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Les Basques dans le golfe du Saint-Laurent se racontent

Nicolas Landry
Université de Moncton

1 CETTE ÉTUDE DE DOCUMENT VISE à mieux faire connaître la perception que les Basques avaient de leur rôle dans l’histoire des deux grandes pêches de l’Atlantique Nord durant les 15e et 16e siècles, soit celles à la baleine et à la morue. Acheminé à la Cour de France et daté du 7 mars 1710, ce document servit alors de plaidoyer visant à attribuer aux Basques le titre de véritables découvreurs de Terre-Neuve et le mérite d’avoir exploité les ressources du golfe du Saint-Laurent bien avant l’établissement des Anglais à Terre-Neuve. Traditionnellement, l’historiographie n’a pas toujours valorisé ce genre de témoignages, les jugeant parfois trop subjectifs et ouvertement intéressés. Mais en examinant de plus près le contenu de ces mémoires, il ne fait aucun doute que les Basques possédaient une solide connaissance de la géographie de l’est du Canada et de leur propre histoire quant aux origines de leur présence à titre d’exploitants du territoire. Si ce type de sources peut ne pas paraître très nouveau pour les historiens du Régime français, il peut toutefois s’avérer très révélateur pour d’autres usagers au niveau du système d’éducation secondaire ou de l’histoire publique. À n’en pas douter, c’est vraisemblablement le genre de documents qui apportèrent de l’eau au moulin des diplomates français à l’occasion des négociations entourant la signature du traité d’Utrecht de 1713. Également, dans une perspective plus contemporaine, pareil témoignage peut devenir une pièce importante dans le cadre de négociations sur les droits de pêche entre la France et le Canada.

2 Ce document s’inscrit dans une catégorie assez bien connue de l’historiographie des pêches de l’est du Canada sous le Régime français, soit les mémoires des entrepreneurs de pêche des ports du sud-ouest de la France, surtout du pays basque. Par « entrepreneurs », on entend plus spécifiquement des négociants, des marchands ou des bourgeois. Ce sont tous des termes utilisés pour qualifier ces entrepreneurs qui, souvent, ne limitent pas leurs investissements aux seules activités de pêche. Parfois, ce sont les chambres de commerce des villes portuaires de France qui rédigent ces mémoires à titre de promoteurs des intérêts marchands qui, on le comprend, impliquent des retombées commerciales importantes pour ces régions en matière de revenus et d’emplois.

3 Les recherches portant sur ces mémoires révèlent sans trop de peine que ceux-ci ont toujours un peu les mêmes objectifs : démontrer et affirmer le droit historique d’usage des littoraux de l’est du Canada par les Basques. Les auteurs les rédigent pour convaincre Louis XIV de conserver ces territoires à tout prix pour le bien de la France, ou encore pour se défendre contre le pouvoir des gouverneurs coloniaux jugé parfois trop envahissant, surtout lorsque vient le temps de réglementer l’attribution des lieux de pêche sur le littoral, l’usage des graves, le droit de l’amiral et l’obligation de voyager en convois.

4 Le mémoire reproduit ci-dessous ne s’appuie pas sur des sources archivistiques mais bien sur ce qui semble être les résultats de connaissances ancestrales retransmises de génération en génération depuis le début du 15e siècle. Autre particularité, il aborde l’évolution de la pêche à la baleine par les Basques en retraçant, autant que faire se peut, les cycles de croissance et de déclin de cette industrie. C’est ainsi que, sans donner aucune date, le mémoire fait référence à des événements présentés dans un ordre respectant une certaine chronologie approximative.

5 Avant d’aborder l’étude du document comme tel, il est à propos de l’inscrire dans son contexte historiographique. À compter du 15e siècle, et peut-être même avant, les Basques commencent à remonter les côtes de l’Europe atlantique à la recherche des baleines. De l’Islande à l’Amérique, il n’y a alors qu’un pas à franchir pour ces excellents navigateurs. Toutefois, l’année 1372 est la première où l’on mentionne l’arrivée des Basques en Amérique, d’où la théorie qu’ils aient découvert le nouveau continent au moins un siècle avant Christophe Colomb1.

6 Néanmoins, c’est en 1547 qu’apparaissent dans les archives les premières mentions de baleiniers allant en Amérique du Nord. Dans les années 1550, les Basques arment annuellement plusieurs baleiniers en partance des ports de Biarritz, Capbreton, Pasajes, Reinteira, Saint-Jean-de-Luz, Saint-Sébastien et Ciboure. Au total, les Basques conduisent de 20 à 30 navires chaque année sur les côtes du Labrador. Chaque navire a la capacité de transporter entre 1 000 et 2 000 barriques d’huile de 250 litres chacune en Europe. Au moins 15 000 baleines auraient été capturées par les Basques dans la deuxième moitié du 16e siècle. Ainsi, entre 1550 et 1580, sans compter les pêcheurs de morue, de 600 à 2 000 hommes occupent une partie de la côte nord du Saint-Laurent chaque année2.

7 Mais le nombre de baleines prises le long des côtes du Labrador chute à compter des années 1570. Situation davantage attribuable à un refroidissement des températures qu’à la surpêche. D’ailleurs, ce refroidissement cause également un certain déclin des stocks de morue à proximité des côtes, ce qui force les pêcheurs à travailler en pleine mer sur les Grands Bancs, lançant du même coup la pêche à la morue verte. On pense que, à compter de cette époque, à la fois les morutiers et les baleiniers doivent prolonger leurs séjours en mer et pratiquer les deux pêches pour compenser le déclin des prises. Cette réduction des profits dans ces deux pêches a également pour effet d’amener les navires de pêche à faire le commerce des fourrures avec les Amérindiens, surtout après 15503. Les pêcheurs basques de la province de Labourd, à l’extrême pointe sud-ouest de la France, dans le golfe de Biscaye, accroissent leur présence durant la deuxième moitié du 16e siècle. Entre 1580 et 1600, 22 navires basques partent de Saint-Jean-de-Luz et de Ciboure pour l’Amérique du Nord.

8 Selon les archives notariales et les journaux de voyage, il semble certain que les activités des Basques dans l’estuaire du Saint-Laurent se prolongent de 1584 à 1637. D’ailleurs, en 1603, Champlain atteste que les Basques pêchent la baleine aux Escoumins, sur la côte nord. L’explorateur rencontre également des Basques à Tadoussac en 1608 et en 16224. Ceux-ci fréquentent également toute la côte ouest de Terre-Neuve, le Labrador, l’île Miscou et Nipisiguit, au Nouveau-Brunswick. En 1664, on compte encore 20 gros baleiniers basques en partance de France pour l’Amérique5.

9 En ce qui a trait à la pêche à la morue, bien que des expéditions de pêche lointaine soient mentionnées dans les archives françaises dès 1508, la documentation est plutôt rare jusque vers 15506. À compter des années 1660, les Basques ne font que confirmer leur prépondérance dans la pêche à la morue à Terre-Neuve. En 1664, la flotte des terre-neuviers est de 423 navires, dont plusieurs sont basques. En ce qui a trait à la main-d’œuvre occupée, Terre-Neuve entretenait de 10 000 à 12 000 matelots et pêcheurs à la même époque, soit l’équivalent du quart de la population française engagée dans des activités maritimes7. Jusqu’au traité d’Utrecht de 1713, les Basques sont grandement visibles dans la correspondance officielle des gouverneurs français de Terre-Neuve, qui tantôt louent leur coopération inestimable dans la défense de Terre-Neuve et leurs exploits corsaires, tantôt dénoncent leur insubordination.

10 Toujours dans une perspective de contexte historique de ce document, il est à noter que les Basques font maintes fois allusion aux nations amérindiennes sans pour autant les distinguer, sauf pour les Esquimaux. De manière générale, c’est lorsqu’ils mentionnent des points de repère géographiques que l’on peut avancer des hypothèses sur l’identité des groupes en question. Quoi qu’il en soit, de manière globale, on parle surtout de la grande famille algonquienne, qui est habituellement partagée en deux groupes : celui des provinces Maritimes et celui du nord du Saint-Laurent, dont les Beothuks de Terre-Neuve; les deux groupes sont alors chasseurs et pêcheurs. Contrairement aux Iroquoiens, ils pratiquent peu l’agriculture. Ils sont également moins homogènes et constituent un éventail de petits groupes dont le nombre est difficile à cerner, étant surtout nomades8. Toutefois, sans trop de risques de se tromper, on peut penser que les Basques rencontraient surtout des Micmacs aux Maritimes et même à Terre-Neuve et des Montagnais à l’embouchure du Saguenay.

Mémoire des négociants de Saint-Jean-de-Luz et de Ciboure concernant la découverte de l’île de Terre-Neuve et l’origine des pêcheries des baleines et des morues, mars 1710 9

11 Touchant la découverte, les établissements et la possession de l’île de Terre-Neuve, et l’origine des pêcheries des baleines et des morues, la première ayant occasionné cette découverte, cet établissement, la découverte des morues et l’invention de leur sécherie, par les sujets de sa majesté très cher, habitués dans le pays de la Bour10, fournis par les négociants de Saint-Jean-de-Luz et de Ciboure, à M de Planthion Syndic général du pays de la Bour, le mois de mars 1710.

12 Les bourgs de Saint-Jean-de-Luz et de Ciboure situés dans le pays de la Bour communément appelé la pays des Basques, qui est une portion de l’ancienne Cantabrie11 comprise dans la Biscaye, ayant été brûler en l’année______[dans le texte] par les Espagnols, et tous les papiers qui étaient dans les archives des communautés de ces deux bourgs, ayant été enveloppés dans ce désastre, aussi bien que ceux des particuliers, ont été contraint de recourir ailleurs, pour prouver que la découverte de l’île de Terre-Neuve a été faite par les habitants de ces deux lieux, fait que personne n’y a jamais révoqué en doute, et dont la mémoire y a été conservée par tradition, et qui s’y conservera apparemment autant de temps que ces habitants continueront à faire les pêcheries de la baleine, et des morues qu’ils appellent Bacallaos en leur langue12, la première de ces pêcheries ayant occasionné non seulement la découverte de cette île de Terre-Neuve et du Canada par ces mêmes habitants. Mais encore celle des Indes occidentales par Christophe Colomb13.

13 Pour parvenir à cette preuve il faut prendre la chose de son origine. Il est de notoriété publique que la pêcherie de la baleine a été inventée par les gens de cette contrée et pratiquée fort longtemps avant les autres nations, on peut donner hardiment pour témoin de cette vérité toute la Hollande14. Ils la pratiquèrent avant même que l’hydrographie eut donné la connaissance et l’usage de la balestrille qui sert à l’observation des latitudes pour les voyages de long cours, et avant qu’on eut connu les propriétés de l’aimant qui a donné si avantageusement le moyen de diriger les routes en haute mer15. Ils la commencèrent d’un temps immémorial sur les côtes de leur propre pays où les baleines étant devenues rares dans la suite des temps16. Ils s’étendirent le long des côtes d’Espagne, jusqu’au Cap de Finistère, où ils furent bornés jusqu’à ce que l’usage du compas de route17 et de la balestrille ayant été connus. Les vestiges des tours qu’ils avaient bâtis pour servir aux vigies à la découverte des baleines, et ceux des fours qu’ils avaient établis pour la fonte des lards de la baleine sur cette côte, sont des marques de cette vérité, jointe au témoignage des habitants de ces endroits qui par tradition ont conservé jusqu’à présent la mémoire de la pêcherie que les Basques faisaient chez eux18.

14 L’usage du compas de route et celui de la balestrille ne furent pas plutôt connus, que les Basques puissamment excités par le lucre de cette pêcherie, s’embarquèrent sur des navires pour chercher le repaire de ces animaux, et ayant connu par expérience qu’étant venu de chez eux faisant la route a_____________et ayant trouvé de plus en plus des baleines à mesure qu’ils avançaient sur cette route. Ils la choisirent pour diriger leur poursuite et parvinrent par ce moyen au Banc de Terre-Neuve, où ils en trouvèrent par troupe, et comme l’espèce qu’ils y trouvèrent était différente de celles qu’ils trouvaient sur leurs côtes, pour la distinguer ils la nommèrent sardac Baleac qui en leur langue signifie baleines de troupe. Ils y trouvèrent aussi une quantité prodigieuse de morues et y commencèrent la pêcherie de ces poissons premièrement pour la consommation dans leurs navires et ensuite les salaisons pour les provisions de leurs maisons, et ayant trouvé qu’ils se conservaient bien dans le sel, qu’ils étaient de bon goût, après même avoir été portés en Europe, ils en firent marchandise dans la suite.

15 Ce fut dans le progrès de ces pêcheries et en donnant chasse aux baleines sur ces bancs, qu’ils découvrirent la terre de cette île qui présentement se nomme par toutes les nations Terre-Neuve, pour avoir été découverte la première de toutes celles d’Occident à laquelle ils donnèrent alors le nom de Bacallao de celui qu’ils avaient déjà donné à ces poissons qu’ils avaient trouvés en si grande abondance sur ces côtes, comme qui dirait terre des morues en leur langue. Ils terrèrent dans les ports de cette côte qui sont situés à l’orient de l’île, et inventèrent la sécherie des morues dans ces ports, pour en pouvoir porter dans les navires une plus grande quantité. Ils faisaient cette sécherie sur des échafauds qu’ils faisaient avec des arbrisseaux de pin qu’ils nommèrent pignalac, en leur langue, et les armateurs de Saint-Jean-de-Luz et de Ciboure y envoyèrent des navires exprès pour cette pêcherie et sécherie indépendamment de ceux qu’ils envoyaient pour la pêche des baleines19.

16 C’est à peu près dans ce temps qu’un de ces navires pêcheur dont l’équipage était atteint du scorbut20, se trouvant à son retour proche des îles des Açores21, hors d’état de poursuivre son voyage par la violence de cette maladie, relâcha dans l’une de ces îles, où se trouva Christophe Colomb, fameux par la découverte qu’il fit ensuite, des premières terres des Indes occidentales, que surpris de la nouveauté de cette aventure, recueillit chez lui le pilote de ce navire, non pour lui procurer la santé par des motifs inhospitaliers que pour profiter des lumières qu’il en pouvait tirer pour la navigation, comme en effet il en profita, les équipages de ce navire étant tous morts dans cette île, de cette maladie, et le journal et autres papiers du pilote ayant resté à Christophe Colomb, lequel convaincu par de si bons témoignages qu’il y avait des terres occidentales, les fut chercher par la latitude des Indes occidentales, présumant avec beaucoup de fondement, que les terres qu’il allait chercher à l’Occident étaient semblables et aussi riches qu’il savait être sur la même parallèle du côté de l’Orient22.

17 Ils donnèrent aux ports de cette côte orientale de Terre-Neuve des noms en leur langage, entre lesquels celui qu’ils donnèrent à ourrougnousse23 ainsi nommé du nom d’un bourg situé proche de Saint-Jean-de-Luz à environ un demi lieu de distance appelé Ourrogne s’est conservé de même que celui de Baccallao qu’ils avaient donné à toute l’île de Terre-Neuve, qui encore à présent est appliqué à l’île la plus orientale de cette côte, quoique tout ce continent soit depuis longtemps occupé par les Anglais qui changèrent le nom à tous les autres ports de cette côte24.

18 Les Basques ayant dès lors découvert Plaisance25 et les autres ports situés à la côte méridionale de Terre-Neuve les occupèrent préférablement à ceux de la côte orientale, y ayant trouvé toute la commodité qu’ils pouvaient désirer pour sécher les morues sur des graviers de grande étendue, que la nature semblait avoir disposé exprès pour cet usage, et pour lui épargner la peine et la dépense de construire toutes les années des échafauds. Ils fréquentèrent moins souvent les ports de la côte orientale, où les Anglais commencèrent à venir dans le temps des guerres civiles d’Angleterre qu’avait excité Cromwell26, contraignit plusieurs proscrits à chercher des asiles dans les déserts de ce nouveau monde, les Basques les y souffrant par des motifs de compassion et de charité. Mais comme il en venait quantité dans la suite des temps, et qu’ils se rendirent sédentaires, ils interdirent peu à peu aux Basques l’usage et l’entrée de ces ports dans toute la côte orientale de l’île27, à mesure qu’ils s’y trouvaient les plus forts, c’est dans cette forme qu’ils ont par succession des temps occupé tout le continent depuis là jusqu’au Cap de Ray28.

19 Et que de notre temps ils ont tâché d’occuper le port de Trépas, premier et excellent port proche du Cap de Raz sur la côte méridionale de l’île, et d’en exclure les Basques qui y envoyaient moins de navires qu’eux29.

20 Ce fut aussi dans le temps que nos Basques faisaient leurs pêcherie des baleines sur le Banc et sur les côtes de Terre-Neuve, qu’ils découvrirent les côtes du Canada, et qu’ils entrèrent dans le golfe qui porte à présent ce nom, et ceux de Saint-Laurent, et qu’ils nommèrent alors Grand Baya30. Ils donnèrent au cap septentrional qui en fait l’entrée et qui est dans le continent de l’île de Terre-Neuve, le nom de Cap de Ray qu’il conserve encore, tiré du terme Basque arraico, qui signifie poursuite ou approche en, pour dire qu’on en doit ranger de proche, les bords étant fort seins, de crainte d’être jetés par les courants qui y sont si forts, sur les battures des îles aux oiseaux qui en sont proche. Ils imposèrent aussi le nom de Cap Breton à la pointe méridionale qui fait cette entrée, du nom d’un bourg de ce nom situé proche le Boucau vieux de Bayonne, par rapport à la parité qu’il se rencontre dans l’élévation des terrains de ce cap, et du Cap Breton ou Boucau vieux, nom qu’il conserve encore à présent. Ils donnèrent aussi des noms en leur langue à la plupart des ports de ce golfe, comme Ulicillo, qui signifie trou à mouches, par rapport à la quantité de ces insectes, dont ce port est infecté, ophorportu, qui signifie vase à lait, par rapport au calme qu’il y règne, portuchoa31, qui signifie petit port; amuyts, du nom du premier cap occidental, que l’on trouve en partant de Saint-Jean-de-Luz, appelé par les Français le figuier, Biarritz du nom d’un village des pêcheurs, situé en France entre Bayonne et Saint-Jean-de-Luz. Et le cap de grat l’un des trois principaux caps de l’île de Terre-Neuve situé dans la partie septentrionale, ce nom étant tiré de grata qui en langue Basque signifie un lieu d’établissement pour les travaux de la pêche des Baccalaos ou morues32. Tous ces ports et ces caps excepté celui de cap Breton sont situés dans le continent de l’île de Terre-Neuve en sa partie occidentale. Les Basques seuls en sont en possession depuis leur découverte, et sont même presque inconnus non seulement aux Anglais, mais encore à toutes les nations de France, si on excepte quelques créoles Canadiens33 que leur désir de traiter avec les sauvages y a attiré, et nullement l’intention d’y établir la pêcherie. Ils sont aussi en possession de tout le continent de la côte méridionale de l’île, depuis le temps qu’ils en firent la découverte, la suite des temps l’ayant rendue commune seulement avec les autres nations françaises, et nullement avec les Anglais, si on excepte le seule port de Trépas qu’ils ont tâché d’usurper durant la dernière paix entre les couronnes34, et que le voisinage de Plaisance qui se trouvait alors bien fortifié et bien pourvu de monde, leur a fait abandonner entièrement.

21 Lors de la découverte du Golfe de Saint-Laurent qu’ils nommèrent comme il a déjà été dit Granbaya, ils y trouvèrent abondance d’une espèce de baleine différente et beaucoup meilleure que l’espèce de celles de Sarde, qu’ils avaient trouvé sur le Banc et sur les côtes de Terre-Neuve. Ils leur imposèrent le nom de Granbayaco Baleac, qui signifie en leur langue baleines de la grande Baie pour les distinguer de l’autre espèce dans les ports occidentaux de Terre-Neuve que je viens de nommer, dans ceux de Balsamon et Macain, situés à la côte de Labrador et dans les ports de Naticosti, les vestiges des vigies et de fonderies qu’ils avaient établies et une des îles qui se trouve située à environ 80 lieues avant dans la ville de Québec, conserve encore le nom de l’île aux Basques quoiqu’ils aient discontinué depuis très longtemps d’y faire la pêcherie des baleines, comme on l’expliquera dans la suite, qui se sont conservés mieux que ceux de la côte orientale et méridionale, ces ports n’ayant été fréquentés que par les Basques, et les étrangers ayant détruit les vestiges de celles qu’ils avaient établies dans les autres35.

22 Dès les premiers temps auxquels les Basques faisaient les pêcheries des baleines et des morues dans le golfe de Saint-Laurent, ils firent amitié avec tous les sauvages de cette contrée, et lièrent commerce avec eux, particulièrement avec une nation appelée Esquimaux36, qui a toujours été et qui est encore intraitable pour toutes les autres nations, et comme leurs langages étaient absolument différents, ils formèrent une espèce de langue franque composée de la Basque et des autres différentes langues de ces sauvages, par le moyen de laquelle ils s’entendaient fort bien tous; les personnes qui ont fait les établissements des colonies françaises du Canada, et de la partie septentrionale de la Cadie, y trouvèrent ce langage établi depuis longtemps la première fois qu’ils y arrivèrent, vérité qui se pourra justifier par les relations qu’ils en ont faites. Et preuve évidente que les Basques étaient alors en possession depuis longtemps de toutes ces contrées, et par la tradition des sauvages qui en conservent la mémoire de père en fils37.

23 Comme le golfe de Saint-Laurent a des limites assez bornées par rapport à la pêcherie des baleines, et à la quantité des navires que les Basques y envoyaient, ces poissons y étant devenus rares par la grande tuerie et par la vive chasse que leur donnait nos Basques, poussèrent leur poursuite entre les terres de LaBrador, et celles de Terre-Neuve38 et y ayant trouvé ce passage que l’on nomme à présent Belle Isle ils changèrent le nom de Grand Baya qu’ils avaient donné dans le commencement et lui donnèrent celui de Canala, qui signifie le canal qu’il conserve encore parmi eux, et continuant leur poursuite ils découvrirent la mer glaciale39, où ils trouvèrent le principal repère de cette espèce de baleines qu’ils ont trouvé à Grand Baya lesquelles ils continuèrent d’appeler du même nom, qui a été conservé jusqu’à présent, non seulement parmi eux, mais encore parmi toutes les autres nations, la corpulence de cette espèce de baleines est communément deux fois aussi grande que celles des baleines de sarde, ses fanons ou barbes40 sont aussi plus grands à proportion, et l’huile qui se fait de son lard est liquide et toujours claire, au lieu que des baleines de sarde est toujours fort trouble.

24 Ayant trouvé dans les mers glaciales une abondance plus que suffisante pour occuper un plus grand nombre des navires que ceux qu’ils avaient pour cette pêcherie, ils abandonnèrent entièrement les pêcheries des baleines qu’ils faisaient auparavant sur le Banc, sur les côtes orientales et méridionales de Terre-Neuve, et dans le golfe de Saint-Laurent, ayant trouvé dans cette mer des dangers qu’ils ne rencontraient pas ailleurs41.

25 Ils firent construire exprès des navires d’une force capable de résister aux moindres efforts des glaçons et heurts qu’ils étaient obligés de leur donner en cherchant sous voile des passages entre eux, d’une grande contenance pour pouvoir rapporter quantité de lard et presque tous de trois ponts pour la commodité de l’arrimage et du travail des tonneliers qui furent obligés dès lors de faire à bord de leurs navires. Ils abandonnèrent alors pour cette pêche celle du Banc et de la Baie de Saint-Laurent, où pourtant ils continuèrent à faire toutes les années comme ils font encore à présent la pêcherie et la sécherie des Bacallao ou morues.

26 La nécessité de trouver la consommation proportionnelle à la quantité des huiles et des fanons qu’ils rapportaient de ces pêcheries, et le dessein de les vendre avantageusement les engagea à en transporter en Angleterre et en Hollande dont les pays se trouvaient situés presque sur leur route, lorsqu’ils revenaient chez eux42. Ils y trouvaient la consommation bonne, mais aussi des négociants habiles qui surent bien se prévaloir de leur industrie, particulièrement en Hollande où les négociants et les magistrats par mille flatteries débauchèrent quelques capitaines et de ces pêcheurs baleiniers et plusieurs harponiers43, et les attirant à leur service, ils les engagèrent à naviguer sur leurs navires pour ces pêcheries, et à instruire par ce moyen les navigateurs de leur nation, dans la manière de faire cette pêcherie qu’ils ont parfaitement bien apprise pour la pratiquer seulement dans la mer glaciale. Ils poussèrent leur politique jusque à lever en publique des statues aux plus habiles de ces capitaines et harponiers Basques, afin de remplir leur vanité par des honneurs si excessifs et exciter l’émulation à ceux de leur nation, on voit encore à présent de ces statues habillées à la mode ancienne de nos Basques.

27 Les Hollandais ayant pris goût au lucre de cette pêcherie et à son utilité pour le public, formèrent des compagnies avec des attributs exclusifs aux autres nations pour faire des armements de pêche dans leurs états et autres privilèges qui les a rendus très puissants, et tels qu’on les voit à présent, outre cette vitalité particulière, il en a résulté des générales pour l’État44, bien plus grandes, et l’agilité, l’adresse, et la hardiesse qui leur a fallut pratiquer dans l’exercice de cette pêcherie, qui a donné aux matelots de cette nation ce degré d’habileté qu’ils ont à présent sur les autres nations qui leur étaient égaux et c’est cette même pêcherie qui a formé et qui forme actuellement chez eux cette prodigieuse quantité de matelots qui rendent cet État si puissant sur la mer45. Mais comme ils se trouvèrent bientôt en état de se passer des instructions des Basques à mesure que leur gens devenaient habiles dans cette pêcherie, il est enfin arrivé que n’ayant plus besoin d’eux, ils s’en passèrent absolument à présent.

28 Les Anglais se servirent à peu près des mêmes moyens pour s’instruire, mais l’avidité et leur génie actif firent les engager à traverser de tout leur pouvoir les Basques dans l’exercice de cette pêcherie.

29 On omet de dire ce qu’il reste de la relation de cette pêcherie qui éloigne insensiblement de la matière, de la découverte et de la possession de l’île de Terre-Neuve, sujet principal que l’on s’est proposé dans ces mémoires, auquel on revient en disant que les Basques ayant trouvé une abondance de baleines dans les mers glaciales plus que suffisante pour y occuper leurs pêcheurs, et y ayant transporté l’exercice de cette pêcherie, il ne leur resta sur les côtes et dans les ports de Terre-Neuve, que celle de la pêcherie et sécherie du Bacallao ou morue, qu’ils y ont toujours continué depuis qu’ils l’inventèrent jusqu’à présent dans tous les ports méridionaux et occidentaux de Terre-Neuve, sans que jamais les Anglais les en aient dépossédés comme ils ont fait des ports orientaux de la même île à mesure qu’ils les ont négligé.

30 La pêcherie des morues que les Français font en Terre-Neuve et sur le Banc, forme quantité des matelots et en occupe toutes les années plus de 10 00046. Elle ne consume que des denrées de France sans que l’étranger y contribue en rien, et rapporter outre les morues, huiles et raves nécessaires pour la consommation du royaume, des grosses parties de ces mêmes marchandises qui se débitent en Espagne, au Portugal, en Italie, et produisent des espèces et des denrées de ces pays qui les rapportent en France47.

31 La conservation de tous les ports méridionaux de Terre-Neuve, est d’une grosse importance pour la commodité de tout le commerce de l’Amérique et particulièrement pour la consommation des colonies du Canada et de l’Acadie, si la pêcherie des baleines qui présentement est interrompue se rétablit, elle formera quantité de matelots et en occupera à chaque saison plus de 4 000 : qui même auront peine à fournir à la consommation des huiles nécessaires en France, pour les apprêts des laines et de la pelleterie, et pour servir à éclairer dans les lampes48. On avait coutume d’en fournir l’Espagne dans les derniers temps d’où on rapportait des espèces49, sans que l’on y emploi que l’industrie des Basques (les matelots des autres ports de France n’ayant jamais pu atteindre à l’habileté que demande cette pêcherie) et seulement des denrées de France.

Preuves rapportées dans ce mémoire

32 L’île de Terre-Neuve a été premièrement Bacallaos, cette île est triangulaire, les trois caps qui forment cette figure ont des noms Basques, ou ourrougnousse50, nom d’un port occupé par les Anglais situé en la partie orientale de l’île. Le Cap de Bonneviste (Bonnavista), le Cap Saint-François et le Cap d’Espérance51. Ces trois caps sont les principaux de la côte orientale de l’île. De même que l’île de Baccallao, ils sont situés dans le continent qui est occupé par les Anglais. On en voit cette conséquence naturelle que ces noms n’étant pas anglais il ne peut être que ce soit eux qui les aient imposé, mais bien ceux qui les ont découvert et possédé avant eux. On en dit autant des trois caps qui forment le triangle de l’île de Terre-Neuve, et du nom d’ourrougnouse, entre les ports que les Français occupent sur les côtes de l’île de Terre-Neuve. Il n’y en a aucun qui ait à présent n’y qui ait jamais eu de nom imposé par les Anglais52.

33 Le nom qu’on a donné aux baleines de la mer glaciale que l’on nomme de Grand Baye, vient naturellement du nom de ceux qu’on avait donné à ceux du golfe de Saint-Laurent53, comme il a été dit dans le mémoire. On en retire cette conséquence très juste que la pêcherie de la baleine est faite dans le golfe de Saint-Laurent avant qu’elle se fit sur la mer glaciale, et n’y ayant point des pêcheurs de baleine dans le monde que les Basques avant que cette pêcherie se fit aux glaces, ils étaient donc seuls à la faire dans le golfe de Saint-Laurent. Colliger les temps, vous trouverez que la pêcherie de la baleine se faisait dans le golfe de Saint-Laurent avant qu’il y eut aucun établissement d’Anglais en Terre-Neuve, et il est évident qu’ils avaient découvert la terre neuve avant que d’avoir passé à ce golfe.

34 Il y a actuellement une langue franque composée de la Basque et de diverses langues des sauvages qui habitent les côtes de Terre-Neuve et du golfe de Saint-Laurent. On en prouve l’antiquité par les relations qu’ont faites de ces pays les premières personnes qui ont établi des colonies pour le roi, et par celles des missionnaires qui y furent envoyés les premiers54. Voyez entre autres les mémoires de M. Lasalle et ceux de son frère Cavelier. On en tire cette conséquence infaillible que les Basques avaient formé cette langue franque avec le naturel du pays55, avant que ces contrées fussent ni connues, ni fréquentées des autres nations.

35 Les Basques ont fait la pêcherie des baleines dans le golfe du Saint-Laurent. Ce fait ne peut point se révoquer en doute, puisque les vestiges paraissent encore sur les côtes occidentales de Terre-Neuve dans l’ère méridionale du Labrador et de Natiscoti56. Et que les sauvages qui en ont conservé la mémoire par tradition, en peuvent encore témoigner. Il n’est pas moins constant que les Basques ont cessé de faire cette pêcherie dans le golfe, dès le temps qu’ils découvrirent la mer glaciale. Par conséquent la pêcherie des baleines se faisait dans ce golfe avant qu’elle se fit dans la mer glaciale. Colliger encore le temps, et il se trouvera que c’est avant que les Anglais eussent fait des établissements en Amérique, et avant qu’ils pratiquassent la sécherie des morues.

Commentaire

36 Tel que mentionné dans l’introduction précédent la transcription du document, les auteurs ne bénéficièrent pas, selon leurs dires, d’archives adéquates leur permettant d’étayer des arguments mieux documentés. Il apparaît également probable qu’ils n’eurent pas recours à des cartes fiables pour mieux situer les lieux géographiquement. Mais il n’en demeure pas moins que dans le contexte, la précision géographique était secondaire à l’argument de la mémoire historique. Bien que l’historiographie de la présence basque au Canada atlantique pourrait questionner certains passages du document, il reste indéniable que l’essentiel des informations s’y trouvant représente des assises solides à notre connaissance des activités de pêche des Basques dans le golfe du Saint-Laurent du 16e au 18e siècle.

NICOLAS LANDRY

1 Jean-Pierre Proulx, La pêche de la baleine dans l’Atlantique Nord jusqu’au milieu du 19e siècle, Ottawa, Parcs Canada, 1986, p. 22. Quelques explorateurs se rendirent à Terre-Neuve à l’époque des Basques, dont Jean Cabot, Joao Fernandes, Gaspar Corte Real, Joao Alvares Fagundes et Estevao Gomez.

2 Raymonde Litalien, Les explorateurs de l’Amérique du Nord, 1492-1795, Sillery, Septentrion, 1993, p. 78-79.

3 Laurier Turgeon, « French Fishers, Fur Traders, and Amerindians during the Sixteenth Century: History and Archaeology », William & Mary Quarterly, 3e série, LV, 4 (octobre 1998), p. 594-595.

4 Ibid., p. 595.

5 Laurier Turgeon, « Colbert et la pêche française à Terre-Neuve », dans Roland Mousnier (dir.), Un nouveau Colbert, Paris V, Éditions SEDES, 1989, p. 258.

6 Turgeon, « French Fishers… », p. 590.

7 Turgeon, « Colbert et la pêche française… », p. 258.

8 J. Rousseau et G.W. Brown, « Les Indiens du Nord-Est de l’Amérique », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 1, 1996, p. 5-16.

9 Archives nationales du Canada, MG1, série C11C, Correspondance générale, Amérique du Nord, Terre-Neuve, vol. 7, fos 3-8.

10 Territoire situé dans le sud-ouest de la France, près de l’Espagne.

11 Situé au nord-est de l’Espagne.

12 Signifie « morue » en espagnol et désignait également l’île de Terre-Neuve pour les Basques, soit « l’île aux morues ». De manière plus précise, Tierra de Bacallaos pour désigner la péninsule d’Avalon, située dans le sud-est de Terre-Neuve. Selma Huxley Barkham, The Basque Coast of Newfoundland, Ottawa, Parcs Canada, 1989.

13 Pour un bon portrait des voyages des explorateurs, voir Litalien, Les explorateurs. . .

14 Les Hollandais sont les premiers à exploiter la baleine de manière aussi intensive aux 17e et 18e siècles. C’est cependant dès la fin du 16e siècle, vers 1596, qu’ils découvrent l’île du Spitsberg, fréquentée par un grand nombre de baleines. Mais leur véritable première expédition à cet endroit ne daterait que de 1612. Proulx, La pêche de la baleine. . ., p. 57.

15 Pour se lancer sur l’Atlantique, on disposait alors de quelques instruments pour s’orienter, tels le compas, la boussole, le sablier, le plomb à sonde, le nocturlabe, l’astrolabe et le gouvernail d’étambot. Également, l’émergence de la cartographie et de l’hydrographie vers 1548. La balestrille date du 15e siècle. Voir, entre autres sources, Litalien, Les explorateurs. . ., p. 25.

16 Bien que les premiers harpons découverts en territoire basque datent du paléolithique, les premiers documents témoignant véritablement de cette activité datent des 11e et 12e siècles. Mais on pense que la chasse sur les côtes pourrait remonter au 9e siècle. Le sommet de cette activité pour les Basques a lieu durant les 13e et 14e siècles. Proulx, La pêche de la baleine. . ., p. 17-18.

17 De là l’expression « naviguer au compas ». Le compas daterait de 1575 environ et est composé d’une aiguille aimantée placée sur un pivot et d’une rose des vents. Le cap de Finistère se trouve en Bretagne, à quelques kilomètres d’Audierne.

18 Les tours ou vigies servaient à repérer les baleines et étaient situées le long du littoral. Il en existait encore des vestiges au pays basque au début du 20e siècle. Les fours ou fondoirs servaient à fondre les lards ou gras de baleine. Des fouilles archéologiques permirent d’en retrouver à l’île aux Basques, à l’île du Havre (Mingan), à Red Bay, à la rivière Saint-Paul, à Blanc-Sablon, bref, à divers endroits au Labrador, sur la Côte-Nord au Québec et le long du fleuve Saint-Laurent. On installait de grands chaudrons de cuivre sur des rochers aptes à recevoir des feux. À ce sujet, voir Litalien, Les explorateurs. . ., p. 78-79; de même que Proulx, La pêche de la baleine…, p. 22; et Turgeon, « French Fishers… », p. 585.

19 Ce qui veut dire que l’on débarquait les outils et l’équipement nécessaires à la pêche à la morue séchée et salée dans des havres sur la côte est de Terre-Neuve. On construisait des cabanes pour que les pêcheurs y résident durant la pêche d’été, de même que des magasins pour le sel et des échafauds. On parle ici d’un petit quai pour recevoir la morue apportée par les chaloupes plusieurs fois par jour. Cette petite infrastructure comptait également une petite cabane où on effectuait le vidage de la morue avant qu’elle ne soit salée et étalée sur les graves pour sécher. Dans les cas où les graves ne comptaient pas de gros galets, on pouvait construire des vigneaux en bois et en branches. Il existe de nombreuses descriptions de ces infrastructures et du processus d’apprêtage de la morue qui s’y déroule de manière incessante du matin jusqu’au soir, tant que le beau temps le permet. Voir entre autres quelques classiques tels que les publications de Nicolas Denys, de Charles de la Morandière, de Harrold Innis et de B.A. Balcom.

20 « Scorbut » ou « escorbut », comme on l’écrivait à l’époque du Régime français. Maladie provoquée par l’absence ou l’insuffisance de vitamine C dans l’alimentation et caractérisée par divers troubles, notamment la perte des dents et l’infection des gencives. Ce sont surtout les premiers explorateurs qui en font une description dans leurs écrits, tels Cartier, Champlain et Lescarbot.

21 Situées en plein océan Atlantique, entre l’Europe et l’Amérique du Nord, ces îles s’étendent sur le parallèle de Lisbonne.

22 Il est difficile de dire si Colomb avait vraiment l’intention de pousser ses explorations plus au nord de l’Amérique. On sait que ses voyages de 1493 et de 1498 le menèrent aux Antilles puis dans le nord de l’Amérique du Sud. Litalien, Les explorateurs. . ., p. 24.

23 Maintenant Renews, à Terre-Neuve. Quant au bourg de France, il s’agit probablement d’Urrugne, près de Hendaye et de Saint-Jean-de-Luz.

24 Entre 1544 et 1764, la côte ouest de Terre-Neuve est associée presque exclusivement à la présence saisonnière des Basques espagnols et français. Dans les années 1580, la côte ouest compte de plus en plus de noms basques dans sa toponymie. Selma Huxley Barkham, « Between Cartier and Cook: The Contribution of Fishermen to the Early Toponomy of Western Newfoundland », dans Northern Seas Yearbook, St. John’s, Association for the History of the Northern Seas, 1999, p. 24.

25 Le nom « Plaisance » est dérivé de Placencia, en Espagne. À Terre-Neuve, cette communauté de pêche est située dans le sud-est de l’île. On y trouva des pierres tombales datant d’avant la fondation de la colonie française au milieu du 17e siècle. Cet endroit est la capitale française de Terre-Neuve de 1650 à 1713, soit au moment du traité d’Utrecht.

26 De 1642 à 1649.

27 Au début du 17e siècle, Ferryland est le poste anglais le plus imposant de Terre-Neuve. Sa fondation remonte à 1621, lorsque James Ier accorde une charte à sir George Calvert. D’autres postes gagnent en importance avec le temps, soit Caplin Bay, Carbonear, Bay de Verde et Old Perlican. Peter E. Pope, Fish into Wine: The Newfoundland Plantation in the Seventeenth Century, Chapel Hill, University of North Carolina Press, 2004, p. 4-6. Voir également Luca Codignola, The Coldest Harbour of the Land: Simon Stock and Lord Baltimore’s Colony in Newfoundland, 1621-1649, Montréal et Kingson, McGill-Queen’s University Press, 1988.

28 Situé à la pointe sud-ouest de Terre-Neuve; en basque : Cadarrai ou encore Cabo do Rei.

29 Trépas est devenu Trepassey, situé à la pointe sud-est de Terre-Neuve, alors que Cap de Raz est juste à côté, à la pointe sud-est de l’île.

30 Un bon nombre d’historiens s’intéressent à la présence des Basques dans le golfe du Saint-Laurent. Ce champ de recherche a dépassé la démarche de recherche archivistique et a également donné lieu à des travaux d’archéologie au Labrador et à l’île aux Basques. Entres autres ouvrages sur la question, voir René Bélanger, Les Basques dans l’estuaire du Saint-Laurent, 1535-1635, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 1971; James A. Tuck et Robert Grenier, Red Bay, Labrador: World Whaling Capital, A.D. 1550-1600, St. John’s, Atlantic Archeology, 1989; Jean-Pierre Proulx, Les Basques et la pêche de la baleine au Labrador au XVIe siècle, Ottawa, Service des parcs, Lieux historiques nationaux, 1993; Pierre Drouin, « Les baleiniers basques à l’île Nue de Mingan », Canadian Journal of Archaeology / Journal canadien d’archéologie, 12 (1988), p. 1-15; et Jacques Guimont, L’île Nue de Mingan : une station baleinière basque de la fin du XVIe siècle, Québec, 1995.

31 Port au Choix, sur le littoral nord-ouest de Terre-Neuve.

32 Situé à l’extrême nord de Terre-Neuve, près de Quirpon et de L’Anse aux Meadows. Amuyts peut être Amuix, un groupe de 11 îles situées entre la péninsule de Port au Choix et ce qui est maintenant la péninsule de Ferolle.

33 On fait fort probablement référence à des habitants blancs de la Nouvelle-France laurentienne.

34 On parle forcément de la période de paix qui suit la guerre d’Augsbourg et qui dure de 1697 à 1702, soit le début de la guerre de Succession d’Espagne qui, elle, dure de 1702 à 1713.

35 On veut vraisemblablement parler de l’île Nue de Mingan, de Blanc-Sablon, de l’île d’Anticosti et de l’île aux Basques, située en face de Trois-Pistoles.

36 Des Indiens d’Amérique du Nord sont conduits en Normandie par des pêcheurs revenant de Terre-Neuve au début du 16e siècle. Litalien, Les explorateurs. . ., p. 53. Tadoussac et Miscou, bien qu’à des époques différentes, représentent des exemples classiques des relations commerciales entretenues par les Basques avec les Amérindiens de l’est du Canada pendant les 16e et 17e siècles. Alors que les Basques allant à Tadoussac combinent la traite des fourrures avec la chasse à la baleine dans l’estuaire du Saint-Laurent, ceux se rendant à Miscou y pêchent la morue, principalement à l’époque où Nicolas Denys y maintient un établissement. Turgeon est toutefois d’avis que, dès la fin du 16e siècle, les sites micmacs des parties nord de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick sont visités régulièrement par les Basques. À la même époque, ils fréquentent aussi les Amérindiens à l’embouchure du Saguenay, qui les aident à dépecer les baleines et à en fondre les gras. Turgeon, « French Fishers… », p. 601, 608. Pour la présence des Basques dans le Saint-Laurent et leurs relations avec les Amérindiens, voir Laurier Turgeon, « Sur la piste des Basques : la redécouverte de notre XVIe siècle », Interface, 12, 5 (1991), p. 12-18; « Basque-Amerindian Trade in the Saint-Lawrence during the Sixteenth Century: New Documents, New Perspectives », Man in the Northeast, 40 (1990), p. 81-87; et « Vers une chronologie des occupations basques du Saint-Laurent, XVIe-XVIIIe siècle », Recherches amérindiennes au Québec, 24, 1 (1994), p. 3-15. Voir également Charles Martijn, « Ile aux Basques and the Prehistoric Iroquois Occupation of Southern Québec », Cahiers d’archéologie québécoise, Trois-Rivières (Qc), 1969, p. 59-73. Sur la question de la supposée langue franque en question, voir P. Bakker, « The Language of the Coast Tribes is Half Basque: A Basque-Amerindian Pidgin in Use between Europeans and Native Americans in North America, ca. 1540-ca. 1640 », Anthropological Linguistics, 31, 3-4 (1989), p. 117-147.

37 À ce sujet, voir les grands classiques du début du 17e siècle publiés par Champlain, Lescarbot, Nicolas Denys et les Relations des missionnaires.

38 Il s’agit sûrement du détroit de Belle Isle, entre Terre-Neuve et le Labrador. Sur cette question, voir Turk et Grenier, Red Bay, Labrador. . .

39 L’expression « mer glaciale » désigne sûrement un secteur entre le Labrador et Terre-Neuve ou encore plus au nord.

40 Chacune des lames cornées qui garnissent transversalement la bouche de certains cétacés, notamment la baleine.

41 Il faut reconstituer le parcours historique de cette activité pour en évaluer le processus de déclin. Selon Proulx, à la fin du 16e siècle, l’âge d’or de la pêche de la baleine au Labrador prend fin et le centre d’activité se déplace plus à l’ouest, dans le fleuve Saint-Laurent. Ainsi, en juin 1626, Champlain y rencontre encore des Basques allant pêcher la baleine à Sept-Îles. La pêche à la baleine dans cette région est alors dominée par les Basques français. Mais le retrait des Basques de la pêche à la baleine le long des côtes de l’Amérique s’amorce dès la fin du 16e siècle pour les Basques espagnols et au début du 17e siècle pour les Basques français, et ce, possiblement en raison de la ruée vers le Spitsberg. Selon Sanger, les Anglais embauchent six Basques pour les aider à établir une entreprise de pêche à la baleine au Spitsberg en 1611. Chesley W. Sanger, « The Origins and Development of Shore-Based Commercial Whaling at Spitsbergen during the 17th century: A Resource Utilization Assessment », The Northern Mariner / Le Marin du nord, XV, 3 (juillet 2005), p. 45. Cet article comporte une excellente recension des écrits sur la chasse à la baleine chez les nations européennes. Également, de 1598 à 1627, les Basques se heurtent aux compagnies détentrices de monopole du commerce dans le fleuve et dans l’estuaire du Saint-Laurent. Proulx, La pêche de la baleine. . ., p. 247. La pêche à la morue pourrait être une autre cause du retrait des Basques de la pêche à la baleine en Amérique du Nord. À bien des points de vue, la morue est plus profitable que la baleine, notamment parce que sa chair est consommée par les populations européennes et qu’on en tire aussi de l’huile. Qui plus est, la pêche à la morue représente un investissement relativement sûr et lucratif. Elle n’exige pas une mise de fonds très importante, et les armateurs français disposent de sel en abondance et de tous les produits nécessaires à l’avitaillement. Turgeon, « Colbert et la pêche française... », p. 260.

42 Les Basques établirent même des consulats en Hollande, au Danemark et en Angleterre pour favoriser la vente de l’huile et des fanons de baleine qu’ils produisaient. Il ne fait aucun doute que les Hollandais, comme les Anglais, employaient des spécialistes basques pour diriger les principales opérations de pêche à la baleine durant les 16e et 17e siècles. Proulx, La pêche de la baleine. . ., p. 57-62.

43 Le terme juste est « harponneur ».

44 Des avantages, des profits pour l’État.

45 En ce qui a trait à l’intérêt hollandais pour la baleine, disons que, durant les années 1680, la flotte hollandaise constitue 70 % de la flotte mondiale des baleiniers. À cette époque, les Basques et les Anglais ont déjà pour ainsi dire abandonné cette pêche. Proulx, La pêche de la baleine…, p. 57-62. Dans la deuxième moitié du 17e siècle, la flotte des baleiniers hollandais varie entre 150 et 250 unités. Turgeon, « Colbert et la pêche française. . . », p. 259.

46 Ce chiffre revient de manière constante dans l’historiographie canadienne lorsqu’on cherche à mesurer le nombre de pêcheurs français et basques venus pêcher dans les parages de Terre-Neuve à l’époque.

47 Le terme « débiter » veut dire « qui s’écoule » sur les marchés de ces pays. La morue est alors un des principaux produits du commerce des ports du Ponant avec l’Europe du Sud. Nantes et La Rochelle écoulaient une partie de leur production au Portugal et en Espagne. Bayonne et Saint-Jean-de-Luz commercialisaient la plupart de leur poisson dans les provinces voisines, l’Aragon, le Guipuzcoa et la Biscaye. Les revenus de ce commerce se concrétisaient le plus souvent en espèces sonnantes d’argent. Turgeon, « Colbert et la pêche française... », p. 259.

48 Le terme actuel est « apprêts », soit l’action d’apprêter, de préparer.

49 Monnaie métallique.

50 Le document ne donne pas l’équivalent basque pour Renews ou les autres noms mentionnés dans cette phrase. Renews est bel et bien occupé par les Anglais dès le début du 18e siècle et peut-être même avant.

51 Bonneviste est dans l’extrême est de Terre-Neuve. Quant au Cap Saint-François, il est maintenant Cape St-Francis et est à la pointe nord de la Péninsule d’Avalon, au sud-est de l’île.

52 En réalité, il faudrait que ces caps soient situés aux trois extrémités du soi-disant triangle que forme l’île de Terre-Neuve. Mais les caps nommés ne sont pas vraiment situés l’un à l’extrême nord, l’autre à l’extrême ouest et le troisième à l’extrême est de l’île. En réalité, ils sont tous sur la côte est de l’île où, comme on le mentionne dans le texte, ils sont les principaux ports de la côte orientale de l’île.

53 Pour mieux saisir la signification de cette phrase, on pourrait plutôt utiliser la formule suivante : Le nom Granbayaco Baleac que les Basques ont donné aux baleines de la mer glaciale vient naturellement du nom qu’ils avaient donné à celles du golfe du Saint-Laurent.

54 Ici encore, la lecture est simplifiée en utilisant la formule suivante : On en prouve l’antiquité par les descriptions de ces pays faites par les premières personnes qui y ont établi des colonies pour le roi, et par celles des premiers missionnaires qui y furent envoyés.

55 Les premiers habitants amérindiens.

56 Anticosti.