1 LE CAMPUS DE SHIPPAGAN DE L’UNIVERSITÉ DE MONCTON fêtait en 2010 son 50e anniversaire d’enseignement postsecondaire dans le nord-est du Nouveau-Brunswick. Dans le cadre de cette commémoration, le Groupe de recherche en patrimoine religieux acadien de l’UMCS a été mandaté pour produire un livre commémoratif portant sur cet événement.
2 La période abordée dans ce texte se limite toutefois aux défis rencontrés lors de deux transitions rapides de l’institution : d’abord celle de couvent à collège classique en 1960 et, ensuite, celle de collège à campus universitaire satellite de l’Université de Moncton entre 1971 et 1975. Cette recherche s’inscrit ainsi dans une époque de grands chambardements de l’enseignement postsecondaire au Canada français, lors des années 1960 à 1975, soit la disparition de la formation collégiale classique et, par la même occasion, des congrégations religieuses dans l’enseignement postsecondaire. Le cas des Religieuses de Jésus-Marie (RJM) est notoire en ce sens que celles-ci n’ont jamais baissé les bras devant une série de commissions d’enquête et d’études recommandant leur retrait. au contraire, elles ont mobilisé les forces vives de la Péninsule acadienne du Nouveau-Brunswick, autant du côté des politiciens que des organismes régionaux, afin d’assurer la pérennité d’un campus universitaire dans la région.
3 La Congrégation de Jésus-Marie est fondée à Lyon en France le 6 octobre 1818 par mère Marie Saint-ignace (Claudine Thévenet). En 1847, l’approbation du Saint- Siège lance officiellement ce mouvement qui donnera lieu à la fondation d’une centaine de couvents un peu partout dans le monde. au Canada, la première maison de la Congrégation de Jésus-Marie est fondée en 1855 à Saint-Joseph-de-Lévis, à l’initiative de Mgr Charles-François Baillargeon, archevêque du diocèse de Québec. En 1870, la maison provinciale, avec son noviciat, est transférée à Sillery, près de Québec, sans que nous en sachions les raisons. La Congrégation de Jésus-Marie travaille à l’éducation des enfants appartenant à toutes les classes de la société : écoles élémentaires et paroissiales, orphelinats, écoles du soir, enseignement ménager, pensionnat avec les études primaires, écoles normales et enseignement secondaire1 . À compter de 1947, la province canadienne de la Congrégation de Jésus-Marie compte 20 maisons, dont 4 en acadie : Lamèque, première fondation en 1918, Shippagan et Saint-Raphaël- sur-mer en 1948, et Petite-Rivière-de-l’Île en 19552.
4 La venue d’un couvent à Shippagan en 1948 puise sa source dans le leadership du curé bâtisseur qu’est Mgr Livain Chiasson. il reçoit des doctorats honorifiques de l’Université d’antigonish (droit) en 1953 et de l’Université du Sacré-Cœur (sciences sociales) en 1955. il est également nommé prélat domestique en 1950 et devient vicaire général et directeur diocésain de l’action catholique en 19523. Sous le règne du curé Chiasson, la paroisse de Shippagan connaît un développement considérable tant au point de vue religieux qu’économique. De 1940 à 1952, la population ecclésiastique de Shippagan aurait pratiquement doublé. Elle serait devenue l’une des plus considérables du diocèse de Bathurst4. Devant un bilan aussi révélateur, on ne doit pas se surprendre de la conviction avec laquelle le curé Chiasson entreprend sa croisade pour la venue d’un couvent dans sa paroisse5.
5 L’histoire retient que c’est le 16 août 1948 que les religieuses arrivent à Shippagan. Les huit religieuses fondatrices sont sous les ordres de la supérieure, mère Sainte-Dorothy (Blanche-irène Boivin). Le 31 octobre 1948, jour de la fête du Christ Roi, fait place à la bénédiction de la pierre angulaire commémorative du couvent6.
6 Le régime de vie du pensionnat, avec ses horaires stricts, ses règlements sévères et son ensemble de prescriptions, constitue l’élément le plus visible et le plus persistant de l’univers du couvent. La première rentrée scolaire au nouveau couvent se tient le 12 septembre 1949 avec 12 pensionnaires et 115 externes7. En ce qui a trait à l’enseignement, notons un cours commercial bilingue pour garçons et filles, le français et l’anglais des affaires, le droit commercial et la géographie. Le cours commercial est affilié à l’académie des hautes études commerciales de Québec. Outre les matières commerciales, la sténographie, la dactylographie, la comptabilité, la routine de bureau, le droit commercial et les encycliques sociales font également partie du programme d’études 8 . Les religieuses offrent éga lement des cours de musique et de chant. De manière générale, les programmes d’enseignement destinés aux filles jusqu’au milieu des années 1960 comportent plus de matières dites de culture générale, en particulier de culture familiale, et moins de matières à contenu technique et scientifique9. À titre comparatif, au Couvent de Lamèque, les Religieuses de Jésus-Marie accueillent en 1945 une cinquantaine de pensionnaires et environ 11 externes qui suivent un programme s’échelonnant de la 1re à la 12e année. Là aussi se donnent le cours commercial et des cours de piano10 . De 1953 à 1955, le nombre d’élèves fréquentant l’école et le couvent augmente constamment pour atteindre 879. En 1954, le couvent compte 16 classes et 252 élèves des 2 premières années du primaire11. Bien qu’un noviciat soit inauguré en septembre 1950, il ferme ses portes dès 195212.
7 Les choses se gâtent à compter de juin 1958, lorsque de grands changements dans le domaine de l’éducation viendront modifier la mission d’enseignement des Religieuses de Jésus-Marie à Shippagan. Ces changements auront pour effet de vider le pensionnat du couvent en 1959 par suite de l’ouverture d’une école secondaire13 . il faut dire que débute alors l’époque où les couvents ferment un peu partout devant les grandes réformes en devenir des années 1960. C’est l’ère des écoles régionales qui offrent tous les avantages de l’académique et du vocationnel : cours ménager, industriel, commercial, service de bibliothèque, gymnase et transport par autobus14. au Québec et ailleurs, lorsque le modèle du pensionnat éclate après 1960, c’est « toute la société qui entreprend cette révolution qualifiée de tranquille15. » il est à noter que les archives révèlent qu’il y a eu 32 finissantes au Couvent Jésus-Marie lors de l’année scolaire 1957-1958. au printemps 1960, le Couvent Jésus-Marie compte 17 institutrices religieuses et laïques et 500 élèves de la première à la sixième année16.
8 La transition appréhendée de couvent à collège classique ne sera pas une première puisque les Religieuses de Jésus-Marie ont déjà fait l’expérience d’un collège classique à Sillery, affilié à l’Université Laval depuis 192517. On choisira d’aller de l’avant avec la transitio18. Le 14 mars 1959, le père Charles aucoin obtient un premier entretien avec la directrice du Collège de Sillery. Les deux parties s’entendent pour que l’institution de Shippagan soit désignée comme étant une extension du Collège de Bathurst. il faut dire que les Filles de Marie de l’assomption de Campbellton projettent de construire un collège pour filles près du Collège de Bathurst, soit le Collège Maria assumpta19. Le 23 avril suivant, M gr Livain Chiasson se présente au Collège de Bathurst pour questionner ce statut d’extension et, comme option de rechange, il laisse entendre qu’il envisage même de s’adresser à l’Université Saint-Joseph de Memramcook.
9 Le 27 mai 1959, une demande d’affiliation est donc adressée à l’Université du Sacré-Cœur de Bathurst, appuyée par l’évêque du diocèse de Bathurst, Mgr Camille- andré LeBlanc. La réponse du supérieur des eudistes à Bathurst, Charles aucoin, est empreinte de prudence. il impose comme condition une affiliation temporaire de trois ans en attendant de voir si cette nouvelle institution peut s’avérer viable20. L’Université du Sacré-Cœur se réserve le droit de diriger les programmes d’études, d’évaluer la compétence des enseignantes, d’imposer ses propres questions d’examens et de corriger tous les examens. Comme dernière condition, il est précisé « qu’aucune publicité ne soit faite dans les journaux ou autrement au sujet de cet engagement de l’Université du Sacré-Cœur envers le nouveau Collège Jésus- Marie21 ». À l’époque, les collèges de filles ne fonctionnent pas indépendamment, mais sont plutôt affiliés aux collèges masculins existants22. Pendant la période à l’étude, ils comprennent le Collège Notre-Dame d’acadie de Moncton, affilié à l’Université Saint-Joseph, le Collège Jésus-Marie (CJM) de Shippagan, affilié à l’Université du Sacré-Cœur de Bathurst, et le Collège Maillet de Saint-Basile, affilié à l’Université Saint-Louis d’Edmundston23.
10 En mai 1960, le père aucoin confirme qu’il y aura une classe de belles-lettres à Shippagan dès septembre. Un nouveau collège classique pour jeunes filles ouvre donc ses portes et le Collège de Bathurst y décernera des baccalauréats ès arts, prolongation du cours que donne déjà le Couvent Jésus-Marie24. En 1960, au moment de la création du Collège Jésus-Marie de Shippagan, les Religieuses de Jésus-Marie ont déjà deux autres collèges en service, soit celui de Sillery, au Québec, depuis 1925 et le Collège Thévenet de Gravelbourg, en Saskatchewan, depuis 1950. Le Collège de Sillery est affilié à l’Université Laval depuis 1925 alors que Thévenet est affilié à l’Université d’Ottawa. À noter que mère Saint-Jean-de- Kenty est supérieure du Collège Thévenet, avant d’assurer une obédience25 à Shippagan. Sœur Évangéline Flynn, pour sa part, est directrice à Sillery, puis supérieure à Shippagan (1967-1971)26.
11 L’annonce de l’arrivée d’un collège classique pour filles à Shippagan est célébrée par une activité appelée à devenir une tradition annuelle dans le village, soit le « thé- causerie ». Le premier a lieu le 15 mai 1960 au Collège Jésus-Marie avec comme conférencière invitée mère Marie de Lourdes, Ph.D., directrice du cours classique au Couvent Jésus-Marie de Sillery. La conférencière présente un exposé répondant à trois questions, qui vise sans doute à rassurer les convives sur la pertinence d’une formation classique pour jeunes filles à Shippagan : Qu’est-ce qu’un collège? Est-il souhaitable que plusieurs jeunes filles reçoivent la formation du collège? Et quel avenir s’ouvre aux jeunes filles après le collège? Selon elle, la formation que les jeunes filles reçoivent durant ces années de collège est « une perle précieuse pour l’achat de laquelle il est à propos de mettre le prix27 ».
12 Le thé-causerie de 1961 donne pour sa part une bonne idée de la philosophie pédagogique privilégiée par le corps professoral du collège. À cette occasion, il est maintenant question de la bibliothèque classique du collège28 et la conférencière invitée est mère Sainte-Marie, professeure d’art domestique et de psychologie familiale au collège. Elle aborde la question des nombreux bienfaits des instituts familiaux29 dans la formation de l’épouse et de la mère de demain. Effectivement, les jeunes filles qui fréquentent alors le collège classique de Shippagan suivent des cours d’art domestique et de pédagogie familiale : « il est prouvé que les occupations même les plus absorbantes, relevant du domaine domestique, n’empêchent pas une femme intelligente d’exprimer ses plus grandes pensées30. » il est permis de se demander si les craintes envers l’éducation collégiale des jeunes filles existant au Québec se retrouvaient aussi dans la Péninsule acadienne. au Québec, les adversaires du cours classique avaient, en quelque sorte, saisi l’ambiguïté voulant qu’une telle éducation ne pourrait plus longtemps se contenter d’avoir pour seul résultat de préparer des « épouses d’élite », s’il est permis de les appeler ainsi31 .
13 À peine les Religieuses de Jésus-Marie ont-elles le temps de s’acclimater à leur nouvelle mission institutionnelle qu’une autre tuile risque d’entraver leurs efforts. C’est à la suite d’un mémoire présenté en 1960 au cabinet du nouveau premier ministre, Louis J. Robichaud, qu’une commission royale d’enquête est instituée. Le mémoire en question est le fruit d’une réflexion menée par un consortium d’universités et de collèges du Nouveau-Brunswick32. Le mandat de la commission Deutsch consiste à effectuer une étude exhaustive du système d’enseignement supérieur de la province et à indiquer au gouvernement de Louis J. Robichaud les meilleurs moyens de rendre plus efficace l’enseignement postsecondaire. il devient évident que « chaque institution d’enseignement supérieur, tant francophone qu’anglophone, allait être passée au peigne fin et voir sa pertinence questionnée33 ». Pour arriver à créer l’Université de Moncton, l’Université Saint-Joseph devra déménager de Memramcook à Moncton afin de former le noyau d’une nouvelle université francophone, à laquelle les universités Saint-Joseph, du Sacré-Cœur et Saint-Louis seront affiliées à titre de collèges. Les collèges serviront de faculté des arts de la nouvelle université qui, elle, assumera la responsabilité des autres facultés 34 .
14 C’est dans ce contexte que des représentants de l’Université du Sacré-Cœur de Bathurst avisent le Collège Jésus-Marie qu’à titre d’institution affiliée ses dirigeantes ne seront pas invitées à présenter un mémoire à la commission Deutsch. Lors de cette rencontre tenue en septembre 1961, les autorités de Bathurst affirment qu’il n’y a rien d’inquiétant pour les institutions féminines, qui seront assurément intégrées. Toutefois, le juge Cormier, de passage à Shippagan le 6 avril 1962, suggère au contraire aux religieuses de faire connaître leur point de vue, même si le rapport est censé être publié en juin. Les autorités du Collège Jésus-Marie se sentent alors « coupables de beaucoup de naïveté, de trop de bonne foi et d’une confiance aveugle35 ». Les Religieuses de Jésus-Marie se disent conscientes des avantages offerts par les collèges plus riches et jouissant d’une plus longue expérience. Dans plusieurs cas, les gens fortunés peuvent y envoyer leurs enfants, qui y profitent de l’enseignement de nombreux professeurs et même d’artistes réputés. Ce n’est toutefois pas le cas pour un bon nombre de jeunes filles du comté de Gloucester. Les sœurs estiment qu’au début des années 1960 à peine une dizaine de jeunes filles du bas du comté ont réussi à obtenir un baccalauréat ès arts (dont deux de Shippagan)36. Elles se demandent pourquoi l’affiliation leur est retirée. Sont-elles coupables d’être trop pauvres ou trop éloignées des grands centres? Elles demandent si l’on peut ainsi « déménager les gens d’un comté qui compte pour plus de 16 % de la population scolaire de la province, afin de les rapprocher d’un campus37 ».
15 Le rapport Deutsch émet l’opinion que les petits collèges affiliés, comme celui de Shippagan, doivent demeurer sous l’autorité de leurs institutions mères, plutôt que d’être élevées au rang d’affiliés directs de l’Université de Moncton. En quelque sorte, selon la Commission, le Collège Jésus-Marie semble trop éloigné de Bathurst pour que les étudiants puissent profiter des avantages du Collège du Sacré-Cœur. Pour y arriver, les parties en cause doivent s’entendre sur une structure mieux intégrée, avant que le gouvernement provincial puisse verser de l’aide38. En rétrospective, la commission Deutsch ne trouve pas de solution facile au problème des rivalités régionales puisque, de 1963 à 1969, la lutte persiste entre l’Université du Sacré-Cœur et le Collège Jésus-Marie.
16 Par exemple, à compter de l’automne 1962, l’Université du Sacré-Cœur refuse de continuer l’affiliation. Le 22 août 1962, en prévision d’une rencontre avec la commission Deutsch, l’administration du Collège Jésus-Marie et des citoyens de Shippagan forment un comité d’amis et d’intéressés au sort de l’institution39. Le 24 février 1963 représente certes une date mémorable dans l’histoire du Collège Jésus- Marie puisque 200 personnes se rassemblent à Shippagan pour discuter de l’avenir du collège40. il en découle que, le 1er mars, une délégation de 40 automobiles (près de 200 personnes) se rend à Bathurst pour obtenir la certitude de la survie de l’institution auprès de l’Université du Sacré-Cœur 41 . après des pressions de toutes parts, une entente est signée selon laquelle les autorités de l’Université du Sacré- Cœur s’engagent à soumettre l’affiliation du Collège Jésus-Marie au Sénat académique de l’Université de Moncton42.
17 En réponse à cette demande, le Sénat académique met sur pied un comité d’arbitrage qui recommande que l’affiliation conditionnelle du collège de Shippagan auprès de celui de Bathurst soit prolongée jusqu’en janvier 1966. Pour expliquer cette limite dans le temps, le comité invoque des facteurs tels que la mise sur pied d’un régime d’aide financière pour les étudiants et la construction d’une résidence pour filles sur le campus du Collège de Bathurst, soit le Collège assumpta43.
18 D’ailleurs, les Religieuses de Jésus-Marie répètent qu’elles ne s’opposent pas à la présence d’un autre collège pour filles dans le nord du Nouveau-Brunswick, à condition que ce ne soit pas à leur détriment44.
19 Dans ce contexte, les échanges entre le Collège Jésus-Marie et l’Université du Sacré-Cœur s’enveniment à l’annonce d’un projet d’agrandissement du CJM, d’une valeur de 600 000 $45. L’Université du Sacré-Cœur refuse d’approuver le projet et reçoit l’appui indéfectible du Sénat académique de l’Université de Moncton à tel point que, en avril 1964, celui-ci refuse toute forme d’affiliation avec le CJM. Les prétextes invoqués sont le piètre état de la bibliothèque et des laboratoires46. L’administration du Collège Jésus-Marie réplique, forçant la mise sur pied d’un comité de négociation. La conclusion en est une de compromis : le Collège de Bathurst peut construire son Collège Maria assumpta (1966) et le Collège Jésus- Marie obtient à la fois sa subvention de 400 000 $, son affiliation au collège de Bathurst et, par le fait même, à l’Université de Moncton47.
20 Ces conflits qui génèrent de l’incertitude n’empêchent pas la population de continuer à appuyer le Collège Jésus-Marie en fournissant l’argent nécessaire à l’achat de 3 000 volumes supplémentaires pour la bibliothèque. Également, à la critique concernant le problème d’accréditation par la Conférence nationale des universités et collèges canadiens, le Collège Jésus-Marie rappelle qu’au Québec seule l’université mère est accréditée, alors que les collèges lui sont affiliés48.
21 Étant donné les difficultés associées au peu d’inscriptions49, il faut compter sur la ténacité des religieuses, le dévouement discret des membres du Comité des aviseurs et l’appui de toute la population pour assurer la survie de l’institution. il se peut que la première cohorte de diplômées du Collège Jésus-Marie ait eu un effet vivifiant sur le nombre d’inscriptions, car en septembre 1964 l’institution annonce un nombre record d’inscriptions. Sur les 83 étudiantes, 59 sont pensionnaires et 24 externes, soit une augmentation de 21 étudiantes par rapport à l’année précédente50.
22 En ce qui a trait au statut légal du collège, des développements importants se produisent à l’occasion d’une résolution adoptée le 22 juin 1967 par le Sénat académique de l’Université de Moncton. La résolution se compose de trois articles : a) Que le Collège Jésus-Marie soit affilié au Collège de Bathurst; b) Que seules les jeunes filles soient acceptées au CJM; c) Que le CJM s’engage à respecter les conditions mentionnées dans le texte de l’entente avec le Collège de Bathurst. il est important de noter, surtout, la contrainte imposée par l’article b), soit celle empêchant l’admission des garçons51. Cette même année, un autre rapport recommande que l’Université de Moncton devienne un établissement public dirigé par des laïcs, et qu’ensemble les collèges affiliés constituent la faculté des arts de l’Université52.
23 En janvier 1969, le Sénat académique et le Conseil des gouverneurs de l’Université de Moncton fixent le mandant de la Commission de planification académique (commission Lafrenière), soit de définir le rôle de l’Université et des collèges affiliés. En clair, il s’agit d’étudier le fonctionnement et les structures académiques de l’Université et des collèges affiliés pour améliorer l’enseignement supérieur. La commission Lafrenière53, qui siège du 4 octobre 1969 au 28 novembre 1971 (195 jours), met l’accent sur le fait que les collèges communautaires sont le meilleur moyen de servir la population francophone du Nouveau-Brunswick, sans nuire à l’Université de Moncton alors naissante. Ces collèges doivent se limiter à offrir les deux premières années de programmes universitaires et des formations techniques et professionnelles. À noter que le CJM vit alors des difficultés d’affiliation avec le Collège de Bathurst, ce qui peut contribuer à le rendre vulnérable aux yeux des commissaires54.
24 Au début de décembre 1971, toujours dans le cadre des travaux de la commission Lafrenière, le recteur du Collège de Bathurst rencontre les autorités du Collège Jésus- Marie afin d’en venir à une entente ayant pour objectif de définir les rôles respectifs des deux institutions du Nord-Est. Les autorités du CJM ont d’ailleurs acheminé une lettre au Sénat académique manifestant un accord enthousiaste avec les recommandations de la Commission de planification académique55. Le rapport de la Commission est soumis en janvier 1972; il se compose de 2 volumes comportant 577 recommandations56. Peu de temps après, le 28 avril 1972, le Collège Jésus-Marie est officiellement affilié à l’Université à des des fins académiques et compte un représentant au Conseil des gouverneurs et un autre au Sénat académique57.
25 De son côté, le Comité des aviseurs du Collège Jésus-Marie fait l’étude du rapport Lafrenière de concert avec l’administration du collège et se prononce en faveur du concept des collèges communautaires pour favoriser la survie à long terme de l’établissement. Les intéressés reconnaissent alors que les collèges classiques doivent se métamorphoser en une nouvelle structure répondant mieux aux besoins de formation et étant mieux harmonisés avec le système anglophone58. il semble alors que 1972 sonne la fin des cours classiques au Collège Jésus-Marie, et l’on célèbre la dernière collation de diplômes. À l’automne, lors de la première rentrée universitaire, les garçons seront admis en vertu de cette nouvelle formule hybride qu’est le collège communautaire. Les cours de secrétariat bilingue et d’administration seront pour leur part orientés davantage vers un contenu universitaire59.
26 À la fin de l’année universitaire 1971-1972, il est maintenant officiel que le Collège Jésus-Marie est affilié à l’Université de Moncton et peut accueillir les garçons en première et en deuxième année. Enfin, penseront certains, le Collège Jésus-Marie devenait ainsi directement affilié à l’Université de Moncton et, par le fait même, cessait d’être affilié au Collège de Bathurst60.
27 À l’aube de cette nouvelle ère de la mixité en milieu postsecondaire, « l’arrivée des garçons ajoute à la vie étudiante un élément nouveau et crée une atmosphère intéressante. Nous leur souhaitons d’être heureux parmi nous et de nous communiquer un peu de leur philosophie de la vie. Chaque après-midi le collège se vide et prend davantage l’aspect d’un externat. Le temps va déterminer la forme et les besoins de notre institution61. » Marie-Esther Robichaud renchérit en ajoutant que l’institution sent bien les nouveaux défis que posent cette nouvelle tendance des programmes universitaires plus spécialisés et le déclin de la formation générale dite classique. Elle explique que ces programmes, avec leurs majeures et leurs mineures, imposent bien des réserves et peuvent créer bien des problèmes. Cette intervenante se questionne sur les meilleurs moyens de faire cohabiter des formations techniques avec une formation en sciences humaines et sociales62: « Nous mettons l’accent sur nos besoins sans perdre de vue que la culture générale aujourd’hui a une grande valeur; les professions sont appelées à changer de nom sinon de fonctions et ceux qui auront une formation générale auront plus de facilité à passer des unes aux autres. De plus, dans une civilisation de loisirs une personne a besoin d’avoir plusieurs cordes à son arc63. »
28 En juin 1973, le vice-recteur à l’enseignement de l’Université de Moncton, Helmut J. Schweiger, confirme que, selon le rapport du comité de contrôle de la qualité de l’enseignement de l’Université de Moncton, le Collège Jésus-Marie rencontre les exigences requises pour offrir les deux premières années en français, en histoire, en anglais, en philosophie, en économie et en sociologie64. Un total de 101 étudiants et étudiantes sont inscrits en 1972-1973, et une augmentation importante survient l’année suivante avec près de 135 inscriptions, soit une augmentation de 30 %65. Les chiffres fléchissent quelque peu en 1975-1976 avec 110 inscriptions. En avril 1975, 25 étudiantes sont inscrites en secrétariat médical et 19 en secrétariat bilingue, en plus de 15 filles suivant une formation de bibliotechniciennes. Gilles Losier devient, en 1975, le premier garçon à recevoir un diplôme du Collège Jésus-Marie et Marguerite Cormier de Caraquet remporte la médaille du Gouverneur général pour l’excellence de son rendement. En ce qui a trait aux cours à l’Éducation permanente, le Collège Jésus-Marie en offre 66 en 1972-197366.
29 Les étudiantes du Collège bénéficient également d’un journal étudiant, le Stella Maris, de la présence de l’organisme Jeunesse étudiante catholique67, d’un conseil étudiant, de la tenue de concours oratoires et d’une participation aux associations étudiantes acadiennes des années 1960. Par exemple, le Collège reçoit de l’information générale de plusieurs associations étudiantes, dont l’Union générale des étudiants acadiens, la Fédération des associations générales des étudiants des collèges acadiens ou encore la Fédération des associations générales des étudiants des collèges acadiens68.
30 La transition du statut de couvent à celui de collège constitue certes un défi de taille pour les Religieuses de Jésus-Marie et même pour toute la Péninsule acadienne. On réalise alors que la mise en place de programmes plus avancés exige de nouvelles ressources professorales, une bibliothèque mieux pourvue et même du matériel de laboratoire plus perfectionné. La direction du Collège et le Comité des aviseurs doivent mobiliser la population pour protéger les acquis, et le combat fait rage sur plusieurs fronts : les recommandations des commissions, la méfiance du Collège de Bathurst et le peu d’enthousiasme de l’Université de Moncton.
31 Pourtant, la vie étudiante et professorale se révèle déjà très dynamique compte tenu des moyens disponibles. Mais l’avenir réserve des défis encore plus grands! La création de l’Université de Moncton et la mise en place d’un réseau de collèges affiliés et annexés, en 1963, devaient donner un nouvel élan à l’enseignement supérieur francophone au Nouveau-Brunswick. En 1974, le collège de Bathurst ferme ses portes, trois ans après avoir été confié à une administration laïque69 . En avril 1975, c’est le transfert de l’institution à l’institut des collèges communautaires du Nouveau-Brunswick. L’institution doit toutefois s’entendre avec l’Université de Moncton pour assurer la continuité du service d’Éducation permanente à Bathurst.
32 Mais en 1974, à la suite justement de la fermeture du Collège de Bathurst, la Commission de l’enseignement supérieur des provinces Maritimes forme un autre comité, présidé par le juge Louis-a. LeBel. Le comité doit préciser les rôles des divers collèges et tracer un plan viable pour l’avenir de ces institutions. Une nouvelle tempête se prépare puisque ce comité poursuivra en quelque sorte les travaux de la commission Lafrenière. En dépit des conflits évoqués dans ce texte, l’historien Gratien allaire estime que les établissements francophones du Nouveau- Brunswick ont opté pour « la collaboration entre établissements et entre régions alors qu’en Ontario on aurait préféré la concurrence70 ».
NiCOLAS LANDRY