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La Complainte de Louisbourg :

chansons de sièges et circulation des cultures militaires entre Europe et Acadie à l’époque coloniale

Éva Guillorel
l’Université Rennes

The Complainte de Louisbourg, collected from oral tradition around Chéticamp, is often considered a local Acadian composition evoking the capitulation of Louisbourg in the 18th century. Based on the analysis of various known versions of this ballad, this article challenges this idea by arguing that it was inspired by an earlier song circulating in Europe about the siege of the German city of Philippsbourg. Beyond the case of Louisbourg, the article examines the multiple variations of siege songs, their role in the elaboration of shared military cultures, and the memorial legacy they have left in the francophone oral tradition.

La Complainte de Louisbourg, tirée de la tradition orale des environs de Chéticamp, est souvent considérée comme une composition acadienne locale évoquant la capitulation de Louisbourg au 18e siècle. À partir de l’analyse de diverses versions connues de cette complainte, le présent article revient sur cette idée en faisant valoir qu’elle fut inspirée d’une chanson qui circulait auparavant en Europe et qui se rapportait au siège de la ville allemande de Philippsbourg. Au-delà du cas de la prise de Louisbourg, cet article s’interroge sur les multiples déclinaisons de chansons de sièges, leur rôle dans la constitution de cultures militaires partagées et l’héritage mémoriel que ces chansons ont laissé dans la tradition orale francophone.

1 LA GUERRE DE SEPT ANS ET PLUS GÉNÉRALEMENT les conflits francoanglais en Amérique du Nord ont laissé peu de traces dans le répertoire de tradition orale, et les chants se rapportant à des événements historiques pouvant être précisément datés sont rares1. C’est en Acadie que les complaintes les plus nombreuses et les plus détaillées ont été collectées, notamment plusieurs dizaines de versions de La prise du vaisseau relatant la défaite navale au large de Carthagène du Foudroyant chargé de rejoindre l’escadre française envoyée en renfort à Louisbourg en 17582. Une autre complainte, recueillie de façon beaucoup plus localisée autour de Chéticamp, relate le siège et la capitulation de la citadelle de Louisbourg. On l’a souvent considérée comme une composition acadienne locale3. Pourtant, de nombreux indices donnent à penser qu’il s’agirait plutôt de la réactualisation d’une chanson plus ancienne ayant circulé en Europe au sujet du siège de la ville allemande de Philippsbourg. Une telle hypothèse soulève des questionnements sur les mécanismes de diffusion et de renouvellement du répertoire entre le vieux continent et la Nouvelle-France. Elle invite aussi à s’interroger sur les multiples déclinaisons des chansons de sièges de villes, leur place dans la constitution de cultures militaires partagées et leur devenir dans la tradition orale francophone4.

Une complainte faiblement représentée et fortement localisée

2 La Complainte de Louisbourg, composée de couplets de six vers de sept ou huit syllabes, raconte le siège et la capitulation de la citadelle. Six versions de la chanson ont pu être recensées, dont quatre enregistrements sonores5. La plus ancienne, recueillie par Helen Creighton auprès de Thomas Doucet en 1944, peut être subdivisée entre l’enregistrement d’une part et sa transcription publiée d’autre part, laquelle présente plusieurs transformations notables par rapport à l’interprétation orale6. Deux versions émanent de l’entourage d’Anselme Chiasson et de Daniel Boudreau : un enregistrement d’Alexandre Boudreau en 19577 et une version publiée dans le quatrième volume des Chansons d’Acadie en 19728. L’origine de ce second texte n’est pas clairement établie : plusieurs bons chanteurs de la famille maternelle d’Anselme Chiasson (notamment sa grand-mère Résine, son oncle Placide et son cousin Daniel Boudreau) ont pu y contribuer, à moins qu’il ne s’agisse simplement d’une variante arrangée par les éditeurs d’après la version d’Alexandre Boudreau9. Deux autres enregistrements ont été réalisés en 1961 par Geneviève Massignon auprès de William (dit Willy) Aucoin et de Germain Chiasson10. Une dernière version a enfin été recueillie par Alfred-Antonin Pouinard en 1949 à Lafayette, en Louisiane, auprès du père François Chiasson, originaire de Chéticamp11. Tous les textes publiés sont accompagnés d’une partition musicale. La transcription de la version enregistrée auprès de Thomas Doucet est la suivante12:

Ah, c’est-y toi, noble empereur,
Qui m’avais placé gouverneur
De Louisbourg, ville admirable,
Qu’on croyait en sûreté,
On t’y croyait z-imprenable,
Mais tu n’as plus résisté.

Ça n’était pas manque de canons,
De poudre et d’amunitions
En garnison vingt mille hommes
Nous avions tant de secours
Mais je voudrais savoir comme
Ont-ils pris Félixebourg.

Les Anglais, soir et matin,
Animés par leur Dauphin,
Nuit et jour dans leurs tranchées,
Faisiont écouler leurs eaux.
Vingt mille hommes par leur z-hardiesse,
Ils l’avont pris t-à l’assaut.

J’ai fait une composition,
Moi et toute ma garnison,
De sortir nos chalumiers
En bourbaille, en bataillon,
En déployant nos enceintes
Quittant bagage et argent.

J’ai quitté cent vingt canons
Vingt milliers de poudre et d’plomb,
Quinze mille quarts de farine
Et trente-deux mille boulets.
Les Anglais ont bien la mine
D’y faire la guerre aux Français.

J’ai fait une composition
Moi et toute ma garnison,
De sortir nos chalumiers
En bourbaille en bataillon,
Vous excuserez la chanson13.

3 La comparaison entre versions amène plusieurs remarques. Tout d’abord, la chanson est très localisée, puisque toutes les mentions connues se trouvent dans la région de Chéticamp, entre Petit-Étang au nord et Grand-Étang au sud. Une note rédigée vers 1976 par le révérend Charles Aucoin, qui est originaire de ce village et dont le père chantait cette chanson, indique que la complainte y était bien connue dans sa jeunesse, avec des variantes textuelles et mélodiques d’une maison à l’autre14. Les versions dont on dispose présentent cependant peu de variantes mélodiques : l’air de François Chiasson (tel que noté par Pouinard) est le seul dont les deuxième et troisième phrases diffèrent assez nettement des autres. La version sonore la plus complète est aussi la plus ancienne, notée en 1944, qui comporte six couplets (dont l’un est une répétition d’un couplet précédent). Les enregistrements plus tardifs de Geneviève Massignon ne permettent d’entendre que des fragments (deux et trois couplets), mais cette ethnographe n’enregistrait souvent que les débuts de chansons lors de ses enquêtes dans les provinces maritimes, sans doute par souci d’économie de bandes magnétiques, et notait à la main le reste du texte. La transcription manuscrite qu’elle fait de la version de William Aucoin comporte ainsi trois couplets supplémentaires par rapport à l’enregistrement.

4 Les trois textes destinés à être lus par un public extérieur (ouvrage ou thèse) sont plus complets mais présentent des signes évidents de transformation par les éditeurs, qui ont « corrigé » des incohérences du chant, notamment quant au rôle respectif des Anglais et des Français dans la description du siège. On peut dégager une gradation dans les réécritures apportées : l’objectif est de faire correspondre au mieux la complainte à l’événement historique auquel il est présumément relié, à savoir la reddition de Louisbourg. Les descriptions du siège dans les versions orales sont suffisamment imprécises pour pouvoir se référer soit à la première capitulation en 1745, soit à la seconde en 1758, et les estimations chiffrées concernant les hommes et les munitions sont fantaisistes. Les complaintes publiées orientent quant à elles le texte pour le situer plus clairement dans un contexte historique crédible : les vingt mille hommes de garnison cités dans les quatre versions orales sont ramenés à deux mille15, tandis que la quantité de canons est revue à la hausse pour la même raison. Un couplet insiste par ailleurs sur les conditions de la capitulation16, qui conduisent à un dénouement différent entre les deux sièges : en 1745, les Français obtiennent de quitter la ville avec leurs armes et leurs étendards, selon les codes de la reddition honorable; en 1758 au contraire, les honneurs de la guerre leur sont refusés malgré les demandes réitérées de leurs officiers, qui doivent finalement accepter cette humiliation. Selon l’interprétation que l’on fait de ce couplet ambigu et elliptique – les revendications françaises sont évoquées mais l’aboutissement de la négociation n’est pas mentionné –, on peut s’orienter vers l’une ou l’autre des capitulations17. La version de François Chiasson paraît encore davantage réécrite, ou plutôt déclinée à partir d’une version orale : les deux premiers couplets qu’il propose, inédits, sont de facture clairement lettrée.

5 Les différences entre les versions issues de chanteurs peu éduqués (enregistrés par Helen Creighton et Geneviève Massignon) et les interprètes plus instruits sont encore plus marquées au sujet de l’élément le plus essentiel dans l’identification de la chanson : le nom de la ville. Les trois versions publiées évoquent Louisbourg, mais William Aucoin et Germain Chiasson parlent de « Félixbourg » ou de « Félix-le-Bourg », tandis que Thomas Doucet évoque Louisbourg dans le premier couplet puis « Félixebourg » dans le deuxième (rectifié en Louisbourg dans la publication de La fleur du rosier). Ronald Labelle, constatant cette bizarrerie, avance que la complainte a pu être composée localement en Acadie au sujet du siège de Louisbourg par un auteur suffisamment familiarisé avec l’histoire européenne du 18e siècle pour dresser une comparaison avec un siège antérieur, celui de Philippsbourg : ce raisonnement expliquerait le deuxième couplet du chant, qui s’interroge sur les raisons qui ont permis de prendre « Félixbourg ». La complainte, qui pourrait selon lui avoir été composée par un vétéran du siège, aurait ensuite circulé jusqu’à Chéticamp. Une autre hypothèse serait qu’elle ait été composée au 19e siècle par un lettré bon connaisseur de l’histoire acadienne puis diffusée dans un espace géographique restreint18.

6 La mention répétée de « Félixbourg » dans toutes les versions sonores peut toutefois conduire à une autre hypothèse que nous proposons d’explorer ici : au lieu d’une complainte acadienne de composition locale, ce texte serait la réactualisation d’une chanson préexistante sur le siège de Philippsbourg, remise au goût du jour par les événements militaires du milieu du 18e siècle à l’île du Cap-Breton.

La réactualisation d’une complainte sur le siège de Philippsbourg?

7 Philippsbourg, ville aujourd’hui située dans le Land allemand de Bade-Wurtemberg, est une place forte hautement stratégique aux 17e et 18e siècles sur la rive est du Rhin, âprement disputée entre les Français et les Allemands dans le contexte des ambitions expansionnistes du royaume de France sur ses frontières orientales et septentrionales. Elle est placée sous la protection des Français en 1646 par l’archevêque de Trêves, allié aux Bourbons contre l’empereur du Saint-Empire romain germanique au cours de la guerre de Trente Ans. Pendant la guerre de Hollande, le maréchal de Luxembourg à la tête de l’armée du Rhin est incapable de protéger la ville assiégée par les troupes impériales commandées par le duc de Lorraine : Philippsbourg capitule en 1676. La place forte est reprise en 1688 dans l’une des premières opérations de la guerre de la Ligue d’Augsbourg, puis rendue à l’empereur en 1697 à la suite du traité de Ryswick. Elle est à nouveau conquise pendant la guerre de Succession de Pologne en 1734 par les Français, qui combattent la garnison commandée par le gouverneur autrichien Wuttgenau et l’armée de secours d’Eugène de Savoie envoyée par l’empereur, avant d’être encore une fois redonnée à l’Autriche par le traité de Vienne en 173819.

8 Plusieurs indices dans la complainte poussent à approfondir la piste du renouvellement d’une chanson préexistante. Outre le nom de la ville – Philippsbourg (ou Philipsbourg) est souvent orthographié Philisbourg dans les sources anciennes, prononciation qui se rapproche de celle de William Aucoin20 –, toutes les versions (sauf celle de François Chiasson) commencent par une invocation au « noble empereur » et au gouverneur de Louisbourg. Cette référence peine à être expliquée dans le cadre du conflit franco-anglais mais prend tout son sens dans celui des guerres entre la France et le Saint-Empire romain germanique. Thomas Doucet évoque aussi les soldats « animés par leur Dauphin » : cette mention est largement incohérente dans le contexte du siège de la citadelle du Cap-Breton – même s’il existe une similarité avec le nom du bastion du Dauphin qui forme un élément important des fortifications de Louisbourg – et logiquement transformée, car non comprise, à la fois dans la version de William Aucoin (qui évoque les Anglais « animés par leurs desseins ») et dans celle publiée par Anselme Chiasson (où les Français « essaient de calmer leur faim »). La relation de la prise de Philippsbourg en 1688 peut toutefois apporter des clefs de compréhension : le siège fait grand bruit car c’est la première fois qu’on confie au Dauphin (fils de Louis XIV) le commandement des troupes. Après un peu plus d’un mois de siège, grâce au travail de sape et de creusement des tranchées dirigé par Vauban, et malgré le retard pris à cause des pluies battantes, la ville capitule. On peut trouver des concordances entre cette relation et la description des tranchées remplies d’eau de la Complainte de Louisbourg. La rationalisation et la standardisation des techniques poliorcétiques font toutefois que cette description n’a rien de spécifique au siège de 1688 : la prise de Philippsbourg en 1734 est ralentie par les mêmes problèmes météorologiques et par la détérioration des tranchées françaises à cause de pluies diluviennes, une situation que l’on pourrait comparer à de nombreux autres sièges de villes de la même époque. Il est également notable que la complainte ne fasse aucune allusion à la dimension maritime qui caractérise le siège de Louisbourg, alors que les opérations à Philippsbourg sont exclusivement terrestres.

9 De très nombreuses chansons ont été composées sur les trois sièges de Philippsbourg, comme sur quantité d’autres prises de villes. Les chansonniers, manuscrits, relations et correspondances des 17e et 18e siècles permettent d’en rassembler plus d’une trentaine, qui ne constituent de toute évidence qu’une fraction de l’ensemble21. Elles ont pour caractéristique d’être composées très rapidement après les événements – comme toutes les chansons de sièges – et sont un média privilégié pour la diffusion rapide des nouvelles militaires auprès du plus grand nombre22. La médiatisation de chansons autour des prises de villes et plus largement des nouvelles du front militaire est alors intense et constitue une véritable bataille de l’opinion dont les dirigeants sont très conscients de l’importance. Les compositions chantées s’insèrent dans un ensemble plus large de productions qui défendent les points de vue des belligérants dans différentes langues et qui articulent écrit, oral et image23. Les chansons sur les campagnes militaires de la guerre de Succession de Pologne forment à elles seules près de la moitié des 163 pièces se rapportant à des événements de l’année 1734 dans les chansonniers dépouillés par Henri Duranton, sur un total de 107 chansons autour de ce conflit recensées entre 1733 et 1738. Le siège de Philippsbourg fournit aussi le sujet d’une pièce de marionnettes représentée au théâtre de la foire à Paris, qui fait dialoguer sous la forme de chansons sur timbres les soldats attendant l’assaut de la ville dans leur campement24.

10 Concernant le siège de 1676, Madame de Sévigné, qui suit avec attention l’actualité politico-militaire, ne manque pas d’évoquer avec humour dans sa correspondance les chansons composées à l’occasion de la capitulation : « Enfin Philisbourg est pris; j’en suis étonnée, je ne croyois pas qu’ils sussent prendre une ville : j’ai demandé d’abord qui l’avoit prise, si ce n’étoit point nous; mais non, c’est eux. Le Pont-Neuf a fait ce couplet sur l’air : Or écoutez, peuple françois :

Le maréchal de Luxembourg
Alloit secourir Philisbourg,
Car il est fort grand capitaine
Mais lorsqu’il fut près de donner,
Il survint un bois dans la plaine
Qui l’empêcha de dégainer »25.

11 Les pièces composées sur les trois sièges et consignées par écrit sont pour la plupart soit des chansons satiriques dans la tradition des vaudevilles, soit des éloges des généraux conquérants, ou encore des chansons bachiques invitant à boire pour fêter la victoire; mais on trouve également des complaintes et lamentations sur le décès d’officiers ou la perte de villes. La mort du maréchal de Berwick, tué par un boulet de canon alors qu’il inspecte une tranchée lors du siège de 1734, inspire ainsi cinq compositions, dont l’une n’est pas si éloignée du ton de la Complainte de Louisbourg, par exemple dans son « Adieu, grand commandeur / De Strasbourg gouverneur » qui achève la lamentation à l’avant-dernier couplet26. Le thème des adieux à la ville, l’adresse aux officiers, à l’empereur ou à la cité (souvent en les tutoyant) ainsi que les descriptions de sièges sont des motifs récurrents que l’on relève tant dans les pièces écrites que dans la Complainte de Louisbourg.

12 Beaucoup des textes compilés dans les chansonniers sont sans surprise composés sur des timbres en vogue que l’on retrouve largement dans la tradition orale. Il en est ainsi d’une chanson sur le siège de 1688 sur le timbre Lère la, lère lan lère27. Une autre sur le siège de 1676 reprend le timbre bien connu Réveillez-vous belle endormie :

Réveillés-vous belle endormie,
Réveillés-vous car il est jour,
Sachez que l’armée ennemie,
Nous vient de prendre Philisbourg28.

Le même timbre est réactualisé en 1734 dans le contexte de la bataille de Guastalla, quelques semaines après la fin du siège de Philippsbourg, dans une chanson qui prévient le maréchal de Broglie de l’arrivée des ennemis :

Réveillez-vous vite, mon maître,
Réveillez-vous, il en est temps.
Mettez la tête à la fenêtre
Vous y verrez les Allemands29.

13 L’analyse de la coupe – c’est-à-dire le nombre de vers et de syllabes par vers ainsi que la répartition entre assonances féminines et masculines – permet également de faire des rapprochements avec d’autres pièces. Dans le cas de la Complainte de Louisbourg, il s’agit de six vers de sept ou huit syllabes dont les deux premiers comportent des assonances masculines avant une alternance entre assonances féminines et masculines sur les quatre vers suivants30. Certaines compositions sur Philippsbourg reprennent ce schéma en s’appuyant sur un même timbre évoqué à plusieurs reprises, l’Air des Rochelois ou Air de La Rochelle, dont la première phrase mélodique présente d’ailleurs une parenté avec l’air de Louisbourg31 :

14 Trois des six chansons sur le siège de Philippsbourg de 1676 consignées dans le chansonnier de Maurepas sont composées sur ce timbre, dont celle qui est rapportée par Madame de Sévigné, ce qui donne des couplets comme celui-ci :

Monsieur le Duc de Luxembourg
Que deviendra donc Philisbourg,
Vous qui marchiés dessus les glaces
Pour aller piller l’Hollandois,
Pour le secours de cette place
N’oseriés vous passer les bois32.

15 Plusieurs autres sur le même timbre font référence à différentes prises de villes lors des campagnes de 1688 et de 1734, à l’image de la chanson Sur l’incendie des villes de Wormes, Spire, Manheim et autres villes d’Allemagne, qui furent détruites par les François sur la fin de l’année 168833, ou contiennent plusieurs couplets sur les combats et les généraux de la guerre de Succession de Pologne34.

16 Pour autant, aucune des chansons recensées dans les chansonniers anciens ne correspond au chant-type de la Complainte de Louisbourg35. On sait cependant que beaucoup de ces compositions n’ont pas été conservées, et qu’elles perdent rapidement leur actualité si elles ne sont pas renouvelées. L’auteur d’une anthologie de vaudevilles publiée en 1746 explique d’ailleurs dans sa préface la motivation de son ouvrage par le fait qu’« on a dessein de donner un recueil de ces petites pieces que l’on peut appeler fugitives, qui font du bruit dans leur nouveauté & qui tombent souvent dans l’oubli36 ». Dans l’état actuel de la recherche, on ne peut donc prouver la filiation entre la Complainte de Louisbourg et une composition plus ancienne sur le siège de Philippsbourg. Les multiples indices en ce sens, que révèle tant l’analyse du texte que de la mélodie, invitent toutefois à considérer cette hypothèse comme sérieuse et à approfondir la réflexion sur les possibilités de circulation et de renouvellement d’une telle chanson dans la tradition orale.

L’importance des chansons de sièges dans la tradition orale

17 Si l’on se tourne cette fois du côté non pas des sources écrites des 17e et 18e siècles mais du répertoire recueilli de tradition orale, les chansons de sièges composent une part non négligeable du corpus, au point que Patrice Coirault leur consacre une rubrique spécifique dans son catalogue, qui rassemble neuf chants-types37. Elles font pour la plupart écho à des sièges célèbres de l’époque de Louis XIV et Louis XV : Mons, Namur, Mantoue, Valenciennes... Elles se caractérisent par l’interchangeabilité des noms de lieux, qui assure une réactualisation facile de récits stéréotypés autour de prises de villes qui se répètent de façon presque identique de guerre en guerre. Dans le cas du Bombardement de Mantoue, une même chanson de siège est associée selon les lieux de collecte à des villes aussi éloignées que Turin, Besançon, Moscou, Toulon, Alger, Saint-Malo, Maastricht, Paris, Rio de Janeiro ou Toronto, tandis que les protagonistes changent au fur et à mesure d’une réactualisation dans le temps qui met en scène le roi, la nation, Bonaparte ou même Papineau dans des versions recueillies au Québec38. Il convient donc de ne pas trop s’attacher aux événements précis d’un siège et de retenir, comme le rappelle Patrice Coirault, l’« idée directrice » de la prise de ville qui sous-tend toutes ces chansons39. Le facile renouvellement garantit leur actualité dans la tradition orale autour de thèmes signifiants pour un auditoire à différentes époques et dans des contextes variés.

18 Si aucune de ces chansons ne correspond au chant-type de la Complainte de Louisbourg, on peut cependant trouver des parentés dans la forme et les motifs. La bataille de Steinkerque renvoie à une victoire française du maréchal de Luxembourg en 1692 lors de la guerre de la Ligue d’Augsbourg, mais d’autres noms lui sont substitués selon les versions40. Sa coupe est semblable à celle de la Complainte de Louisbourg, même si les mélodies recueillies ne présentent pas de lien avec celles de Chéticamp. On y trouve aussi plusieurs motifs proches, comme dans le premier couplet d’une version collectée par Charles Beauquier en Franche-Comté :

J’ai fait partir de la Hollande
Quantité de munitions
Cinquante vaisseaux de guerre,
Deux cents pièces de canon.
Je croyais prendre la ville
Mais les Français m’ont repoussé41.

Une variante alpine publiée par Julien Tiersot commence pour sa part de la façon suivante :

Nous avons quitté nos garnisons
Avec beaucoup de munitions,
Avec trente vaisseaux de guerre
Et six cents pièces de canon.
Mais le malheur qui nous arrive
Et qui nous a jamais quitté :
Du côté de l’Angleterre
Les Français nous ont repoussés42.

19 On peut noter l’intéressante deuxième partie de ce couplet qui fait écho à un autre chant-type dont des fragments sont passés dans la tradition orale francophone d’Amérique, au sujet de l’échec de la prise de Québec par le général Phips en 1690, qui menace la ville de ses canons :

Et le malheur qui m’accable
Qui m’a jamais laissé
Cent Français pleins de courage
M’en ont détruit la moitié43.

20 Cette pièce recueillie par Marius Barbeau évoque plus loin le « roi Guillaume », là où Julien Tiersot intitule justement sa version Complainte de Guillaume d’Orange : dans les deux cas sont évoqués des combats de la guerre de la Ligue d’Augsbourg opposant Louis XIV et Guillaume III, prince d’Orange et roi d’Angleterre. Dans la suite de La bataille de Steinkerque, un espion annonce que le maréchal de Luxembourg s’en vient pour les combattre. Le général ne veut pas le croire, mais le lendemain matin l’ennemi est bien présent et l’assaut est donné :

C’est dans la plaine de Steinkerque
Que la bataille se donna.
Grand Dieu! quelle boucherie!
Que l’on faisait de nos gens
La terre en était rougie
L’on n’y voyait plus que du sang44.

21 L’intérêt de cette chanson réside aussi dans le ton et le point de vue du récit : comme dans la Complainte de Louisbourg, la parole est donnée aux perdants (ici contre les Français, là contre les Britanniques). On pourrait en effet supposer que les chansons de sièges en langue française fassent la part belle aux victoires de la France, mais la situation est plus complexe. L’importante moisson de pièces recueillies par Julien Tiersot dans les Alpes entre 1895 et 1900 à partir de cahiers de chansons familiaux et de versions notées de tradition orale est un bon observatoire de la diversité de ces points de vue45. La première partie de son ouvrage, consacrée aux chansons historiques, présente une belle sélection de récits de sièges qui rassemblent nombre de motifs attestés dans les chansonniers du 18e siècle, dans la Complainte de Louisbourg et dans d’autres chansons de prises de villes recueillies oralement et pouvant faire écho à des événements remontant jusqu’au premier tiers du 16e siècle (dialogues avec la ville et les généraux, mention du gouverneur, description de l’assaut). Sa version du Siège de Turin comprend par exemple un couplet sur les soldats qui doivent prendre courage en traversant la brèche ouverte dans les remparts, proche de la complainte de la Prise de Rome, qui se rapporte au sac de la ville papale en 152746. On y trouve aussi la mention de personnages historiques mis en scène dans d’autres chansons passées dans la tradition orale, comme le prince Eugène de Savoie, commandant de l’armée de réserve au siège de Philippsbourg en 1734 et héros militaire à la longue et prestigieuse carrière au service de la monarchie autrichienne et du Saint-Empire47. Ce n’est sans doute pas un hasard si cette multiplicité des points de vue dans les chansons de sièges (favorables ou défavorables aux Français) est développée dans la région alpine, qui compte de nombreux francophones ne faisant pas partie du royaume de France à l’époque moderne. Le duché de Savoie se situe dans le giron du Saint-Empire romain germanique et se bat pour contenir les velléités d’annexion des rois Bourbons, avant son union définitive à la France en 1860. La toute proche confédération suisse est aussi partiellement francophone et entretient une longue tradition d’implication dans les guerres européennes à travers des soldats mercenaires qui s’engagent dans les armées des différents belligérants. Il en est de même pour les vallées vaudoises du Piémont, peuplées par des réfugiés francophones ayant fui le royaume de France en raison de leurs croyances religieuses dissidentes.

22 L’une des chansons publiées par Tiersot attire l’attention pour une autre raison : La prise de Mirandole est composée d’un dialogue entre un général du roi de Sardaigne et la ville, à laquelle il intime l’ordre de se rendre, ce qu’elle refuse d’abord en arguant qu’elle a juré fidélité à l’Espagne, avant de se soumettre une fois l’assaut donné. Elle contient un dernier couplet instructif sur les médias de circulation de ces chansons, en évoquant des textes imprimés, chantés et vendus dans l’espace public :

Vite, qu’on s’avance
Pour acheter nos chansons :
C’est Victor qui les chante
Au son du violon.
Achetez en z’un’quantité :
Sitôt que vous aurez chanté,
Tous nous irons boire
À votre santé48!

23 Le chanteur de rue parisien Belhumeur, qui a lui-même été soldat, a quant à lui laissé plus d’une vingtaine de compositions mises par écrit dans des chansonniers et rattachées à son nom, qui portent sur des événements des années 1734-1753 et dont beaucoup ont trait à la vie militaire, au recrutement des armées ou aux sièges49. D’autres interprètes de chansons de prises de villes sont aussi connus comme étant d’anciens soldats50.

24 Mais le cas le plus intéressant est celui de David Michelin (vers 1700-1750), originaire du val Pellis, une vallée vaudoise du Piémont. Ce compositeur a vraisemblablement été soldat pendant les guerres de Succession de Pologne et d’Autriche avant de commencer une carrière de chanteur ambulant (s’accompagnant au violon), sans doute aussi de vendeur de feuilles volantes. Il signe plusieurs chansons à caractère militaire, aujourd’hui connues par des versions écrites conservées dans des manuscrits, qui ont pour certaines circulé dans la tradition orale en pays de Vaud et au-delà51. Ses compositions sur le siège de Coni, sur celui de Gênes et sur la bataille de l’Assiette ne sont guère favorables aux Français. On retrouve aussi son nom dans le couplet conclusif de La ville de Philippsbourg, recensée dans le catalogue Coirault comme une variante du chant-type La prise de Namur (autre chanson bien attestée dans la tradition orale, construite autour du dialogue entre d’une part un général qui veut prendre la citadelle et d’autre part la ville assimilée à une jeune fille qui veut protéger son honneur) : la parenté entre ces deux chansons n’est en réalité que relative si ce n’est le thème du siège et la coupe identique52. La complainte, conservée sous forme manuscrite et recueillie de tradition orale sous forme fragmentaire encore au milieu du 20e siècle, présente des similitudes frappantes avec la Complainte de Louisbourg, sans qu’il s’agisse du même chant-type. Le couplet introductif de ce récit de défaite annonce la prochaine reddition de la ville :

Noble ville de Philippsbourg
Je viens t’annoncer en ce jour
Au roi de France il te faut rendre
Au moins ne te fais pas prier
Car tu ne pourras plus résister.

25 Le chant évoque ensuite le siège de la ville, les bombardements, la garnison et l’armement en canons, l’empereur, les armées du prince Eugène incapables de sauver la place forte, et enfin les adieux à la ville et la capitulation53.

26 Les chansons sur le thème des sièges militaires forment donc un ensemble aux délimitations poreuses et aux récits constamment réactualisés. Certains textes attestés dans les chansonniers anciens sont facilement reconnaissables dans la tradition orale. Dans le cas de la Complainte de Louisbourg, on est face à un faisceau d’indices liés à des motifs textuels et mélodiques proches sans que puisse néanmoins être établie une filiation précise avec un antécédent écrit. Si l’on retient comme crédible l’hypothèse que cette chanson soit la réactualisation d’une lamentation plus ancienne sur Philippsbourg (ayant ellemême puisé dans un stock de motifs littéraires sur le thème des prises de villes), se pose alors la question de la circulation d’une telle chanson entre l’Europe et l’Acadie.

La chanson de siège comme élément de culture partagée en contexte militaire, entre France et Amérique francophone

27 Il serait vain de chercher à retracer un circuit individualisé de circulation d’une telle chanson jusqu’au Cap-Breton. On peut toutefois s’interroger sur les schémas de diffusion du répertoire chanté militaire qui ont pu être mobilisés. Quel est le profil des hommes qui auraient apporté cette chanson à Louisbourg puis ont opéré une réactualisation qui continue à lui donner sens lors des enquêtes orales menées au milieu du 20e siècle54?

28 Entre les années 1730 et 1750, la réorganisation des forces militaires entre métropoles et colonies en réponse à l’évolution des conflits européens amène des mouvements de troupes entre la France et la Nouvelle-France. La réinstallation française à Louisbourg en 1749 se fait dans un contexte de démobilisation des armées européennes après le traité d’Aix-la-Chapelle, alors que les besoins dans les colonies augmentent. La décision est prise de doubler le nombre de soldats en garnison à Louisbourg. Les recruteurs sollicités sont ceux qui ont déjà servi lors des guerres précédentes et ils recherchent des hommes expérimentés55. Le mouvement est encore amplifié en 1755 lorsqu’on renforce les troupes de la Marine par des bataillons de l’Armée de terre en prévision de combats qui s’annoncent dans les colonies d’Amérique du Nord, avec l’appel à des régiments ayant servi lors des campagnes européennes de Louis XV : on retrouve ainsi à Louisbourg un bataillon du régiment d’Artois, unité qui s’est illustrée lors de la bataille de Philippsbourg en 173456. La citadelle accueille en outre des soldats étrangers : entre 1722 et 1745, un détachement du régiment suisse de Karrer y séjourne (comportant des natifs de Suisse germanophones et francophones et des soldats d’autres nationalités recrutés dans le Saint-Empire57); un régiment de volontaires étrangers est également formé et envoyé en 1756 pour renforcer la garnison, composé en majorité de Suisses mais aussi de soldats venant d’autres espaces européens (Saint-Empire, Irlande, Écosse, Italie)58.

29 S’il est difficile de retracer le parcours des simples soldats, sachant que la durée relativement courte des contrats (huit ans), la faible espérance de vie et la jeunesse des recrues rendent peu probable la présence de mêmes hommes au siège de Philippsbourg et à celui de Louisbourg59, certains d’entre eux ont tout de même pu être être actifs dans les deux espaces60. De façon cette fois évidente, des officiers sont intervenus sur les deux terrains : dans un contexte de tension extrême avec les Britanniques, les autorités françaises cherchent à envoyer des officiers chevronnés qui ont déjà fait leurs preuves dans les campagnes européennes. À l’échelle de la Nouvelle-France, l’exemple le plus célèbre est celui du marquis de Montcalm, qui commence sa carrière militaire lors de la guerre de Succession de Pologne et participe notamment au siège de Philippsbourg avant d’être envoyé en Amérique 22 ans plus tard61. Michel Le Courtois de Surlaville, major des troupes de la Marine à Louisbourg entre 1751 et 1753, était lui aussi présent à ce siège62. Jean-Louis Raymond de Villognon, gouverneur de Louisbourg dans les mêmes années, est choisi pour sa grande expérience à la fois dans la guerre de siège et le commandement des troupes après avoir été officier dans les armées françaises en Italie lors de la guerre de Succession de Pologne puis sur le Rhin et en Flandres lors de la guerre de Succession d’Autriche63. Quant à Antoine Le Poupet de La Boularderie, né à Port-Royal en 1705, il est dans les années 1720-1730 lieutenant puis capitaine dans le régiment de Richelieu, qui fait partie des régiments mobilisés lors du siège de Philippsbourg, avant de succéder à son père comme officier militaire dans l’île Royale : il participe à la défense de Louisbourg lors du premier siège de 1745 puis à sa reprise en 174964.

30 Certains hommes servant dans l’armée ont donc circulé entre les opérations militaires européennes et le Cap-Breton. S’ils n’ont pour la plupart pas euxmêmes vécu les campagnes allemandes des années 1730-1740, ils en ont de toute évidence entendu parler. Ces soldats venant de toutes les régions – le recrutement colonial ressemble de plus en plus à celui du reste de l’armée au milieu du 18e siècle65 –, qui se retrouvent dans des régiments au renouvellement régulier grâce à l’apport annuel de recrues venues de France pour remplacer les morts et les déserteurs, transplantent en Amérique une culture qui est essentiellement orale. En l’absence d’homogénéité dans l’origine géographique tout comme dans les expériences militaires (entre nouveaux venus et vétérans), une culture commune est pourtant bel et bien partagée. Les récits de campagnes ou d’exploits militaires passés, les contes et les chansons – à thématique militaire ou non – en constituent une partie fondamentale. Les recherches de David Hopkin ont montré comment le conte jouait un rôle fédérateur de premier plan parmi les soldats dans la France des 18e et 19e siècles, et que de nombreux conteurs qui ont attiré l’attention des folkloristes ont appris une partie ou la totalité de leur répertoire à l’armée. Les contes et chansons qui mettent en scène des personnages et des événements de la vie militaire sont à la fois des reflets – en partie fictionnels mais renvoyant aussi à des réalités tangibles – de cet univers très particulier qu’est l’armée, et des exemples de modèles ou de contre-modèles pouvant aiguiller les attitudes et informer les néophytes sur les comportements possibles, attendus ou répréhensibles66.

31 Federico Ghisi, commentant pour sa part la tradition orale des vallées vaudoises, remarque que les soldats ont joué un rôle essentiel dans la circulation des chansons de cette région à travers les Alpes et au-delà dans l’aire francophone : le brassage des hommes et des cultures dans les armées d’Europe a été un formidable terrain de diffusion des chansons d’abord au sein des régiments – d’autant plus dans le cas de narrations liées à des batailles ou à des sièges de villes auxquels eux-mêmes ou des soldats qu’ils ont rencontrés par la suite ont participé – puis au sein d’une large population abreuvée par ces récits militaires après la démobilisation des troupes et leur retour dans les villages67.

32 Il n’est donc pas étonnant qu’on ait parlé à Louisbourg du siège de Philippsbourg comme de très nombreux autres événements des guerres européennes récentes68. Au-delà d’expériences individuelles ayant pu arriver personnellement à des vétérans, le souvenir plus général et plus confus d’une succession de sièges qui tous se ressemblent rejaillit à travers des récits et des chants renouvelés au gré des opérations militaires69. La récurrence des sièges de Philippsbourg depuis les années 1670 permet une réactualisation régulière qui peut dès lors expliquer que les éléments contextuels de la chanson superposent des événements différents mais qui se confondent dans la mémoire orale70. Dans le grand jeu de recyclage des motifs poétiques et de réécriture des toponymes et des noms de personnes dans les chansons de prises de villes circulant de tradition orale, Louisbourg apparaît ainsi sans surprise au milieu des autres sièges.

La Complainte de Louisbourg et la mémoire des conflits franco-anglais en Acadie

33 On peut dès lors s’interroger sur l’intérêt historique d’une telle chanson : si n’importe quel récit de siège est susceptible d’être renouvelé par un simple changement de nom, quelle fiabilité peut-on accorder à un tel répertoire? David Hopkin rappelle que, même si une chanson ne se rapporte pas à des événements historiquement exacts, sa transmission orale sur une longue période prouve qu’elle conserve du sens pour les interprètes et leurs auditoires. Les sièges de villes font partie d’une réalité tangible aux 17e et 18e siècles, mais la dimension militaire ne suffit sans doute pas à expliquer leur longévité au-delà, alors que l’évolution technologique de la guerre et de ses armements rend ces techniques poliorcétiques obsolètes. Cela n’explique pas non plus la popularité de telles chansons auprès d’un public qui dépasse largement la sphère militaire, ni le grand nombre de femmes parmi les détentrices de ce répertoire (la moitié des interprètes identifiables pour la chanson du Bombardement de Mantoue sont des femmes). Au-delà de sa dimension militaire, le siège peut être compris comme une métaphore de la cour amoureuse, et la capitulation interprétée dans une dimension sexuelle, ce que facilite la féminisation de la ville en danger de perdre sa virginité devant l’assaut des soldats71.

34 Des explications complémentaires liées à des contextes sociopolitiques particuliers peuvent aussi être avancées. Une version du Bombardement de Mantoue recueillie dans l’ouest de la France et publiée par Jérôme Bujeaud au milieu des années 1860 met en scène la prise de Montaigu par le général Charrette : elle réactualise ainsi l’action dans la Vendée contre-révolutionnaire des années 1793-1796, selon un phénomène de « chouanisation » mémorielle72. Au Québec, plusieurs versions de cette chanson relatent cette fois le siège de Toronto par Papineau : cette description ne peut être associée à aucune réalité attestée au cours de la révolte des Patriotes de 1837 mais fait écho à des événements historiques marquants pouvant être connus des interprètes et de leurs auditoires. Il s’agit là d’écotypes, c’est-à-dire de variantes locales de récits s’adaptant à un milieu spécifique dans certaines aires géographiques, qui peuvent refléter des préférences culturelles communautaires et des expériences particulières à un individu73. En l’absence d’informations sur l’identité politique des interprètes, sur leur compréhension historique du chant, sur la façon dont ils l’ont appris et leurs motivations à le chanter, il est difficile d’approfondir cette réflexion. On peut toutefois remarquer que les deux plus anciennes versions de la Prise de Toronto ont été collectées par Marius Barbeau en 1916 et en 1918 en Gaspésie et dans la région de Montréal74 : les événements historiques auxquels il est fait référence dans la chanson n’étaient alors distants que de six à huit décennies, soit un laps de temps pendant lequel la mémoire familiale se transmet facilement75.

35 En ce qui concerne la Complainte de Louisbourg, près de deux siècles se sont écoulés entre le siège de 1758 et les enregistrements à Chéticamp. Plusieurs hypothèses ont été formulées pour expliquer la circulation de cette chanson jusqu’à ce village du Cap-Breton habité par des Acadiens réfugiés de la déportation. Jeanne Dugas, originaire de Louisbourg, aurait pu faire le lien entre les deux espaces en tant qu’épouse de Pierre Bois, l’un des fondateurs de l’établissement permanent à cet endroit en 1782; Joseph Gaudet, dont deux fils sont nés à Louisbourg dans les années 1760 avant que la famille ne rejoigne Chéticamp, serait une autre piste76. Les très importants mouvements de populations tant civiles que militaires – habitants déplacés, soldats déserteurs ou démobilisés – dans la région ne permettent cependant aucune certitude sur ce point, la chanson ayant pu être transmise par des intermédiaires n’ayant pas de lien personnel direct avec Louisbourg. Il est tout de même intéressant de noter que les enquêtes ethnographiques révèlent la quasi-inexistence de traditions orales transmises sur la chute de Louisbourg et plus largement sur le souvenir de la déportation77. L’analyse des autres chansons recueillies auprès des interprètes de Complainte de Louisbourg montre toutefois que celle-ci s’inscrit dans des répertoires riches en complaintes anciennes dont certaines font référence à d’autres épisodes de la guerre de Sept Ans. Ce n’est certainement pas un hasard si William Aucoin chante la complainte sur le combat naval du Foudroyant immédiatement avant la Complainte de Louisbourg sur les bandes enregistrées par Geneviève Massignon. Germain Chiasson interprète pour sa part, en plus de ces deux chansons, un fragment du Combat en mer de Bart, qui relate comment la frégate Danaé est défaite par les Anglais alors qu’elle quitte Dunkerque pour ravitailler la Nouvelle-France en mars 1759; il connaît en outre d’autres chansons exprimant un sentiment anti-anglais78.

36 Il ne faudrait donc pas assimiler la Complainte de Louisbourg à une « Acadie du discours », une production lettrée issue d’un discours identitaire élitiste et nationaliste79. Ou plutôt, il faut distinguer les versions enregistrées auprès de chanteurs comme Thomas Doucet, William Aucoin et Germain Chiasson, qui portent de nombreuses marques d’un texte ayant circulé dans la tradition orale, et celle de François Chiasson, dont les couplets inédits ressemblent fort à une continuation poétique traduisant les aspirations du renouveau littéraire acadien à partir de la seconde moitié du 19e siècle : il y est fait directement référence à la « persécution » et à la déportation « malgré la foi des traités » qui a « porté en exil / Tous nos parents de Grand-Pré », le tout écrit dans une langue volontairement chargée d’acadianismes dans les conjugaisons des verbes. Ces thèmes et cette manière d’écrire sont au contraire totalement absents dans les chansons recueillies dans la tradition orale.

Conclusion

37 Commentant les variations de noms de lieux et de généraux dans les chansons de sièges de villes, Julien Tiersot en déduit qu’il n’est « pas besoin d’insister pour montrer que les chansons populaires n’apportent jamais aucune utile contribution à l’histoire, et que leurs mérites sont d’autant plus grands qu’elles empruntent davantage à la seule imagination80 ». Il se place ainsi dans une perspective d’histoire événementielle qui est en cohérence avec son temps mais qui nécessite un siècle plus tard d’être réévaluée dans une approche sociale et culturelle.

38 L’origine exacte, le compositeur et le circuit précis de diffusion d’une chanson de siège européenne jusqu’au Cap-Breton sont impossibles à déterminer. L’absence d’antécédent écrit connu pour les versions recueillies à Chéticamp ne facilite pas l’exercice. Pour autant, le thème général de la Complainte de Louisbourg, le style d’écriture et plusieurs détails du texte écartent la possibilité d’une composition lettrée récente visant à raviver le souvenir des souffrances infligées par les Anglais dans une perspective nationaliste acadienne – mis à part les couplets complétant la version de François Chiasson – et rendent très peu probable l’hypothèse d’une composition locale. L’analyse de cette chanson amène au contraire à explorer les mécanismes de réactualisation de motifs pluriséculaires largement répandus dans les cultures populaires autour de la prise de villes. Reflétant une réalité très prégnante en Europe à l’époque moderne, les chansons de sièges relatent des événements dont le mécanisme est codifié et qui se répètent avec régularité, ce qui rend aisé le rajeunissement de récits en les adaptant à l’actualité par le changement du nom de la ville et de l’identité des assiégeants.

39 Dans ce contexte, un renouvellement autour du siège de Louisbourg impliquant les Anglais n’a rien de surprenant. La mention de « Félixbourg » dans tous les enregistrements de tradition orale invite à privilégier la piste de la prise de Philippsbourg. La récurrence des sièges de cette place forte sur le Rhin entre les années 1670 et 1730 a généré de multiples narrations dont la transmission orale entre Europe et Amérique du Nord a pu être facilitée par le transfert de soldats et officiers d’un terrain militaire à l’autre dans le deuxième tiers du 18e siècle. Au-delà de la proximité phonétique entre les deux toponymes, la possible réactualisation d’une chanson préexistante prend appui sur un fonds commun de récits autour de sièges de villes qui imprègne largement la culture partagée entre soldats, mais qui dépasse également ce milieu pour toucher une population bien plus vaste. L’analyse de cette chanson conservée à l’état de trace dans la mémoire orale acadienne permet ainsi de mieux documenter les logiques de circulation, d’adaptation et de réappropriation des chansons de tradition orale entre Europe et Amérique francophone.

Annexe 1 – Tableau récapitulatif des versions connues de la Complainte de Louisbourg
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Annexe 2 – Trois variantes textuelles de la Complainte de Louisbourg, suivies de la partition de la version de François Chiasson Thumbnail of Table 2 Display large image of Table 2

Annexe 3 – La ville de Philippsbourg (complainte de David Michelin 87)

Noble ville de Philippsbourg
Je viens t’annoncer en ce jour
Au roi de France il te faut rendre
Au moins ne te fais pas prier
Car tu ne pourras plus résister

Que dites-vous nobles Français
Ce n’est pas là ma volonté
À l’empereur je suis fidèle
Je ne crains rien aucunement
Retirez-vous donc promptement

Ne me fais pas mettre en courroux
Noble ville de Philippsbourg
Je te jouerais une danse
À coups de bombes et de canons
Qui te servira de violon

Nous ne craignons pas vos violons
Ni vos bombes ni vos canons
J’ai une garnison fidèle
De beaux canons sur mes remparts
Qui ronfleront de toutes parts

Faites donc feu mes canonniers
Et tous vous autres bombardiers
Faites feu sur cette canaille
Qui raisonne si hardiment
Mettez-les tous à feu et à sang

Monsieur jouez tout doucement
Vous avez des rudes instruments
Vous enfoncez toutes nos murailles
Mettez en bas nos bastions
Sans pitié et sans rémission

Prince Eugène où êtes-vous
Pourquoi ne vous présentez-vous
N’voyez-vous pas la grand’souffrance
Que les Français nous font souffrir
Ah venez donc nous secourir

M’est impossible Philippsbourg
De te secourir en ce jour
L’armée de France elle est trop forte
Car je crains fort de l’approcher
Philippsbourg pour te soulager

Adieu mon prince et grand seigneur
Adieu mon puissant empereur
Puisqu’aujourd’hui il te faut rendre
Tours murailles et bastions
À ce grand roi Louis Bourbon

L’on voit sortir de Philippsbourg
De la fumée nuit et jour
Chaque soldat versait des larmes
Disant maudit soit le jour
De la prise de Philippsbourg

Ceux qui ont fait cette chanson
Ils en sont trois jolis garçons
C’est Michelin qui vous la chante
Mais il n’a pas qu’un sou marqué
Messieurs pour boire à sa santé

Notes

1 Robert Bouthillier et Éva Guillorel, « Que reste-t-il des conflits coloniaux franco-anglais dans la tradition chantée francophone d’Amérique? », dans Laurent Veyssière, Philippe Joutard et Didier Poton (dir.), Vers un monde atlantique nouveau : les traités de Paris, 1763-1783, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2016, p. 231-257.
2 La prise du vaisseau, catalogue Laforte II.1-69; La reddition du vaisseau, catalogue Coirault n° 7107. Ces catalogues constituent les ouvrages de référence pour la classification des chansons traditionnelles francophones : Conrad Laforte, Le catalogue de la chanson folklorique française, Québec, Presses de l’Université Laval, 1977-1987, 6 vol.; Patrice Coirault, Répertoire des chansons françaises de tradition orale, ouvrage révisé par Georges Delarue, Yvette Fédoroff, Simone Wallon et Marlène Belly, Paris, Bibliothèque nationale de France, 1996-2007, 3 vol. Sur cette chanson, voir les études de Donatien Laurent, « La reddition du Foudroyant en 1758 : un épisode de la guerre de Sept Ans à travers la chanson française de tradition orale en France et en Nouvelle-France », dans Jean-Pierre Pichette (dir.), Entre Beauce et Acadie : facettes d’un parcours ethnologique. Études offertes au professeur Jean-Claude Dupont, Québec, Presses de l’Université Laval, 2001, p. 253-256; et Geneviève Massignon, « Chants de mer de l’Ancienne et de la Nouvelle-France », International Folk Music Journal, vol. 14 (1962), p. 79-86.
3 Louisbourg, catalogue Laforte VI.B-35. Elle est classée dans l’anthologie de Helen Creighton dans la catégorie « complaintes d’origine acadienne » et non parmi les « chansons historiques » ou les « chansons à thème militaire ». Helen Creighton, La fleur du rosier : chansons folkloriques d’Acadie/Acadian Folk Songs, édité par Ronald Labelle, Sydney, University College of Cape Breton Press/Musée canadien des civilisations, 1988, p. 239-240.
4 Je tiens à remercier les nombreuses personnes qui m’ont aidée dans cette recherche, à commencer par Robert Bouthillier, qui m’a accompagnée dans la réflexion initiale et dans la recherche de versions. L’aide de Ronald Labelle, qui a facilité l’accès aux sources et études existantes ainsi qu’aux informations sur le contexte de collecte, a été très précieuse. Je remercie également Boris Lesueur, Guillaume Veillet, Évelyne Girardon, Jean-Marc Jacquier, David Hopkin, Émilie Dosquet, François Gasnault, Gregory Kennedy et le groupe de recherche « Repenser l’Acadie dans le monde » pour leurs conseils. Cet article était déjà terminé lorsqu’ont été mis en ligne entre octobre 2021 et février 2022 trois films courts richement illustrés sur la Complainte de Louisbourg, réalisés par Jean-Marie Bourgeois avec la collaboration de Robert Deveaux et en lien avec le projet « The Lost World of Cape Breton Island: Forgotten Stories from the French Colony of Île Royale » : https://thelostworldofcapebretonisland.ca/. Relevant la mention étonnante de « Philippsbourg » dans la chanson, l’auteur affirme dans la deuxième vidéo que « c’est pour nous la référence la plus obscure de toute la chanson ». Cet article devrait permettre d’apporter des éclaircissements sur ce point.
5 Un tableau récapitulatif des versions est présenté en annexe 1.
6 Public Archives of Nova Scotia, fonds Creighton, AC 2267, dossier 782; Creighton, La fleur du rosier, p. 239-240; texte republié dans Ronald Labelle (dir.), Chansons acadiennes de Pubnico et Grand-Étang tirées de la collection Helen Creighton/Acadian Songs from Pubnico and Grand-Étang from the Helen Creighton Collection, Dartmouth/Moncton, Helen Creighton Folklore Society/Chaire de recherche McCain en ethnologie acadienne, 2008, p. 46-48 et enregistrement CD, plage 10. Une biographie et une photographie de « Tom » Doucet (1877-1957), demeurant au village de Saint-Joseph-du-Moine, au sud de Grand-Étang, sont présentées dans ce second ouvrage, p. 21. Cet homme est le doyen des chanteurs enregistrés par Helen Creighton lors de la veillée unique à laquelle elle assiste dans la région le 6 juin 1944. Sur le contexte de ses enquêtes à Chéticamp et en Acadie, voir l’analyse de Ronald Labelle, « Helen Creighton et la chanson traditionnelle acadienne », dans le même ouvrage, p. 18-27; ainsi que l’introduction de Creighton, La fleur du rosier, p. III-IV. La version de Thomas Doucet peut être entendue dans le film de Jean-Marie Bourgeois, Helen Creighton et le mystère de « La complainte de Louisbourg » : https://www.youtube.com/watch?v=giL5viUcG2c. Sur le travail de collecte de Helen Creighton en Nouvelle-Écosse, voir les précieuses archives audiovisuelles présentées dans le documentaire de Donna Davies A Sigh and a Wish: Helen Creighton’s Maritimes, Documentary Educational Resources, 2001 : https://www.youtube.com/watch?v=69L5JOGQDaE.
7 Université de Moncton, Centre d’études acadiennes Anselme-Chiasson (CEAAC), fonds A. Chiasson, AF-001, enreg. 00019. Une transcription dactylographiée plus longue (7 couplets) témoigne d’un second enregistrement daté d’octobre 1971 : Archives de folklore et d’ethnologie de l’Université Laval (AFEUL), dossier de transcriptions par chants-types. Alexandre Boudreau évoque ses relations avec son cousin Anselme Chiasson dans Ronald Labelle et Lauraine Léger (dir.), En r’montant la tradition : hommage au père Anselme Chiasson, Moncton, Éditions d’Acadie, 1982, p. 9-11.
8 Daniel Boudreau et Anselme Chiasson, Chansons d’Acadie, 4e série, Moncton, Éditions des Aboiteaux, 1972, p. 13. Daniel Boudreau a indiqué à Ronald Labelle que cette chanson était bien connue dans sa jeunesse et que ses parents la chantaient. Une version recueillie en 1983 lors d’une enquête ethnographique auprès de Lubie Chiasson à Chéticamp n’a pas été retenue dans le cadre de cette analyse, car le chanteur interprète la complainte en la lisant mot à mot dans les Chansons d’Acadie, dont il tourne les pages au cours de l’enregistrement. CEAAC, fonds B. LeBlanc-V. Gascon-L. Sadowski, AF-391, enreg. 16.199. Le texte des Chansons d’Acadie est repris dans une version vocale harmonisée par le groupe québécois Le Vent du Nord sur son album Territoires, La Compagnie du Nord/Borealis Records, 2019, plage 7 : https://leventdunord.bandcamp.com/track/louisbourg.
9 Sur les chanteurs de la famille Boudreau à Petit-Étang et sur l’investissement essentiel de Daniel Boudreau dans les Chansons d’Acadie, voir Godefroy-C. Dévost, Les deux allégeances d’Anselme Chiasson : sa vie et son œuvre, Moncton, Centre d’études acadiennes, 2006, p. 29-50 et 95-97; Ronald Labelle, « Daniel Boudreau (1917-2015) », Rabaska, vol. 14 (2016), p. 194-196.
10 Ces chanteurs sont originaires de Saint-Joseph-du-Moine et de Grand-Étang. Bibliothèque nationale de France (BnF), coll. Massignon, bande n° 72-163, n° 9; bande n° 72-164, n° 21. Une transcription de la version de William Aucoin est conservée dans les archives manuscrites de Geneviève Massignon : BnF, MAS_39 (11). Cet enregistrement peut être écouté sur le blogue d’Acadiensis: https://acadiensis.wordpress.com/2022/05/23/dou-vient-la-complainte-de-louisbourg/.
11 Présentée dans Alfred-Antonin Pouinard, Recherches sur la musique d’origine française en Amérique du Nord, Canada et Louisiane, thèse de doctorat, Université Laval, 1950, p. 129-130. Les archives sonores des fonds Pouinard conservées aux AFEUL, au Musée canadien de l’histoire à Gatineau et dans le fonds du Musée national des Arts et traditions populaires (aujourd’hui conservé aux Archives nationales de France) ne contiennent pas d’enregistrement de cette chanson.
12 Partition reproduite d’après Creighton, La fleur du rosier, p. 239. J’ai réalisé la transcription textuelle d’après l’enregistrement, ce qui explique les légères différences avec le texte accompagnant la partition. Une sélection d’autres versions est présentée en annexe 2.
13 Le chanteur termine ce couplet incomplet en disant : « Moi c’est tout c’que j’sais ».
14 Document conservé dans les Archives de la Forteresse de Louisbourg et cité par Ken Donovan, « “After Midnight We Danced Until Daylight”: Music, Song and Dance in Cape Breton, 1713-1758 », Acadiensis, vol. 32, n° 1 (automne 2002), note 101 p. 20.
15 Le nombre d’hommes dans les forces terrestres françaises à Louisbourg à la date du 8 juin 1720 est évalué à 3 520 dans A. J. B. Johnston, 1758, la finale : promesses, splendeur et désolation de la dernière décennie de Louisbourg, Québec, Presses de l’Université Laval, 2011, p. 67 et annexe 3. Cet ouvrage présente une description détaillée du déroulement du siège. Voir aussi Boris Lesueur, Les troupes coloniales d’Ancien Régime : fidelitate per mare et terras, Paris, SPM, 2014, p. 364-370.
16 Le terme le plus souvent utilisé dans les versions sonores est celui de « composition », qui reprend le sens de « négociation » attesté au XIIIe siècle : Alain Rey (dir.), Dictionnaire historique de la langue française, Paris, Dictionnaires Le Robert, 1998, t. I, p. 827. Cet archaïsme langagier est supprimé ou modifié dans les publications de la chanson afin de donner au couplet un sens plus limpide pour les lecteurs d’aujourd’hui.
17 La capitulation de 1745 est décrite par un témoin oculaire anonyme dans une relation imprimée peu après les événements, éditée par George M. Wrong, Louisbourg in 1745: Lettre d’un habitant de Louisbourg, Toronto, Warwick Bro’s & Rutter, 1897, p. 62-64. Sur la capitulation de 1758, voir Johnston, 1758, la finale, p. 367-374. Sur les normes de la reddition honorable lors du siège d’une ville, voir Paul Vo-Ha, Rendre les armes : le sort des vaincus, XVIe-XVIIe siècles, Paris, Champ Vallon, 2017, p. 38-58.
18 Ronald Labelle, « La complainte de Louisbourg », conférence inédite présentée en 2013 à la galerie d’art de la Cape Breton University et à la forteresse de Louisbourg.
19 Lucien Bély, Les relations internationales en Europe, XVIIe-XVIIIe siècles, Paris, Presses universitaires de France, 2007 (1re éd. 1992), p. 260, 355-357 et 472-473.
20 Dans la transcription des paroles de ce chanteur, Geneviève Massignon a d’ailleurs bien repéré cette porosité des prononciations en indiquant l’un en dessous de l’autre, à l’aide d’une accolade, les noms de « Félixbourg » et « Philipsbourg ». BnF, fonds Massignon, MAS_39 (11).
21 La recherche a porté sur les textes accessibles de façon imprimée ou numérisée et a été facilitée par le dépouillement des bases de données établies par Henri Duranton : https://satires17.univ-st-etienne.fr/ et https://satires18.univ-st-etienne.fr/.
22 Ce qui rend donc peu crédible l’hypothèse selon laquelle la Complainte de Louisbourg aurait été composée au 19e siècle par un érudit lettré ou un descendant de vétéran du siège qui aurait entendu les souvenirs de ses aïeux.
23 Voir Émilie Dosquet, « “We have been Informed that the French are Carrying Desolation Everywhere”: The Desolation of the Palatinate as a European News Event », dans Joad Raymond et Noah Moxham (dir.), News Networks in Early Modern Europe, Leyde, Brill, 2016, p. 641-674. Les différentes relations imprimées en allemand – incluant les chansons – sur les deux sièges de Philippsbourg du 17e siècle sont recensées et accessibles sur le site : https://kxp.k10plus.de//DB=1.28/SET=4/TTL=1/NXT?FRST=1/SHRTST=25.
24 Denis Carolet, La prise de Philippsbourg, pièce de marionnettes représentée à la foire de Saint Laurent, 1734, transcrite et numérisée dans le cadre de l’ANR « Contrainte et Intégration : pour une réévaluation des spectacles forains et italiens sous l’Ancien Régime » : http://cethefi.org/ciresfi/doku.php?id=pieces. La notion de timbre renvoie à une mélodie préexistante choisie parce qu’elle est bien connue du grand public, et servant de support à la composition de nouveaux textes de chansons.
25 Lettre du 18 septembre 1676. Marie de Rabutin-Chantal, marquise de Sévigné, Lettres, éditées par M. Monmerqué, Paris, Hachette, 1862, vol. 5, p. 69. Sur l’espace sonique parisien, les relations entre chanson et pouvoir et l’importance du Pont-Neuf comme espace de création et de diffusion chansonnière, voir Nicholas Hammond, The Powers of Sound and Song in Early Modern Paris, University Park, The Pennsylvania State University Press, 2019. L’ambassadeur allemand Ézéchiel Spanheim relate aussi les déboires du maréchal de Luxembourg, qui découvre à son retour de Paris après la perte de Philippsbourg les chansons satiriques composées à son égard : voir les citations à ce sujet dans Bertrand Fonck, Le maréchal de Luxembourg et le commandement des armées de Louis XIV, Paris, Champ Vallon, 2014, p. 134.
26 BnF, ms fr. 12675, Recueil de chansons choisies en vaudevilles pour servir à l’histoire anecdotte de la cour et de la ville depuis 1732 jusques en 1747, tome III, p. 164-168. Cette chanson est recensée dans six autres chansonniers conservés à la Bibliothèque nationale de France, à la Bibliothèque de l’Arsenal, à la Bibliothèque historique de la Ville de Paris et à la Bibliothèque municipale de Lyon : https://satires18.univ-st-etienne.fr/, catalogue Duranton n° 1739.
27 Ce timbre est analysé et de nombreuses occurrences sont cataloguées dans le recueil de Ballard édité par Herbert Schneider, La Clef des chansonniers (1717). Erweiterte kritische Neuausgabe, Hildesheim, Olms, 2005, p. 218-219; ainsi que dans Mélodies en vogue au XVIIIe siècle : le répertoire des timbres de Patrice Coirault, révisé, organisé et complété par Georges Delarue et Marlène Belly, Paris, BnF, 2020, p. 404 (n° L165).
28 BnF, ms fr. 12619, chansonnier de Maurepas, p. 342. La version est reproduite en orthographe modernisée et avec une partition dans Pierre Barbier et France Vernillat, Histoire de France par les chansons, t. II : Mazarin et Louis XIV, Paris, Gallimard, 1956, p. 95-96. Timbre répertorié dans : Ballard (éd. Schneider), La Clef des chansonniers, p. 344-351; et dans Mélodies en vogue au XVIIIe siècle, p. 606-607 (n° R018).
29 Bibliothèque Mazarine, ms 3986, Recueil de chansons anecdotes, satyriques et historiques depuis 1709 jusques en 1756, p. 160.
30 Ce qui correspond à la coupe 7mmfmfm ou 8mmfmfm.
31 Aussi connu sous d’autres noms : Air du confiteor, Air des ennuyeux, Mon père je viens vers vous.... Une liste complète des sources musicales et des renvois vers les partitions anciennes (La Clef des chansonniers de Ballard, le Chansonnier de Maurepas, Le théâtre de la foire et Les parodies du nouveau théâtre italien) est présentée sur le site Theaville : http://www.theaville.org/kitesite/index.php?r=vaudevilles/afficher&ref=confiteor&affiche=2828. Cette base de données est un très utile complément aux catalogues de timbres existants, où il est également répertorié sous différents titres : Ballard (éd. Schneider), La Clef des chansonniers, p. 118-124 (Air de l’Échelle du temple); Mélodies en vogue au XVIIIe siècle, p. 163-164 (n° C199, Confiteor) et p. 664-665 (n° T093, Tout cela m’est indifférent). La partition de l’Air des Rochelois proposée ici, extraite de cette base, est tirée d’Alain-René Lesage et Jacques Philippe d’Orneval, Le théâtre de la foire, ou l’opéra comique, Paris, Étienne Ganeau, 1721, t. I; pour que sa structure en quatre vers s’applique aux chansons en six vers qui utilisent fréquemment ce timbre, la deuxième phrase doit être bissée.
32 BnF, ms fr. 12619, Chansonnier de Maurepas, p. 347-348.
33 BnF, ms fr. 12619, Chansonnier de Maurepas, p. 217.
34 Bibliothèque Mazarine, ms 3986, Recueil de chansons anecdotes, satyriques et historiques depuis 1709 jusques en 1756, p. 143, catalogue Duranton n° 5507; BnF, ms fr. 12674, Recueil de chansons choisies, satiriques etc., en vaudevilles, pour servir à l’histoire anecdote de la cour et de la ville (1713-1747), p. 205, catalogue Duranton n° 1756.
35 Cette notion renvoie à une classification des chants en fonction de plusieurs critères d’appartenance. Deux versions sont rattachées à un même chant-type si elles traitent du même sujet, utilisent des motifs et expressions comparables et ont la même coupe. Pour une synthèse décrivant les caractéristiques et les mécanismes de constitution et de transformation de la chanson de tradition orale francophone, voir Jean-Michel Guilcher, La chanson folklorique de langue française : la notion et son histoire, Paris, Atelier de la danse populaire, 1989.
36 Recueil historique de chansons, vaudevilles, épigrammes, pasquinades [...], 1re partie, s.l., 1746, p. 3.
37 Coirault, Répertoire des chansons françaises, vol. 2, rubrique 70, « Combats, sièges et prises de villes », p. 373-377.
38 Coirault n° 7001; Laforte I, A-67. Voir le tableau de comparaison de versions dans Patrice Coirault, « Recherches sur l’ancienneté et l’évolution de quelques chansons populaires françaises de tradition orale », Bulletin de l’Institut général psychologique, 27e année, n° 4-6 (1927), p. 19; repris dans Patrice Coirault, Notre chanson folklorique, Paris, Picard, 1942, p. 41. Cet exemple est enrichi dans l’analyse de David Hopkin, « “My gunners will burn your houses, my soldiers will pillage them”: What French people were singing when they sang about Napoleon », French History en ligne, mai 2021 : https://doi.org/10.1093/fh/crab018. Voir aussi les remarques de Roger Pinon, « Le siège de Mons en 1691 en chansons », dans Jean-Pierre Pichette (dir.), L’œuvre de Germain Lemieux, s.j. : bilan de l’ethnologie en Ontario français, Sudbury, Centre franco-ontarien de folklore/Prise de parole, 1993, p. 367-395.
39 Coirault, « Recherches sur l’ancienneté », p. 44-47.
40 Coirault n° 7006.
41 Charles Beauquier, Chansons populaires de Franche-Comté, Marseille, Lafitte Reprints, 1977 (1re éd. Paris, 1894), p. 209-210.
42 Julien Tiersot, Chansons populaires recueillies dans les Alpes françaises (Savoie et Dauphiné), Marseille, Lafitte Reprints, 1979 (1re éd. 1903), p. 45-46. Seul ce premier couplet comporte huit vers, au contraire des autres, qui en comportent six.
43 Version recueillie par Pierre-Georges Roy auprès de Mme Lavoie à Sainte-Luce et publiée en 1890, analysée dans Luc Lacourcière, « Le général de Flipe [Phips] », Les Cahiers des dix, n° 39 (1974), p. 243-277.
44 Beauquier, Chansons populaires de Franche-Comté, p. 209-210.
45 Tiersot, Chansons populaires recueillies dans les Alpes françaises, p. 3-81. On peut également trouver de nombreuses versions intéressantes dans Achille Millien, Chants et chansons du Nivernais, Marseille, Laffitte Reprints, 1981 (1re éd. 1906), p. 299-317.
46 Chanson connue à la fois par des textes écrits et imprimés dès le 16e siècle et par des versions recueillies de tradition orale encore au 20e siècle en Bretagne, analysée par Robert Bouthillier et Éva Guillorel, « La prise de Rome de 1527 dans la chanson populaire (XVIe-XXIe siècles) », dans Olivier Millet, Alice Tacaille et Jean Vignes (dir.), La chanson d’actualité, de Louis XII à Henri IV, « Cahiers V. L. Saulnier », n° 36 (2021), p. 69-88.
47 Il est mentionné dans nombre de chansons en français (Coirault n° 6108; Laforte I, B-15), en allemand (dont l’une attestée dans un chansonnier dès 1719 a plus tard inspiré la Marche du prince Eugène de Josef Strauss, opus 186) et en piémontais (par exemple dans une chanson sur le siège de Turin de 1706 publiée par Costantino Nigra, Canti popolari del Piemonte, Turin, Giulio Einaudi, 1957 (1re éd. 1888), vol. 2, p. 625-629).
48 Tiersot, Chansons populaires recueillies dans les Alpes françaises, p. 57-58. La Sardaigne, dépendance de la couronne d’Espagne depuis le 15e siècle, devient possession autrichienne au traité d’Utrecht en 1713, avant d’être cédée en 1720 au duc de Savoie (qui cumule dès lors ce titre avec celui de roi de Sardaigne) en échange de la Sicile.
49 Patrice Coirault, Formation de nos chansons folkloriques, Paris, Éditions du Scarabée, vol. I, 1953, p. 83-99.
50 Hopkin, « “My gunners will burn your houses” ». La composition de chansons de guerre par des soldats est bien documentée en France dès le 15e siècle : Laurent Vissière, « La chanson d’aventurier », dans Millet, Tacaille et Vignes, La chanson d’actualité, p. 109-132.
51 Teofilo G. Pons, « La vie traditionnelle dans les vallées vaudoises du Piémont », Le monde alpin et rhodanien, n° 3-4 (1978), p. 122-123; Tiersot, Chansons populaires recueillies dans les Alpes françaises, p. 55-56 et 58-69; La Cantarana, Je suis parti un matin... Canti storici raccolti nelle Valli Valdesi, livret de cassette, 1989.
52 Une comparaison entre les textes chantés sur la prise de cette ville est proposée dans Roger Pinon, « La prise de Namur en chansons historiques », Le Guetteur wallon, 80e année, n° 2 (2004), p. 44-53.
53 Voir le texte complet de cette chanson en annexe 3. Trois couplets et une mélodie sont publiés dans Federico Ghisi, Vieilles chansons des vallées vaudoises du Piémont, Paris/Florence, Librairie Marcel Didier/Edizioni Sansoni, 1963, p. 30. Une version plus complète en 11 couplets, tirée du cahier de chansons compilé par Jean-Pierre Richard en 1898 dans le val Germanasca, en Piémont, est publiée par La Cantarana, Je suis parti un matin... Canti storici raccolti nelle Valli Valdesi, face B, plage 3 : http://www.alpcub.com/canti%20storici%20valdesi.pdf. La mélodie ne présente pas de parenté avec celle de la Complainte de Louisbourg. La coupe, bien que comportant cinq vers au lieu de six, est par contre identique dans le nombre de syllabes et dans l’alternance entre assonances masculines et féminines si l’on retire le cinquième vers (avec un schéma 7mmfmm).
54 La piste d’une circulation au sein de milieux militaires est ici privilégiée mais n’est pas la seule envisageable. Chant, musique et danse étaient bien présents dans toutes les couches de la population de Louisbourg au 18e siècle, des cahiers et livres de chansons s’échangeaient en ville, et les attestations de circulation culturelle depuis la France dans ce domaine sont nombreuses : Donovan, « “After Midnight We Danced Until Daylight” », p. 3-28. En contexte militaire, on peut relever qu’un « état des soldats des différentes compagnies qui ont été fustigés ou montés sur le cheval de bois » daté d’octobre 1753 signale que l’un des motifs de punition est d’avoir chanté Les galériens de Louisbourg, chanson par ailleurs inconnue. Cité dans Lesueur, Les troupes coloniales d’Ancien Régime, p. 195.
55 L’un des plus célèbres d’entre eux, Johann Christian Fischer, est d’ailleurs mentionné dans une chanson sur le siège de Hanovre recueillie de tradition orale dans l’Est de la France (catalogue Coirault n° 7004) : Théodore Boudet de Puymaigre, Chants populaires recueillis dans le pays messin I-II, Marseille, Laffitte Reprints, 1978 (1re éd. 1881), p. 238-240.
56 Journal du siège de Philipsbourg pris le 18 juillet 1734 par l’armée de sa majesté très chrétienne commandée par le maréchal d’Asfeld, La Haye, Jean Van Duren, 1734, p. 12. Sur l’évolution des régiments présents à Louisbourg entre 1713 et 1758, voir A. J. B. Johnston, Control and Order in French Colonial Louisbourg, 1713-1758, East Lansing, Michigan State University Press, 1992, p. 175-177.
57 Sur l’origine et la composition de ce régiment, voir Boris Lesueur, Un régiment suisse à Rochefort pour la Marine du Roi, fidelitate et honore terra et mare, Rochefort, Comité rochefortais de documentation historique de la Marine, 2017.
58 Johnston, 1758, la finale, p. 212-213 et annexe 3.
59 Andrew Johnston calcule, d’après le signalement détaillé des soldats en garnison à Louisbourg, connu pour l’année 1752, que l’âge moyen est 27 ans. Johnston, Control and Order, p. 185-186.
60 Un dénommé Cir Brissard dit La Joye, soldat au régiment d’Artois, meurt ainsi à l’hôpital de Louisbourg le 23 mars 1756 à l’âge de 50 ans, sans qu’on sache depuis combien de temps il servait dans l’armée. Archives nationales d’outre-mer, COL E 52, Secrétariat d’État à la Marine, Personnel colonial ancien, lettre B : http://anom.archivesnationales.culture.gouv.fr/ark:/61561/up424wruxui.
61 Dave Noël, Montcalm, général américain, Montréal, Boréal, 2018, p. 27-28.
62 T. A. Crowley, « Le Courtois de Surlaville, Michel », Dictionnaire biographique du Canada en ligne, vol. IV, http://www.biographi.ca/. Surlaville se plaint d’ailleurs à son protecteur Choiseul d’être la cible de « chansons infâmes » dont plusieurs couplets sont cités dans Gaston Du Boscq de Beaumont, Les derniers jours de l’Acadie (1748-1758) : correspondances et mémoires extraits du portefeuille de M. Le Courtois de Surlaville lieutenant-général des armées du roi, ancien major des troupes de l’île Royale, Genève, Slatkine-Megariotis Reprints, 1975 (1re éd. 1899), p. 5-7.
63 T. A. Crowley, « Raymond, Jean Louis de », Dictionnaire biographique du Canada en ligne, vol. IV, http://www.biographi.ca/; Lesueur, Les troupes coloniales d’Ancien Régime, p. 193.
64 Archives nationales d’outre-mer, COL E 240, Secrétariat d’État à la Marine, Personnel colonial ancien, lettre L : http://anom.archivesnationales.culture.gouv.fr/ark:/61561/up424lfgeimx. Régis Roy, « Mr. Le Poupet de la Boularderie, officier à l’Île Royale », Le pays laurentien, n° 6 (juin 1917), p. 92-94; Dale Miquelon, « Le Poupet de La Boularderie, Antoine », Dictionnaire biographique du Canada en ligne, vol. IV, http://www.biographi.ca/.
65 André Corvisier, L’armée française de la fin du XVIIe siècle au ministère de Choiseul : le soldat, Paris, Presses universitaires de France, 1964; Lesueur, Les troupes coloniales d’Ancien Régime, chap. 3.
66 David Hopkin, Soldier and Peasant in French Popular Culture, 1766-1780, Woodbridge, The Boydell Press, 2002; Hopkin, « “My gunners will burn your houses” ».
67 Ghisi, Vieilles chansons des vallées vaudoises, p. 10-12.
68 Il faut aussi rappeler que les grandes victoires européennes étaient célébrées dans les colonies. Plusieurs correspondances entre le secrétariat d’État à la Marine et les gouverneurs et évêques du Canada et des Antilles ont ainsi pour sujet le Te Deum que le roi ordonne de chanter dans les colonies pour célébrer la prise de Philippsbourg en 1688 : Archives nationales d’outre-mer, COL B 14, f° 55; COL B9, f° 142; COL C8A 78, f° 203. Pour des considérations plus larges sur la circulation de l’information dans l’Atlantique colonial, voir Kenneth J. Banks, Chasing Empire across the Sea: Communications and the State in the French Atlantic, 1713-1763, McGill-Queen’s University Press, Montréal, 2002.
69 Dans le contexte cette fois des Pays d’en Haut, Charles Doutrelepont analyse comment une chanson composée en France à la suite de la prise de Berg-op-Zoom par Louis XV en 1747 a circulé en Amérique et inspiré à un officier du fort Duquesne un éloge à la gloire du commandant Beaujeu, tué lors de l’attaque victorieuse des Français contre les troupes anglaises menées par Braddock près de la rivière Monongahela en juillet 1755 : Charles Doutrelopont, « Les vers funèbres du fort Duquesne (12 juillet 1755) »,Francophonies d’Amérique, n° 40-41 (automne 2015-printemps 2016), p. 55-81.
70 Un exemple semblable concerne le siège de la ville de Guingamp dans la tradition chantée en langue bretonne : la complainte recueillie oralement dès le 19e siècle mêle des épisodes empruntés aux deux sièges successifs de 1489 et de 1591. Donatien Laurent, « Le siège de Guingamp », ArMen, no 143 (novembre-décembre 2004), p. 18-23.
71 David Hopkin, « Sieges, Seduction and Sacrifice in Revolutionary War: The “Virgins of Verdun”, 1792 », European History Quarterly, vol. 37, no 4 (octobre 2007), notamment p. 535-536 sur les chansons de sièges de villes; J. Dumont, « Une chanson de colportage flamande sur la capitulation de Luxembourg en 1795 », Bulletin linguistique et ethnologique, fascicule 3 (1954), p. 16-63.
72 Jérôme Bujeaud, Chants et chansons populaires des provinces de l’Ouest, Poitou, Saintonge, Aunis et Angoumois, Marseille, Lafitte Reprints, 1980 (1re éd. 1865-1866), vol. II, p. 115. Sur la « chouanisation » des traditions orales, c’est-à-dire le renouvellement de chansons anciennes dans le contexte historique de la Révolution et de la Contre-Révolution dans l’ouest de la France, voir Éva Guillorel, La complainte et la plainte : chanson, justice, cultures en Bretagne (XVIe-XVIIIe siècles), Rennes/Brest, Presses universitaires de Rennes/Dastum/Centre de recherche bretonne et celtique, 2010, p. 479-481.
73 David Hopkin, « The Ecotype, Or a Modest Proposal to Reconnect Cultural and Social History », dans Melissa Calaresu, Filippo de Vivo et Joan-Pau Rubiés (dir.), Exploring Cultural History: Essays in Honour of Peter Burke, London, Ashgate, 2010, p. 31-54.
74 Publiées dans Marguerite et Raoul d’Harcourt, Chansons folkloriques françaises au Canada, Québec/Paris, Presses de l’Université Laval/Presses universitaires de France, 1956, p. 431-432.
75 Françoise Zonabend, La mémoire longue : temps et histoires au village, Paris, Presses universitaires de France, 1980.
76 Labelle, « La complainte de Louisbourg »; Jean-Marie Bourgeois, Helen Creighton et le mystère de « La complainte de Louisbourg », épisode 3 : https://www.youtube.com/watch?v=u1GFElF7FUI.
77 Ronald Labelle, « L’histoire orale et l’identité culturelle chez les Acadiens de la Nouvelle-Écosse », Cahiers de la Société historique acadienne, vol. 15, n° 4 (décembre 1984), p. 141-149. Lors de ses enquêtes à l’Isle Madame, ce chercheur a toutefois recueilli deux légendes associées au siège de Louisbourg : l’une explique que, à la suite du siège, une brume appelée le « drap mortel » a recouvert les alentours des ruines et que les pêcheurs n’osaient plus s’y aventurer; l’autre raconte que, après que les Britanniques eurent torturé les prêtres catholiques capturés dans le citadelle en leur crevant les yeux avec leurs piquants, les porcs-épics ont disparu de l’île.
78 Laforte VI, B-42. Germain Chiasson interprète aussi la chanson du mariage anglais (une princesse française obligée contre son gré d’épouser un Anglais) et celle du prince Eugène qui livre bataille contre ses ennemis, au milieu de complaintes du vieux fonds francophone comme La blanche biche ou Les écoliers de Pontoise. Pour une analyse des chansons sur la Danaé et le Foudroyant, voir Bouthillier et Guillorel, « Que reste-t-il des conflits », p. 240-248.
79 Voir à ce sujet les remarques de Patrick Clarke, « “Sur l’empremier”, ou récit et mémoire en Acadie », dans Jocelyn Létourneau (dir.), La question identitaire au Canada francophone : récits, parcours, enjeux, hors-lieux, Québec, Presses de l’Université Laval, 1994, p. 3-44.
80 Tiersot, Chansons populaires recueillies dans les Alpes françaises, p. 51. Voir aussi les remarques sur l’articulation entre chansons et véracité historique dans Coirault, Notre chanson folklorique, p. 131-132.
81 Boudreau et Chiasson, Chansons d’Acadie, p. 13. Les parenthèses correspondent à des modifications opérées par les éditeurs par rapport au texte oral.
82 BnF, coll. Massignon, bande n° 72-163, n° 9. Seuls les trois premiers couplets sont enregistrés. La transcription, longue de six couplets, reprend celle qui est conservée dans les notes manuscrites de Geneviève Massignon sous le titre La prise de Philipsbourg, BnF, coll. Massignon, MAS_39 (11).
83 Pouinard, Recherches sur la musique d’origine française en Amérique du Nord, p. 129-130. La partition telle que réalisée par Alfred-Antonin Pouinard est reproduite à la suite du texte.
84 En dessous de ce mot, noté avec une accolade : « Philipsbourg ».
85 En dessous de ces mots, avec une accolade : « J’aurais-t-il ».
86 Les derniers vers sont manquants.
87 Transcription réalisée d’après le cahier de chansons compilé par Jean-Pierre Richard en 1898 dans le val Germanasca, en Piémont, et publiée dans : La Cantarana, Je suis parti un matin... Canti storici raccolti nelle Valli Valdesi, 1989. Pour écouter l’interprétation de ce groupe d’après la mélodie recueillie par Federico Ghisi auprès de Marie Tron Peyrot, du village de Campolasalza, dans les années 1950, voir : https://www.youtube.com/watch?v=W_NacleGIpU&list=PLliYPQ6QzOjx1F1veCOERW-VX-woLMheM&index=7.