 2013 ou qu’il renouvelle l’entente comprenant une augmentation de 6 % 34. Qu’adviendra-t-il alors du Nouveau-Brunswick?
45 Le Nouveau-Brunswick ne peut échapper à la nature concurrentielle de l’économie mondiale. En termes simples, nous vivons maintenant dans une économie mondiale, et c’est à nous de nous adapter. Nous ne pouvons pas ignorer la concurrence de l’économie mondiale, car elle ne nous ignorera pas et elle continuera de se faire sentir dans chaque ville, village et hameau du Nouveau-Brunswick. Si nous ne pouvons pas soutenir la concurrence, si nous ne réussissons pas à améliorer notre productivité et notre capacité d’innovation, nous continuerons d’assister au déclin de notre population et à la fermeture d’un nombre grandissant de nos localités. Bien sûr, le Nouveau-Brunswick possède des forces et des atouts importants, mais nous devons faire en sorte que les Néo-Brunswickois et Néo-Brunswickoises contribuent à définir la voie à suivre. Le défi à relever est beaucoup trop imposant pour être laissé entre les mains d’une petite élite politique et économique.
46 En somme, le Nouveau-Brunswick se caractérise par une main-d’œuvre vieillissante, une population stagnante, une dette importante et grandissante, une croissance anémique de l’économie comparativement à d’autres provinces, des difficultés à attirer des nouveaux Canadiens et Canadiennes, et un vaste secteur public qui repose sur des paiements de transfert fédéraux et des emprunts pour assurer son fonctionnement, alors qu’il doit apprendre à vivre dans une économie mondiale hautement concurrentielle. Au risque de me répéter, j’estime que ce sont là les ingrédients d’une crise en puissance, une crise dont le Nouveau-Brunswick devra tirer avantage au lieu de chercher à l’ignorer. Rahm Emanuel, le chef de cabinet du président Obama, a fait remarquer avec justesse : « Une crise sérieuse devrait toujours servir à quelque chose. Ce que je veux dire par là, c’est qu’elle fournit l’occasion de faire des choses qu’on ne pensait pas pouvoir faire auparavant 35 » (traduction de l’auteur).
47 Le but de cet article n’est pas de lancer une attaque partisane contre le gouvernement actuel. Il ne s’agit pas de marquer des points pour le Parti libéral ou le Parti progressiste-conservateur, ni de faire de la politique partisane. Les lecteurs qui verront dans cet article une tirade partisane feront complètement fausse route. D’abord, la situation est beaucoup trop sérieuse pour qu’on se lance dans des attaques partisanes les uns contre les autres. En outre, je reconnais que les deux principaux partis politiques de cette province ont volontiers recours à des tactiques partisanes pour se faire du capital politique – c’est ce que font les partis politiques. D’ailleurs, l’histoire démontre qu’à cet égard aucun des grands partis politiques du Nouveau-Brunswick ne peut se prétendre au-dessus de la mêlée partisane. Les institutions politiques sont alimentées par la politique partisane, et la route qui mène au pouvoir politique passe par la politique partisane. La démocratie parlementaire est ainsi faite et ce n’est pas à la veille de disparaître.
48 Même si la politique partisane jouera immanquablement un rôle dans le débat entourant les solutions possibles, je ne crois pas qu’elle puisse à elle seule résoudre la crise qui se dessine au Nouveau-Brunswick. Les Néo-Brunswickois et Néo-Brunswickoises doivent prêter main-forte aux politiciens, peu importe le parti auquel ceux-ci appartiennent. Si j’affirme cela, c’est parce que, de nos jours, la vie politique est devenue extrêmement exigeante. Nous avons des attentes énormes envers nos politiciens et nous imposons de nombreuses contraintes sur leur travail. Dans l’ensemble, une carrière en politique est une occupation ingrate rendue encore plus difficile par les exigences nettement plus grandes en matière de transparence, et la présence de journalistes beaucoup plus agressifs et persuasifs que par les années passées. Les chaînes d’information continue, les lois sur le droit à l’information, la disparition de la déférence dans la société et la nature de plus en plus horizontale et complexe des enjeux de politiques publiques ont fait que la politique n’est plus l’art du possible, mais plutôt l’art de la survie. Il est de plus en plus difficile de convaincre des gens de délaisser la sécurité du monde des affaires, du monde universitaire et de la fonction publique pour se consacrer à la vie politique, où « tous les coups sont permis » et où il n’est plus possible d’avoir une vie privée.
49 Ce qu’il faut retenir, c’est que les politiciens, peu importe leur allégeance politique, ont besoin de notre aide pour façonner les politiques publiques de demain au Nouveau-Brunswick. Les défis sont énormes et presque impossibles à surmonter sans l’appui du public. Les citoyens du Nouveau-Brunswick ne doivent pas se contenter de regarder passer la caravane en lançant des critiques et parfois des injures à nos politiciens, comme je l’ai trop souvent vu et entendu ces derniers mois. La situation exige la tenue d’un débat posé et éclairé et la participation des citoyens si nous voulons faire des choses « que nous ne pensions pas pouvoir faire auparavant ». Autrement dit, pour arriver à faire des choses « que nous ne pensions pas pouvoir faire auparavant », il faut adopter une nouvelle mentalité dans l’élaboration des politiques publiques et reconnaître que les politiciens, si bien intentionnés soient-ils, n’y parviendront pas en travaillant tout seuls. Le tollé qui a suivi la décision du gouvernement de vendre des actifs d’Énergie NB à Hydro-Québec témoigne de cette nouvelle réalité. En effet, l’entente entre Hydro-Québec et Énergie NB passera à l’histoire comme un tournant décisif dans la politique provinciale, dont on aura tiré de nombreuses leçons sur la façon d’apporter des changements ou de prendre des initiatives importantes. Il est à souhaiter que les politiciens et les citoyens ont tiré des leçons de cette expérience.
50 Je note cependant avec une inquiétude plus que passagère que, pendant les semaines qui ont précédé la campagne électorale provinciale de 2010, les chefs des principaux partis politiques ont promis de ne pas augmenter les taxes, tout en prenant de nouveaux engagements en matière de dépenses. Cela n’est tout simplement pas réaliste, et il est certain qu’il faudra faire marche arrière après la tenue des élections. Les politiciens se demanderont alors pourquoi l’on observe tant de cynisme envers la classe politique au pays. Faut-il leur rappeler que les citoyens sont maintenant mieux instruits qu’il y a 30 ans, par exemple, et que la politique à l’ancienne ne fait qu’attiser le cynisme à l’égard de la classe politique?
51 Une certaine grogne populaire vient alimenter la nouvelle réalité politique. La grande récession de 2008-2010 a incité de nombreuses personnes à conclure que les élites politiques et économiques et les technocrates, y compris ceux qui travaillent dans les banques centrales et les gouvernements, ne sont plus à la hauteur de la tâche. Les citoyens et citoyennes semblent réclamer davantage de consultations, de transparence et de responsabilisation, convaincus qu’ils ne doivent plus être subordonnés à qui que ce soit dans l’élaboration de nouvelles politiques ou d’initiatives importantes.
52 Bref, les politiciens ne peuvent plus agir dans un isolement relatif pour élaborer des initiatives importantes à une époque où les défis qui se posent au Nouveau-Brunswick appellent à l’adoption d’une série d’initiatives importantes. La situation politique du Nouveau-Brunswick est rendue plus compliquée par la présence de deux principaux groupes linguistiques dans la province. Bien sûr, c’est l’atout le plus précieux du Nouveau-Brunswick, mais c’est aussi un facteur qui exige une attention et des efforts supplémentaires lors de l’élaboration des grandes initiatives stratégiques.
53 Cette réalité m’est clairement apparue il y a un an lorsque j’ai rédigé un article voisin de la page éditoriale dans le Telegraph Journal, qui attirait l’attention sur la situation financière précaire de la province et les décisions difficiles qu’il faudra bientôt prendre pour y remédier. Un nationaliste acadien a écrit pour affirmer que mon article jouait le jeu de la majorité anglaise de la province et que je devrais plutôt me contenter d’écrire des livres sur les questions politiques dans un contexte mondial. Si j’ai bien compris, il craignait que la majorité ne voie dans la nécessité de réduire les dépenses une raison suffisante pour sabrer dans les services en français et les institutions de langue française.
54 Je rejette d’emblée cette affirmation. Le Nouveau-Brunswick a beaucoup évolué depuis l’époque de Leonard Jones et du parti Confederation of Regions (COR). On n’a qu’à se rappeler la réaction de nombreux anglophones du Nouveau-Brunswick au projet du gouvernement Graham d’éliminer le programme d’immersion précoce en français. C’est un groupe d’anglophones du Nouveau-Brunswick qui ont mené la bataille contre la décision du gouvernement et qui l’ont amené devant les tribunaux sur cette question 36. La Charte canadienne des droits et libertés garantit également certains droits aux anglophones du Québec et aux francophones vivant à l’extérieur du Québec.
55 Comment le Nouveau-Brunswick peut-il alors promouvoir le développement économique et atteindre un équilibre entre nos services publics et notre capacité de payer? À mon avis, nous avons très peu de chances d’accomplir des choses que « nous ne pensions pas pouvoir faire auparavant » à moins de lancer une campagne pour informer les Néo-Brunswickois et Néo-Brunswickoises des défis qui attendent la province. Pour avoir la moindre chance de porter fruit, cette campagne doit être ouverte, transparente et rigoureusement non partisane. Elle ne devrait pas être lancée ou financée par le gouvernement provincial, et son seul but serait d’informer les gens, non pas de formuler des propositions de politiques publiques. Il faudrait laisser à d’autres, notamment les partis politiques et les groupes d’intérêts, la responsabilité de soumettre des propositions de politiques à l’examen de la population néo-brunswickoise. Il est fort possible, cependant, qu’une campagne d’information bien orchestrée permette aux citoyens et citoyennes de la province de dégager une certaine conclusion quant à la voie à suivre, mais il appartiendra à la population du Nouveau-Brunswick d’en décider.
56 Les Néo-Brunswickois et Néo-Brunswickoises doivent être informés, avec détachement et objectivité, sur l’état de l’économie et la situation financière de leur province. Pour ce faire, nous devons nous poser un certain nombre de questions fondamentales. Nous devons nous demander : comment le Nouveau-Brunswick peut-il être concurrentiel dans l’économie mondiale et comment peut-il améliorer sa productivité, accroître ses activités de recherche et développement, encourager l’innovation et renforcer sa main-d’œuvre? Nous devons examiner le niveau de collaboration existant entre les trois provinces Maritimes. Comment pouvons-nous briser l’esprit de clocher qui afflige depuis longtemps les trois provinces Maritimes? Que peut faire le Nouveau-Brunswick pour s’adapter aux exigences de son nouvel environnement? Quel rôle la province et ses partenaires des Maritimes peuvent-ils jouer pour sensibiliser davantage les institutions politiques et administratives nationales aux réalités régionales? Quelles décisions s’imposent afin d’assainir la situation financière de la province? Si nous devons rationaliser les institutions bénéficiaires de fonds publics, depuis les hôpitaux jusqu’aux écoles en passant par les universités, quelle est la meilleure façon d’amener les citoyens du Nouveau-Brunswick à participer au processus de prise de décision? Ce sont là des questions difficiles, mais nous devons y répondre si nous voulons accomplir des choses « que nous ne pensions pas pouvoir faire auparavant ».
57 Les universités devraient jouer un rôle clé dans l’organisation des séances d’information. J’estime depuis longtemps que nous qui œuvrons dans le milieu universitaire avons la responsabilité de partager nos connaissances et notre point de vue. Nous occupons une position privilégiée dans la société en raison de la liberté de parole dont nous jouissons. Toute position privilégiée dans la société s’accompagne d’une responsabilité, et nous, membres de la communauté universitaire, devons assumer cette responsabilité avec un sentiment d’urgence. Notre province entre présentement dans une période très difficile de son histoire, et nous devons prêter main-forte à nos concitoyens et concitoyennes en établissant une collaboration avec eux.
58 Pour terminer, je tiens à féliciter Tony Tremblay, de la Saint Thomas University, et son équipe éditoriale d’avoir ouvert la marche en créant la Revue d’études sur le Nouveau-Brunswick/Journal of New Brunswick Studies. Il s’agit d’une initiative importante. Il sera nécessaire que des universitaires chevronnés de la province et un grand nombre de citoyens du Nouveau-Brunswick intéressés et prêts à s’impliquer participent pleinement au processus afin d’assurer que, cette fois, « la crise servira à quelque chose au Nouveau-Brunswick ».
59 Il existe plusieurs façons pour la communauté universitaire de la province d’apporter sa contribution. De nos jours, la vaste majorité des Néo-Brunswickois et Néo-Brunswickoises a facilement accès aux moyens de communication, de sorte que les universitaires peuvent assez aisément se mettre en lien avec eux. Rien n’empêche, par exemple, les professeurs et professeures des universités du Nouveau-Brunswick d’unir leurs efforts pour créer un forum virtuel sur l’état de l’économie provinciale.
Donald J. Savoie détient présentement le poste de titulaire de la Chaire de recherche du Canada en administration publique et gouvernance à l’Université de Moncton. Ses réalisations en recherche sont prodigieuses et il est évident qu’elles sont influencées par la politique publique et l’administration publique. Ses travaux se sont mérités de nombreux prix tant au Canada, qu’aux États-Unis et qu’en Europe. Il a été nommé officier de l’Ordre du Canada, plusieurs universités canadiennes lui ont décerné un doctorat honorifique et il a été élu boursier invité, All Souls College, Oxford, en 2006. Son dernier ouvrage s’intitule Power : Where Is It ?