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Nommer l’Acadien dans les empires britannique et français (1755-1765) :

un enjeu politique ou économique ?

Adeline Vasquez-Parra
université libre de Bruxelles (Belgique)

Were the Acadians still considered as Acadians from 1755 to 1765? This article gives an account of the many linguistic designations used in Atlantic host societies regarding Acadian exiles. These designations, found in public archives and private correspondence, reveals much about the British and French administrators’ views whenever they used expressions such as “Acadians” or “Neutral French.” These designations shed light on administrators’ expectations of Acadians who hesitated between granting Acadians British subjection and considering them as free laborers.

De 1755 à 1765, jusqu’à quel point les Acadiens sont-ils encore considérés comme Acadiens ? Cet article rend compte des nombreuses désignations linguistiques usitées dans les sociétés d’accueil atlantiques à l’égard des déportés. Ces désignations, retrouvées dans les archives publiques et les correspondances privées, nous renseignent sur les enjeux politiques entendus par les administrateurs britanniques et français derrière les expressions « Acadiens » ou « Français neutres ». Ces désignations nous éclairent sur les attentes des administrateurs envers les Acadiens qui hésitèrent entre la sujétion de droit et l’adaptation à de nouvelles contraintes économiques les situant comme main d’oeuvre libre.

1 PRIS ENTRE CONTRAINTES LANGAGIÈRES ET NORMES SOCIALES, l’acte de nommer est à la fois éphémère car une expression peut revêtir des sens différents selon les époques, et chargé d’histoire, car il nous renseigne sur le contexte dans lequel il se produit 1 . Ainsi, comment furent nommés les Acadiens au cours du 18 e siècle, pendant lequel ils furent plusieurs fois déportés, changeant de statut social, de catégorie politique ? Une première désignation administrative se perçoit dans le serment d’allégeance qui leur fut présenté à l’hiver 1714. Ce serment leur demandait de reconnaître tous les articles du traité d’Utrecht, d’accepter le roi George II comme seul roi de l’Acadie et de lui obéir en tant que «  sujets fidèles 2 ». L’utilisation de l’expression «  sujet fidèle  » indiquait à la fois une conception singulière du groupe et des attentes particulières envers de nouveaux sujets.

2 Toutefois, en 1717, les Acadiens de la région d’Annapolis Royal rejetèrent officiellement ce serment car aucune clause du serment ne mentionnait que les Britanniques les protégeraient d’éventuelles incursions amérindiennes. Dans une lettre adressée au lieutenant-gouverneur britannique, les députés acadiens de cette région précisèrent qu’ils ne prendraient jamais les armes ni contre la Grande-Bretagne, ni contre la France, ni contre leurs alliés 3 . Cette réponse laissa les administrateurs anglais partagés. En 1729, une nouvelle tentative d’amener les Acadiens à prêter serment eut lieu. Le gouverneur Richard Philips proposa un serment d’allégeance en français au nouveau gouverneur de Nouvelle-Écosse Lawrence Armstrong 4 . Le serment proposé par Philips omettait la question militaire, et selon ses propos, connut un franc succès au point qu’en 1730, il rapporta au Board of Trade de Londres – branche du gouvernement en charge du commerce extérieur et des affaires coloniales – que la majorité des habitants français de l’ancienne Acadie avaient prêté le serment 5 . Malgré ces tentatives de sujétion, les habitants de l’Amérique britannique qualifièrent progressivement les Acadiens de « Neutrals » ou « French Neutrals » en référence à cette double volonté supposée de ne pas combattre pour une armée impériale et de vouer leur allégeance naturelle au pape 6 . A la suite des déportations de 1755 et de 1762, sur lesquelles cet article revient, cette désignation fut mise à mal par de nombreuses accusations de trahison par les administrateurs britanniques. Déplacés d’un bout à l’autre de l’Atlantique, dans des colonies aussi bien britanniques que françaises, les Acadiens furent alors désignés par de multiples expressions dans les sociétés où ils aboutirent. Ces expressions nous renseignent sur le « regard » qui leur fut porté par leurs nouveaux administrateurs mais dévoilent aussi des enjeux politiques et économiques plus larges ici à l’étude.

Bilan historiographique

3 La question de savoir si les Acadiens furent toujours désignés comme des neutres dans l’après-déportation a été traitée dans le cadre d’un questionnement plus large auquel se livre Griffiths 7 , Brasseaux et Lockerby sur le statut juridique octroyé aux Acadiens dans l’empire britannique 8 . Ces historiens ont à plusieurs reprises ouvert leurs études à des comparaisons avec d’autres peuples déportés à la même époque ou traités de façon similaire dans les mêmes sociétés 9 . Cette question d’un possible lien entre la désignation du groupe et des décisions politiques impériales plus larges devient aussi particulièrement prégnante dans les études de LeBlanc et Johnston 10 . Basque, Reid et Fowler 11 ont quant à eux réfléchi aux facteurs sociopolitiques qui ont conduit à poser la neutralité comme une caractéristique de l’identité des Acadiens.

4 Notons l’apport de la réflexion historiographique chez Daigle, Clarke, Couturier et Vasquez-Parra 12 où la catégorie « Acadien » apparaît comme un effet direct de la production historique elle-même qui l’a désignée et a donc largement contribué à ordonner les savoirs à l’égard de ce groupe. Le terme « Acadien » étant d’emblée établi et institué comme une donnée historique, la question de ses utilisations et de la multiplicité de ses significations à des époques différentes doit se poser.

5 L’importante contribution de Hodson 13 associe la désignation du groupe à des raisons économiques. Cette association prit racine chez les membres des administrations coloniales – britanniques ou françaises – qui les considérèrent comme une main d’œuvre bon marché. Alors que la proscription morale de l’utilisation d’esclaves – et son inefficacité économique 14 – gagnait du terrain dans les colonies, les Acadiens devinrent une main d’œuvre bon marché pour des administrateurs également grands propriétaires terriens car ces derniers étaient à la recherche de bras pour défricher leurs terres vierges. Cet historien se penche ainsi sur la rencontre entre mondes paysans et restructuration du marché de la main d’œuvre dans ces deux empires européens au 18 e siècle 15 . Les déportés acadiens sont donc associés dans ses écrits à des  acteurs économiques établis dans le monde atlantique. L’étude des relations entre Acadiens et agents du pouvoir est dans ce cas, liée à une recherche d’intérêt sur le plan à la fois personnel et économique. Cette recherche assimile les Acadiens à une couche sociale plus large que leur seul simple groupe : ils furent en quelque sorte une main d’œuvre libre et mobile 16 .

6 Des historiens admettent néanmoins qu’une catégorie «  Acadien  » s’est constituée pour les administrations britanniques et françaises lors de l’aprèsdéportation en présentant des caractéristiques spécifiques. Griffiths 17 et Mouhot 18 reconnaissent que cette catégorie a pu évoluer de façon autonome. Ils soulignent ainsi la spécificité de la neutralité jusqu’au terme de la guerre de Sept Ans 19 puis mettent l’accent sur la reconnaissance, de la part des administrateurs, d’un peuple à part entière 20 . Dans les années qui suivirent l’arrivée des déportés acadiens dans les sociétés atlantiques, la véritable spécificité de ce peuple était de se composer de «  migrants déracinés  », son statut juridique n’étant pas défini 21 . Pour ces deux historiens, la façon dont on désignait les Acadiens était alors dérisoire puisque le droit ne les reconnaissait pas. Cependant, le droit conditionnait-t-il à lui seul les désignations linguistiques renvoyant aux Acadiens à travers les expressions « neutres », « Français » ou « peuple catholique »? Était-il le seul pourvoyeur de la reconnaissance sociale et politique? Était-il le seul cadre légitime pour juger du sens à octroyer aux désignations linguistiques 22 ?

7 Cet article souhaite analyser sur une période de 10 ans, les pratiques de désignations linguistiques des administrations britanniques et françaises envers les déportés acadiens à l’aide de sources juridiques, mais aussi au travers d’articles de journaux et de correspondances privées encore peu étudiées, comme celle du gouverneur du Massachusetts Francis Bernard. Ces correspondances nous confirment qu’en effet, de 1755 à 1765, les Acadiens se déplacèrent ou furent déplacés à travers le monde atlantique sans statut juridique spécifique. Il apparaissait néanmoins difficile d’octroyer un statut juridique en l’absence d’une législation vouée à l’accueil ou à la circulation des prisonniers de guerre. On sait aujourd’hui que le droit de guerre était souvent coutumier même si au 18 e siècle, des règles – toutefois peu respectées – établissaient la protection des populations civiles 23 . Ainsi, l’absence de statut juridique uniforme, certainement vraie pour d’autres populations prisonnières de guerre à la même époque, n’empêcha pas les Acadiens d’être désignés dans les textes officiels au travers de noms ou d’expressions traduisant par là des émotions, des attitudes et surtout des attentes que cet article souhaite relever. En effet, au cours de ces années, les administrateurs portèrent-ils un regard utilitaire sur les Acadiens en voulant les rendre « rentables » à l’empire ou cherchèrent-ils à les contenir et à les intégrer par un traitement progressivement équitable par rapport aux autres sujets des empires 24 ? Le contexte politique et militaire influa-t-il de manière décisive sur leurs désignations? Quel fut l’effet direct de ces désignations sur les Acadiens?

Français ou Français neutres 

8 Au 18 e siècle, les Acadiens avaient l’habitude de transiger avec les habitants des autres colonies britanniques d’Amérique du Nord. Des liens commerciaux notamment dans le domaine de l’élevage, de la fourrure et de la pêche, s’étaient tissés entre certaines communautés acadiennes 25 et autres habitants des colonies du Nord-Est de l’Amérique du Nord 26 . Les habitants de ces colonies, que ces dernières furent françaises ou britanniques, cohabitaient plus ou moins en paix même si les conflits internationaux pesaient sur la vie coloniale 27 . En effet, la guerre de Succession d’Espagne (1701-1714) puis celle de Succession d’Autriche (1740-1748) transposèrent des conflits territoriaux entre puissances européennes jusqu’en Amérique du Nord 28 .

9 Cependant, les habitants britanniques avaient commencé à nommer les habitants acadiens « neutres » ou « Français neutres » suite aux différentes tractations entre ces populations et l’administration britannique 29 . Ainsi, à leur arrivée dans la colonie du Massachusetts après leur déportation, certains employés municipaux de la ville de Boston se référaient aux Acadiens uniquement par les expressions « Neutrals » ou « French Neutrals 30 ».

10 Pourtant, nombreux étaient les administrateurs et militaires britanniques continuant à les nommer « Français » : « French Inhabitants » ce qui, comme l’ont noté Naomi Griffiths et A.J.B. Johnston, les dégageaient de tout attachement affectif à la sujétion britannique 31 . En 1735, le gouverneur du Massachusetts Jonathan Belcher avait lui-même utilisé l’expression « the French settlements » pour désigner les communautés acadiennes qu’il décrivait comme «  mischievous » et surtout belliqueuses et violentes : « As to the Effects of the French settlements in these parts, they have been very mischievous to this province, those People, and specially the Priests, exciting the Indians to Rebellion, and not only furnishing them with Arms and Ammunition to prosecute their Barbarous Wars but also setting a price on the heads of these English whom they shall kill […] 32 ».

11 Or, la plupart des militaires et hauts gradés britanniques en poste en Amérique du Nord, dont le gouverneur du Massachusetts William Shirley (1741-1759), partageaient cet avis au moment de déporter les populations acadiennes vers les autres colonies britanniques d’Amérique 33 . A cet effet, Earle Lockerby cite le cas du journal de bord du contre-amiral Philip Durell qui décrivait le 15 septembre 1758 des Acadiens de l’île Saint-Jean comme des « French Inhabitants on the Island ». Ces Acadiens avaient pris place à bord d’une goélette armée de six canons sur la côte nord de l’île Saint-Jean 34 . L’une des principales raisons expliquant aujourd’hui la vision de ces acteurs historiques est leur position même de militaires selon laquelle le monde entier s’avère en quelque sorte affaire d’allégeance.

12 Le savoir administratif développé sur les Acadiens dans l’empire britannique était pourtant assez limité. Cette défaillance expliquait les désignations provisoires de « Français » et d’ « ennemi », dans leur sens militaire. L’empire ne connaissait que très peu ses sujets jusqu’au début du 18 e siècle, en particulier ceux des Amériques. Peu d’administrateurs s’attachèrent à les décrire de façon élaborée ou à vivre parmi eux. Il semblerait que les Britanniques s’appuyaient plutôt sur le savoir constitué par tous les administrateurs et missionnaires français qui avaient côtoyé les Acadiens pendant plus de deux siècles. Les Britanniques reprirent ainsi la même rhétorique que celle développée par l’administration française du peuple « naturellement désobéissant », comme le précisait en 1752 l’ingénieur en chef de Louisbourg, Louis Franquet, observant que : « Les Acadiens quoique bons ne sont pas toujours aisés à manier, qu’ils se soumettent plus facilement à ce qu’on exige d’eux par les voys de la douceur, que par la violence, partant qu’il faut autant d’affabilité que de fermeté dans le caractère des Officiers qui y commanderont 35 ».

13 De la même façon, en mai 1751, le gouverneur français de l’île Royale Jean-Louis de Raymond (1751-1753) expliquait que les Acadiens réfugiés à l’île Saint-Jean n’avaient aucunement l’habitude des hiérarchies : « Je scay que les acadiens ne sont pas accoutumés à obéir à des supérieurs, mais s’ils sont François, ils doivent obéir à leurs supérieurs dans ce qu’ils leur commandent pour le service au Roy, et pour le bien du pays 36 ». Ce discours du colonisateur français sur le manque de «  malléabilité  » des Acadiens 37 se transposa régulièrement dans les écrits des administrateurs britanniques qui empruntèrent les mêmes termes que les Français pour représenter «  l’Acadien désobéissant 38 » et les décrivirent comme des « rebelles » ou de « mauvais sujets » dans leur correspondance privée. L’Acadien était donc d’abord un mauvais sujet, une perception renforcée à la veille de la guerre de Sept Ans par la correspondance des militaires britanniques qui n’hésitaient pas à employer les expressions « bad subject » et même « enemy ». Cette inimitié fut bien comprise voire même partagée par certains administrateurs français. Par exemple, en 1756, un certain monsieur de La Varenne qui avait passé quelques années sur l’île Royale – son prénom nous reste jusqu’aujourd’hui inconnu – , faisait part de sa réflexion suivante :

[...] comment les Anglais auraient pu faire autrement que d’expulser hors de leur territoire un peuple qui était constitutionnellement et viscéralement une épine plantée perpétuellement dans leur corps. Les Anglais pouvaient, au mieux, considérer les Acadiens comme des ennemis secrets de l’intérieur qui ne souhaitaient rien d’autre qu’une occasion de causer le plus de tort dont ils étaient capables. En conséquence, dans l’intérêt des Anglais et pour assurer leur sécurité, il ne resterait jamais trop peu de Français dans le territoire 39.

14 Dans un contexte stratégique global, on peut penser que ce statut d’ennemi était entretenu par l’état-major britannique qui craignait que les Acadiens ne se soulèvent. Cela avait déjà été le cas puisque 250 d’entre eux avaient participé à la défense du fort Beauséjour du 3 au 6 juin 1755, auprès des troupes françaises de Louis du Pont du Chambon sieur de Vergor lors de l’attaque des troupes de Nouvelle-Angleterre commandées par Robert Monckton 40 .  Cette participation allait à l’encontre du droit de guerre européen comme l’avait déclaré le maréchal français Victor-François de Broglie pendant la guerre de Sept Ans, dans un manifeste destiné à la population hessoise. Selon de Broglie, l’une des premières règles de la guerre interdisait aux habitants des théâtres d’opérations militaires de prendre les armes 41 . Au vu de ces précédents, l’état-major britannique nourrissait donc des suspicions envers les populations acadiennes considérées comme « treacherous » comme l’indiqua le 11 août 1755, le général John Winslow au Lieutenant John Pebbles : «  [...] given instances of treasonable and treacherous behavior on their Parts 42 ». Néanmoins, au cours de la période qui suivit la déportation, cette description négative des Acadiens s’avéra plutôt variable en particulier à la veille de la guerre de Sept Ans. Ces affirmations ne s’inscrivaient pas dans une expérience du milieu à long terme et surtout, émanaient en général de l’armée et non des administrateurs 43 .

15 Dans l’empire français, même si les administrateurs étaient conscients de cette particularité chez les Acadiens, la neutralité n’apparaissait pas non plus comme une désignation dominante après la déportation. Au moment où la France accepta d’accueillir les Acadiens réfugiés dans les ports anglais, Étienne-François de Choiseul, secrétaire d’État à la guerre, écrivit le 11 mars 1763 à son ambassadeur à Londres, le duc de Nivernais, que : « même si les Acadiens préfèrent se fixer en France, le roi n’en recevra pas moins avec plaisir des gens aussi précieux 44 ». Certains administrateurs français désignèrent donc les Acadiens en tant qu’« Acadiens » dès leur arrivée dans les ports britanniques et non en tant que neutres ou Français neutres. Cette façon de nommer le groupe était moins synonyme de reconnaissance d’un groupe aux intérêts particuliers qu’une façon d’extraire le groupe de la sphère culturelle et politique française – ils étaient des «  gens  » et non des sujets du Royaume. Ainsi, le 22 novembre 1763, Choiseul recommanda à son nouvel ambassadeur à Londres, le comte de Guerchy, de «  sonder le gouvernement britannique à leur sujet  » lorsqu’ils émettaient le souhait de passer en France 45 . Les gouvernements britannique et français travaillèrent donc de concert à ces transferts et entretinrent conjointement une certaine méfiance à l’égard des déportés acadiens qu’ils désignèrent comme un risque pour la sécurité selon les uns et étrangers au Royaume selon les autres.

Une menace sécuritaire

16 A leur arrivée dans les ports britanniques d’Amérique du Nord en 1755, les Acadiens furent considérés comme une menace à la sécurité publique. Certains déportés furent refoulés comme en Géorgie par le gouverneur John Reynolds (1754-1757). D’autres furent immédiatement isolés comme en Caroline du Sud par le gouverneur James Glen (1743-1756) qui les envoya vers les îles Sullivan 46 . Le gouverneur de Pennsylvanie, Robert Hunter Morris (1754-1756), défavorable à l’accueil des déportés, en avisa le gouverneur du Massachusetts William Shirley dans une lettre 47 où il partagea ses craintes de voir les Acadiens fomenter des attaques contre le gouvernement en s’alliant aux catholiques irlandais et allemands. Il expliqua dans cette lettre les toutes premières mesures de surveillance entreprises auprès des déportés alors qu’ils n’étaient pas encore sortis de leur confinement : « I have, in the meantime, put a guard out of the recruiting partys now in town, on board of each vessel, and ordered these neutrals to be supplied with provisions, which must be at the expense of the crown 48 ».

17 Le 22 novembre 1756, le gouverneur de la petite colonie du New Jersey, Jonathan Belcher (1747-1757), réitéra ces craintes d’une possible révolte «  des peuples catholiques » dans une lettre adressée à Morris où il nomma les Acadiens traitres et rebelles à la Couronne de Grande-Bretagne :

I am truly surprised how it could ever enter the thoughts of those who had the ordering of the french neutrals, or rather traitors and rebels to the Crown of Great Britain, to direct any of them into these Provinces, where we have already too great a number of foreigners for our own good and safety. I think they should have been transported directly to old France, and I entirely coincide with your honor that these People would readily join with the Irish Papists, etc. to the ruin and destruction of the King’s colonies 49 .

18 Le gouverneur Morris pensa lui aussi à l’isolement sur l’île de la Province située dans le lac Memphrémagog. Il engagea également un nombre important de miliciens pour protéger la capitale de sa colonie des possibles « acadian assaults 50 ».

19 De 1757 à 1759, les désignations linguistiques utilisées envers les Acadiens se complexifièrent car elles reflétaient l’instabilité de leurs différentes situations dans les colonies britanniques : certains étaient isolés, d’autres dispersés dans différentes villes. Au Massachusetts, certains étaient recensés sur des listes entreprises par les overseers, sorte d’employés municipaux, d’autres ne l’étaient pas. Sur ces listes certains avaient un prénom, d’autres étaient simplement listés avec un nom de famille, certaines municipalités indiquaient qu’ils étaient des « Neutrals », d’autres des « French inhabitants of Nova Scotia 51 ». Un exemple de cette complexité dans la désignation linguistique traduisant des attitudes souvent instables à leur égard – comme s’il n’existait aucun consensus – se retrouve dans la réponse du gouvernement du Massachusetts en 1758 à la plainte d’un certain Hammon Tibodo (Amand Thibodeau). Ce dernier est présenté comme « one of the Neutral French lately imported into the Province of Massachusetts Bay in New England from Nova Scotia 52 ». On observe ici une désignation culturelle : «  French  », politique : « neutral », historique : « lately imported », et géographique : « from Nova Scotia », en un seul et même énoncé. Cette complexité était-elle également destinée à ne pas fragiliser davantage la situation sociale des Acadiens en évitant de les nommer « Français » alors que la guerre contre la France battait son plein ?

20 La Chambre des représentants du Massachusetts jugea néanmoins préférable que les Acadiens situés dans les villes à proximité des côtes ne se regroupèrent pas. Cette suspicion fut renforcée par certains bureaux de selectmen qui entretinrent l’idée que ces familles constituaient un danger public en pleine période de guerre. Le 11 août 1756, les selectmen de la ville de Charlestown au Massachusetts dans une pétition adressée au gouverneur William Shirley affirmaient que Charlestown étant un port, ces «  Français » pourraient facilement s’échapper ou comploter des attentats, ils restaient donc des ennemis à surveiller : « […] there is a powder house in this town in which there is a considerable quantity of powder, which these French people, if so disposed, may do great damage to, especially as the said powder house is at some distance from any of the inhabitants-and no watch or guard keep about it 53 ».

21 A l’arrivée le 2 août 1760 d’un nouveau gouverneur au Massachusetts en la personne de Francis Bernard (1760-1769), la situation des Acadiens dans cette colonie était, à l’instar de ceux dans les autres colonies britanniques d’Amérique du Nord, loin d’être uniforme. Quelques membres de la Chambre des représentants du Massachusetts avaient certes contribué à ouvrir un champ de négociations avec le pouvoir par l’entremise des pétitions lues à la Chambre et au Conseil du gouverneur. Cette condition progressive de « réfugiés », différente de celle de prisonniers de guerre qui traduisait de mauvais agissements antérieurs, autorisa certains Acadiens à négocier de meilleures conditions de vie. Parmi celles-ci, l’octroi de logements décents ou de biens de première nécessité tels que les vêtements, la nourriture, quelques couvertures, etc.

L’arrivée du gouverneur Francis Bernard : un tournant dans les désignations

22 Dans ce contexte, Francis Bernard arriva au poste de gouverneur du Massachusetts avec une grande motivation et beaucoup d’espoirs pour sa carrière comme le souligne son biographe Colin Nicolson 54 . Son administration dut pourtant faire face aux velléités territoriales amérindiennes, à la montée en puissance de nouvelles factions politiques dont le Caucus et les Sons of Liberty extrêmement hostiles à son pouvoir et à une crise de la monnaie papier 55 . Malgré cette situation politique tendue, la question acadienne ne disparaissait pas aux yeux du gouverneur qui, par ses nouvelles réponses octroyées aux demandes acadiennes, allait se montrer l’un de leurs meilleurs alliés politiques depuis le représentant à la Chambre Thomas Hutchinson en 1755. En 1761, 1 105 Acadiens étaient encore présents au Massachusetts. Le 28 juillet 1763, dans une lettre au Board of Trade de Londres, Bernard expliqua qu’il n’avait jamais été déterminé de quelle façon il fallait considérer les Acadiens, soit comme des sujets, des ennemis ou des neutres. Cette interrogation montre que la désignation linguistique des Acadiens était une question politique pour l’administration de Bernard alors qu’elle avait été abordée sous l’angle militaire et celui de la sécurité par les administrations précédentes. « As it has never been determined, in what light these People are to be seen, whether subjects or Enemies, or Neutrals, I should be glad to receive your lordships commands how to act, when these French transports arrive 56 ».

23 Bernard ne se plaignait pas de l’absence de lois à l’égard des Acadiens, il regrettait l’absence d’expressions possibles pour les nommer  : étaient-ils des neutres  ? Des ennemis  ? Cette citation indique clairement que dans l’empire britannique, tout n’était pas conçu à l’aide des autorités législatives et que la langue elle-même traduisait une volonté d’agir. Bernard abonda dans ce sens. Pour lui, nommer c’était maîtriser, agir sur un problème. La confusion des différentes façons de nommer indiquait pour lui une confusion dans l’action elle-même : « I should be glad to receive your lordships commands how to act ».

24 Privé de recommandations officielles sur la désignation et, donc, sur la perception plus large du pouvoir politique britannique envers les Acadiens, Bernard entretint une opinion positive à leur égard. Il les décrivit comme travailleurs et même comme de potentiels honnêtes sujets: « Many of these People are very industrious and would; I believe, prefer this Country and become subjects of Great Britain in earnest, if they were assured of liberty of conscience 57 ».

25 Le 13 août 1763, il reprit cette vision positive dans une lettre envoyée au Board of Trade de Londres où il jugea les Acadiens travailleurs et frugaux et insista pour qu’ils ne furent pas définitivement perdus pour l’Amérique britannique  : « For I know so much of the industry and frugality of these people, that I have been very desirous that they should not be lost to British America. I have hitherto advised them to suspend their resolution to quit the Country till they know what offers they would have to settle here 58 ».

26 Bernard expliqua aussi qu’en cas de retour en territoire français, en tant que sujets français, ces Acadiens devaient être considérés comme prisonniers de guerre et leur subsistance au Massachusetts devait être pris en charge par la couronne : « If these People return to France as French subjects they must be considered as prisoners of war and therefore their subsistence ought to be paid for 59 ».

27 Le 28 juillet 1763, le gouverneur du Massachusetts Francis Bernard écrivait au Board of Trade  : «  people usually called French neutrals  » montrant ainsi qu’il existait une identité sociale pour désigner les Acadiens qui s’étaient joints à la société du Massachusetts. « On » les nommait Français neutres en général dans la société. Ces Acadiens lui avaient montré des lettres reçues de leurs amis déportés en Angleterre : « My lords, some of the people usually called French Neutrals residing in this Province have been with me and have shown me several letters they have received from their friends now in England 60 ».

28 Bernard observa alors que le maintien de leur religion était le motif principal des premières demandes de départs vers des contrées catholiques : « I observed in the letters which they communicated to me that the maintenance of their religion is among the chief motives offered to them for their quitting this Country 61 ».

29 Ces lettres viennent confirmer la thèse des historiens Carl Brasseaux et Jean-François Mouhot 62 , qui ont à plusieurs reprises mentionné la correspondance entre déportés acadiens à travers l’Atlantique dans l’après-déportation. La malencontreuse perte de ces lettres aurait pu nous renseigner sur la façon dont les Acadiens s’exprimaient sur leur situation et en quels termes  : reprenaient-ils les désignations et les identités élaborées par leurs administrateurs  ? La religion catholique semble être une caractéristique identitaire régulièrement mise en avant par les déportés acadiens à partir de 1760. Bernard expliqua ainsi qu’ils n’avaient pas envie de partir au Canada s’ils n’avaient pas l’assurance de pouvoir librement y pratiquer leur religion. De plus, si cela leur était permis, le gouvernement britannique encadrerait la pratique de leur religion en leur désignant un prêtre. Bernard pensa qu’ils pouvaient tout à fait s’établir sur la côte est du Massachusetts et précisa qu’il y avait certainement de la place pour eux : « They are not disposed to go to Canada where a toleration of their religion is promised but chiefly inclined, if they settle at all, to be on the Eastern Coast. There is certainly room enough for them if their settling in a body with the free exercise of their religion under a priest appointed by the English Government should be thought advisable 63 ».

30 D’après ces mots, Bernard semblait prêt à faire des concessions envers les déportés et se fit le relais des premières demandes acadiennes envers son administration. Ces demandes concernaient principalement la religion et l’établissement définitif des familles à une localité. En plus de cette ouverture aux demandes acadiennes, Bernard se rendait régulièrement auprès des déportés ce qui le différenciait d’autres administrateurs tels que Thomas Hutchinson qui répondait aux demandes par l’intermédiaire du Conseil du gouverneur. Cette approche axée sur la proximité était une nouveauté introduite par Bernard, prompt à la discussion et amena les Acadiens à un rapport de confiance. Ces derniers s’étendaient donc plus longuement sur leur propre histoire à travers les pétitions où il était régulièrement fait mention de leur identité qu’ils estimaient en majorité bafouée et contrainte par l’absence de libertés 64 .

Un sujet économique ?

31 Les années 1760 furent néanmoins matériellement plus difficiles à vivre pour certains Acadiens que les années suivant la déportation. Ce facteur conditionna donc un positionnement identitaire plus social que dans les années 1750. L’historien James Henretta a estimé que moins de 250 personnes sur les 2380 personnes ayant migré à Boston entre 1764 et 1768 avaient reçu un contrat d’ « indenture 65 », ce qui n’était pas assez pour remplacer les contrats qui arrivaient à leur terme. Une plus grande part d’employeurs comptait donc sur des contrats de très courte durée alors qu’une partie des employés n’avaient tout simplement aucun contrat de travail 66 . Cette nouvelle situation sociale créa un groupe précaire auquel de nombreux Acadiens appartinrent durant ces années : les travailleurs sans contrat (« unattached workers »), rétribués selon le bon vouloir de leur employeur.

32 De nombreux Acadiens furent contraints de se voir séparés. La Chambre des représentants du Massachusetts à Boston décida d’une nouvelle distribution des Acadiens, cette fois plus équitable vis-à-vis des villes à gros et moyen budget. Un Acadien nommé Paul Landry s’adressa en 1760 au colonel John Choates, administrateur de la localité d’Ipswich au Massachusetts, pour se plaindre de cette distribution par laquelle les familles étaient à nouveau séparées. Cette requête témoigne de l’attachement des membres d’une même famille entre eux. Landry indiquait qu’il était âgé et qu’il devait, ainsi que sa femme, être pris en charge par la communauté : « I, who am old, ask Maintenance for myself and my wife» Il souligna aussi qu’en tant qu’autorité paternelle familiale, il aimerait que ses petits-enfants soient rendus à ses enfants : « My Children have desired me to acquaint you, that the affair of putting their Children out to Service is a Thing that occasions Grief to them 67 ».

33 En effet, le ballottement des familles impliquait la perte d’emploi. En conséquence, ainsi que l’imposait la loi sur l’apprentissage, les enfants des familles sans emploi se voyaient séparés de leur famille pour apprendre un métier. Certains Acadiens se retrouvèrent donc dans des situations critiques comme le montre la pétition d’un dénommé François LeBlanc, déporté dans la ville de Dudley, lorsqu’il décrivit ses conditions de vie au gouverneur: «  Monseigneur, moi le soussigné François Leblanc, français Acadien, demeurant dans la paroisse de Dudley dans le Gouvernement de Boston étant personne extrêmement incommode d’une main dont je ne puis me servir et qui me met hors d’état de pouvoir gagner ma pauvre vie sinon que mon fils François Leblanc étant tombé malade le 20 d’Aout 1765 ne pouvait faire aucun travail de ses mains et ayant été obligé d’y appeler trois médecins pour tâcher d’y remédier 68 ».

34 Dans ce contexte, l’utilisation de l’expression « Français acadien » venait appuyer la demande du pétitionnaire et indiquait qu’il exprimait des griefs aussi au nom de sa condition d’étranger à la colonie. Souhaitait-t-il rappeler aux autorités qu’il se trouvait dans cette situation précaire parce qu’il était un réfugié acadien  ? Cette association de l’identité acadienne à des conditions économiques était donc d’abord utilisée par les Acadiens eux-mêmes à des fins de revendications collectives.

35 A cet effet, de 1760 à 1766, une majorité d’Acadiens fit front commun et non plus à titre individuel lorsque vint le temps d’envoyer des pétitions à la Chambre des représentants du Massachusetts à Boston. Par exemple, dans la ville de Falmouth au Massachusetts, un Acadien du nom de John White (Jean LeBlanc), réclama l’exemption d’impôt au nom des Acadiens vivant tous dans la même ville : « In behalf of himself and others living in said town humbly showeth ». Cette pétition s’inscrivait dans la continuité de la « voix commune » qui avait émergé chez les pétitionnaires à partir du champ de négociations ouvert par les membres de la Chambre des représentants du Massachusetts. Comme le souligne le linguiste James de Finney, « les auteurs (des pétitions) y font état de leur situation déplorable et racontent leurs déboires, soit pour défendre leurs droits, soit pour faire appel à la charité chrétienne des autorités 69 ». LeBlanc demanda ici «  la compassion  » et «  l’aide  » des autorités comme si les Acadiens devaient toujours être considérés comme des réfugiés. LeBlanc demanda à être exempté d’impôts car un impôt local était exigé des Acadiens même très pauvres :

[...] nous avons été amenés ici de notre pays natal où l’on nous a privés de nos maisons et de nos terres, et privé d’autres biens qui assuraient notre subsistance. Nous vivons désormais parmi des étrangers, dans la plus grande misère et le besoin. La ville de Falmouth ne nous exempt pas d’impôts, ce qui ajoute à nos encombres. Nous demandons à son Excellence de compatir à nos circonstances misérables et de nous priver de cet impôt jusqu’à ce que nous puissions subvenir à nos besoins et ceux de nos familles ou nous aider sous une forme que vous pensez juste et raisonnable 70 .

36 Les selectmen n’étaient pas toujours compréhensifs vis-à-vis de cet état de réfugiés qui se mettait progressivement en place par l’intermédiaire de cette voix collective. Face à l’entretien jugé coûteux d’une maison de fortune bâtie pour accueillir une famille dite « française » (« the French family »), les selectmen de la ville de Brimfield souhaitèrent que cette famille soit désormais dispersée :

[…] we must speedily through necessity be at the cost of building a house for them to dwell in and considering some towns in this province have not received and supplied a French family, as we have done notwithstanding our feeble condition, also that some French families have been removed from the towns where they resided a considerable time to other places. Our humble request is that the French family, which has been so long with us, may be removed to some other town as the honorable Court in their wisdom may see fit and your honors’ humble petitioners, as in duty bound shall ever pray 71 .

37 Ainsi, comme l’indique cette pétition, la francité, même si amoindrie par les défaites militaires françaises sur les terrains d’affrontements de la guerre de Sept Ans, continuait d’être un facteur important dans la perception plus globale des Acadiens.

38 On peut cependant supposer que les attentes soulignées dans les pétitions soumises aux pouvoirs publics par les Acadiens ne correspondaient pas aux attentes des administrateurs. Comme il a été mentionné au début, ces derniers furent déportés en raison de leur supposée infidélité, les attentes étaient donc orientées vers cet aspect originel. Il existait un écart entre les réponses de l’administration aux pétitions acadiennes, souvent orientées par les aspects « problématiques » de leur établissement dans les différentes municipalités – et conditionnées par cette méfiance envers leur supposée déloyauté –, et celles attendues par les Acadiens qui portaient toujours sur l’amélioration matérielle des conditions de vie.

Nommer les Acadiens suite à la seconde déportation de 1762

39 En Nouvelle-Écosse, la situation géopolitique se stabilisant, les colons de Nouvelle-Angleterre répondirent à l’appel du gouverneur Charles Lawrence dès juin 1760 pour prendre possession des terres vacantes des Acadiens. C’est au cours de ce même été 1760 que le gouverneur Lawrence força 2000 réfugiés acadiens de partout en Nouvelle-Écosse à venir aider les nouveaux colons de Nouvelle-Angleterre. Une véritable « chasse à l’homme » se mit alors en place où des militaires de l’armée britannique détinrent des réfugiés acadiens pour les envoyer travailler sur des terres désormais propriétés de colons de Nouvelle-Angleterre, les «  Planters  ». Ces derniers employaient les Acadiens à travailler sur leurs anciennes terres notamment pour réparer les aboiteaux, dont peu d’habitants de Nouvelle-Angleterre savaient se servir. Suite à la mort de Lawrence en octobre 1760, Jonathan Belcher, nouveau gouverneur, continua ce travail intensif de rapatriement d’Acadiens employés comme main-d’œuvre bon marché dans ce qui constitua, selon l’expression de l’historien John Mack Faragher, « the Acadian labor program 72 ».

40 Pourtant, ce programme, loin de n’être qu’économique, était partie prenante d’un plus vaste plan de renouveau identitaire en Nouvelle-Écosse qui commençait par une réappropriation des lieux à tous les niveaux, notamment linguistiques. Les anciens villages acadiens étaient rebaptisés par des noms anglais. Ainsi, le village de Petitcodiac devint Hillsborough, Tintamarre prit le nom de Sackville, Les Mines devint Horton, Pisiquid devint Windsor, Cobequid devint Truro et Beaubassin devint Amherst 73 . Il est intéressant de noter que l’appropriation linguistique traduisait la maîtrise des individus mais aussi celle de l’espace, comme si les deux étaient parties prenantes d’un même effort de contrôle.

41 Toutefois, ce recrutement forcé de réfugiés acadiens restés en Nouvelle-Écosse entraîna chez les militaires britanniques une désignation plus politique  : pour justifier leurs actions, ils qualifient ces Acadiens dans la plupart des cas de « rebelles ». Ainsi, le 3 novembre 1761, le capitaine Roderick McKenzie écrivit au colonel Forster qu’il avait emprisonné 180 Acadiens trouvés non loin de la rivière Nipisiguick, dans la baie des Chaleurs. McKenzie fit aussi état d’individus métissés aux tribus amérindiennes 74 , qu’il nomma « half-breed Acadian Indians » et souhaita, contrairement aux autres, ne pas les déporter vers Pisiquid car ils pouvaient selon lui servir de main d’œuvre aux propriétaires anglais : «  Beside these, there are 68 families inhabiting the different harbours from Gaspé to Bay Vert, of all which please to receive particular lists, exclusive of the half-breed Acadian Indians, whom I don’t know which side to class with, and have therefore let alone 75 ». Cette utilisation d’une nouvelle catégorie au sein même du groupe désigné comme Acadien montre à quel point le groupe n’arrive pas à être conçu comme une totalité fermée : il reste donc pensé comme totalité sur le plan symbolique mais dans la réalité historique, de nombreux groupes différents peuvent s’y accoler comme ici, les Acadiens métis.

42 McKenzie enferma ces Acadiens – dont de nombreuses familles – au Fort Cumberland et confisqua leurs biens et bateaux dans lesquels il avait soi-disant trouvé des « armes » ce qui expliqua le titre de son rapport envoyé à Halifax où réapparaît l’expression « rebel Acadians 76 ». Belcher déclara alors la loi martiale et emprisonna ces Acadiens sur l’île George, située dans le port de Halifax. L’assemblée générale de Nouvelle-Écosse à Halifax vota alors une résolution appelant à leur déportation immédiate 77 .

43 La résolution recommanda, le 18 août 1762, leur déportation vers Boston. 600 hommes furent donc déportés à cette date alors que femmes et enfants restèrent prisonniers 78 . Notons que la famille de Jonathan Belcher ne tenait pas les Acadiens pour de loyaux sujets. En effet, le père de Jonathan Belcher, Jonathan Belcher, gouverneur de la colonie du New Jersey de 1747 à 1757, avait mentionné dans une lettre adressée au gouverneur de la Pennsylvanie, Charles Morris, qu’il était très défavorable aux Acadiens qu’il nommait dans sa lettre : « Traitors and Rebels to the Crown of Great Britain 79 ».

44 Cette nouvelle déportation est à contextualiser 80 à une plus vaste échelle et résulterait d’une série d’attaques acadiennes et amérindiennes spontanées, nullement vérifiables, survenues en Nouvelle-Écosse à l’annonce, le 27 juin 1762, de la prise du port de Saint-Jean dans l’île de Terre-Neuve par les troupes françaises. Les allégations d’attaques acadiennes et amérindiennes ne sont appuyées par aucune source et s’avèrent certainement l’effet de rumeurs parmi l’administration britannique 81 . La fin de la guerre de Sept Ans prolongea les peurs britanniques alors même que l’empire était en bonne voie de remporter la guerre.  Les Acadiens subissaient une nouvelle fois les effets de ces peurs paniques qui paralysaient les administrateurs et conduisaient certains gradés militaires à les concevoir une nouvelle fois comme des menaces. Ces craintes de révoltes provenaient aussi de l’inféodation des Acadiens sur leurs anciennes terres. Cette situation avait fait naître des revendications communes qui pouvaient laisser penser à une unité politique acadienne. Pourtant, le 30 août 1762, le lieutenant-général Jeffrey Amherst, commandant en chef des troupes britanniques en Amérique, expliqua au gouverneur Bernard, que les Acadiens pouvaient être utiles à la Nouvelle-Écosse et que cette seconde déportation n’était pas une bonne solution : « I should have rather advised the keeping them where they were; for notwithstanding the natural aversion all new settlers have to any Neighbour who have been suspected of disaffection, yet such a number of hands in anew country could not fail of being of great service for its cultivation and improvement 82 ».

45 Amherst avait en tête l’idée que les Acadiens étaient majoritairement cultivateurs au moment de leur déportation et que cette force de travail était la bienvenue tout en n’oubliant pas que les Acadiens avaient toujours été soupçonnés de désaffection envers l’empire 83 . Cet avis discordant n’empêcha pas la décision et à la fin du mois d’août 1762, 600 Acadiens arrivèrent à Boston à bord de 9 bateaux en provenance de Halifax. Malgré la mise en place de mesures d’accueil d’urgence en 1755, ces nouveaux déportés restèrent à bord des bateaux sans aucune aide 84 . Selon le gouverneur Bernard, il ne fallait surtout pas les débarquer sans décision préalable de la Chambre car un tel afflux de nouveaux migrants aurait eu des conséquences néfastes sur le marché du travail. Selon ses dires, « they would lower the price of labour 85 ».

46 Le gouverneur Bernard ne reçut aucun soutien de Londres l’autorisant à envoyer ces Acadiens en territoire français, et la Chambre refusa qu’ils s’installent dans la colonie. Le biographe de Francis Bernard, Colin Nicolson, note à partir d’une lettre de Bernard à Amherst que le cas de ces réfugiés  acadiens l’inquiétait particulièrement. Il note : « the refugees’ plight pricked his conscience but Bernard was not prepared to overrule the General Court in permitting them to land ». Bernard n’était donc pas prêt à aller à l’encontre d’une décision de la Chambre des représentants 86 . Dans sa correspondance avec Jonathan Belcher tenue de 1761 à 1762, Jeffrey Amherst s’opposa aux départs de ces Acadiens du Massachusetts alors qu’il s’opposait en premier lieu à leur déportation. Il refusa aussi que le roi finançât le retour sur leurs terres ou ailleurs dans l’empire britannique. Le 30 août 1762, Amherst en avisa Bernard. Il écrivit qu’il souhaitait les disperser dans la colonie et les séparer le plus possible de façon à ce qu’ils n’eurent pas l’idée d’actes malveillants ni de retourner sur leurs anciennes terres : « I am to acquaint you, that, as circumstances now are, my opinion is, that those people should be disposed of in the Province of the Massachusetts Bay, for the present; and must desire you will do it in such a manner as you shall judge best, by separating them as much as possible, that they have no opportunity of doing mischief, or returning to their old Habitations […] 87 ».

47 Ici les Acadiens étaient clairement désignés comme des prisonniers qu’il fallait mettre au travail pour éviter qu’ils ne commettent des actes répréhensibles (« mischief »). Amherst rappela combien leur travail pouvait rapporter à la colonie même si ces Acadiens étaient toujours soupçonnés d’un manque d’affection envers l’empire et ses sujets : « I am persuaded the Country must reap an advantage from their Labour: the Removing of them from Nova Scotia appears to be necessary at this time, had that not been the case, I should have rather advised the keeping them where they were 88 ».

48 Le 5 septembre 1762, Bernard s’étonna cependant que personne n’eut pensé au financement de ces rétablissements et que la Nouvelle-Écosse ne se proposait nullement d’assumer les frais encourus si le Massachusetts approuvait l’idée de les accueillir : « Upon looking over Lieutenant Governor Belcher’s letter, I find he is silent about the expence of maintaining them, it being in 2 other letters from Halifax, which were read in our Council at the same time with Lieutenant Governor Belcher’s in which it is said that they were supported by the Crown and would be of no expence to this Government 89 ».

49 Le 17 septembre 1762, la Chambre des représentants et le Conseil du gouverneur refusaient catégoriquement cet accueil alors que Bernard demandait tout de même une exception pour faciliter l’installation temporaire des réfugiés dans sa province. Selon son biographe, Bernard possédait toujours à ce stade une opinion positive des Acadiens. Ces derniers incarnaient selon ses dires « l’éthique protestante du travail 90 ». Le travail vient donc ici renforcer un paramètre culturel et n’entre pas dans des considérations purement économiques. La Cour supérieure et générale du Massachusetts expliqua cependant que cette responsabilité incombait à la couronne et les Acadiens furent renvoyés à Halifax où Amherst malgré les sollicitations de Belcher, refusa de débloquer des fonds pour les reloger.

50 Dans une lettre au gouverneur Belcher envoyée le 11 novembre 1762, Thomas Hutchinson, qui avait aidé les réfugiés de 1755, décrivit les Acadiens comme « the poor people sent from your province » mais il comprenait la décision de Belcher puisque la guerre n’était pas finie. Les Français s’étaient emparés du port de Saint-Jean, dans l’île de Terre-Neuve, les Acadiens constituaient selon eux une menace à l’équilibre politique de cette région. «  I own for my part I was not without apprehension that the small fleet at Newfoundland would be joined by the Ships from Hispaniola or by other ships from France and it is very fortunate that they were not 91 ».

51 Cette seconde déportation marqua donc un tournant en ce qu’elle sema la discorde dans l’administration sur la désignation des Acadiens au sein de l’empire britannique : s’ils n’étaient plus considérés comme des réfugiés – sauf peutêtre pour Hutchinson –, ils apparaissaient tantôt comme des prisonniers de guerre aux yeux de l’administration britannique, tantôt comme un groupe à part entière pour Bernard qui les nomma « Acadians ». Toutefois, même si Bernard se montra bienveillant à leur égard, peu de voix politiques vinrent cette fois défendre le cas des réfugiés acadiens de 1762 contrairement à ce qui s’était produit en 1755 lorsque des représentants de la Chambre du Massachusetts s’étaient organisés en conséquence. La colonie du Massachusetts était le théâtre de tensions sociales et politiques d’envergure et d’une immigration en provenance d’Europe plus abondante, et cette nouvelle déportation qui ne préoccupa plus personne au sein de la société, passa quasiment inaperçue malgré l’extrême difficulté des conditions de déportation. En effet, les Acadiens après 15 jours en mer, n’obtinrent pas le droit de débarquer au Massachusetts et restèrent un mois à bord de leur bateau. Ce dernier repartit finalement pour la Nouvelle-Écosse fin septembre.

La sujétion britannique

52 Cette affaire ne laissa toujours pas le gouverneur Bernard indifférent. Ce dernier continua de s’entretenir avec les pétitionnaires acadiens en correspondant régulièrement avec certains d’entre eux. Dans une lettre datée du 24 août 1763 adressée au Board of Trade, Bernard faisait part de toute sa confusion : les Acadiens étaient-ils encore prisonniers de guerre ou pleinement sujets britanniques ? Dans le second cas, il ne voyait pas pourquoi il leur refuserait la liberté de circulation puisque des Acadiens lui avaient manifesté leur volonté prochaine de partir définitivement du Massachusetts pour un établissement français : « I know not how I could refuse them the liberty of going to the French settlement, if they are considered as French prisoners of war or as French subjects of a conquered country and if they are considered as English subjects, the liberty of going out of the Province is absolute, as they stand charged with no crime 92 ».

53 À Londres, le comte de Halifax, président du Board of Trade de 1748 à 1761, refusa catégoriquement à Bernard de laisser les Acadiens circuler librement. Dans une lettre qu’il lui adressa le 20 septembre 1763, il lui rappela que les Acadiens étaient des sujets britanniques : «  the King considers these Acadians as His subjects 93 ».

54 Toutefois, un mois plus tard, devant les arguments de Bernard, le comte de Halifax autorisa 16 familles acadiennes à partir pour les îles de Saint-Pierre et Miquelon, possession française au large de l’île de Terre-Neuve. Cette déclaration avait des accents de résignation puisque Halifax expliqua que l’impossibilité d’en faire de bons sujets devait se solder par l’autorisation de les laisser partir : « But if, as you observe, they cannot be prevailed upon so to settle, in good Humour, and for good purpose, the liberty of removing themselves out of the Province, or out of His Majesty’s dominions, cannot be denied to them as Subjects; and it would, perhaps, be no less imprudent than impracticable to prohibit their migration 94 ». Cette lettre montre ici que la volonté de faire des Acadiens des sujets de droit était belle et bien présente chez les administrateurs britanniques.

55 Le 15 octobre 1763, le comte de Halifax finit par recommander au gouverneur Francis Bernard d’intégrer les Acadiens au Massachusetts en les dissuadant de partir et en leur offrant du travail : « It is therefore, as You rightly judge it to be, Your Duty, one the one Hand, neither to encourage, nor facilitate, their departure, nor, on the other, to attempt to confine them in the Province against their wills. It should be the first object of Your endeavors to induce them to settle in such Places as may be agreeable to themselves, and, at the same time most consistent with the publick Peace and Security, and to become good subjects and useful Inhabitants 95 ».

56 Le 28 juillet 1763, Francis Bernard réitéra au Board of Trade de Londres que les Acadiens ne souhaitaient que deux choses : l’obtention de terres et la tolérance de leur culte. Cette description de leurs attentes divergeait de Thomas Hutchinson, membre de la Chambre des représentants, pour qui les Acadiens étaient uniquement préoccupés par le rassemblement de leur famille et la garde exclusive de leurs enfants : « there are but two things wanting on their behalf : the granting them lands and tolerating their religion 96 ».

57 Là où Hutchinson percevait une réalité humaine qui se distinguait de la société par le drame qui unissait ses individus, Bernard préférait y voir des sujets à part entière qui pouvaient contribuer à la vie en société par leur travail. En échange, pourquoi ne pas leur accorder une plus grande souplesse en matière de tolérance religieuse  ? Bernard percevait un groupe potentiellement intégrable là où Hutchinson voyait des familles en marge.

58 Bernard n’en resta pas là. Selon lui, si ces Acadiens retournaient en territoire français en tant que sujets français, ils devaient être considérés comme prisonniers de guerre et leur frais de subsistance dans la colonie devaient être imputés à la couronne  : «  If these People return to France as French subjects they must be considered as prisoners of war and therefore their subsistence ought to be paid for 97 ». Le 24 août 1763, dans une note au Board of Trade, il évoqua la possibilité de voir les Acadiens s’établir dans la colonie britannique avec « bon esprit » et pour de « bonnes raisons » : « […] although I should be loath to part with these People whilst there was a probability of their settling on British land in good humour and for good purpose 98 ».

59 Le 15 octobre 1763, le comte de Halifax lui répondit alors que cet établissement était une probabilité, non une réalité. Si tel n’était pas le cas, rien n’empêchait leur renvoi de la Province voire des dominions royaux et rien ne pouvait empêcher leur migration 99 . Cette correspondance soutenue entre administrateurs britanniques autour du problème des demandes de départs résultait d’une pétition soumise par Paul Landry, qui dressait une liste de 101 Acadiens désireux de partir en France. Les autorités du Massachusetts décidèrent pour la troisième fois de redistribuer les familles acadiennes parmi les municipalités afin d’éviter ce type de solidarités qu’elles percevaient d’un très mauvais œil.

60 Le gouverneur Bernard n’autorisa pas de départs pour l’Europe, craignant, au sortir de la guerre de Sept Ans, d’alimenter indirectement la France en ressources humaines, ce qui est révélateur d’un certain manque de confiance envers les Acadiens. Il autorisa néanmoins la même année quelque 140 Acadiens à embarquer vers les îles de Saint-Pierre et Miquelon 100 . Malgré des demandes de départ vers leurs anciennes terres, il fut formellement refusé aux Acadiens d’y revenir, comme il leur fut interdit de passer au Canada en 1763. Paul Landry et Charles Trahant, furent alors responsables de dresser la liste des Acadiens qui désiraient partir en France. Le 14 août 1763, leur liste comprenait 162 hommes, 167 femmes, 368 garçons et 346 filles, soit 1043 individus prêts à partir. Ils annexèrent cette liste à une demande d’asile et l’envoyèrent au duc de Nivernais, ambassadeur de France à Londres. Celui-ci en informa les autorités de son pays qui conclurent que ces Acadiens feraient de bons colons sur certaines terres inoccupées de l’empire telles que la Guyane ou Saint Domingue 101 . En décembre 1764, celui qui semble jouer le rôle du chef des familles acadiennes désireuses de partir, Paul Landry, informa le Conseil du gouverneur du Massachusetts qu’il souhaitait partir pour l’île d’Hispaniola – ainsi nommée dans l’Amérique britannique mais correspondant aujourd’hui à l’île de Saint Domingue. En juin 1764, le gouverneur des îles du Vent dont Saint Domingue, possessions françaises, Charles Henri d’Estaing, invita donc officiellement tous les Acadiens de Nouvelle-Angleterre à peupler ses territoires. Plus de 400 Acadiens répondèrent alors à l’appel en janvier de l’année suivante 102 . D’Estaing promit à ces Acadiens des terres et une solde de 10 soles par jour pendant les premiers mois de leur installation 103 . Le gouverneur Bernard ne l’entendit pourtant pas de cette oreille. En janvier 1765, il envoya à la Chambre des représentants une missive indiquant clairement son opposition à ce projet. Cette missive est capitale dans la compréhension des mesures qu’adopta le gouverneur Bernard, pour lui, les Acadiens devaient à terme s’intégrer à la vie coloniale britannique. En effet, sa rhétorique protectrice était celle du paternalisme, les Acadiens ne «  savaient pas  » ce qu’ils entreprenaient en s’engageant pour les colonies françaises et leur sort était selon lui tout tracé  : la mort. Par ailleurs, Bernard faisait une nouvelle fois montre d’une certaine bienveillance en expliquant à la fin de sa lettre qu’il souhaitait leur interdire ce voyage moins par volonté de les transformer en sujets britanniques que par souci de ne pas les voir périr en masse. «  Their case is truly pitiable; if they go to Hispaniola they run into certain destruction very few escaping with life, the Effects of the bad climate there and yet they have no Encouragement in this Country; Humanity more than Policy makes me desirous to prevent the remainder of them taking this fateful voyage; I want not so much to make them British subjects as to keep them from perishing 104 ».

61 Il apparaît alors clairement dans les sources que certains Acadiens s’opposèrent à l’aide du gouverneur britannique : ils ne voulaient plus être considérés ni comme réfugiés, ni comme prisonniers, ils souhaitaient regagner leur liberté. Une pétition indique clairement qu’ils considéraient avoir désormais « purgé » leur peine et que la liberté de circuler devait dorénavant leur être accordée. Ils écrivirent ainsi au gouverneur Bernard que la Nouvelle-Angleterre était pour eux, telle une prison et ils s’auto-désignèrent comme des prisonniers : « Nous savons qu’en temps de paix et dans tous les pays, les portes des prisons sont ouvertes aux prisonniers. Il nous apparaît donc surprenant, Monsieur, d’être retenus ici 105 ».

62 Notons que les relations sociales au Massachusetts étaient particulièrement perturbées par les débuts du mouvement d’opposition aux importations appuyé par une partie de la classe marchande bostonienne. Cette agitation politique plus tard nommée « guerre folle » par les Acadiens de Nouvelle-Écosse attisait probablement des craintes de leur part 106 . Dans ce climat délétère de tensions sociales, une majorité d’Acadiens réitéra des demandes de départs notamment à l’appel du 1 er mars 1765 lancé par le gouverneur du Canada, James Murray. Ce dernier offrait 100 arpents de terre aux immigrants venant peupler sa colonie. A ce titre, l’acte de capitulation du marquis de Vaudreuil, établi à Montréal le 8 septembre 1760, fait également référence aux Acadiens revenus de déportation au Canada dans l’article 29, en leur promettant que: « Tous les peuples qui ont quitté l’Acadie et qui seront trouvés dans le Canada, et toute autre personne quelconque, préserveront l’entière et paisible possession de leurs Biens muables et immuables, marchandises, pelleteries et tous effets, ils ne seront point touchés ni aucun dommage ne leur sera fait, sous aucun prétexte quelconque 107 ».

63 Au printemps 1766, le gouverneur Murray écrivit à Bernard que ce réétablissement d’Acadiens sur les terres du Canada s’effectuait selon son expression pour le bien de l’Empire : « for the Good of the British Empire 108 ». Il n’est pas fait mention de l’effet économique qui pouvait éventuellement découler du rétablissement des Acadiens au Canada. Le 2 juin, 890 Acadiens embarquèrent de Boston à bord de goélettes pour la ville de Québec. Les médias se firent alors le relais des tentatives de départs des Acadiens que l’on appelait communément les Français neutres. La Boston Gazette annonça en première page dans son édition du 15 août 1763 qu’ils souhaitaient repartir vers « la vieille France » : « we hear that the Acadians, commonly known by the Name of French neutrals, who were removed from Nova Scotia in the year 1755, are to be sent to Old France. A list of those in this Province is taking to send home for transports to be sent to carry them 109 ». Est-ce qu’à travers cette expression de « Old France », le rédacteur de l’article voulait associer les Acadiens à cet État en sousentendant qu’ils entretenaient avec lui un rapport historique (« old ») ? Une nouvelle fois, même s’ils servaient à l’empire britannique, les Acadiens n’étaient pas encore tout à fait détachés de leur lien à la France.

Une main d’oeuvre pionnière

64 A la fin de la guerre de Sept Ans, loin d’un quelconque retour vers la mère-patrie, les Acadiens allaient bien souvent servir de défricheurs de terres à des propriétaires terriens français en mal de bras, surtout dans les colonies des Caraïbes. Une écrasante majorité d’entre eux allaient y mourir de faim, d’épuisement au travail et de maladies tropicales 110 . Car si la France proposait de les accueillir, rien n’était véritablement prévu à cet effet en particulier dans les colonies. Comme l’indique l’historien Yves Boyer-Vidal, lorsque ces nouveaux colons arrivèrent aux Caraïbes, ils déchantèrent car « la publicité faite autour de leur futur lieu d’accueil les avait fait rêver (infrastructure ordonnée, climat agréable, facilité de travailler la terre...). Ils voient que rien n’a été prévu, ne savent pas quand et où ils vont débarquer. Quant aux concessions qui leur sont attribuées, aucun plan n’a encore été préparé et officialisé par le gouverneur 111 ».

65 Plutôt que s’employer à organiser pour les Acadiens émigrés dans les Caraïbes une aide concrète comme celle accordée à ceux de la Nouvelle-Angleterre 112 , alors que ces derniers sombraient petit à petit dans des maladies tropicales et mouraient de faim, les gouverneurs des colonies de Saint Domingue et Kourou, Étienne François de Turgot et l’intendant Jean-Baptiste Thibault de Chanvallon, appliquèrent à la lettre les recommandations de Choiseul. Celui-ci souhaitant rendre ces colonies florissantes, les gouverneurs firent en conséquence travailler les Acadiens quinze heures par jour sous des températures tropicales et les entassèrent dans des baraquements insalubres 113 . Comme l’avait prévu le gouverneur Bernard, averti du taux élevé de mortalité chez les Acadiens rétablis dans les colonies françaises, les Acadiens furent maltraités et dépérirent dans des conditions très difficiles.  Les responsables français des projets de relocalisation des Acadiens dans l’empire tels que Pérusse d’Escars, responsable d’un projet de défrichage dans le Poitou, Jean-Baptiste Fusée-Aublet, responsable d’un projet en Guyane ou encore Étienne de Turgot frère de l’économiste Anne Robert, étaient tous membres de cercles physiocratiques, une pensée économique favorable à la concurrence et au libre marché, fortement opposée à la fiscalité 114 . Ces projets s’inscrivaient donc dans un plus large plan d’expérimentation agricole et économique pour lesquels les Acadiens servaient de pionniers.

66 De plus, les parcours des Acadiens ne s’arrêtèrent pas aux frontières géopolitiques de l’un ou l’autre empire. Ainsi, la Boston Gazette datée du 25 février 1765 se faisait le relais de ce désastre humanitaire, preuve que certains Acadiens avaient tissé des liens suffisamment solides pour que l’on s’intéresse à eux une fois partis de la colonie. La Boston Gazette indiqua que des 700 Acadiens partis au Cap Saint Nicolas, sur l’île de Saint Domingue, 400 décédèrent des suites d’épuisement, de manque de ravitaillement et de logements : «  By a letter from Cape Saint Nicolas, dated December 28th we are informed that out of 700 Acadians that went from these colonies, 400 are dead. They had been put to many difficulties; when they were landed they had no House to put their Heads in, till they built one themselves; they were kept to work like Negroes, allowed no land, and had no Money for their work 115 ».

67 La Boston Gazette continua régulièrement de donner des nouvelles des Français neutres qui embarquèrent pour les Caraïbes comme la centaine d’entre eux du vaisseau du capitaine Welch partis pour Cap François, dans l’île de Saint Domingue : « Captain Welch in a Brig. with 100 French Neutrals on board, sail’d from this Port last Monday for Cape François, where the Neutrals are to settle. They have been in this and the neighborhood towns ever since they were removed from Nova Scotia 116 ».

68 Quelques mois plus tard, la Boston Gazette publia une dépêche indiquant que cette centaine d’Acadiens avait été décimée par la maladie et attribua leur manque d’adaptation  aux conditions climatiques et à l’absence de soins : « We hear that the French Neutrals (so called) who went from these Parts last Fall, to Cape François, have been unable to endure the Heart of the Weather there, so different from the climate to which they had heretofore lived in: that many died soon after their arrival and ‘twas thought but few would survive the mortality but rag’d among them 117 ». Dans ces articles, le journal retraça les trajectoires des Acadiens. Car en effet, ces départs ou tentatives de départ montraient dans les journaux des trajectoires catastrophiques où le regard compassionnel des rédacteurs était perceptible : « few would survive the mortality but rag’d among them  ». Les Acadiens avaient-ils établis des relations sociales suffisamment fortes pour ne plus être simplement considérés comme des étrangers à cette société ?

69 La plupart des Acadiens qui s’établirent dans les colonies des Caraïbes et aux îles de Saint-Pierre et Miquelon à cette époque étaient issus de l’Amérique britannique. Dans les registres de mariage tenus à Saint Pierre et à Miquelon de 1763 à 1791, on retrouve des Acadiens qui se sont connus en Nouvelle-Angleterre. Il y est précisé à l’instar des réfugiés Honoré et Marie-Jeanne Richard mariés le 16 octobre 1763 qu’ils «  étoient détenus prisonniers en Nouvelle-Angleterre  ». Tous les autres répertoriés par l’administration française le furent comme étant «  natifs d’Acadie 118 ». Cette précision prouve que l’administration française était moins préoccupée par la question de l’appartenance française ou religieuse que l’administration britannique en particulier dans les colonies. Toutefois, elle ressentait le besoin de préciser leur provenance géographique comme si une différence séparait les Acadiens des autres coloniaux d’origine française. Encore une fois, la précarité venait jouer un rôle moteur dans le départ vers ces colonies françaises. En effet, le 26 décembre 1762, Choiseul avait écrit aux intendants des ports de la côte atlantique française où étaient installés les Acadiens : « Il serait bon, en attendant le retrait de la subsistance accordée par le Roi aux Acadiens de présenter aux plus pauvres l’idée de passer soit à la Cayenne soit à Sainte Lucie, la Guadeloupe ou Saint Domingue 119 ».

70 Au cours de cette période de demandes de départs, quelques familles acadiennes s’échappèrent au nord de la Nouvelle-Angleterre. D’autres encore furent retenues prisonnières dans des camps de réfugiés comme celui d’Espérance sur la Miramichi 120 . Ces familles furent ensuite rejointes par d’autres familles acadiennes réfugiées qui n’avaient pas été déportées et s’y installèrent 121 .

71 Le 16 juillet 1764, une missive du bureau des Lords of Trade de Londres informa le gouverneur de Nouvelle-Écosse qu’il devait autoriser les Acadiens à rentrer en Nouvelle-Écosse à condition de prêter le serment d’allégeance. Selon cette missive, les Acadiens auraient pris les « armes en faveur de la France pendant la dernière guerre 122 ». La désignation d’ennemi n’avait donc toujours pas disparu chez les administrateurs britanniques, l’Acadien restant un individu « à surveiller ». Le 1 er janvier 1765, les Acadiens précisèrent dans une pétition envoyée de Boston, qu’ils souhaitaient partir aux colonies françaises en tant qu’« Acadians »: « We Acadians have a great desire to go to the French colonies. We have taken the liberty to present a second petition to your Excellency the Governor and Commander in chief of the Massachusetts, to you and your council […] 123 ».

72 Ces tentatives de départs de l’Amérique britannique vers l’empire français étaient toujours menées au nom de leur identité d’Acadien synonyme de mauvaises conditions économiques notamment en Nouvelle-Angleterre. Les Acadiens comprirent que la vie qui leur était réservée au Massachusetts et au Connecticut ne comprenait pas, du moins pas dans l’immédiat, d’octroi de terres sur lesquelles ils pourraient faire vivre leurs familles. En plus d’être leurrés par les promesses de propriété terrienne de l’empire français, un grand nombre d’entre eux comprirent très certainement que les colonies britanniques vivaient des déchirements sociaux et politiques dramatiques. La colonie du Massachusetts connut deux mouvements sociaux en 1761 et 1765 où des maisons furent saccagées et des personnes grièvement blessées.

73 Par ailleurs de 1763 à 1767, la plupart des Acadiens envisagèrent sérieusement de retrouver des membres de leurs familles dispersés par les déportations. Ils se portèrent ainsi volontaires pour des projets de colonisation aussi bien dans l’empire français que dans l’empire britannique 124 . Cependant, tous les Acadiens ne réagirent pas positivement à ces plans de ré-établissement. Les colonies caribéennes avaient très mauvaise réputation en métropole et les Acadiens en redoutaient naturellement le climat et les maladies tropicales. Dans une lettre rédigée en 1764 au commissaire de la marine, Étienne-François de Choiseul, désormais secrétaire d’État à la marine, faisait part de sa colère face aux réticences des Acadiens stationnés dans le port de Boulogne qui refusaient de partir vers cette colonie des Caraïbes. Il précisait alors : « J’ai rendu compte au Roi de la répugnance que les Acadiens qui sont dans votre département témoignent pour passer à Cayenne. Sa Majesté vous charge de leur faire sentir de sa part combien cette obstination est déplacée puisque d’un côté le pays où on les envoie est excellent […] que de l’autre il n’y a pas de moyen de les placer ailleurs et qu’il sera impossible de leur continuer leur subsistance s’ils persistent à rester sans rien faire et sans prendre de parti 125 ».

74 Les responsables français des projets de relocalisation n’entendaient pas laisser les Acadiens librement circuler contrairement aux administrateurs britanniques. Par ailleurs, la neutralité devint l’objet d’agacements pour l’administration française qui ne comprenait pas leur absence de « parti ». Pourtant, Choiseul ne voulut pas laisser partir trop d’Acadiens pour les colonies et indiqua dans sa correspondance sa réticence à voir trop d’Acadiens s’installer aux îles de Saint-Pierre et Miquelon 126 .

Le recensement du Massachusetts (1765) : la catégorie de peuple

75 En 1763, la fin de la guerre de Sept Ans ouvrit de nouveaux conflits qui mettaient en cause l’inimitié des groupes d’origine non britannique et leur accès à un territoire notamment pour les tribus amérindiennes. Ces nouveaux conflits atteignirent leur paroxysme lors de la guerre menée par le chef outaouais Pontiac où une confédération de tribus de la région des Grands Lacs combattit les troupes britanniques commandées par Jeffrey Amherst en 1763. Cette guerre autorisa de nouvelles alliances entre tribus et créa de nouveaux problèmes sur la frontière de l’Ouest. Cette défense de la frontière doubla la dette nationale britannique et força Londres à trouver de nouvelles sources de financement pour ses guerres coloniales. Inévitablement, cette démarche impliquait un renforcement de l’autorité monarchique au moyen de réformes fiscales très mal accueillies notamment dans les colonies d’Amérique du Nord. Les réflexions stratégiques qui suivirent à un niveau politique amenèrent la question raciale sur la scène publique. Comme l’indique l’historienne Joyce Chaplin, la dépossession en particulier territoriale devait trouver sa justification dans les doctrines de la hiérarchie et de la taxonomie des races 127 .

76 Ces relations tendues avec les autres groupes peuplant les Amériques s’aggravèrent d’autant plus avec l’esclavage où les révoltes d’esclaves – telles que la révolte de Tacky en Jamaïque de mai à juillet 1760 réprimée dans le sang et la torture – et les tentatives abolitionnistes soulevaient la question des relations entre peuples d’origine européenne et extra-européenne. Ces guerres et révoltes de peuples voisins des colons britanniques firent réfléchir les administrateurs à de nouvelles approches administratives et même de séparation des peuples de façon à les empêcher d’interagir. Dans un article non publié sur l’architecture dans l’Amérique coloniale, l’archéologue Garrett Fesler explique que la maison traditionnelle du colon britannique s’était peu à peu transformée de façon à ce que maîtres et serviteurs ou esclaves ne se croisent plus 128 . L’esclave étant désigné comme potentiellement hostile, l’espace partagé était donc redéfini.

77 Cette volonté de séparer les identités sur une base matérielle conduisit le gouverneur Bernard en août 1765, à demander à la Chambre la tenue d’un recensement de la population du Massachusetts. Ce recensement, exclusivement fondé sur des catégories ethniques, amena des juges de paix et des selectmen à recenser et classifier tous les habitants du Massachusetts. Le recensement demanda ainsi de répertorier les Blancs, («  Whites  »), les «  Noirs  » («  Negroes  »), les «  Indiens  » («  Indians  ») et les Acadiens nommés simplement «  neutres  » (« Neutrals »). Pour des raisons militaires, seuls les hommes et les femmes de plus de 16 ans furent recensés, c’est du moins la consigne recommandée par le Board of Trade de Londres dans ses instructions générales au gouverneur du Massachusetts William Shirley en 1741. En effet, cette approche permettait de dresser une liste exhaustive des hommes en âge de porter les armes dans la milice 129 . Les Acadiens reçurent un traitement spécial tel qu’indiqué dans une note manuscrite rédigée par le gouverneur Bernard en 1764. Cette note fut suivie d’un ordre envoyé aux selectmen de ne pas les inclure en tant que provinciaux, donc habitants de la colonie : « [...] you are not to include the Acadians, commonly called French Neutrals, among the Provincials as above, but return them separately 130 ».

78 Bernard ne fournit aucune explication sur les raisons de ce traitement spécial bien qu’il se montra à la même époque défavorable aux projets de départs des Acadiens. Il ne s’étendit pas non plus sur la raison pour laquelle les Acadiens ne pouvaient être considérés comme Blancs ou comme des familles. Par ailleurs, il nomma les Acadiens en tant que tels et ajouta qu’«  on  » les nommait plus communément Français neutres, il avait donc conscience qu’il existât une façon différente de les nommer dans le monde social.

79 Le recensement servait pourtant plus à l’époque de définition voire de repère social à la notion de famille. Les recensements officiels et nationaux conduisaient rapidement à la création de critères qui rendaient possible la constitution de foyers avec un chef de famille spécifique 131 . Des facteurs purement historiques pouvaient aussi expliquer ce besoin classificatoire décelable dans le recensement de 1765. En effet, de nouvelles pratiques d’identifications affectaient le monde atlantique aussi bien dans les domaines des sciences –biologie, sciences naturelles – que pour les sociétés humaines. L’historien Keith Thomas a bien montré que de la première moitié du 18 e siècle jusqu’aux révolutions atlantiques, de nouvelles attitudes classificatoires exprimaient des mentalités effaçant progressivement les barrières entre la façon dont on concevait le monde naturel et les sociétés humaines 132 . Ainsi, pour Thomas, si la classification et la taxinomie étaient au départ des pratiques scientifiques communes aux naturalistes et biologistes d’époque, le transfert à la société humaine se réalisa progressivement 133 .

80 Cette volonté de recenser les habitants émanait aussi de besoins militaires concrets puisque la frontière ouest du Massachusetts dessinait de potentiels dangers d’invasions. Bernard qui souhaitait la tenue de ce recensement depuis 1763 n’était cependant pas soutenu par une écrasante majorité à la Chambre des représentants. De nombreux représentants craignaient que ce décompte d’habitants ne soit qu’une mesure supplémentaire pour réguler un système d’imposition plus lourd qu’il ne l’était déjà. Bernard était en plus très contesté en 1765 en raison de la loi du « writs of assistance  » qui autorisait la perquisition de bateaux de marchandises sans mandats. Bernard demanda tout de même une liste spéciale aux autorités des villes du Massachusetts, indiquant les Acadiens de moins et de plus de 15 ans mais il semble que cet ordre ne fut pas toujours diligemment suivi. On retrouve toutefois des traces précises de ces listes dans les recensements de certains comtés. On compte alors le plus grand nombre d’Acadiens dans les villes portuaires et frontalières, ces derniers attendant certainement leur départ prochain pour Québec, la Nouvelle-Écosse – continentale et insulaire – la France ou les îles Saint-Pierre et Miquelon.

Conclusion

81 De 1755 à 1765, les désignations linguistiques consistant à nommer et donc à définir les Acadiens s’inscrivent dans une évolution. Dans un premier temps, la volonté d’exclure le groupe apparaît clairement comme l’effet d’une peur. Les Acadiens furent alors désignés comme des menaces à l’ordre public même si la compassion faisait parfois contrepoids à ce regard. Ils furent répertoriés comme des dangers pour la sécurité en étant associés aux Français, d’où les mesures d’isolement et d’encadrement adoptées à leur encontre. La désignation linguistique montra alors qu’elle pouvait avoir une conséquence directe sur l’organisation d’un espace commun.

82 Dans un second temps, il semble que la volonté d’intégrer ces réfugiés aux sociétés coloniales accentua leur désignation de «  neutres  » afin d’atténuer leur attachement à la France toujours en guerre contre la Grande-Bretagne. Ils furent des « Acadiens » pour les administrateurs français qui leur reconnaissaient aussi une différence. Après une période d’indétermination linguistique à leur égard marquée par la fin de la guerre de Sept Ans, il semble que dans un troisième temps, la désignation linguistique parte d’une volonté de constituer le groupe en tant que tel. Deux conceptions virent alors le jour chez les administrateurs : ils devinrent soit des prisonniers de guerre mobiles, soit des sujets de droit. Enfin, le recensement de 1765 montre que les Acadiens furent alors décrits dans l’empire britannique comme vivant les mêmes expériences de déplacements – dans les journaux notamment – aboutissant à une même catégorie de population ce qui fut largement admis et même défendu par les Acadiens eux-mêmes lorsqu’ils formulèrent leurs griefs d’une même voix collective. Ils devinrent alors une catégorie à part entière, une tranche de la population que l’on pouvait dénombrer et rassembler.

83 Cette évolution des désignations linguistiques traduit une évolution plus vaste des exigences des empires britannique et français envers les Acadiens 134 . Traversés par des crises politiques et économiques graves, ces empires n’ont pas toujours eu les mêmes attentes envers les Acadiens, même sur une période très courte, d’où des désignations différentes et parfois même contradictoires au sein d’une même société. Cela étant, dépendantes d’un contexte militaire mondial similaire, les désignations ne semblent pas recouvrir de façon fondamentalement différente les groupes acadiens déplacés dans l’empire français ou britannique. Certes, les administrateurs anglais souhaitent en faire des sujets de droit mais à un moment charnière de l’histoire de l’empire britannique dans les Amériques que l’on pourrait qualifier de « crise des allégeances ». En effet, certains colons britanniques eux- mêmes sont en révolte contre la couronne britannique et le pouvoir du gouverneur. On peut se demander si cette volonté de sujétion n’aurait pas elle aussi vu le jour chez les administrateurs français si les revendications sociales conduisant à la naissance du « citoyen » n’étaient pas survenues vingt ans plus tôt.

84 Cependant, il est nécessaire de revenir sur les volontés des administrateurs car qui souhaite nommer les Acadiens dans l’après-déportation afin de créer un groupe à part sinon quelques hommes de pouvoir ? Malgré leur petit nombre, les historiens Belliveau, Mouhot et Hodson ont analysé leurs motivations 135 en accentuant la notion «  d’intérêt  » personnel et surtout économique à leur action. Mais les mentalités de la seconde moitié du 18 e siècle étaient-elles véritablement régies par la notion d’intérêt ? Les administrateurs souhaitaient-ils vraiment et en conscience, capitaliser sur la main d’œuvre acadienne sachant en plus que d’autres systèmes de travail venaient suppléer à l’utilisation de l’esclavage – contrats de « bondage » ou d’ « indentured servitude » par exemple dans les colonies britanniques – via une main d’œuvre immigrée volontaire et certainement plus efficace que des réfugiés de guerre 136 ? Il semble que tirer une conclusion d’ordre général sur les liens directs entre administration impériale et intérêt économique soit biaisé par les appels à projets qui ne concernaient à toute fin utile qu’un très petit nombre de grands propriétaires terriens dans des zones géographiques précises. 137 On peut penser que les administrateurs étaient surtout animés par un devoir de service envers l’empire, souhaitant avant tout maintenir l’ordre établi dans leur société et non pas faire pression sur l’offre et la demande économique 138 . D’ailleurs, il est légitime de se demander si à ce stade de l’histoire, les empires étaient réellement à la recherche de domination économique ou tentaient-ils plutôt par tous les moyens de pérenniser une présence politique en maîtrisant par tous les moyens de nouveaux sujets  ? L’accès au statut de sujet était en tout cas très clair en métropole  : le comte de Halifax indiqua à Francis Bernard que les Acadiens étaient des sujets du Roi. Le biographe de Francis Bernard 139 précisa que Bernard s’était vraiment soucié en conscience d’un engagement réel auprès des réfugiés acadiens avec qui il conversait sur une base régulière comme le précise aussi Hodson 140 . L’émergence de catégories de populations dans ce cas ne serait pas l’émanation d’une volonté quasi machiavélique d’utiliser les Acadiens mais plutôt le désir de les extraire d’une colonie pour les intégrer dans un nouveau monde colonial en leur octroyant une place dans des sociétés encore hiérarchiques de façon à éviter tout désordre social. L’acharnement mis en œuvre par Bernard pour garder les Acadiens dans sa colonie provient peut-être de cette prise de conscience du fait que l’empire avait besoin de populations qui ne créaient aucune tension politique ou sociale dans ses différents territoires d’où l’insistance sur l’allégeance. La nécessité d’intégrer ces populations nouvellement colonisées devenait alors une réalité peut- être déjà comprise comme inévitable par cet homme de pouvoir. Cette place dans la société coloniale ne pouvait se concevoir qu’en octroyant un travail, conférant une certaine « utilité » sociale mais sans cet argument de l’utilité, Bernard aurait eu beaucoup de mal à imposer sa volonté de voir les Acadiens rester dans sa colonie. La supposée utilité des Acadiens à l’empire était donc plus à comprendre comme la principale stratégie argumentative d’une rhétorique conservatrice que comme une réalité concrète.

85 Enfin, complexe et variable comme le contexte dans lequel elle prend place, la pratique de nommer elle-même s’est transformée et étendue à des acteurs variés dans la période qui a suivi les déportations. Elle ne semble ainsi jamais continue mais apparaît indiscutablement importante dans la mesure où elle reflète des attitudes et des émotions variables à l’égard des Acadiens au cours de leur passage dans différentes sociétés. La comparaison de cette pratique à travers toutes les sociétés qu’ils ont traversées pourrait donc s’avérer une piste féconde de recherche ultérieure pour interroger l’intégration de ce groupe aux sociétés atlantiques dans la deuxième moitié du 18 e siècle. Une telle comparaison reviendrait aussi à retracer la généalogie de l’expression « Acadien » et à interroger le sens qu’elle recouvre sur la longue durée. Ce sens s’était-il plus ou moins stabilisé dans toutes les sociétés atlantiques à une certaine époque ? Si ce sens a partout évolué, pourquoi ne s’est-il vraiment nulle part stabilisé ?

1 L’acte de nommer a été longuement étudié en linguistique et en philosophie notamment à travers la morale, où nommer établit une relation à autrui et admet une volonté à son égard. Voir pour une synthèse Laurence Hansen-Love, Oublier le bien, nommer le mal, Paris, Belin, 2016. En histoire, les pratiques de désignation linguistique ont été relevées par des historiens de l’identité comme Jane Caplan et John C. Torpey dans Documenting Individual Identity: The Development of State Practices in the Modern World, Princeton, Princeton University Press, 2001, 432 p. et Vincent Denis, Une histoire de l’identité : France, 1715-1815, Seyssel, Champ Vallon, 2008, 463 p. Voir aussi, pour l’étude des liens entre désignations linguistiques et enjeux politiques plus larges, Sophie Wahnich, L’impossible citoyen, l’étranger dans le discours de la Révolution française, Paris, Albin Michel, 1997, 402 p.
2 Earle Lockerby, « Le serment d’allégeance, le service militaire, les déportations et les Acadiens : opinions de France et de Québec aux 17 e et 18 e siècles », Acadiensis, vol. XXXVII, n o 1 (2008), p. 10-38.
3 A.J.B. Johnston, « Borderland Worries: Loyalty Oaths in Acadie / Nova Scotia, 1654-1755 », French Colonial History, vol. 4, n o 1 (2004), p. 31-48.
4 Letter of Lawrence Armstrong, 17  novembre  1727, Public Record Office (PRO), Collection, 1726–27, vol. 23, p. 150, 153, 160, 216 et suiv.; et Oath of loyalty to George II, 1730, boîte 7, Archives publiques de la Nouvelle-Ecosse, Halifax.
5 Oath of loyalty to George II, 1730, boîte 7, Archives publiques de la Nouvelle-Ecosse, Halifax.
6 Linda Colley rend bien compte de l’importance de l’allégeance au roi pour l’identité britannique au 18 e siècle, qui était surtout caractérisée par l’opposition à la souveraineté du pape. Voir Linda Colley, Britons: Forging the Nation, 1707-1837, Hartford, Yale University Press, 2005, p. 45. Geoffrey Plank, An Unsettled Conquest: The British Campaign Against the Peoples of Acadia, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 2004, 256 p. Comme le précisent les historiens Jon Parmenter et Mark Power Robison : « Neutrality in wartime has generally carried with it these implications of aloofness, and thus it has been viewed historically almost exclusively as a reactive policy, rooted in isolationism or weakness ». Jon Parmenter et Mark Robison, «  The Perils and Possibilities of Wartime Neutrality on the Edges of Empires: Iroquois and Acadians between the British and French in North America, 1744-60 », Diplomatic History, vol. 31, n o 2 (2007), p. 167-206.
7 Naomi E.S. Griffiths, « Acadians in Exile: The Experiences of the Acadians in the British Seaports », Acadiensis, vol. IV, n o 1 (1974), p. 76-89; The Acadians: Creation of a People, Toronto, McGraw-Hill Ryerson, 1973, 94 p.; The Acadian Deportation: Deliberate Perfidy or Cruel Necessity?, Londres, Copp Clark Pub. Co., 1969, 165 p. et From Migrant to Acadian: A North American Border People, 1604-1755, Montréal et Kingston, McGill-Queen’s University Press, 2005, 633 p.
8 Carl Brasseaux, Scattered to the Wind: Dispersal and Wanderings of the Acadians, 1755-1809, La Fayette, University of Southwestern Louisiana, 1991, 84 p.; Lockerby, «  Le serment d’allégeance, le service militaire, les déportations et les Acadiens », p. 10-38.
9 Carl Brasseaux, The Founding of New Acadia: The Beginnings of Acadian Life in Louisiana, 1765-1803, Lafayette, Louisiana State University Press, 1997, 288 p. Earle Lockerby revient sur les déportations des populations anglaises de l’Amérique coloniale au 17 e siècle et des Basques du Labourd au 19 e siècle dans « Le serment d’allégeance, le service militaire, les déportations et les Acadiens », p. 10-38 et Griffiths dans « Acadians in Exile », p. 76-89.
10 Ronnie-Gilles LeBlanc, « La quête pour le droit à la propriété dans l’Acadie des Maritimes, 1763-1800 », Études canadiennes, vol. 37, n o 2 (1994), p. 41-50; A.J.B. Johnston, « French Attitudes Toward the Acadians ca. 1680-1756  », dans Ronnie-Gilles LeBlanc (dir.), Du Grand Dérangement à la Déportation : nouvelles perspectives historiques, Moncton, Chaire d’études acadiennes, 2005, p.  166; Lockerby, «  Le serment d’allégeance, le service militaire, les déportations et les Acadiens », p. 10-38. 
11 Maurice Basque, Des hommes de pouvoir : histoire d’Otho Robichaud et de sa famille, notables acadiens de Port-Royal et de Néguac, Néguac, Société historique de Néguac, 1996, 235 p. et « Family and Political Culture in Pre-Conquest Acadia », dans John G. Reid, Maurice Basque, Elizabeth Mancke, Barry Moody, Geoffrey Plank, et William G. Wicken (dir.), The “Conquest” of Acadia, 1710: Imperial, Colonial and Aboriginal Constructions, Toronto, University of Toronto Press, 2004, p.  48-55; Jonathan Fowler, «  The Neutral French of Mi’kma’ki: An Archaeology of Acadian Identities prior to 1755  », thèse de doctorat (histoire), Université d’Oxford, 2010, 392 p.; John G. Reid, «  An International Region of the Northeast: Rise and Decline, 1635-1762 », The Acadiensis Reader, vol. 1, n o 3 (1998), p. 31-46.
12 Jean Daigle, « L’historiographie et l’identité acadienne aux XIX e et XX e siècles », dans Simon Langlois (dir.), Identités et cultures nationales : l’Amérique française en mutation, Sainte-Foy, Presses de l’Université Laval, 1995; P.D. Clarke, «  The Makers of Acadian Identity  in the Nineteenth Century », thèse de Ph.D. (histoire), Université Laval, 1989, 1118 p.; Jacques-Paul Couturier, « “L’Acadie, c’est un détail” : les représentations de l’Acadie dans le récit national canadien », Acadiensis, vol. XXIX, n o 2 (2000), p. 102-119; Adeline Vasquez-Parra, « L’ennemi et l’hôte : représenter l’Acadien dans l’historiographie de la Déportation en Nouvelle-Angleterre de 1755 à nos jours », Revue d’histoire de l’Amérique française, vol. 66, n o 2 (2012), p. 206-230.
13 Christopher Hodson, The Acadian Diaspora: An Eighteenth-Century History, Oxford, Oxford University Press, 2012, 260 p.
14 Voir l’étude d’Eric Williams, Capitalism and Slavery, Chapel Hill, University of North Carolina Press, 1944, 320 p., qui reste une référence au regard du manque de rentabilité de l’esclavage transatlantique.
15 Plank, An Unsettled Conquest; Christopher Hodson, « “Des vassaux à désirer” : les Acadiens et l’Atlantique français », Outre-mers, revue d’histoire, vol. 96, n o 362 (2009), p. 111-123; Jean-François Mouhot, Les réfugiés acadiens en France, 1758-1785  : l’impossible réintégration?, Québec, Septentrion, 2009, 448 p.
16 Lorsqu’il s’étend sur le projet du marquis Pérusse d’Escars en Poitou, Hodson mentionne que ce fut d’ailleurs le cas : « Pérusse did, however, notice subtle differences among the refugees. First a few people who were not Acadians at all had sneaked into the mix  ». Hodson, Acadian Diaspora, p. 25.
17 Griffiths, From Migrant to Acadian.
18 Mouhot, Les réfugiés acadiens en France.
19 Même si le cas de l’évacuation d’une population neutre de son propre territoire avait déjà été évoqué chez les habitants de l’île de Sainte-Lucie, qui devenait britannique à la suite du traité d’Aix-la-Chapelle, ratifié en 1748. Voir François Ternat, Partager le monde : rivalités impériales franco-britanniques, 1748-1756, Paris, Presses de l’université Paris-Sorbonne, 2015, p. 123-124.
20 « “Peuple” est sans doute le terme le plus utilisé pour désigner, par périphrase les Acadiens » : Mouhot, Les réfugiés acadiens en France, p. 309.
21 L’expression est relevée par Mouhot dans Les réfugiés acadiens en France, p. 211.
22 Comme l’indique Déborah Cohen, c’est justement cette approche par le droit qui permet une frontière stricte entre acteurs et exclus politiques  : La nature du peuple  : les formes de l’imaginaire social (XVIIIe- XXIe siècles), Seyssel, Champ Vallon, 2010, 442 p. L’absence de «  statut  » exclurait d’emblée la catégorie «  Acadien  » de toute représentativité ramenant la question de leur identité collective aux seules autorités législatives.
23 Randolph Vigne et Charles Littleton, From Strangers to Citizens: The Integration of Immigrant Communities in Britain, Ireland and Colonial America, 1550-1750, Brighton, Sussex Academic Press, 2001, 567 p.
24 Sachant que de nombreuses révoltes d’esclaves finissent dans des bains de sang et que l’abolitionnisme en tant qu’idéologie gagne en légitimité politique. Voir Olivier Pétré-Grenouilleau, Les Traites Négrières : Essai d’histoire globale, Paris, Gallimard, 2006, collection « Folio histoire », 736 p.
25 Voir le chapitre 3 dans Gregory Kennedy, Something of a Peasant Paradise? Comparing Rural Societies in Acadie and the Loudunais, 1604-1755, Montréal, McGill-Queen’s University Press, 2014, 272 p.
26 Samantha Rompillon, «  Entre mythes et réalités, Beaubassin  : miroir d’une communauté acadienne avant 1755 », dans Martin Pâquet et Stéphane Savard (dir.), Balises et références : Acadies, francophonies, Québec, Presses de l’Université Laval, 2007, p. 271-280.
27 Jerry Bannister, « Atlantic Canada in an Atlantic World? Northeastern North America in the Long 18 th Century », Acadiensis, vol. XLIII, n o 2 (2014), p. 15.
28 Stephen J. Hornsby et John G. Reid (dir.), New England and the Maritime Provinces: Connections and Comparisons, Montréal, McGill’s-Queen’s University Press, 2005, 411 p.
29 Voir l’étude de Lockerby, « Le serment d’allégeance », p. 149-171; Plank, An Unsettled Conquest.
30 Johnston, «  French Attitudes Toward the Acadians  », p. 166 et Adeline Vasquez-Parra, « L’accueil des exilés acadiens suite au Grand-Dérangement dans la colonie du Massachusetts de 1755 à 1775 », Revue internationale d’études canadiennes, vol. 44 (2011), p. 91-110.
31 Griffiths, « Acadians in Exile », p. 76-89; Johnston, « French Attitudes Toward the Acadians », p. 166. 
32 « Massachusetts Early Census (1765) », dans Josiah Henry Benton (dir.), Early Census Making in Massachusetts, 1643-1765: With a Reproduction of the Lost Census of 1765 and Documents, Boston, Bibliobazaar, 2009 (réimpression), p. 24.
33 Shirley avait pourtant regagné Boston en 1741 car, selon certains historiens, il fut étroitement mêlé au scandale politico-financier de la South Sea Bubble en 1720. Voir William Shirley, Correspondence of William Shirley, governor of Massachusetts and Military Commander in America 1731-1760, vol. I, publié sous la direction de Charles Henry Lincoln, New York, Macmillan Company, 1912.
34 Earle Lockerby, La déportation des Acadiens de l’Île-du-Prince-Édouard, Québec, Éditions Au Carré, 2010, p. 55.
35 Collection militaire, 25 mai 1752, série IIB, vol. 32, séries 283-286, Archives nationales de France, Pierrefitte.
36 Thomas Pichon papers, p. 1-2, microfilm 341–41, RG 1, Archives provinciales de la Nouvelle-Écosse (APNE), Halifax.
37 Comme l’a déjà explicité Elsa Guerry dans « “Vous voyez par là Monseigneur comme tout est icy dans l’indépendance!” : la difficile adaptation de l’administration coloniale française en Acadie de Louis XIV », Études canadiennes, vol. 31, n o 58 (2005), p. 79-95.
38 Cette représentation de l’identité acadienne sera d’ailleurs très longtemps entretenue par les historiens clérico-nationalistes francophones jusqu’au 20 e siècle : « Que l’Acadie soit française ou anglaise, Beaubassin se tient éloigné de l’autorité et ses habitants ont la réputation d’être “ingouvernables” quelque soit l’autorité en cours ». Robert Rumilly, L’Acadie française : 1497-1713, vol. I, Montréal, Fides, 1955, réimpr., p. 242.
39 « Lettre de Mons. De La Varenne à un Ami de la Rochelle Louisbourg, 8 mai 1756 », dans Abbé Pierre Maillard, An Account of the Customs and Manners of the Micmakis and Maricheets Savage Nations, Londres, S. Hooper and A. Morley, 1758, p. 117. 
40 D.F. Chard, « The Impact of Ile Royale on New England, 1713-1763 », thèse de Ph.D., Université d’Ottawa, 1977, 338 p. et John Bartlet Brebner, «  Canadian Policy Towards the Acadians in 1751 », Canadian Historical Review, vol. 12, n o 3 (1938), p. 284-286.
41 Cité dans Horst Carl, « Des ennemis familiers : arrangements avec les Français pendant la guerre de Sept Ans et les guerres révolutionnaires », dans Jean-François Chanet et Christian Windler (dir.), Les ressources des faibles : neutralités, sauvegardes, accommodements en temps de guerre (XVIe-XVIIIe siècles), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2009, p. 365.
42 Cité par Plank dans An Unsettled Conquest, p. 16.
43 Force est de constater qu’à maints égards, dans le contexte des empires du 18 e siècle, la carte ne reflète que rarement le territoire. Voir Jeffers Lennox, «  Nova Scotia Lost and Found: The Acadian Boundary Negotiation and Imperial Envisioning, 1750-1755 », Acadiensis, vol. XL, n o 2 (2011), p. 3-31.
44 Collections militaires, 11 mars 1763, série B, vol. 117, f.83 : de Versailles, Archives nationales d’outre-mer, Aix-en-Provence.
45 Correspondance politique Angleterre, 22 novembre 1763, vol. 452, f.203, Archives diplomatiques du ministère des Affaires étrangères, La Courneuve.
46 Brasseaux, Scattered to the Wind, p.  23; Naomi E.S. Griffiths, The Contexts of Acadian History, 1686-1784, Montréal, McGill-Queen’s University Press, 1992, p. 25.
47 « I am at a very great loss to know what to do with them. The people here, as there is no military force of any kind, are very uneasy at the thought of having a number of enemy’s scattered in the very bowels of the country, who may go off from time to time with intelligence, and joy their countrymen now employed against us, or foment some intestine commotion in conjunction with the Irish and German Catholics, in this and the neighboring province ». Colonial Records, volume 7, p. 234, Pennsylvania State Archives (PSA), Philadelphie.
48 Colonial Records, volume 2, p. 506 et volume 6, p. 712, PSA, Philadelphie.
49 Alexander Johnston et coll. (dir.), Contributions to American History, vol. 2, Philadelphie, Historical Society of Pennsylvania, 1854, p. 513-514.
50 John Mack Faragher, A Great and Noble Scheme: The Tragic Story of the Expulsion of the French Acadians from their American Homeland, New York, W.W. Norton & Company, 2005, p. 78.
51 Vasquez-Parra, « L’accueil des exilés acadiens », p. 91-110
52 French Neutrals, 29 décembre 1758, p. 111, minute, ville de Dorchester, vol 24, Massachusetts State Archives (MSA), Boston. Ce volume 24 a été créé avec le volume 23 de 1836 à 1846 au cours du rassemblement d’une plus large collection d’archives d’état retraçant l’histoire de la colonie du Massachusetts depuis ses origines par l’archiviste Joseph Felt. Ces deux volumes 23 et 24 intitulés French Neutrals retracent l’histoire des Acadiens dans la colonie du Massachusetts de leur arrivée à leurs premiers départs en 1765. Voir Report to the Legislature of Massachusetts, Massachusetts. Commissioners on the Conditon of the Records, etc. in the Secretary’s Department, Boston, Wright and Potter Printing Company, State Printers, 1885, 126 p.
53 French Neutrals, 11 août 1756, p. 213, vol. 23, minute, ville de Boston, MSA, Boston.
54 « Bernard’s sanguine expectations for his new posting in part derived from his determination to make a name for himself as a conciliating governor above partisan politics ». Colin Nicolson, The “Infamas Governor”, Francis Bernard and the Origins of the American Revolution, Boston, Northeastern University Press, 2001, p. 79.
55 Gary Nash, The Urban Crucible: The Northeastern Seaports and the Origins of the American Revolution, Cambridge, Harvard University Press, 2009, p. 76.
56 Francis Bernard, The Papers of Francis Bernard: Governor of Colonial Massachusetts (1759-1763), vol. I, ed. Colin Nicolson, Boston, Colonial Society of Massachusetts, 2007, p. 386; Papers of Francis Bernard, vol. I, p. 388.
57 Bernard, Papers of Francis Bernard, vol I, p. 388.
58 Bernard, Papers of Francis Bernard, vol. I, p. 388.
59 Bernard, Papers of Francis Bernard, vol. I, p. 267.
60 Francis Bernard, Papers of Francis Bernard, vol. I, p. 389.
61 Francis Bernard, Papers of Francis Bernard, vol. I, p. 389.
62 Brasseaux, « Panthom Letters: Acadian Correspondence, 1766-1784 », Acadiensis, vol. XXIII, n o 2 (1994), p.  124-132; et Jean-François Mouhot, «  Des revenantes? À propos des “lettres fantômes” et de la correspondance entre exilés acadiens (1757-1785) », Acadiensis, vol. XXXIV,n o 1 (2004), p. 96-115.
63 Carl Brasseaux, « Panthom Letters »; et Mouhot, « Des revenantes? »
64 Pour les pétitions acadiennes organisées au Massachusetts, voir Vasquez-Parra, « L’accueil des exilés acadiens », p. 91-110.
65 Un contrat à long terme liant un employeur fixe à un employé. L’employeur devait respecter ses engagements.
66 James Henretta, « Economic Development and Social Structure in Colonial Boston », William and Mary Quarterly, vol. 3, n o 22 (1965), p. 83 : « [...] fewer than 250 of 2,380 persons entering Boston from 1764 to 1768 were classified as indentured servants. These were scarcely enough to replace those whose indentures expired. More and more, the labor force had to be recruited from the ranks of “unattached” workers who bartered their services for wages in a market economy ».
67 Lettre transmise par le musée d’Ipswich, Massachusetts.
68 French Neutrals, 24 juin 1766, p. 572-575, vol. 24, minutes, ville de Dudley, MSA, Boston.
69 James de Finney, « Archéologie du récit commun acadien : requêtes et pétitions des exilés », dans Présence francophone, numéro spécial sur l’émergence de la littérature acadienne, études sur Catherine Colomb et Anne Hébert, vol. 1, n o 49 (1996).
70 French Neutrals, p. 530-531, vol. 24, minutes, ville de York, MSA, Boston.
71 French Neutrals, p. 572-575, vol. 24, minutes, ville de Brimfield, MSA, Boston.
72 Faragher, Great and Noble Scheme, p. 420.
73 Stephen J. Hornsby, Surveyors of Empire: Samuel Holland, J.F.W Des Barres, and the Making of the Atlantic Neptune, Montréal, McGill-Queen’s University Press, 2011, 269 p.
74 Expression déjà relevée par Emmanuel Michaux et Victorin Mallet pour désigner les croisements entre amérindiens et acadiens au Sud-ouest de la Nouvelle-Ecosse et dans la Baie des Chaleurs. Voir Emmanuel Michaux, «  Les Acadiens métis, les Métis magouas et les Métis de Saint-Laurent : contexte et construction des identités métisses », dans Denis Gagnon et Hélène Giguère, L’identité métisse en question. Stratégies identitaires et dynamismes culturels, Québec, Presses de l’université Laval, 2012, p. 155-177 et Victorin Mallet, Les Métis acadiens de la baie des Chaleurs : peuple issu d’un mixage d’Amérindiens et de pêcheurs basques, bretons et normands : qu’en est-il advenu?, Shediac Cape, chez l’auteur, 2010, 264 p.
75 « Capt McKenzie to Colonel Forster », Report on the proceedings in the Gulf of Saint Lawrence,3 November 1761, (copie) Massachusetts Historical Society, Boston.
76 « List of Vessels and Goods taken by Capt McKenzie in the Gulf of Saint Lawrence from the Rebel Acadians » dans le journal de Gamaliel Smathurst, A Narrative of an Extraordinary Escape: Out of the Hands of the Indians, in the Gulph of the Saint Lawrence, 1774, New Brunswick Historical Society, réimpression 1905, p. 26
77 Faragher, Great and Noble Scheme, 2005, p. 318
78 J.S Martell, « The Second Expulsion of the Acadians », Dalhousie Review, vol. 13, n o 1 (1933), p. 368.
79 Governor Belcher to Governor Morris, 25 November 1755, First Series, 1748-1756, volume 2, minute 514, PSA, Philadelphie
80 Stephen Patterson, «  Indian-White Relations in Nova Scotia, 1749-1761: A Study in Political Interaction », Acadiensis, vol. XXIII, n o 1 (1993), p. 23-59.
81 Pour une autre approche que celle des historiens américains, voir LeBlanc, « La quête pour le droit à la propriété  », p.  41-50; Christian Blais, «  Pérégrinations et conquête du sol (1755-1836)  : l’implantation acadienne sur la rive nord de la Baie-des-Chaleurs », Acadiensis, vol. XXXV, n o 1 (automne 2005), p. 453-465.
82 Bernard, Papers of Francis Bernard, vol. I, p. 261.
83 Julian Gwyn revient sur cette dimension industrieuse dans Excessive Expectations: Maritime Commerce and the Economic Development of Nova Scotia, 1740-1870, Montréal, McGill-Queen’s University Press, 1998, p. 7.
84 Boston News-letter, 26 août, 30 septembre, 14 octobre 1762, Massachusetts Council Records, vol. 15 : 1726-1764, MSA, Boston.
85 Bernard to Halifax, Boston 9 January 1764, p. 755, Colonial Office, volume 5, Massachusetts Historical Society, Boston.
86 Nicolson, “Infamas Governor”, p. 264.
87 Bernard, Papers of Francis Bernard, vol. I, p. 397.
88 Bernard, Papers of Francis Bernard, vol. I, p. 397.
89 Bernard, Papers of Francis Bernard, vol. I, p. 392.
90 Nicolson, “Infamas Governor”, p. 262 : «  Bernard supposed they would integrate with little difficulty, largely because they proved ironically to embody the Protestant work ethic ».
91 « To Jonathan Belcher, 8-11 November 1762 », dans Thomas Hutchinson, The Correspondence of Thomas Hutchinson, Volume I : 1740-1766, ed. John W. Tyler, Elizabeth Dubrulle, Colonial Society of Massachusetts, Boston, p. 163.
92 Bernard, Papers of Francis Bernard, vol. I, p. 397.
93 Bernard, Papers of Francis Bernard, vol. I, p. 397.
94 Bernard, Papers of Francis Bernard, vol. I, p. 398.
95 Bernard, Papers of Francis Bernard, vol. I, p. 398.
96 Bernard, Papers of Francis Bernard, vol. I, p. 399.
97 Bernard, Papers of Francis Bernard, vol. I, p. 399.
98 Bernard, Papers of Francis Bernard, vol. I, p. 400.
99 Bernard, Papers of Francis Bernard, vol. I, p. 400.
100 Michel Poirier, Les Acadiens aux îles Saint Pierre et Miquelon, 1758-1828 : 3 déportations, 30 années d’exil, Moncton, Éditions d’Acadie, 1984, p. 13.
101 Faragher, Great and Noble Scheme, p. 129.
102 Richard Lowe, « Massachusetts and the Acadians », William and Mary Quarterly, vol. 25, n o 2(1968), p. 28.
103 Yves Boyer-Vidal, Le retour des Acadiens : errances terrestres et maritimes, 1750-1850, Neyron,Éditions du Gerfaut, 2005, p. 13.
104 Bernard to the House of Representatives, 24 January 1765, Acts and Resolves of the Massachusetts Bay Colony, p. 105, vol. 6, minutes, MSA, Boston.
105 «  Document : 1765-01-01 », https://www.septentrion.qc.ca/acadiens/documents/606 .
106 Paul Surette, Histoire des Trois-Rivières, volume I  : Memramkouke, Petcoudiac et la reconstruction de l’Acadie, 1763 à 1806, Memramcook, Société historique de la Vallée de Memramcook, 1981.
107 « Acte de capitulation, article 29, 8 septembre 1760 » dans Massachusetts Bay et déportation des Acadiens 1756-1766, Cote : P1000, D638, microfilm numéro 2584, Bibliothèque d’archives nationales du Québec à Montréal.
108 Acts and Resolves of the Massachusetts Bay Colony, p. 911, vol. 4, minute, MSA, Boston.
109 Boyer-Vidal, Le retour des Acadiens, p. 13.
110 Boyer-Vidal, Le retour des Acadiens, p. 14; Mouhot, Les réfugiés acadiens en France, p. 87; Hodson, Acadian Diaspora, p. 65; Griffiths, From Migrant to Acadian, p. 112.
111 Boyer-Vidal, Le retour des Acadiens, p. 33.
112 Au sujet de l’aide accordée aux Acadiens en 1755 à Boston, voir Vasquez-Parra, « L’accueil des exilés acadiens », p. 91-110.
113 Hodson, Acadian Diaspora, p. 76; Boyer-Vidal, Le retour des Acadiens, p. 30.
114 Remarque formulée par Christopher Hodson dans Acadian Diaspora, p. 23. Voir aussi à ce sujet les travaux de Robert Larin, Canadiens en Guyane, 1754-1805, Sillery, Septentrion, 2006, 387 p.
115 Boston Gazette, numéro du 17 octobre 1763.
116 Boston Gazette, numéro du 19 novembre 1764.
117 Boston Gazette, numéro du 11 février 1765.
118 Registres d’état civil de Saint Pierre et de Miquelon de 1763 à 1790, dans Poirier, Les Acadiens aux îles Saint-Pierre et Miquelon.
119 Collection B, p. 115, Archives coloniales d’outre-mer, réimpression.
120 Ronnie-Gilles LeBlanc, « Les réfugiés acadiens au camp d’Espérance de la Miramichi en 1756-1761 : un épisode méconnu du Grand-Dérangement », Acadiensis, vol. XLI, n o 1 (2012), p. 128-168.
121 Béatrice Craig, Backwoods Consumers and Homespun Capitalists: The Rise of a Market Culture in Eastern Canada, Toronto, University of Toronto Press, 2009, 349 p.
122 Lords of Trade to Wilmot, 16 juillet 1764, Colonial Office, 218/6, B 1115, Archives nationales du Canada, Ottawa, cité dans Griffiths, Acadians in Exile, p. 125.
123 French Neutrals, p. 67, volume 24, minute, ville de Boston, MSA, Boston. Cette pétition est signée par John Trahant, John Hibbert, Charles Landry, Alexi Breau.  
124 Voir Marion F. Godfroy, Le dernier rêve de l’Amérique française, Paris, Vendémiaire, 2014, 280 p.
125 Mouhot, Les réfugiés acadiens en France, p. 74.
126 Poirier, Les Acadiens aux îles Saint-Pierre et Miquelon, p. 87; et Jean-Yves Ribault, Histoire des îles Saint-Pierre et Miquelon, tome 2 : La vie dans l’archipel sous l’Ancien Régime, Saint-Pierre, Imprimerie du Gouvernement, 1962, 345 p.
127 Dans David Armitage et Michael Braddick (dir.), The British Atlantic World, 1500-1800, Londres, Palgrave Macmillan, 2002, p. 184 : « At this point, English arguments for the bodily fitness of Africans to labor in hot climates, and complementary assertions that Amerindians were unlikely to survive and utilize American lands, took on the qualities of conclusions; conviction that Africans and Amerindians must passively inherit these fates justified imperial ambitions ».
128 Cité dans Daniel Vickers, A Companion to Colonial America, Blackwell Publishing, Malden,2006, p. 355.
129 « […] how many of them are fit to bear arms in the Militia of the Said Province », dans Benton, Early Census Making in Massachusetts 1643-1765, p. 9.
130 Benton, Early Census Making in Massachusetts 1643-1765, p. 10.
131 Peter Laslett, Richard Wall, Household and Family in Past Time, London, Cambridge University Press, 1972, p. 27.
132 Keith Thomas, Man and the Natural World: Changing Attitudes in England, 1500-1800, Allen Lane, Londres 1983, p. 61. Voir aussi Sophie White, Wild Frenchmen and Frenchified Indians-Material Culture and Race in Colonial Louisiana, Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 2013.
133 « Some men were seen as useful beasts, to be curbed, domesticated and kept docile; others were vermin and predators, to be eliminated », Thomas, Man and the Natural, p. 47.
134 Voir pour cet argument Adeline Vasquez-Parra, «  Le rôle de la bienfaisance dans les représentations identitaires des Acadiens à partir de la Déportation en Nouvelle-Angleterre (1755-2005) », thèse de doctorat d’histoire, Université Libre de Bruxelles, Bruxelles, 2016, 407 p.
135 Pierre Belliveau, French Neutrals in Massachusetts: The Story of Acadians Rounded Up by Soldiers from Massachusetts and their Captivity in the Bay Province, 1755-1766, Boston, K.S Giffen, 1972, p. 98; Hodson, « “Des vassaux à désirer” », p. 111-139.
136 Ces contrats impliquaient une main d’œuvre bon marché et en meilleure forme physique que des réfugiés de guerre. Voir David W. Galenson, White Servitude in Colonial America: An Economic Analysis, Cambridge, Cambridge University Press, 1982. Par ailleurs, les rapts de populations d’origine anglo-saxonne ont également lieu à la même époque pour des raisons économiques. Voir Linda Colley, Captives: Britain, Empire and the World, 1600-1850, Londres, Random House, 2010, 464 p.
137 Caroline Oudin-Bastide, Travail, Capitalisme et Société esclavagiste. Guadeloupe, Martinique (XVIIe-XIXe siècle), Paris, La Découverte, 2005, p. 43.
138 Bernard Chérubini parle même de colonisation en dilettante dans «  Les Acadiens en Guyane française : des colons exemplaires pour une colonisation en dilettantes (1762-1772) », Bulletin du centre d’histoire de l’espace atlantique, n o 5 (1990), p. 157-196. Chérubini mentionne également que 40 familles acadiennes ont été oubliées dans la savane de l’Ouest et ont été tenues à l’écart des projets de développement économique qui allaient concerner les Terres-Basses de l’Est dans « Les Acadiens en Guyane (1765-1848) : une “société d’habitation” à la marge ou la résistance d’un modèle d’organisation sociale  », Port Acadie, n o 13-14-15 (printemps et automne 2008, printemps 2009), p. 147-172.
139 Nicolson, “Infamas Governor”, p. 87.
140 Hodson, Acadian Diaspora, p. 45.