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L’écriture attachée des Mi’kmaq, 1677-1912

Pierre Déléage
Laboratoire d’anthropologie sociale (CNRS) de Paris

From 1677, the Mi’kmaq, a Native American people of the northeastern coast of America, used a logographic writing invented by French missionaries. Studies devoted to it have so far focused on its invention. This article takes the opposite of these approaches and offers a reflection on two centuries of usage of this writing. The documentary sources are first reviewed. It is then shown that Mi’kmaw writing has always been an attached writing: it was intended to transcribe a small corpus of texts from the Catholic tradition that had to be used, in the context of a specific institution, to learn by heart and recite liturgical discourses.

A partir de 1677, les Mi’kmaq, peuple amérindien de la côte nord-est de l’Amérique du Nord, utilisèrent une écriture logographique inventée par des missionnaires français. Les études qui lui sont consacrés se sont jusqu’à présent focalisées sur son invention. Cet article prend le contrepied de ces approches et propose une réflexion sur deux siècles d’usage de cette écriture. L’ensemble des sources documentaires est d’abord passé en revue. Il est ensuite montré que l’écriture mi’kmaq fit toujours l’objet d’un usage attaché : elle ne fut destinée qu’à transcrire un corpus restreint de textes, issus de la tradition catholique, qui devaient, dans le cadre d’une institution spécifique, être utilisés pour apprendre par cœur et réciter des discours liturgiques.

1 PENDANT PLUS DE DEUX SIÈCLES, LES MI’KMAQ, un peuple amérindien de la côte nord-est d’Amérique, utilisèrent une écriture originale pour se transmettre les uns aux autres un corpus de textes issu de la tradition catholique. Cette écriture, inventée, diffusée et enrichie par des religieux français, s’intégra aux pratiques culturelles mi’kmaq et sa transmission se déroula rapidement en marge de l’activité des missionnaires. Néanmoins, elle ne se détacha jamais de sa fonction initiale : elle ne servit qu’à transmettre un ensemble clos de prières, de chants et de catéchismes.

2 La plupart des études consacrées à cette écriture catéchétique se sont focalisées sur les conditions de son invention afin d’évaluer dans quelle mesure les traditions culturelles propres aux Mi’kmaq avaient pu la favoriser1. Cet article prend le contrepied de ces approches en proposant une réflexion sur les usages de cette écriture au cours des deux siècles suivant son invention. L’ensemble des sources documentaires, échelonnées entre 1677 et 1912, est d’abord passé en revue, constituant ainsi le matériau à partir duquel sera ensuite développée une analyse plus théorique des caractéristiques particulières de l’écriture mi’kmaq.

3 Il sera ainsi montré que l’écriture mi’kmaq fit toujours l’objet d’un usage attaché. Cela signifie qu’elle ne fut destinée qu’à transcrire un corpus restreint de textes qui devaient, dans le cadre d’une institution spécifique, être utilisés pour apprendre par cœur et réciter des discours liturgiques, à l’exclusion de toute autre forme de discours. Cette écriture n’avait donc pas vocation à remplacer la transmission orale mais à l’accompagner et à la parfaire.

1677-1686, Chrestien Leclercq

4 Au printemps 1677, sur l’île Percé, au large des côtes de la Gaspésie, le missionnaire récollet Chrestien Leclercq inventa une écriture très différente de l’alphabet latin, destinée aux seuls Mi’kmaq. Il s’agissait de la deuxième année de sa mission et le temps lui avait manqué pour apprendre la langue de ses ouailles. Son arrivée l’année précédente avait coïncidé avec le départ des Mi’kmaq pour leur expédition de chasse annuelle. Son premier hiver en Amérique avait été consacré à l’étude de « certains Écrits de la langue Algomquine2 » qui lui avaient été remis lors de son passage à Québec. Comme pour de nombreux autres missionnaires, le premier contact de Chrestien Leclercq avec une langue amérindienne s’était donc effectué par le biais de l’écriture alphabétique. «  Tout mon travail cependant fut inutile, car nos Gaspésiens [Mi’kmaq] n’entendaient que très imparfaitement l’Algomquin3. »

5 Ce n’est qu’au printemps qu’il reçut, par la première barque, le recueil de prières écrit en langue mi’kmaq, au moyen de l’alphabet latin, dont se servait son prédécesseur, Exupère Dethune. Depuis près de 60 ans, les missionnaires, récollets ou jésuites, avaient en effet réduit la langue mi’kmaq à l’alphabet latin et ils se transmettaient les uns aux autres, sous forme manuscrite, des versions mi’kmaq du catéchisme, de prières et de chants liturgiques. Ces textes n’étaient cependant pas destinés aux Mi’kmaq  : ils ne faisaient l’objet que d’un usage réservé aux missionnaires qui, ensuite, transmettaient oralement les discours catholiques aux Amérindiens4.

6 Pour Chrestien Leclercq, l’objectif était désormais clair  : il devait trouver un moyen pour que les Mi’kmaq, revenus de la chasse, apprennent par cœur les quelques textes religieux rédigés en leur langue qu’il avait à peine eu le temps d’étudier. Comme lui-même ne disposait que de maigres rudiments de cette langue, le problème était de taille. C’est pourquoi il décida de s’appuyer entièrement sur les textes en mi’kmaq qui lui avaient été remis, non pas en enseignant à ses catéchumènes l’écriture alphabétique, mais en inventant une nouvelle forme d’écriture.

Notre Seigneur m’en inspira la méthode la seconde année de ma Mission, où étant fort embarrassé de quelle manière j’enseignerai les Sauvages à prier Dieu, je m’aperçus que quelques enfants faisaient des marques avec du charbon sur de l’écorce de bouleau et les comptaient avec leur doigt fort exactement, à chaque mot de Prières qu’ils prononçaient. Cela me fit croire qu’en leur donnant quelque formulaire qui soulageât leur mémoire par certains caractères, je pourrais beaucoup plus avancer, que de les enseigner en les faisant répéter plusieurs fois ce que je leur disais. Je fus ravi de connaître que je ne m’étais pas trompé et que ces caractères que j’avais formés sur du papier produisaient tout l’effet que je souhaitais, en sorte qu’en peu de jours ils apprirent sans peine toutes leurs Prières.
Je ne vous puis exprimer avec quelle ardeur ces pauvres Sauvages contestaient les uns avec les autres, par une émulation digne de louange, qui serait le plus savant et le plus habile. Il est vrai qu’il en coûte beaucoup de temps et de peine pour en former autant qu’ils en demandent et particulièrement depuis que je les ai augmentés pour leur apprendre toutes les Prières de l’Église, avec les sacrés Mystères de la Trinité, de l’Incarnation, du Baptême, de la Pénitence et de l’Eucharistie5.

7 Le missionnaire récollet justifia cette invention par les avantages que présentait son écriture par rapport à une simple transmission orale des prières catholiques. Il n’envisageait donc que deux alternatives : une simple transmission orale des prières, par la répétition, ou une transmission «  soulagée  » par l’usage de ses nouveaux caractères. Pas une fois il n’évoqua la possibilité d’enseigner aux Mi’kmaq l’écriture alphabétique.

La facilité et la méthode que j’ai trouvées d’enseigner les Prières à nos Gaspésiens avec certains caractères que j’ai formés me persuadent efficacement que la plupart se rendraient bientôt savants : car enfin, je ne trouverais pas plus de difficulté à leur montrer à lire, qu’à prier Dieu par mes papiers, dans lesquels chaque lettre arbitraire signifie un mot particulier, quelquefois même deux ensemble. Ils ont tant de facilité pour concevoir cette forme d’écriture qu’ils apprennent en une seule journée ce qu’ils n’eussent jamais pu retenir en une semaine entière sans le secours de ces billets qu’ils appellent Kignamotinoer, ou Kateguenne. Ils conservent ces papiers instructifs avec tant de soin, et ils en font une estime si particulière, qu’ils les mettent bien proprement dans de petits étuis de bouleau enrichis de porcelaine, de rassades et de porc-épic. Ils les tiennent entre leurs mains comme nous faisons nos heures, pendant la sainte Messe, après laquelle ils les serrent dans leurs étuis.
L’avantage et l’utilité principale que produit cette nouvelle méthode, c’est que les Sauvages s’instruisent les uns les autres, en quelque endroit qu’ils se rencontrent. Ainsi le fils enseigne son père, la mère ses enfants, la femme son mari et les enfants les vieillards, sans que le grand âge leur donne aucune répugnance d’apprendre par leur petits neveux et par les filles mêmes, les principes du Christianisme. Il n’est pas jusques aux plus sauvages qui n’ayant pas encore entièrement l’usage de la parole prononcent cependant du mieux qu’ils peuvent quelques mots de ces billets qu’ils entendent dans leurs cabanes lorsque les Sauvages, par une sainte émulation, les lisent et les répètent ensemble.
On a même souvent admiré avec justice, dans notre convent de Québec, un petit enfant d’environ sept ans qui lisait distinctement dans son livre les Prières que je lui avais apprises en faisant la Mission. Il déchiffrait ces caractères avec tant de facilité et de présence d’esprit que nos Religieux aussi bien que les Séculiers en furent extraordinairement surpris6.

8 La fonction de la nouvelle écriture était précisément délimitée : elle devait « soulager la mémoire » des Mi’kmaq dans le cadre de l’apprentissage par cœur des principales prières catholiques. Elle permettait ainsi, de par la « facilité » de son usage, d’accélérer notablement cette mémorisation. Leclercq illustra de diverses façons le succès de sa méthode pédagogique. Il décrivit « l’émulation » qui, selon lui, poussa les Mi’kmaq à retenir le mieux possible les nouveaux textes chrétiens. « L’estime » qu’ils portaient à son écriture se traduisait par le fait qu’ils conservaient les textes « dans de petits étuis de bouleau enrichis de porcelaine, de rassades et de porc-épic  », les rassades étant des perles de verre ou d’émail que les Mi’kmaq utilisaient pour confectionner divers ornements, souvent en conjonction avec des piquants de porc-épic. Si la généralisation de cette «  émulation  » et de cette « estime » peut résulter du regard biaisé du prosélyte catholique et de la stratégie argumentative qu’il mettait alors en œuvre, il est indubitable que les Mi’kmaq s’approprièrent rapidement la nouvelle écriture, se la transmettant les uns aux autres indépendamment de l’instruction du missionnaire. En effet, lorsque Leclercq se rendit pour la première fois au Restigouche, en 1678, il découvrit que son écriture l’y avait précédé.

Que je fus agréablement surpris et que je ressentis de consolation dans mon cœur lorsque, voulant présenter de mes papiers à des Sauvages qui étaient venus de bien loin, exprès pour se faire instruire, ils en déchiffraient déjà les caractères avec autant de facilité que s’ils étaient toujours demeurés parmi nous; d’autant que ceux que j’avais auparavant instruits, étant retournés chez eux, avaient enseigné ceuxci et avaient fait à leur égard l’office de Missionnaire7.

9 Dans ses écrits, Leclercq ne dit à peu près rien de la sémiotique de sa nouvelle écriture, c’est-à-dire de la relation que les signes graphiques entretenaient avec la langue mi’kmaq. Tout au plus signala-t-il que «  chaque lettre arbitraire signifie un mot particulier, quelquefois même deux ensemble ». L’unique gravure contemporaine qui nous est parvenue, représentant certainement le récollet en train d’enseigner une prière à des Mi’kmaq, ne permet pas de s’en faire une idée plus précise (voir figure 1). La seule certitude que nous ayons, c’est que, au moins dans un premier temps, Leclercq utilisa ses caractères pour recoder des textes mi’kmaq qui existaient déjà en écriture alphabétique  : l’écriture mi’kmaq était donc une écriture secondaire, à la manière d’une cryptographie. De plus, il apparaît très clairement que la nouvelle écriture n’était pas destinée à transcrire n’importe quel genre de discours : elle ne servait qu’à inscrire « les Prières de l’Église, avec les sacrés Mystères de la Trinité, de l’Incarnation, du Baptême, de la Pénitence et de l’Eucharistie ». Elle n’avait donc pour fonction que d’accompagner, de « faciliter » selon le récollet, un apprentissage par cœur : l’objectif unique restait de faire en sorte que les Mi’kmaq soient capables de réciter prières et catéchismes durant la messe.

Figure 1. Chrestien Leclerc
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Source : Chrestien Leclercq, New Relation of Gaspesia, with the Customs and Religion of the Gaspesian Indians, Toronto, The Champlain Society, 1910 [1691].

1698-1732, Antoine Gaulin

10 L’écriture des Mi’kmaq ne disparut pas avec le départ définitif de Leclercq en 1686. L’abbé Antoine Gaulin, en charge de la mission de Panaouské chez les Abénaquis voisins, rendit, au cours de sa longue carrière, de nombreuses visites aux villages mi’kmaq8. Un court extrait d’une de ses lettres, rédigée vers 1720, témoigne de la pérennité de l’écriture inventée par le récollet.

La plus grande différence qu’il y ait, c’est que nous faisons toutes ces Cérémonies et que tous nos chants et prières sont dans la langue du pays, car il m’aurait été impossible de leur enseigner à ce qu’ils sont, une langue étrangère, et à eux de l’apprendre. J’ai suivi en cela les traces de mes prédécesseurs. Je leur fais pour leur donner et leur faciliter les moyens d’apprendre plus facilement une espèce de caractère qui leur détermine l’imagination avec laquelle ils se montrent les uns aux autres les prières, les catéchismes et les chants de l’Église, ce qui m’est d’un secours, car quoique je sois absent, ils s’instruisent les uns les autres, et n’oublient pas facilement ce que je leur ai appris, quoiqu’ils n’aient pas l’usage des livres. D’ailleurs comme ils se font plaisir et même une gloire de montrer les uns aux autres, je les trouve souvent instruits pas ces sortes de livres que je leur fais dans les endroits les plus éloignés lors que j’y vais pour leur administrer les sacrements9.

11 Trente-cinq ans après le départ du récollet, l’usage de l’écriture mi’kmaq était donc toujours restreint à l’inscription de prières, de catéchismes et de chants religieux; sa fonction était encore de « faciliter » leur mémorisation par cœur. L’abbé Gaulin ne manquait pas de remarquer le processus de propagation autonome qui la caractérisait – « ils s’instruisent les uns les autres ». L’invention de Leclercq s’était stabilisée en son absence.

1735-1762, Pierre Maillard

12 Le missionnaire spiritain Pierre Antoine Simon Maillard arriva en 1735 à l’île Royale, où il fut accueilli par les récollets10. Il reprit, dans sa mission de l’île du Cap-Breton, l’écriture catéchétique des Mi’kmaq et l’enrichit considérablement. Son disciple, l’abbé Jean-Louis Le Loutre, écrivait en 1738 : « [Maillard] mit au jour son système auquel il pensait il y avait quelque temps. Ce sont des hiéroglyphes différents auxquels il a déterminé leur signification par le moyen desquels nos Sauvages, après en avoir appris la signification, comme des enfants qui apprennent celle des lettres alphabétiques, lisent dans les cahiers qu’on leur donne aussi bien que les Français dans leurs livres11. »

L’abbé Maillard joua un rôle important dans la vie des Mi’kmaq au 18 e siècle et sa description de l’usage des textes rédigés dans l’écriture « hiéroglyphique » est de loin la plus riche qui nous soit parvenue.
Pour leur faire apprendre plus promptement et avec beaucoup plus de facilité qu’ils ne faisaient ci-devant les prières, les chants et les instructions que nous souhaitons qu’ils sachent, nous leur distribuons des cahiers sur lesquels nous leur avons tracé en hiéroglyphes, que nous avons inventés nous-mêmes, tous les mots dont se trouvent composés ces prières, ces chants et ces instructions. À l’aide de ces différents caractères, ils apprennent en très peu de temps tout ce qu’ils veulent apprendre; et quand ils ont une fois bien mis dans leur tête la figure et la valeur de chaque caractère, ils nomment avec une facilité étonnante tout ce qui se trouve écrit de même dans leurs cahiers. [...]
Nous nous félicitons fort d’avoir trouvé ce moyen de leur faire apprendre si facilement par cœur les prières et les chants aussi bien que les deux catéchismes, avec l’histoire abrégée de l’ancien et du nouveau testament, tirée du catéchisme historique de M.  l’abbé Fleury; car c’est ce qui diminue beaucoup des peines qu’autrement nous aurions à graver toutes ces choses dans leurs mémoires.
D’ailleurs cette façon de lire et d’apprendre par le moyen de ces caractères, leur plaît, quoiqu’elle les occupe fort sérieusement. Ils rassemblent eux-mêmes les feuilles écrites qu’on leur a distribuées, et à loisir ils en transcrivent les caractères très fidèlement et dans le même ordre qu’ils les trouvent tracés sur d’autres cahiers qui doivent leur servir à l’Église pour prier, pour chanter, et pour suivre le Patriarche dans ses interrogations aux enfants et aux autres jeunes gens plus grands, et dans les réponses de ces jeunes gens au Patriarche, dans les temps que se fait le catéchisme. Ce qu’ils ont particulièrement de bien écrit en ce genre, est le catéchisme de la communion avec tous les actes à faire soit devant, soit après la communion, cahier qu’ils ne manquent pas de porter avec eux à l’Église toutes les fois qu’ils doivent y recevoir le Saint Sacrement; de sorte qu’ils font eux-mêmes, les femmes comme les hommes, leurs livres de chants, de prières et d’instructions. Quand ce qu’on leur donne en hiéroglyphes doit être chanté, il faut qu’auparavant ils le sachent bien lire et réciter sur le papier, si on veut qu’ils ne tardent pas à le savoir bien chanter12.

13 Comme ses prédécesseurs, Maillard vanta à plusieurs reprises la « promptitude » et la « facilité » que l’écriture conférait à l’apprentissage par cœur d’un corpus limité de textes catholiques – prières, chants et instructions catéchétiques qui devaient tous être récités à l’Église durant le calendrier liturgique. De même, il ne manquait pas de faire remarquer la manière dont les Mi’kmaq s’étaient approprié l’écriture : les femmes comme les hommes recopiaient les cahiers les uns des autres tandis que certains étaient spécifiquement chargés de l’enseigner. Le missionnaire décrivit aussi une singulière méthode pédagogique  : les catéchumènes devaient lire, au moins une douzaine de fois, les lignes de caractères d’abord à l’endroit, de gauche à droite, puis à l’envers, de droite à gauche. On comprend que ce que ces répétitions sémantiquement absurdes devaient permettre de mémoriser n’était pas seulement un discours oral mais un texte, c’est-à-dire à la fois un discours oral et une manière de l’écrire.

Nous les faisons lire de gauche à droit comme nous, tous les hiéroglyphes étant placés horizontalement sur une ligne droite, et séparés les uns des autres par un petit trait horizontal. Quand ils sont venus à bout de nommer chaque caractère composé de même, nous les leur faisons nommer de droit à gauche; cette répétition de mots de gauche à droit, et de droit à gauche ne cesse pas qu’on en voie deux ou trois dans l’assemblée qui soient en état de répéter aussi bien que celui qui leur a montré. Quand on les en voit capables, on les charge de mettre les autres en état de s’en acquitter comme eux. Avant qu’aucun de l’assemblée puisse nommer tous les caractères placés comme je viens de le dire, en les appelant de gauche à droit, et de droit à gauche les uns après les autres, sans maître, il faut que la répétition de cette façon s’en soit faite au moins une douzaine de fois, rarement davantage, et que pour cela le nombre de lignes ne passe pas vingt sur le premier côté d’une feuille in quarto13.
Figure 2. Manuscrit Maillard
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Source : Manuscrit Maillard. Auteur : Pierre Maillard. Lieu : Nouvelle-Écosse. Date : vers 1759. Contenu : 10 pages de catéchisme annexé à l’Eucologe micmac, 1757-1759, 356 p. Conservation : Manuscrits amérindiens, 11 UZ, Archives de l’Archidiocèse de Québec, Canada.

14 Enfin, Maillard avoua une des raisons qui l’avaient poussé à pérenniser et à enrichir l’usage de l’écriture catéchétique : c’est que son apprentissage détournait les Mi’kmaq de l’écriture alphabétique latine et que, de ce fait, ils n’avaient pas accès aux livres religieux ou politiques que l’abbé français jugeait potentiellement subversifs14.

Pourquoi, me dira-t-on, ne leur avoir pas plutôt donné d’abord notre alphabet, et ne leur avoir pas appris à s’en servir comme nous? N’eussiez-vous pas abrégé, messieurs, par là beaucoup de votre travail et vos peines, pour les rendre capables de lire et d’apprendre par cœur tout ce que vous voulez qu’ils sachent? À cela nous répondons que s’ils étaient une fois en état de se servir comme nous de notre alphabet soit pour lire, soit pour écrire, ils abuseraient infailliblement de cette science par cet esprit de curiosité, que nous leur connaissons, qui les domine pour chercher avec empressement à savoir plutôt les choses mauvaises que bonnes [...] D’où il est tout naturel de croire que, s’ils savaient comme nous, faire usage de l’alphabet tant pour lire que pour écrire, non seulement ils ne seraient plus supportables dans le débit de leurs pensées, mais encore seraient-ils capables de causer de grands maux parmi la nation, tant par rapport à la religion et aux bonnes mœurs, qu’au gouvernement politique15.

15 Du point de vue sémiotique, l’abbé Maillard indiquait que ses « hiéroglyphes » transcrivaient «  tous les mots  » des prières et autres textes qu’il souhaitait transmettre à ses catéchumènes. Cette affirmation est vérifiable car nous disposons du manuscrit d’un catéchisme, probablement de la main de Maillard lui-même, qui juxtapose le texte en écriture alphabétique mi’kmaq et sa translittération en écriture «  hiéroglyphique  » (voir figure  2)16. C’est le texte le plus ancien qui nous soit parvenu. Le manuscrit de 10 pages est annexé à un Eucologe écrit par Maillard, un gros volume rédigé en alphabet mi’kmaq contenant plus de 300 pages de prières et de catéchismes. Le tout fut écrit un peu avant 1759, probablement lors de l’exil de Maillard à Miramichi et à Malagomich, à la suite de la chute de Louisbourg en 1758. Il est possible que le missionnaire français, vieillissant et vaincu, voulût alors rassembler ses travaux avant de se rendre aux Britanniques. Maillard collabora évidemment avec des Mi’kmaq afin de rédiger ces textes; toutefois il ne les nomma jamais, à l’exception de François Nȣgin’tok, son « chef de prière »17.

Figure 3. Nom, verbe et particule dans le manuscrit Maillard
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Source : Manuscrit Maillard. Auteur : Pierre Maillard. Lieu : Nouvelle-Écosse. Date : vers 1759. Contenu : 10 pages de catéchisme annexé à l’Eucologe micmac, 1757-1759, 356 p. Conservation : Manuscrits amérindiens, 11 UZ, Archives de l’Archidiocèse de Québec, Canada.

16 L’étude du manuscrit permet d’établir que l’écriture catéchétique suivait les principes d’une sémiotique globalement logographique  : à chaque «  mot  » de la langue mi’kmaq correspondait un unique caractère. Cela signifie qu’aucun signe graphique de l’écriture mi’kmaq ne se contentait de coder une simple sonorité, à la manière d’une écriture alphabétique : chaque signe représentait à la fois une unité sémantique jointe à une ou plusieurs unités sonores complexes18. Le nombre de signes de l’écriture était donc extrêmement important : noms, verbes et particules étaient notés au moyen d’un signe propre (voir figure 3). Parfois, mais rarement, un nom composé était inscrit à l’aide d’un signe composé (voir figure  4). Cette sémiotique logographique était complétée, pour les seuls verbes, par l’ajout d’indications grammaticales concernant des pronoms personnels (en position de sujet ou d’objet) qui ne sont pas nécessairement explicitées par la langue mi’kmaq (voir figure  5). La translittération alphabétique de ce système de compléments grammaticaux est toutefois loin d’être cohérente dans le manuscrit19. Ces caractéristiques sémiotiques ne prennent sens que si l’on comprend bien que l’écriture catéchétique mi’kmaq était avant tout une écriture secondaire, c’est-à-dire une translittération ou un recodage de textes rédigés au moyen de l’écriture alphabétique latine que les missionnaires avaient adaptée à la langue mi’kmaq depuis longtemps. Il était de ce fait relativement aisé pour les missionnaires de faire correspondre à chaque mot de leurs textes en alphabet mi’kmaq un signe logographique, à la manière d’une cryptographie20.

1791-1843, Témoignages et manuscrits épars

17 Mort en 1762, l’abbé Maillard fut peut-être le dernier missionnaire à maîtriser l’usage de l’écriture hiéroglyphique mi’kmaq. Cependant les Mi’kmaq se transmettaient les uns aux autres cette écriture depuis près d’un siècle, et le processus ne prit aucunement fin : il dura encore plus d’un siècle. Nous n’avons hélas connaissance, jusque dans les années 1860, que de quelques brèves indications laissées par des observateurs de passage chez les Mi’kmaq. Certaines d’entre elles étaient accompagnées d’échantillons manuscrits de l’écriture catéchétique.

18 Ainsi, trois témoignages lapidaires attestent la continuité de l’usage de l’écriture chez les Mi’kmaq de Nouvelle-Écosse. En 1795, le révérend Jacob Bailey remarqua au détour d’un article sur les antiquités américaines :

De plusieurs sources d’informations, nous pouvons conclure que les Indiens avaient autrefois une méthode pour se transmettre le savoir au moyen de hiéroglyphes. Certains de ces caractères ont été découverts, gravés sur la roche, en différents points du continent. Les Mexicains inscrivaient leurs idées sur des toiles qui leur permettaient d’envoyer des directives aux quatre coins de leur empire.
Je sais de source sûre que les Micmac de cette péninsule disposaient de la même méthode pour exprimer leurs sentiments. Il y a, dans cette ville, un gentilhomme instruit qui a voyagé dans l’intérieur de la province. Il m’a dit avoir vu ces caractères aussi bien sur de l’écorce que sur du papier; selon lui, certains missionnaires [catholiques] romains les entendent parfaitement21.
Figure 4. Noms composés à partir de Nixkam dans le manuscrit Maillard
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Source : Manuscrit Maillard. Auteur : Pierre Maillard. Lieu : Nouvelle-Écosse. Date : vers 1759. Contenu : 10 pages de catéchisme annexé à l’Eucologe micmac, 1757-1759, 356 p. Conservation : Manuscrits amérindiens, 11 UZ, Archives de l’Archidiocèse de Québec, Canada.

19 Vingt ans plus tard, au cours d’une visite pastorale chez les Mi’kmaq du Cap-Breton, l’archevêque Joseph-Octave Plessis écrivit dans son journal, à l’entrée du 30 juin  : «  Il leur reste néanmoins des livres d’instructions et de cantiques de feu M. Maillard, qu’ils transcrivent et se transmettent de pères en fils22. »

Figure 5. Variations grammaticales sur la racine verbale /ei-/ dans le manuscrit Maillard
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Source : Manuscrit Maillard. Auteur : Pierre Maillard. Lieu : Nouvelle-Écosse. Date : vers 1759. Contenu : 10 pages de catéchisme annexé à l’Eucologe micmac, 1757-1759, 356 p. Conservation : Manuscrits amérindiens, 11 UZ, Archives de l’Archidiocèse de Québec, Canada.

20 Et en 1843, Joseph Howe, commissaire aux affaires indiennes de la Nouvelle-Écosse, fit la remarque suivante  : «  Dans un premier temps, j’ai observé, dans presque toute la tribu, une forte résistance envers l’apprentissage de la lecture et de l’écriture de toute autre langue que la leur. Leurs livres, qui contiennent des prières et des extraits des services religieux, sont beaucoup plus nombreux que je me l’étais imaginé23. »

21 Tous ces témoignages révèlent une transmission devenue traditionnelle, « de père en fils », sur écorce ou sur papier, de l’écriture catéchétique chez les Mi’kmaq de la Nouvelle-Écosse. L’usage de l’écriture s’était stabilisé en l’absence de missionnaires catholiques et il en résultait une certaine réticence vis-à-vis de l’apprentissage de l’écriture alphabétique, probablement associée aux protestants anglophones. De ce point de vue, il faut remarquer que cette stabilisation de l’écriture catéchétique en l’absence de missionnaires était corrélée à l’attachement que les Mi’kmaq développèrent vis-à-vis du catholicisme dans un contexte régional où cette religion n’était plus celle du pouvoir colonial. Le catholicisme ainsi que l’écriture devenue traditionnelle qui lui était attachée leur apparurent alors très probablement comme des moyens d’affirmer et de défendre une autonomie et une identité qui, dans ce nouveau contexte, étaient une fois encore menacées24.

Figure 6. Manuscrit Tomson
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Source : John Hewson, « Micmac Hieroglyphics in Newfoundland », dans Harold J. Paddock (dir.), Languages in Newfoundland and Labrador, St. John’s, St. John’s Memorial University, 1977, p. 16-27.

22 Autour de 1782, de nombreux Mi’kmaq du Cap-Breton émigrèrent à la baie Saint-Georges de l’île de Terre-Neuve, un territoire qu’ils fréquentaient depuis longtemps 25 ; les textes en écriture catéchétique les y accompagnèrent. Ainsi, en 1791, John Tomson, officier aspirant de la Marine royale, fit parvenir au naturaliste Joseph Banks deux textes mi’kmaq en écriture catéchétique, le Pater noster et l’Ave Maria (voir figure 6), accompagnés de la correspondance suivante26.

HMS Fly, Plymouth Sound, le 13 novembre 1791
Monsieur,
Je me permets de vous envoyer ci-joint le Notre Père et le Credo [sic] écrits par les Indiens de Terre-Neuve, ce qu’ils ont fait avec un bâton auquel ils ont donné la forme d’une plume. Le Credo est le Numéro 1 et le Notre Père le Numéro 2. Je me permets, Monsieur, d’observer qu’il s’agit de prières catholiques, car des Français se sont mariés avec ces Indiens.
J’ai l’honneur d’être, Monsieur, votre plus humble serviteur,
John Tomson, Aspirant.
HMS Fly
Monsieur Joseph Banks,
J’ai aujourd’hui eu l’honneur de vous lire et me permets, par voie de réponse, de vous informer qu’elles [les prières] furent écrites par les Indiens et, Monsieur, ils ont parmi eux des Maîtres d’école qui apprennent aux enfants à les écrire et à les lire. Ils préférèrent leur Bâton à la Plume que je leur avais confectionnée. Il y a, dans chaque famille, un gros Livre, fait d’écorce de bouleau, écrit il y a peut-être un siècle. Si cette information vous est d’une quelconque utilité, j’en serai très heureux. Je tiens à faire remarquer que j’ai proposé d’acheter un de ces livres quel qu’en soit le prix, mais qu’ils ne voulurent s’en séparer sous aucun prétexte.
J’ai l’honneur d’être, Monsieur, votre plus humble
John Tomson27.

23 On apprend dans ces deux lettres que certains Mi’kmaq de Terre-Neuve utilisaient l’écorce de boulot et de petits bâtons taillés pour recopier les textes qu’ils se transmettaient, ce qui concorde avec les informations obtenues par Bailey. De cette même île, l’explorateur Edward Chappell rapporta, en 1818, le dialogue suivant qu’il eut avec un Mi’kmaq : « – Irez-vous à la pêche à la morue demain ? – Je vais demain pêcher la morue, le jour suivant aussi, le jour suivant, dimanche, je ne vais pas pêcher, je vais prendre le livre et chercher Dieu28. »

24 La récitation rituelle du livre s’y poursuivait donc à cette époque; il n’est d’ailleurs pas impossible que l’interlocuteur de Chappell faisait référence à un livre manuscrit qui nous est parvenu, le manuscrit Jeddore ou «  Livre de prières Miawpukek Mi’kmawey », dont on pense qu’il fut rédigé à Terre-Neuve vers 1810-1812 (voir figure 7)29.

Figure 7. Manuscrit Jeddore
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Source : Manuscrit Jeddore (Livre de prières Miawpukek Mi’kmawey). Lieu : Conne River, Terre-Neuve. Date : vers 1810. Contenu : 149 pages de catéchismes et de prières. Conservation : Bande mi’kmaq de la Conne River, Terre-Neuve, Canada.

25 Quelques années plus tard, Alexandre Duhamel, juge royal à Saint-Pierre-et-Miquelon, adressa la lettre suivante à Désiré Roulin, bibliothécaire de l’Institut de France, accompagnée de « trois feuillets détachés d’un livre manuscrit de prières catholiques tracé avec les hiéroglyphes des Indiens Micmac de Terre-Neuve30 ».

Saint-Pierre de Terre-Neuve, le 14 novembre 1836
Mon cher ami,
Je n’ai point oublié que je t’avais promis entre autres choses de l’écriture des sauvages Micmac, et ce n’est pas ma faute si je ne tiens pas ma parole cette année. Nous devions aller à la baie de Saint-Georges, M. Brue et moi, et là, il m’aurait été facile de me procurer ce que je devais t’envoyer. Il a toujours attendu une autorisation qu’il avait demandée au gouvernement, et il a fini par rester. J’ai bien trouvé ici une sauvagesse qui avait un livre d’office écrit avec leurs hiéroglyphes : mais, pour aucun prix, elle n’a voulu me le céder. Si je ne puis absolument faire autrement, je prendrai le parti d’en copier moi-même, car elle me le prêterait volontiers. Mais je crains de ne pas bien rendre tous les traits, en dessinant des caractères qui me sont inconnus.
Ton ami,
A. Duhamel
P.S. Au moment où j’allais fermer ma lettre, la sauvagesse dont je te parlais s’est décidée à me céder deux feuillets qui se trouvaient détachés de son livre par vétusté. Mais je n’ai pu tirer d’elle aucune explication satisfaisante sur leur signification. Elle m’a seulement dit que ce sont des prières en langue de son pays. Le morceau au commencement duquel j’ai écrit Vêpres au crayon est une prière ou un hymne de vêpres, elle n’a pu préciser lequel des deux. Je le lui ai fait lire; mais ce sont des sons gutturaux auxquels je n’ai pu rien distinguer : en outre, elle ne le lit pas; elle le chante, et elle dit ne pouvoir le lire sans cela, soit que les caractères indiquent aussi le chant, soit que, n’ayant appris à lire qu’en chantant, ce soit chez elle un effet de l’habitude. C’est ce qu’elle n’a pu m’expliquer. Elle parle peu français, et je n’entends pas la langue Micmac31.

26 Les textes en écriture catéchétique étaient toujours autant valorisés par les Mi’kmaq, et on remarquera avec intérêt l’usage particulier qui leur était attaché : certains textes ne pouvaient être que chantés, car la transmission de la lecture était alors inséparable de celle de la récitation chantée. La lecture silencieuse était donc impensable dans un contexte où l’écriture n’avait pour fonction que d’accompagner un apprentissage oral par cœur et non de le remplacer.

27 Au cours d’une brève visite chez les Mi’kmaq du Cap-Breton, probablement à la fin des années 1870, le colonel Garrick Mallery fit une remarque similaire  : «  Lorsqu’on leur demandait ce que signifie un caractère particulier, ils étaient incapables de répondre : il leur fallait commencer à lire à partir de la première ligne de la prière ou du chant et, lorsqu’on les interrompait à un moment quelconque, il leur était alors possible de donner le mot ou les mots micmac correspondant au caractère32. »

28 Dans les deux cas, on voit bien que l’écriture catéchétique mi’kmaq n’était transmise que pour accompagner l’apprentissage par cœur de chants ou de prières : il n’était pas question, par exemple, d’apprendre à écrire de nouveaux textes – ce qui déconcerta grandement aussi bien Duhamel que Mallery.

29 Le philologue François Lenormant, qui publia en 1872 la lettre d’Alexandre Duhamel dans son Essai sur la propagation de l’alphabet phénicien dans l’ancien monde, fit également une brève description des manuscrits qui y étaient joints.

Les feuillets en question sont en nombre de trois, et non de deux, d’un format de registre ou d’agenda, tracés sur un papier solide et de fabrication européenne, écrits à l’encre avec une plume d’oie par une main assez peu experte. En quelques endroits sont des essais de traduction interlinéaire dans un anglais barbare, avec quelques mots français, le tout d’une autre encre et d’une autre écriture.
Voici comme spécimen deux lignes entièrement traduites.
On voit que parmi les signes de cette écriture, dont quelques-uns sont empruntés à l’alphabet latin et dont les autres constituent des symboles de la plus grande simplicité, comme l’étoile pour dire «  ciel  » ou le cœur pour «  aimer  », la grande majorité sont des idéogrammes. Cependant la notation des pronoms paraît phonétique, et il semble que le même procédé soit employé pour rendre un certain nombre de mots. Chaque mot, du reste, est isolé par un trait horizontal.
Voici encore un autre passage, où une partie des mots est accompagnée de la traduction interlinéaire33.

30 Lenormant proposait une première ébauche de la sémiotique de l’écriture mi’kmaq, la comparant implicitement dans son ouvrage aux catéchismes en images du Mexique, une tradition scripturale connue sous le nom de «  manuscrits testériens » sur laquelle nous reviendrons. Il y voyait une écriture essentiellement idéographique (nous dirions aujourd’hui logographique), tout en s’interrogeant sur la nature de certains signes à valeur grammaticale.

31 Le manuscrit Duhamel est aujourd’hui conservé en deux lieux distincts  : un premier feuillet, extrait du catéchisme du mariage, est conservé au Musée McCord de Montréal (voir figure 8)34 et un second feuillet, extrait de la fin du catéchisme de la communion, à la Bibliothèque nationale de France (voir figure 9)35.

1859-1871, Christian Kauder

32 En 1856, Christian Kauder, venu du Luxembourg, arriva au monastère des trappistes de Tracadie, en Nouvelle-Écosse36. Ce n’est qu’à partir de 1859 qu’il rendit visite aux Mi’kmaq du village voisin de Pomquet et qu’il décida de devenir leur missionnaire. Très tôt, il découvrit que « ces Sauvages ne savent pas lire d’autres écritures que [leurs] hiéroglyphes ». Sa description de l’usage des livres mi’kmaq fut publiée en 1868.

Ils possèdent un livre de rites rédigé en hiéroglyphes qui incite les femmes à aller à l’Église avant la confession. Les parents enseignent à leurs enfants toutes les prières et tous les chants qu’ils connaissent eux-mêmes; et ils paient les leçons d’autres Indiens, plus érudits. Les parents sont fiers du savoir de leurs enfants : plus ils connaissent des prières, de catéchisme et d’instructions, plus les parents sont contents. J’ai un jour dit à un Indien : « Regarde ce garçon, il connaît cent prières différents. » Il me répondit : « Regarde mon garçon, il en connaît cent quatorze. » Il les connaissait vraiment et n’avait qu’onze ans. Celui qui connaît tous leurs livres est considéré comme un grand érudit et comme un homme sage; on lui demande d’instruire les autres. Il existe une grande émulation parmi eux : l’un essaie de surpasser l’autre en apprenant toujours plus de prières et de catéchisme. Une mère répétera continuellement à son bébé les mots Jésus, notre Mère Marie, Sainte Anne, afin que ce soient là les premiers mots que l’enfant prononce. Lorsqu’ils commencent à parler, on leur récitera continuellement le petit catéchisme, de sorte que ces enfants le connaissent par cœur avant même d’en comprendre la signification. [...]
Après la première communion, l’enfant commencera à apprendre le Kommunèuli, un long traité dédié à la seule communion. Il contient les prières à prononcer avant et après la communion, les préparatifs pour l’âme et le corps, etc. Ensuite, ils apprendront le grand catéchisme, le catéchisme historique, etc. [...]
Dans leur livre, il y a des prières à dire et des psaumes à chanter au début et à la fin de la maladie, pendant l’agonie et après la mort du patient. L’un d’entre eux est choisi pour préparer le malade à la mort. Il dit les prières pour lui et lui fait la lecture. [...]
La majorité connaît par cœur les prières à faire avant et après la confession et la communion; ceux qui ne s’en souviennent pas utilisent leur livre; et ceux qui ne savent pas lire sont aidés par d’autres. [...] Le jour de la communion est passé à prier, à lire et à recevoir les instructions. [...]
Leur livre de chant contient le graduel, le vespéral, la procession, le rituel, des cantiques pieux, des hymnes, des psaumes, etc. Ils ne connaissent pas d’autres chants que ceux que contiennent leurs livres37.
Figure 8. Manuscrit Duhamel du musée McCord
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Source : Premier manuscrit Duhamel. Collecteur : Alexandre Duhamel. Lieu : île Saint Pierre, Terre-Neuve. Date : acquis en 1836. Contenu : deux pages extraites du catéchisme du mariage. Conservation : Manuscrit 18836 du Musée McCord, Montréal, Canada.
Figure 9. Manuscrit Duhamel de la Bibliothèque nationale de France
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Source : Second manuscrit Duhamel. Collecteur : Alexandre Duhamel. Lieu : île Saint Pierre, Terre-Neuve. Date : Acquis en 1836. Contenu : deux pages extraites du catéchisme de la communion. Conservation : Fonds américain n° 34, Bibliothèque nationale de France, Paris, France.

33 On retrouve dans l’ensemble de ces extraits les usages attestés par les autres observateurs  : d’abord les lectures rituelles des livres et la diffusion autonome de l’écriture et de ses textes. Le missionnaire insistait également sur l’émulation qui s’était instaurée entre les Mi’kmaq et remarquait que l’enseignement pouvait parfois faire l’objet de paiements. Avec l’aide de Michael Christmas, « un chef du Cap Breton38 », Kauder entreprit de rassembler les manuscrits en écriture catéchétique conservés par les Mi’kmaq afin d’en produire une édition imprimée. L’ouvrage fut publié en 1866 à Vienne mais les premiers exemplaires envoyés en Amérique ne parvinrent jamais aux Mi’kmaq car le navire perdit l’intégralité de sa cargaison (voir figure 10).

Figure 10. Frontispice du livre de Christian Kauder
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Source : Christian Kauder, Buch das gut, Vienne, K.u.K. Staatsdruckerei, 1860.
Figure 11. Version du Pater noster publiée par John Gilmary Shea
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Source : John Gilmary Shea, « Micmac or Recollect Hieroglyphics », The Historical Magazine, vol. 5, n o 10 (1861), p. 289.

34 L’écriture de ce livre diffère de manière souvent importante de celle des manuscrits antérieurs qui nous sont parvenus : certains signes prennent parfois des formes surprenantes, mais c’est surtout le système de compléments grammaticaux qui a été remanié, rendant l’analyse extrêmement délicate. C’est néanmoins à partir des travaux de Kauder que l’écriture catéchétique des Mi’kmaq attira l’attention du monde universitaire. Ainsi, en 1861, l’historien John Gilmary Shea publia la première reproduction imprimée d’un texte en écriture mi’kmaq (voir figure 11). Il adjoignit à cette reproduction une courte analyse sémiotique de l’écriture.

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35 Pour la première fois, il était question de trois livres canoniques; à n’en pas douter, il s’agissait là de l’ordre éditorial choisi par Christian Kauder. L’analyse sémiotique était pour le moins rapide mais il fallut attendre plus d’un siècle avant qu’elle soit sensiblement améliorée. La description des usages des livres mi’kmaq que nous a laissée Kauder est, quant à elle, à peu près la dernière qui nous soit parvenue. On sait pourtant que les Mi’kmaq continuèrent pendant assez longtemps, jusque dans la première moitié du 20 e siècle, à utiliser et à copier leurs textes catéchétiques. Ainsi, en 1912, l’anthropologue Frank Speck obtient des informations sur la persistance de la reproduction manuscrite des livres mi’kmaq :

Ces livres fabriqués de manière artisanale faisaient partie de l’équipement personnel du chasseur, qui les conservait dans un sac durant ses expéditions afin de pouvoir en répéter les textes à volonté. Cette pratique s’est maintenue jusqu’à présent. Un homme pourra contracter quelqu’un de suffisamment lettré pour effectuer une copie du catéchisme, des hymnes et des prières dans un livre vierge. La copie sera remise en cadeau à son fils le jour de sa confirmation. Pour certains Micmac, ce trésor a à peu près la même valeur qu’un fétiche et il leur paraît impensable de le vendre. En général, les scribes du Cap-Breton demandent environ trois dollars pour leur labeur. On trouve dans chaque village un ou deux copistes experts qui dédient leur temps libre à ce travail. Des livres vieux d’un siècle peuvent encore être observés entre les mains des anciens. Parfois on peut repérer la main de plusieurs scripteurs dans un même livre40.

36 Plusieurs manuscrits conservés dans diverses bibliothèques témoignent d’un usage de ces livres dans les décennies suivantes41. Le livre de Kauder fut finalement réédité en 1921 par le capucin Pacifique de Valigny à la demande de certains Mi’kmaq. Toutefois, à cette époque, les Mi’kmaq avaient déjà atteint un important degré d’alphabétisation que le père Pacifique et la mission capucine contribuèrent largement à consolider par le biais de l’établissement d’un premier alphabet normalisé, de la stratégie pédagogique de leurs écoles, de la publication, en alphabet mi’kmaq, de nombreux textes religieux et d’un journal, Le Messager Micmac.

Une écriture secondaire

37 L’ensemble des témoignages que nous avons rassemblés montre que l’écriture catéchétique mi’kmaq était avant tout une technique de recodage de textes. En effet, nous avons vu que lorsque Chrestien Leclercq puis Pierre Maillard l’élaborèrent, ils ne firent, au moins dans un premier temps, que translittérer des textes qui existaient déjà en alphabet mi’kmaq. C’est pour cela que l’écriture mi’kmaq peut être qualifiée d’écriture secondaire : si les écritures primaires sont des techniques d’inscription directe de la langue, les écritures secondaires sont des techniques de recodage de discours préalablement transcrits à l’aide d’une écriture primaire42.

38 De ce point de vue, l’écriture secondaire mi’kmaq ne constituait pas un phénomène isolé. Dans le cadre du long processus d’évangélisation des Amérindiens, des missionnaires chrétiens, au cours d’époques diverses, firent usage d’écritures catéchétiques singulières pour transmettre à leurs ouailles les principaux discours rituels que ceux-ci avaient besoin de connaître par cœur dans le cadre de leur conversion. Des langues aussi variées que le nahuatl, l’otomi, le mazahua, le mi’kmaq, le quechua, l’aymara, le déné, le blackfoot ou l’inuit furent concernées par des écritures de ce genre43. Du nord au sud du continent américain, le travail de ces missionnaires s’opérait en suivant à peu près les mêmes étapes : ils transcrivaient ou « réduisaient » d’abord la langue de leurs catéchumènes amérindiens à l’aide de leur propre écriture primaire, les caractères de l’alphabet latin. Il s’agissait là, si l’on veut, d’un travail de linguiste. Ils se servaient ensuite de ce nouvel outil pour traduire des discours religieux tels que le Pater noster ou l’Ave Maria, puis ils recodaient ces textes alphabétiques à l’aide d’une écriture « cryptographique » qu’ils jugeaient, pour des raisons diverses, plus conforme aux attentes et aux besoins des Amérindiens.

39 Lorsque Lenormant comparait l’écriture mi’kmaq à l’écriture catéchétique mexicaine ou Mallery à l’écriture catéchétique andine, tous deux étaient guidés par une intuition correcte que nous sommes dorénavant à même de développer plus précisément. Ainsi, au Mexique, entre le 16 e et le 19 e siècle, des missionnaires catholiques utilisèrent diverses écritures originales dans l’unique but de permettre aux Amérindiens de mémoriser des catéchismes et des prières en nahuatl, en mazahua ou en otomi. Cette tradition scripturaire, composée de manuscrits que l’on qualifie généralement de «  testériens  » dans la littérature scientifique, apparaissait très nettement comme une écriture secondaire : les textes en écriture alphabétique étaient recodés à l’aide de séquences d’images discontinues qui, chacune, remplaçait un mot ou une phrase. D’autres missionnaires catholiques, qui ne connaissaient très probablement pas les écritures mexicaines, propagèrent dans les Andes, au Pérou et en Bolivie diverses formes d’écritures elles aussi secondaires qui, du 19 e siècle à nos jours, ne servirent qu’à inscrire des catéchismes et des prières en quechua et en aymara.

40 Ces écritures catéchétiques avaient toutes en commun d’être secondaires : elles recodaient un texte préalablement encodé dans une écriture primaire (l’alphabet latin), c’est-à-dire une écriture encodant directement les discours de la langue cible. Les missionnaires apprenaient ensuite à leurs ouailles à déchiffrer directement ces écritures secondaires sans avoir recours à l’écriture latine qu’ils se gardaient souvent de leur enseigner, ainsi que l’admettaient aussi bien l’abbé Maillard pour les Mi’kmaq que le père Pérez pour les Otomi du Mexique. De telle sorte que si, pour les missionnaires, ces écritures étaient bien des recodages de textes alphabétiques, elles étaient, pour les Amérindiens, des inscriptions directes de discours oraux. Ces écritures n’étaient donc secondaires que pour les missionnaires alphabétisés; pour la plupart des catéchumènes, mi’kmaq ou autres, elles étaient des écritures primaires. Nous avons ainsi vu que les Mi’kmaq apprirent pendant longtemps leur écriture sans avoir recours à une écriture alphabétique; c’était précisément là l’un des objectifs des missionnaires : restreindre leur culture littéraire aux seuls textes catholiques.

Une écriture logographique

41 L’écriture catéchétique mi’kmaq était de plus globalement logographique, si l’on entend par là qu’elle encodait, de manière assez arbitraire, les unités signifiantes et non sonores du discours44. Cette caractéristique est singulière et permet de différencier assez nettement l’écriture mi’kmaq des écritures catéchétiques secondaires les plus connues, les écritures mexicaines et andines. En effet, ces dernières firent très largement usage du principe phonographique du rébus 45 , tandis que l’écriture mi’kmaq ne nota jamais aucune unité phonétique. On a toutefois vu que ce principe logographique laissait un espace, certes très marginal, à la notation d’indications grammaticales qui n’étaient pas nécessairement présentes dans le discours mi’kmaq, à la manière des « sémagrammes » de certaines écritures à forte composante logographique (les déterminatifs égyptiens ou les clefs chinoises, par exemple).

42 D’autre part, les signes logographiques de l’écriture mi’kmaq étaient pour l’essentiel arbitraires  : à la différence des écritures mexicaines ou andines, rares étaient les signes qui adoptaient une apparence figurative. On peut tout au plus repérer quelques signes à valeur iconique comme l’église ou l’étoile, ainsi que quelques symboles issus de la tradition chrétienne tels que le cœur ou la croix46.

43 La stabilité, pendant plus de 200  ans, d’une écriture dont la sémiotique logographique imposait un très lourd effort mnémonique, comparée à l’écriture alphabétique par exemple, peut paraître surprenante. Certes, des facteurs sociaux assez généraux furent à l’œuvre : nous avons brièvement mentionné le rôle que les Mi’kmaq firent jouer au catholicisme, et donc à l’écriture catéchétique, à partir de la fin du 18 e siècle dans le cadre d’une stratégie de résistance et d’affirmation d’autonomie vis-à-vis du pouvoir colonial anglophone. Mais si l’on veut comprendre les conditions de stabilisation les plus spécifiques de cette écriture logographique, il faut se tourner vers les caractéristiques de son régime d’usage singulier qui en firent, à l’égal des autres écritures catéchétiques secondaires, une écriture attachée.

Une écriture attachée

44 Tous les témoignages que nous avons passés en revue insistent sur ce point  : l’écriture mi’kmaq fut, tout au long de son histoire, une écriture attachée. Elle était limitée à un corpus de textes précis (les prières et le catéchisme) et elle n’avait d’usage pertinent que dans le cadre d’une seule institution rituelle, celle que les missionnaires catholiques essayaient d’implanter. Les textes produits étaient employés pour forcer les catéchumènes à mémoriser de la manière la plus exacte possible des discours qui devaient être ensuite récités dans les contextes du baptême ou de la messe. En effet, nous avons vu que, pour les Mi’kmaq, l’écriture logographique était utilisée dans des circonstances exclusivement rituelles : « lire » et « réciter » se confondaient alors totalement. C’est donc ce régime d’usage qui explique la perplexité d’observateurs tels que Duhamel ou Mallery lorsqu’ils constatèrent la grande difficulté qu’éprouvaient les Mi’kmaq qu’ils rencontrèrent pour communiquer la signification de chacun des logogrammes de leur écriture en dehors d’un contexte de récitation de textes.

45 Ainsi, dans la mesure où l’écriture mi’kmaq était une écriture attachée, sa transmission était inséparable de celle de textes précis et la transmission de ces textes était inséparable de leur apprentissage par cœur sous forme de discours à réciter. Dans ce régime d’usage, l’apprentissage scripturaire ne remplace pas l’apprentissage oral : l’un accompagne l’autre, dans un processus de stabilisation réciproque. Et puisque cette forme de transmission est, de manière constitutive, institutionnalisée, elle ouvre un espace à un phénomène de spécialisation au cours duquel des «  scribes  » ou des «  copistes  » facilitent, parfois contre paiement, la propagation d’une écriture qui, autrement, se transmet de manière domestique, à la manière des autres savoirs et techniques propres à la culture mi’kmaq.

46 C’est en prenant en compte ces limitations constitutives que l’on peut comprendre la stabilité, pendant plus de deux siècles, d’une écriture à la sémiotique si lourde à mémoriser47. De ce point de vue, il est légitime de se demander dans quelle mesure l’écriture catéchétique mi’kmaq « facilitait » l’apprentissage et donc la transmission des discours catholiques. Ce sont le terme et l’argument qu’invoquèrent plusieurs missionnaires, dont Leclercq, Gaulin ou Maillard. On pourrait au contraire penser que le travail était double pour les Mi’kmaq  : ils devaient mémoriser à la fois des signes arbitraires et leur prononciation. Simplement, l’objectif que les missionnaires visaient n’était pas une simple mémorisation schématique : ils souhaitaient une mémorisation exacte, et l’écriture catéchétique pouvait être de ce point de vue remarquablement efficace dans la mesure où les textes à retenir n’étaient pas trop nombreux. C’est à l’intérieur de ces limites que l’on peut comprendre pourquoi une écriture logographique pouvait faciliter un processus de mémorisation orale : l’important n’était pas de permettre aux Mi’kmaq d’utiliser une écriture avec laquelle ils pourraient écrire ce qu’ils souhaitaient, mais de stabiliser au maximum la surface verbatim d’un ensemble assez restreint de discours destinés à être appris par cœur. On peut ainsi se demander jusqu’à quel point les Mi’kmaq étaient capables de lire la totalité de leurs textes liturgiques lorsque Christian Kauder vint les collecter dans les années 1860.

47 L’écriture catéchétique mi’kmaq aurait-elle pu, à la manière d’autres écritures, se détacher de ses textes et de l’institution catholique? C’est la position qu’a défendue David L.  Schmidt à partir d’un échantillon restreint d’exemples48. Le premier exemple ne nous semble pas significatif : il s’agit d’un règlement ad hoc, rédigé par Maillard en 1739, qui n’a certainement jamais été destiné à être lu par les Mi’kmaq49. Le second exemple est plus intéressant  : il est constitué d’une série d’inscriptions sur écorce de boulot datant du début du 20 siècle et dont l’auteur est le chef Joe Julian, de Nouvelle-Écosse (figure 12). Dans un cas comme dans l’autre, les milliers de logogrammes de l’écriture catéchétique mi’kmaq ne furent pas suffisants pour rédiger de très courts textes tels que « Je vais demain au lac pour tuer l’orignal que j’y ai vu », « Maintenant je vais au lac du pin blanc, je te rencontrerai à ce lac » ou encore «  Aujourd’hui je vais à la montagne pour chasser des oiseaux  »  : il fallut inventer de nouveaux signes – que Joe Julian choisit d’ailleurs dans un registre figuratif assez différent de celui, plutôt arbitraire, des signes de l’écriture logographique50.

Figure 12. Inscription de Joe Julian
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Source : Frank G. Speck, « Picture Writing, Hieroglyphics and Decorative Designs of the Micmac » [1912-1913], American Museum of Natural History, Division of Anthropology Archives, 50.2/719.

48 Le détachement potentiel d’une écriture est donc très probablement en partie fonction de l’économie cognitive de sa sémiotique  : les grandes écritures qui se détachèrent de leur contexte d’usage initial au cours de leur histoire (les écritures mésopotamienne, égyptienne et chinoise) se caractérisaient toutes par la combinaison de principes phonographiques, où un signe codait une ou plusieurs unités sonores, à leur sémiotique logographique, dans le cadre de laquelle les signes ne codaient que des unités signifiantes, à la manière de l’écriture mi’kmaq. Ces principes phonographiques jouèrent pendant un temps le rôle de garde-fou dans la prolifération des signes – en plus de rendre plus aisée leur adaptation à d’autres langues.

49 Mais au-delà de ce principe d’économie cognitive, il apparaît clairement que le détachement d’une écriture dépend avant tout des conditions institutionnelles de sa transmission. Il faut que l’apprentissage de l’écriture se disjoigne, au moins en partie, de celui d’un corpus de textes appartenant à un même genre traditionnel; or ce phénomène implique une modification des règles des institutions pour lesquelles l’écriture et les textes ne constituaient qu’une technique de stabilisation optimale de discours hautement valorisés. Aucune de ces conditions n’apparut chez les Mi’kmaq : la transmission de l’écriture ne se détacha jamais de celle des textes, la transmission des textes ne se détacha jamais de la récitation par cœur des discours qu’ils inscrivaient et, finalement, il n’exista pas d’institution susceptible d’organiser l’apprentissage de l’écriture en dehors du contexte cérémoniel catholique. L’écriture mi’kmaq demeura ainsi attachée tout au long de son histoire.

1 John Gilmary Shea, « Micmac or Recollect Hieroglyphics », The Historical Magazine, vol. 5, n o 10 (1861), p. 289-292; Garrick Mallery, « Picture-Writing of the American Indians », Bureau of American Ethnology, Tenth Annual Report (Washington, 1893), p. 666-671; William Ganong, «  Introduction  », dans Chrestien Leclercq, New Relation of Gaspesia, with the Customs and Religion of the Gaspesian Indians, Toronto, The Champlain Society, 1910 [1691], p. 21-32; John Hewson, « Micmac Hieroglyphics in Newfoundland », dans Harold J. Paddock (dir.), Languages in Newfoundland and Labrador, St. John’s Memorial University, 1977, p. 16-27; David L. Schmidt et Murdena Marshall, Mi’kmaq Hieroglyphic Prayers: Readings in North America’s First Indigenous Script, Halifax, Nimbus Publishing, 1995; David L. Schmidt, « Komqwejwi’s Kasikl:A Linguistic Analysis and Historical Ethnography of the Mi’kmaq Hieroglyphs  », thèse de doctorat, University of California, Davis, 1997; Paul-André Dubois, « Tradition missionnaire et innovations pastorales aux XVIIe  et XVIIIe  siècles  : lecture et écriture dans les missions canadiennes  », Études d’histoire religieuse, vol. 65 (1999), p. 7-27; Bruce Greenfield, «  The Mi’kmaq Hieroglyphic Prayer Book: Writing and Christianity in Maritime Canada, 1675-1921 », dans Edward G. Gray et Norman Fiering (dir.), The Language Encounter in the Americas, 1492-1800, New York, Berghahn Books, 2000, p. 189-211; Carlo Krieger, «  Culture Change in the Making: Some Examples of How a Catholic Missionary Changed Micmac Religion », American Studies International, vol. 40, n o 2 (2002), p. 37-56; Carlo Krieger, « Religionswandel bei den Micmac  : ein Beitrag zur Anwendung der ethnohistorischen Methode  », thèse de doctorat, Universität Wien, 2002; Brendan Frederick R. Edwards, Paper Talk: A History of Libraries, Print Culture, and Aboriginal Peoples in Canada before 1960, Lanham, The Scarecrow Press, 2005, p. 30-38; Pierre Déléage, La croix et les hiéroglyphes  : écritures et objets rituels chez les Amérindiens de Nouvelle-France, XVIIe-XVIIIe siècles, Paris, Aesthetica, 2009. Les historiens de l’écriture ont souvent très mal compris cette écriture : David Diringer, The Alphabet: A Key to the History of Mankind, New York, Philosophical Library, 1948, p. 155; Ignace J. Gelb, A Study of Writing: The Foundations of Grammatalogy, Chicago, The University of Chicago Press, 1952, p. 207; Marcel Cohen, La grande invention de l’écriture et son évolution, Paris, Imprimerie nationale, Librairie C. Klincksieck, 1958, t. 1, p. 215, t. 2, p. 123-124; Michael Harbsmeier, « Inventions of Writing », dans George Gledhill et Barbara Bender (dir.), State and Society: The Emergence and Development of Social Hierarchy and Political Centralization, London, Routledge, 1988, p. 261.
2 Chrestien Leclercq, Nouvelle relation de la Gaspesie, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 1999 [1691], p. 220. Sur Chrestien Leclercq : Réal Ouellet, « Introduction », dans le volume précédemment cité.
3 Leclercq, Nouvelle relation de la Gaspesie, p. 221.
4 Sur ce processus de réduction alphabétique des langues algonquiennes et iroquoiennes : Victor Egon Hanzeli, Missionary Linguistics in New France: A Study of Seventeenth- and Eighteenth-Century Descriptions of American Indian Languages, La Haye, Mouton, 1969; Margaret J. Leahey, «  Comment peut un muet prescher l’évangile? Jesuit Missionaries and the Native Languages of New France », French Historical Studies, vol. 19, n o 1 (1998), p. 105-131; Peter A. Dorsey, « Going to School with Savages: Authorship and Authority among the Jesuits of New France  », William and Mary Quarterly, vol. 55, n o 3 (1995), p. 399-420; Paul-André Dubois, « Tradition missionnaire et innovations pastorales aux XVIIe et XVIIIe siècles : lecture et écriture dans les missions canadiennes », Études d’histoire religieuse, vol. 65 (1999), p. 7-27; Micah True, « “Il faut parler pour estre entendu”: Talking about God in Wendat in 17th century New France », Cahiers du dix-septième : An Interdisciplinary Journal, vol. 12, n o 1 (2008), p. 17-36; Déléage, La croix et les hiéroglyphes. Ces études s’attachent toutefois avant tout aux travaux des jésuites. Quelques textes en mi’kmaq rédigés par des jésuites avant 1677 sont conservés à la Bibliothèque nationale de France mais il semble qu’il ne subsiste pas de textes récollets – voir James Constantine Pilling, Bibliography of the Algonquian languages, Washington, Government Printing Office, 1891.
5 Leclercq, Nouvelle relation de la Gaspesie, p. 315.
6 Leclercq, Nouvelle relation de la Gaspesie, p. 309-310.
7 Leclercq, Nouvelle relation de la Gaspesie, p. 314.
8 Sur Antoine Gaulin  : Henri-Raymond Casgrain, Les Sulpiciens et les prêtres des missions-étrangères en Acadie, Québec, Librairie Montmorency, 1897, p. 221-244; et Richard V. Bannon, «  Antoine Gaulin (1674-1770): An Apostle of Early Acadie  », Canadian Catholic Historical Association Report, vol. 19 (1952), p. 49-59.
9 Antoine Gaulin, « Relation de la mission du P. Antoine Gaulin dans les pays des Mikmaks et en Acadie vers 1720  », Archives nationales du Canada, série K, Monuments historiques, Carton 1232, cité originellement par Dubois, « Tradition missionnaire et innovations pastorales », p. 23.
10 Pierre Maillard, « Lettres de M. l’abbé Maillard » [1735], Collection 2 de documents inédits sur le Canada et l’Amérique publiés par Le Canada Français, t. 1, Québec, L.-J. Demers et frères, 1888, p. 58. Le spiritain ne reconnut jamais sa dette envers les récollets, probablement en raison des conflits qui les opposèrent à partir de 1742. Sur Pierre Maillard  : Micheline D. Johnson, Apôtres ou agitateurs : la France missionnaire en Acadie, Trois-Rivières, Boréal Express, 1970; Micheline D. Johnson, «  Maillard, Pierre  » [2000], Dictionnaire biographique du Canada en ligne, http://biographi.ca/009004-119.01-f.php?id_nbr=1508; Henry J. Koren, Aventuriers de la mission  : les spiritains en Acadie et en Amérique du Nord, 1732-1839, Paris, Karthala, 2002 [1962]; Maxime Morin, «  L’abbé Pierre Maillard  : une figure missionnaire emblématique du XVIII e siècle acadien », Études d’histoire religieuse, vol. 75 (2009), p. 39-54.
11 Jean-Louis Le Loutre, «  Lettres de M. l’Abbé Le  Loutre, missionnaire en Acadie  » [1738], Collection de documents inédits sur le Canada et l’Amérique publiés par Le Canada Français, t. 1, Québec, L.-J. Demers et frères, 1888, p. 21.
12 Pierre Maillard, « Lettre de M. l’abbé Maillard sur les missions de l’Acadie et particulièrement sur les missions micmaques » [1759], Les soirées canadiennes, vol. 3, 1863, p. 355-358.
13 Maillard, « Lettre de M. l’abbé Maillard sur les missions », p. 356-357.
14 Cette attitude est comparable à celle de Don Francisco Pérez, missionnaire chez les Otomi du Mexique, qui faisait, lui aussi, usage d’une écriture catéchétique secondaire : « Ces catéchismes en images étaient autrefois seuls tolérés dans la cure de P.  Perez, de peur, disait-on, que les naturels ne se corrompissent par le contact des lettres européennes. On y fustigeait l’Indien qui parlait espagnol ». Joseph Marius Alexis Aubin, « Mémoire sur la peinture didactique et l’écriture figuratives des anciens Mexicains », Revue orientale et américaine, vol. 3 (1860), p. 255.
15 Maillard, «  Lettre de M. l’abbé Maillard sur les missions  », p. 358-363; voir aussi les commentaires de Johnson, Apôtres ou agitateurs, ch. 3.
16 Le manuscrit est conservé aux Archives de l’Archidiocèse de Québec. La première page est reproduite dans Ganong, «  Introduction  », p. 26; et dans Schmidt, « Komqwejwi's Kasikl: A Linguistic Analysis », p. 114; la troisième page dans Paul-André Dubois, « Lecture solfégique et tradition orale dans quelques missions de la Nouvelle-France », Rabaska : revue d’ethnologie de l’Amérique française, vol. 5 (2007), p. 31; la deuxième page dans Morin, «  L’abbé Pierre Maillard », p. 44. La figure 2 reproduit la quatrième page. Parmi les autres manuscrits de Maillard en écriture alphabétique mi’kmaq, on mentionnera deux livres de prières conservés dans les Archives de l’Archidiocèse de Québec, deux livres de chants liturgiques dans la collection du Musée du Château Ramezay, à Montréal, et surtout un manuscrit en mi’kmaq et en français contenant prières et catéchismes et conservé à la National Library of Scotland d’Édimbourg. Maillard affirmait cependant que les prières en mi’kmaq étaient directement traduites du latin : Maillard, « Lettre de M. l’abbé Maillard sur les missions », p. 418.
17 Maillard, «  Lettre de M. l’abbé Maillard sur les missions  », p. 394, 400-401, 410. L’un des évaluateurs anonymes de ce texte signale que le terme « N ȣ gin’tok », nujintoq dans l’orthographe moderne, peut être traduit par « chanteur » ou « chantre ».
18 Sur la différence entre logographie et phonographie : Ignace J. Gelb, A Study of Writing: The Foundations of Grammatalogy, Chicago, University of Chicago Press, 1952; John DeFrancis, Visible Speech: The Diverse Oneness of Writing Systems, Honolulu, University of Hawaii Press, 1989; James Marshall Unger et John DeFrancis, «  Logographic and Semasiographic Writing Systems  », dans Insup Taylor et David R. Olson (dir.), Scripts and Literacy: Reading and Learning to Read Alphabets, Syllabaries and Characters, Dordrecht, Kluwer Academic Publishers, 1995, p. 45-58.
19 Les principes de déchiffrement des glyphes pronominaux établis par David L. Schmidt s’ajustent en effet assez mal à ce texte du 18 e siècle – voir Schmidt, « Komqwejwi’s Kasikl: A Linguistic Analysis ».
20 Dans les tableaux, l’orthographe mi’kmaq de Maillard a été respectée; suivant l’usage des jésuites de la région, le digramme grec omicron-upsilon «  ȣ » avait été intégré dans l’alphabet latin pour noter le français « ou » (principalement /ɔ/ et /ɯ/). La numérotation du caractère dans le dictionnaire de Schmidt (« Komqwejwi’s Kasikl: A Linguistic Analysis ») a également été indiquée.
21 Jacob Bailey, « Observations and conjectures on the antiquities of America », Collections of the Massachusetts Historical Society, vol. 4 (1795), p. 104. Toutes les traductions sont de l’auteur.
22 Joseph-Octave Plessis, Journal des visites pastorales de 1815 et 1816, Québec, Imprimerie franciscaine missionnaire, 1903, p. 55.
23 Cité dans Schmidt, « Komqwejwi’s Kasikl: A Linguistic Analysis », p. 130.
24 Leslie F. S. Upton, Micmacs and Colonists: Indian-White Relations in the Maritimes, 1713-1867, Vancouver, University of British Columbia Press, 1979, ch. 11.
25 Edward Chappell, Voyage of the HMS Rosamond to Newfoundland and the Southern Coast of Labrador, London, J. Mawman, 1818, p. 76-77; Frank G. Speck, « Beothuk and Micmac », Indian Notes and Monographs, n o 22 (1922), p. 1-187; Charles A. Martijn, « Les Mik’maqs dans les registres paroissiaux des îles Saint-Pierre et Miquelon, 1763-1830 », Recherches amérindiennes au Québec, vol. 26, n o 2 (1996), p. 49-72.
26 Les manuscrits sont conservés à la British Library de Londres. L’Ave Maria est reproduit dans Daniel Woodley Prowse, A History of Newfoundland, London, Macmillan, 1895, p. 329. Les deux manuscrits sont reproduits dans John Hewson, « Micmac Hieroglyphics in Newfoundland », dans Harold J. Paddock (dir.), Languages in Newfoundland and Labrador, St.  John’s Memorial University, 1977, p. 23 ; et Dorothy C. Anger, Nocwa’mkisk (Where the sand blows...): Vignettes of Bay St. George Micmacs, Port au Port East, Bay St. George Regional Indian Band Council, 1988, p. 18-19.
27 Anger, Nocwa’mkisk (Where the sand blows...), p. 18-19.
28 Edward Chappell, Voyage of the HMS Rosamond to Newfoundland and the southern coast of Labrador, London, J. Mawman, 1818, p. 69-72.
29 Hewson, «  Micmac Hieroglyphics in Newfoundland  », p. 24. La reproduction intégrale de ce manuscrit de 149 pages est consultable sur le catalogue digital du site de la Memorial University de Terre-Neuve : http://collections.mun.ca/prayerbook/. La version du Pater noster de ce manuscrit est identique à celle du manuscrit Tomson.
30 Alexandre Duhamel, nommé en 1833 à Saint-Pierre-et-Miquelon, était le frère de Jean Marie Constant Duhamel, mathématicien et physicien connu, lui-même professeur et beau-frère de François Désiré Roulin, qui, dans sa jeunesse, avait remonté l’Orénoque et qui fut l’un des rares amis de Joseph Marius Alexis Aubin.
31 François Lenormant, Essai sur la propagation de l’alphabet phénicien dans l’ancien monde, Paris, Maisonneuve et Cie, 1872, t. 1, p. 27-28.
32 Garrick Mallery, « Picture-Writing of the American Indians », Bureau of American Ethnology, Tenth annual report, Washington, 1893, p. 670. Mallery (p. 672) compare implicitement les textes catéchétiques mi’kmaq aux catéchismes en images des Andes; nous reviendrons plus loin sur cette pertinente comparaison.
33 Lenormant, Essai sur la propagation, p. 28. Les traductions anglaises sont à peu près correctes.
34 On sait que le manuscrit, annoté « Manuscrit iroquois », fit partie de la collection de Léon de Rosny (qui n’en fait toutefois mention nulle part, pas même dans les trois éditions de son ouvrage sur les écritures «  figuratives et hiéroglyphiques  ») et qu’il appartint plus tard au musée de l’Université McGill de Montréal. Il est partiellement reproduit dans un récent catalogue d’exposition : Nicole Vallières (dir.), 90 trésors, 90 histoires, 90 ans Montréal, Musée McCord, 2011.
35 En plus des extraits reproduits dans Lenormant, Essai sur la propagation, p. 28, on trouve une reproduction partielle du manuscrit dans Marcel Cohen, La grande invention de l’écriture et son évolution, Paris, Imprimerie nationale, Librairie C. Klincksieck, 1958, t. 3, planche 86A.
36 Sur Christian Kauder  : Pilling, Bibliography of the Algonquian languages, p. 275; Krieger, « Culture Change in the Making », p. 37-56; Krieger, « Religionswandel bei den Micmac ».
37 Anonyme [Christian Kauder], « The Catholic Church in the Wilderness », The Irish Ecclesiastical Record, vol. 4 (1868), p. 245-252.
38 Pilling, Bibliography of the Algonquian Languages, p. 275.
39 John Gilmary Shea, « Micmac or Recollect Hieroglyphics », The Historical Magazine, vol. 5, n o 10 (1861), p. 290-292. Il ajoutait : « Il paraît qu’il existe un manuscrit écrit à l’aide de ces caractères dans l’une des bibliothèques publiques de Paris, et des démarches ont été entamées afin d’en obtenir une copie, partielle ou intégrale. Tel qu’il m’a été décrit, il daterait du dix-septième siècle [...] Du siècle dernier, je sais qu’il existe un exemplaire au British Museum, dont E.G. Squier m’a montré la copie qu’il en avait faite; les caractères sont presque identiques à ceux que nous présentons ici. » Le premier manuscrit est le manuscrit Duhamel et le second, le manuscrit Tomson. Le Pater noster publié par Shea a été reproduit à de nombreuses reprises (par exemple, James Constantine Pilling, « Books of the Indians: Bible Literature in the Language of the Red Man », Washington Critic, 16 février 1890, p. 6). Cinq ans plus tard, le missionnaire jésuite Eugene Anthony Vetromile publiait une autre traduction anglaise du Pater noster en écriture mi’kmaq et écrivait  : «  Les Abénaquis et les tribus voisines avaient une méthode courante d’écriture comparable à celle des Chinois, des Japonais et d’autres nations asiatiques, bien que ses caractères soient différents. Ce genre d’écriture est encore employé par les Micmac et je suis surpris qu’aucun auteur n’ait jamais mentionné cette forme de texte sacré. Ce système est si parfait qu’il existe trois livres communément distribués  : l’un contient les prières, un autre la messe et un autre le catéchisme. J’en ai deux exemplaires en ma possession, écrits par un Indien ». Eugene Vetromile, The Abnakis and their history or Historical notices on the aborigines of Acadia, New York, J.B. Kirker, 1866, p. 41; voir aussi Pilling, Bibliography of the Algonquian Languages, p. 507-512, où l’on apprend que Vetromile devait initialement écrire une préface au livre de Kauder.
40 Frank G. Speck, « Picture Writing, Hieroglyphics and Decorative Designs of the Micmac » [1912-1913], American Museum of Natural History, Division of Anthropology Archives, 50.2/719, p. 4-5. Certains Mi’kmaq de Nouvelle-Écosse  pensaient à cette époque que leur écriture avait été inventée par leurs propres ancêtres (p. 6).
41 Jusqu’à présent, nous avons pu localiser les manuscrits Nova Scotia (v. 1900, Nova Scotia Museum; reproduction partielle dans Bruce Greenfield, «  The Mi’kmaq Hieroglyphic Prayer Book: Writing and Christianity in Maritime Canada, 1675-1921  », dans Edward G. Gray et Norman Fiering (dir.), The Language Encounter in the Americas, 1492-1800, New York, Berghahn Books, 2000, p. 193), Harlow (v.1925, National Anthropological Archives, Smithsonian Institution) et Speck (v. 1929, Carl A. Kroch Library, Division of Rare and Manuscript Collections). La collection Wilberforce Eames de la Boston Athenaeum Library conserve des manuscrits du missionnaire baptiste Silas Tertius Rand, comprenant des essais de translittération et de traduction anglaise de certains textes en écriture catéchétique. Les National Anthropological Archives de la Smithsonian Institution possèdent une copie de la translittération en alphabet mi’kmaq de l’intégralité du livre édité par Kauder; ce travail a été réalisé par le Mi’kmaq Frank Nevan en 1943 au Cap-Breton, en Nouvelle-Écosse; il ressemble beaucoup au Catéchisme micmac publié en 1913 par le capucin Pacifique de Valigny à partir des manuscrits de Maillard.
42 Parmi les écritures secondaires, on comptera donc certains codes cryptographiques ainsi que de nombreuses tentatives d’écritures universelles très souvent fondées sur des recodages d’écritures préexistantes.
43 Sur les écritures andines  : Dick Edgar Ibarra Grasso, La escritura indígena andina, La Paz, Biblioteca Paceña, 1953, ainsi que Barbara H. Jaye et William P. Mitchell, Picturing Faith: A Facsimile Edition of the Pictographic Quechua Catechism in the Huntington Free Library, New York, Huntington Free Library, 1999. Sur les écritures mexicaines : John B. Glass, « A Census of Middle American Testerian Manuscripts », dans Robert Wauchope (dir.), Handbook of Middle American Indians, vol. 14, Austin, University of Texas Press, 1975; Anne Whited Normann, « Testerian Codices: Hieroglyphic Catechisms for Native Conversion in New Spain », thèse de doctorat, Tulane University, 1985; Elizabeth Hill Boone, «  Pictorial Documents and Visual Thinking in Postconquest Mexico », dans Elizabeth H. Boone et Tom Cummins (dir.), Native Traditions in the Postconquest World, Washington D.C., Dumbarton Oaks, 1998, p.  149-199; Bérénice Gaillemin, «  Images mémorables pour un texte immuable  : les catéchismes pictographiques testériens (Mexique, XVIe-XIXe) », Gradhiva, vol. 13 (2011), p. 204-225. Sur l’écriture déné et blackfoot, Donat Savoie (dir.), Les Amérindiens du Nord-Ouest canadien au 19e siècle selon Émile Petitot, Ottawa, Bureau des recherches scientifiques sur le Nord, ministère des Affaires Indiennes et du Nord canadien, 1971. Sur l’écriture mi’kmaq, voir Déléage, La croix et les hiéroglyphes. Sur l’écriture inuite, voir Dennis G. Griffin, « Cugtun Alngautat: The History and Development of a Picture Text among the Nuniwarmiut Eskimo, Nunivak Island, Alaska », Arctic Anthropology, vol. 47, n o 2 (2010), p. 32-41.
44 De ce point de vue, l’écriture micmac ressemble à la « sémantographie » de Charles K. Bliss, un essai d’écriture universelle datant du milieu du 20 e siècle.
45 Nils M. Holmer, Porfirio Miranda Rivera et Stig Ryden, « A Modelled Picture Writing from the Kechua Indians », Ethnos, n o 3-4 (1951), p. 171-184 ; et Ibarra Grasso, La escritura indígena andina, écriture andine; Joaquín Galarza, Códices Testerianos : catecismos indígenas. El Pater Noster, Mexico, Tava, 1992, et Gaillemin, «  Images mémorables pour un texte immuable  », p. 204-225, écriture mexicaine.
46 Le dictionnaire de David L. Schmidt essaie de décrypter les racines iconiques des signes de l’écriture mi’kmaq; dans la plupart des cas, les caractères apparaissent arbitraires – voir Schmidt, « Komqwejwi’s Kasikl: A Linguistic Analysis », p. 197-254.
47 On remarquera d’ailleurs qu’aujourd’hui encore quelques rares «  chefs de prières  » restent capables de lire certains textes – voir Schmidt et Marshall, Mi’kmaq Hieroglyphic Prayers, p. 1-2.
48 Schmidt, « Komqwejwi’s Kasikl: A Linguistic Analysis », p. 59-85.
49 David L. Schmidt et B.A. Balcom, «  The Règlements of 1739: A Note on Micmac Law and Literacy », Acadiensis, vol. XXIII, n o 1 (1993), p. 110-127.
50 Speck, « Picture Writing, Hieroglyphics and Decorative Designs », p. 31.