Les nouveaux historiens de l’Acadie

Julien Massicotte
Université Laval

1 SI, COMME TOUT LE MONDE SAIT, la mémoire est une faculté qui oublie, c’est qu’elle est sélective. La mémoire n’est pas impartiale. L’histoire se caractérise par la pluralité des regards que l’on porte sur elle. C’est ainsi que les historiographies se modifient et évoluent au gré des contextes socio-historiques. Tout comme l’historiographie québécoise, qui a fait l’objet récemment d’un débat vigoureux, notamment grâce aux travaux de Ronald Rudin1, l’historiographie acadienne ne fait pas exception.

2 Depuis 20 ans, en Acadie, une nouvelle manière de pratiquer l’histoire et de concevoir le passé a pris forme. Visible d’abord dans de simples articles, dans des thèses et des mémoires académiques, elle a finalement donné lieu à la rédaction d’importants ouvrages, collectifs ou individuels. Outre qu’ils appartiennent à une même génération, les historiens qui pratiquent cette nouvelle manière de concevoir et d’écrire l’histoire partagent une sensibilité historique particulière, un intérêt pour certains thèmes et un paradigme général, l’histoire sociale. Ces historiens travaillent pour la plupart au sein des trois campus de l’Université de Moncton et sont réunis autour du Groupe de recherche en histoire économique et sociale de l’Université de Moncton (GRHESUM).

3 Si ce groupe de recherche mérite que l’on s’y attarde, c’est que, outre la qualité de ses travaux, il se démarque nettement de la génération précédente (qui, par ailleurs, est encore présente dans le monde académique acadien) de deux manières : a) en étant porteur de différents projets historiographiques; et b) en tentant de voir à l’œuvre dans le passé acadien des aspects et des facteurs de changements qui jusque-là étaient demeurés dans l’ombre.

4 Il ne sera pas question dans une aussi courte étude de faire une recension de tous les textes écrits par cette cohorte d’historiens. Il s’agit seulement ici d’essayer d’extraire de leurs textes les plus importants les lignes directrices de leur « programme », les enjeux dont ils débattent, les critiques qu’ils adressent à d’autres historiens et les nouveaux éclairages qu’ils posent sur le passé acadien.

5 Cet essai sera divisé en trois sections. La première tentera de voir en quoi cette nouvelle génération d’historiens acadiens se distingue de la précédente. La seconde se centrera davantage sur les aspects novateurs de la nouvelle démarche, ainsi que sur ses limites et ses oublis. La dernière partie cherchera à voir où se situe cette nouvelle génération d’historiens par rapport aux débats historiographiques québécois et canadiens.

1. Conflits de générations

6 Les décennies 60 et 70 furent, en Acadie comme ailleurs, mais en Acadie particulièrement, marquées par une politisation des débats publics. L’accession au pouvoir de l’Acadien Louis Robichaud représente un des événements majeurs qui annoncent cette nouvelle période de l’histoire acadienne. L’esprit critique et contestataire de la jeunesse fut accompagné dans les années 70 par les mouvements artistiques. La décennie 70 marque aussi la fondation du Parti acadien (en 1972), dont l’ambition centrale était l’accession à l’autonomie provinciale de l’Acadie du Nouveau-Brunswick. Bref, cette période est témoin de différents mouvements critiques qui débouchent souvent sur des réformes politiques et qui ne sont pas sans effet sur la façon dont les historiens et les praticiens des sciences sociales de l’époque écriront l’histoire.

7 L’histoire qui se fait influe sur l’écriture de l’histoire qui fut. Plusieurs commentateurs ont reconnu le fait que l’historien s’inscrit dans une culture et participe aux luttes qui agitent la société plus large.Puisqu’une version particulière de l’histoire sous-tend le sens qu’ont les Acadiens d’aujourd’hui de leur propre valeur, toute remise en question de cette lecture de l’histoire doit être particulièrement méticuleuse. C’est une remise en question d’une idée fondamentale sur la nature de l’Acadien que de laisser entendre que la vie acadienne au dix-septième siècle était plus que celle d’un groupe de paysans français transplantés. Faire observer que les Acadiens ont joué un rôle actif dans la politique qui a conduit à la déportation de 1755, c’est remettre en question une croyance en l’innocence des Acadiens, croyance qui nourrit, depuis près de deux siècles, le sens de leur identité2.

1.1 Une nouvelle orientation pour les historiens acadiens

8 Les historiens acadiens des années 70 ont tenté de dépasser les limites épistémologiques et méthodologiques de leurs prédécesseurs. Ces historiens ont écrit quelques textes appelant à un renouvellement de l’historiographie acadienne. Les grands thèmes que ces historiens ont explorés, soit les enjeux politiques, les idéologies et la nation, découlent d’une conception nouvelle de l’histoire3.

9 Sans être uniforme ni monolithique, la critique que ces historiens adressent à leurs prédécesseurs (porteurs, disent-ils, d’un nationalisme traditionnel) sert de fondation à leur volonté d’écrire une autre histoire de l’Acadie. Cette génération d’historiens, composée en majorité de néo-nationalistes (mais pas seulement), a produit d’importants ouvrages, notamment le collectif Les Acadiens des Maritimes, Les Acadiens, les livres de Michel Roy, De Grand-Pré à Kouchibougouac, de Régis Brun, et le plus important de tous, sans doute (ou du moins celui qui fut le plus discuté, avec L’Acadie perdue), le livre de Thériault, La question du pouvoir en Acadie4. Cet ouvrage résume et clôt en quelque sorte une période de l’historiographie acadienne.

10 La critique historiographique de cette génération fut inaugurée par ce même Thériault par un article paru en 1973 dans la Revue de l’Université de Moncton et s’intitulant « Pour une nouvelle orientation de l’histoire acadienne »5. Comment était orientée l’histoire acadienne à cette époque? Pourquoi fallait-il changer son orientation? Thériault trace dans son article les grandes lignes de cette historiographie : un intérêt quasi exclusif pour la période française, une écriture de l’histoire faite par des historiens non professionnels, et souvent par des étrangers (Rameau, Casgrain, Bernard, etc.), une histoire essentiellement politique et biographique, etc. En fait, selon Thériault, l’influence de l’historiographie acadienne du 19e siècle aurait été telle qu’elle se serait fait sentir encore de toute sa force au début des années 1970. Certes, depuis 100 ans, des progrès avaient eu lieu : le phénomène religieux, la culture, la presse, les idéologies étaient maintenant mieux compris, grâce à des études d’une certaine qualité. Mais, par malheur, ajoutait Thériault, les historiens s’étaient surtout concentrés sur la forme au détriment du fond. « La plus grande lacune se trouve probablement dans l’absence d’une interprétation globale. Il faut dépasser le stage de l’événementiel pour enfin expliquer d’une façon intelligible ce qui s’est passé6. » Pour ce faire, il fallait, toujours selon l’auteur, changer l’orientation de l’historiographie « traditionnelle ».

11 Thériault résume, vers la fin de son article, les cinq grands thèmes orientant cette version de l’histoire acadienne. Il s’agit d’une historiographie qui, en gros, s’attarde principalement aux phénomènes politico-religieux; qui fait de l’Acadie une nation providentielle, triomphante de l’adversité; qui donne un portrait monolithique du passé acadien, niant toute diversité; qui présente un certain impérialisme idéologique (selon lequel tout Acadien doit descendre généalogiquement des colons de 1755); et, enfin, qui démontre une certaine tendance à n’accorder d’attention qu’à l’événementiel, aux faits bruts, sans tenter de comprendre le sens des événements passés, ni leur fonctionnement, ni leur évolution dans le temps.

12 Contre une telle manière de concevoir l’histoire, Thériault propose quelques nouveaux champs et quelques nouvelles approches. Aborder des thèmes inédits, amener des hypothèses originales, observer d’anciens objets d’étude sous un éclairage neuf, tout cela, affirme-t-il, permettrait de saisir le passé acadien par une vue d’ensemble cohérente. Aussi faut-il revoir l’Acadie du passé au-delà du monolithisme longtemps privilégié, en tenant compte de son pluralisme : l’étude des minorités, des particularismes régionaux, l’intégration de l’histoire acadienne dans l’ensemble de la réalité sociale, économique et politique des Maritimes. Une lutte contre la notion de martyr qu’entretiennent certains historiens est aussi nécessaire, tout comme l’est une plus grande publication et diffusion des travaux à saveur historique. « Arrêtons de faire l’histoire de l’Acadie, demande Thériault à la toute fin de son texte, et commençons celle des Acadiens7. » Cet appel, on le verra, eut beaucoup d’échos…

13 Si le texte de Thériault possède une certaine valeur, c’est entre autres parce qu’il est fondateur d’un mouvement critique interne à l’historiographie acadienne, poursuivi par d’autres historiens, dont plusieurs en reprendront d’ailleurs les points essentiels. (La culture savante acadienne n’est pas seule dans son tournant critique; en même temps, la communauté historienne anglophone des Maritimes fonde une nouvelle revue d’histoire, Acadiensis8, et, plus généralement, les sciences sociales connaissent leur tournant critique, avec notamment les travaux des sociologues Alain Even et Jean-Paul Hautecœur.) D’autres historiens ont contribué à l’effort critique de Thériault : Pierre Trépanier, Naomi Griffiths et Michel Roy.

14 Dans un court article rédigé au début des années 80, l’historienne Naomi Griffiths pose elle aussi les jalons d’une orientation nouvelle de l’historiographie acadienne. Elle s’élève contre l’utilisation du traumatisme de 1755 comme deus ex machina de l’histoire acadienne et le portrait de l’Acadien en paysan traditionnel. Cette typification du passé acadien, populaire de Haliburton en 1829 à Rumilly en 1955, cette fixation sur le mythe de 1755 aurait empêché de percevoir le passé acadien dans toute sa complexité et sa pluralité. Comme antidote, Griffiths propose le recours aux méthodes et perspectives qui ont fait la notoriété de l’École des Annales, qui contre le mythe permettent de montrer le passé acadien dans sa complexité et sa pluralité9.

15 Selon Griffiths, il faut inscrire les travaux d’Andrew Hill Clark, de John Bartlet Brebner et de Jean Daigle dans cette perspective; ces auteurs montrent un passé acadien plus complexe et nuancé10. L’auteure note par ailleurs que bien qu’il soit nécessaire de réviser certaines thèses admises concernant l’histoire acadienne et de procéder à partir de nouvelles sources, d’une documentation plus riche, l’historien ne doit pas se refuser à l’interprétation. L’orientation de l’historiographie acadienne prônée par Griffiths, en substance, s’incarne dans une histoire sociale axée sur la diversité du passé acadien. Il serait intéressant, écrit-elle, de revisiter le passé en examinant quels étaient par exemple les rapports entre les Acadiens et les Amérindiens, d’étudier davantage le système de parenté, de mettre en parallèle le passé acadien avec celui des Loyalistes, Irlandais et Écossais.

16 L’unidimensionnalité de la perspective des historiens traditionalistes est aussi dénoncée par Pierre Trépanier, particulièrement dans le champ de l’histoire religieuse acadienne (que Trépanier lui-même a poussé plus avant par quelques textes importants). Pour Trépanier, si « l’histoire religieuse reste à écrire », c’est dû à la perspective de ceux (nombreux) qui en ont parlé : « Des auteurs comme Antoine Bernard ont réduit presque tout le passé acadien à sa dimension non pas même religieuse mais cléricale. Ils avaient tort11. » Les insuffisances de l’historiographie religieuse acadienne, davantage portée par la description que la compréhension ou encore l’interprétation, doivent être parées par un double souci de l’historien des religions : celui de s’attarder à la dimension économique et matérielle du phénomène religieux, et celui de saisir le sens général de la pratique religieuse, non seulement pour les élites cléricales, mais aussi pour l’ensemble de la population pratiquante. Prendre l’histoire religieuse acadienne par les deux bouts, c’est non seulement enrichir une vision du passé religieux passablement anémique, mais c’est aussi, sinon davantage, rétablir (c’est une tentative, du moins) l’histoire religieuse dans le cadre d’une vision plus globale du passé, lui redonner une certaine pertinence.

17 Cet appel en faveur d’une historiographie du religieux s’inscrit dans une critique plus large de la discipline12, une critique portée autant vers l’ancienne historiographie, condamnée soit pour sa trop grande dépendance envers l’idéologie hégémonique cléricale, soit pour sa trop grande dépendance face aux historiens étrangers, que vers l’historiographie contemporaine : le faible nombre d’historiens, la petitesse du Département d’histoire à l’Université de Moncton, le peu de ressources disponibles pour la recherche, les demandes nombreuses venant de l’extérieur, etc. La critique ne s’arrête pas là. Par exemple, Trépanier éreinte le collectif dirigé par Jean Daigle (Les Acadiens des Maritimes), dont il déplore le caractère hybride, éclaté, et l’absence d’études socioéconomiques (ou leur caractère très lacunaire, lorsqu’il y en a). Si la période récente (19e et 20e siècles) y est bien couverte, selon lui, par Léon Thériault et son utilisation de l’histoire sociale, d’autres textes s’appuient sur des données désuètes et proposent des analyses simplistes. Trépanier félicite par contre la grande attention que l’ouvrage porte à l’histoire culturelle (en cela, le commentaire est conforme à celui résumé plus haut concernant l’histoire religieuse). On sent une certaine sympathie pour ce genre d’études. Bref, pour Trépanier, il est non seulement souhaitable mais nécessaire pour la communauté historienne acadienne de s’orienter vers une étude socioéconomique du passé acadien, tout autant que d’accorder une vigilance soutenue à l’étude culturelle de celui-ci. C’est dans cette perspective que Trépanier prône un renouveau dans les études religieuses, alliant le versant matériel et le versant culturel.

18 Le marxisme et le nationalisme, comme ailleurs, étaient en vogue en Acadie durant la décennie 70. L’un des auteurs s’étant servi de semblables perspectives pour étayer sa critique de l’historiographie acadienne est Michel Roy, dont l’ouvrage L’Acadie perdue se veut une critique sans concessions des élites traditionnelles. Il faut mentionner d’entrée de jeu que l’ouvrage en question prend davantage la forme du témoignage que de la critique épistémologique telle que pratiquée dans les milieux savants. C’est la conjoncture acadienne contemporaine qu’il aborde dans son ouvrage; il en découle que l’auteur voit dans les lectures du passé acadien une importance identitaire d’un tel poids qu’elles affectent le présent. Roy ne propose pas de nouvelles orientations pour l’historiographie acadienne; l’essai est essentiellement politique et par ce fait propose des solutions politiques. Ce qui ne l’empêche pas, au passage, d’écorcher à la fois les historiens du passé et ceux du présent.

19 On pourrait voir deux points importants dans la critique que Roy adresse aux historiens : une trop grande dépendance envers les points de vue extérieurs à l’Acadie sur son passé, ce qui a comme effet la projection sur l’histoire de cette communauté d’intérêts et d’enjeux qui lui sont en partie étrangers (vues de la France, du Québec ou encore de la communauté anglophone du Nouveau-Brunswick); un lien trop étroit, qui a longtemps associé l’écriture de l’histoire à l’idéologie dominante des élites, le nationalisme. Le clergé est particulièrement visé par les commentaires de Roy. Il aura pour Roy non pas contribué à ce que d’aucuns ont nommé la « Renaissance acadienne », mais plutôt participé à la colonisation du peuple acadien par la promotion d’un esprit d’isolement et de résistance à la modernité.

20 Que retenir de ce survol des différentes positions mises de l’avant par les différents protagonistes de ce débat? Il semble qu’il soit possible de regrouper les auteurs autour de quelques critiques communes et de pistes à suivre. On dénote d’abord chez tous ces auteurs le rejet des liens avec l’idéologie nationaliste, dans sa version « traditionaliste », du moins, et la perpétuation d’une image idéelle, pour ne pas dire mythique, de l’Acadie. Idéologie et mythe se confondaient trop souvent avec savoir historique. Le manque de profondeur est aussi souvent décrié. Ce manque de profondeur est illustré par l’absence d’histoire sociale; aux dires des commentateurs, la presque totalité de l’historiographie traditionaliste acadienne tomberait dans le champ de l’histoire politique, militaire et religieuse, où les notions de culture et de nation ont beaucoup trop d’importance. Avec pour résultat une interprétation monolithique du passé, puisque ce sont toujours les mêmes phénomènes qui sont analysés, selon un angle semblable, toujours en accord d’ailleurs avec mythes et idéologies.

21 Les historiens-critiques offrent quelques propositions pour sortir de cette impasse interprétative. Devant le manque de profondeur de l’histoire écrite par leurs prédécesseurs, les commentateurs réclament, presque à l’unisson, l’introduction des méthodes propres à l’histoire sociale. Il faut davantage, nous disent ces auteurs, s’attarder aux différentes facettes du passé, à commencer par les minorités, les régions, la culture populaire, les interactions entre Acadiens et autres communautés de culture, si l’on veut arriver à une compréhension plus juste du passé acadien. Il ne faut cependant pas abandonner les recherches sur l’histoire politique, la religion ou la culture, mais plutôt coordonner le tout dans un nouvel effort de synthèse. Pour contrer le monolithisme, il faudra aussi oser avancer ou formuler de nouvelles hypothèses et interprétations, interroger le passé différemment. L’effort de distance face aux idéologies et aux mythes acadiens devra être plus grand que par le passé. Une recherche documentaire plus grande devra être effectuée, de nouveaux faits pris en considération.

22 À ce sujet, les voix sont nombreuses à souhaiter un plus grand soutien institutionnel à la recherche en histoire, de la part de l’Université de Moncton, pour l’encadrement du Département d’histoire, notamment, ainsi que la création de centres de recherche (ce qui sera fait, notamment avec la création du Centre d’études acadiennes). De plus, et c’est un point central, surtout par comparaison avec l’école d’historiens qui suivra, le poids politique de l’histoire au sein de la communauté acadienne est fortement souligné; le rôle de l’historien est souvent complice de celui de l’engagement du citoyen dans les débats de la cité. Les œuvres d’un Thériault, d’un Brun ou d’un Roy sont à cet égard significatives.

1.2 Un nouveau portrait du passé acadien?

23 Après ce survol des critiques adressées à l’historiographie traditionaliste acadienne, il importe de dégager comment les perspectives caractéristiques de la nouvelle génération d’auteurs se distinguent de cette historiographie, et dans quelle mesure ces auteurs sont (ou non) fidèles à leurs propres paramètres. Cette génération aura-t-elle réussi son pari de dépasser les vieilles antiennes de l’écriture du passé acadien?

24 À la période de contestations et d’appels aux changements des années 1970, suit une période marquée par la parution de quelques ouvrages importants qui s’ingénient à lire le passé acadien sous un angle nouveau. Entre plusieurs, il faut mentionner les efforts de Jean Daigle et de Léon Thériault, qui tous deux ont rédigé une synthèse d’histoire de l’Acadie.

25 Daigle, directeur d’un ouvrage collectif, précise d’entrée de jeu son intention et celle de ses collaborateurs : « Chaque génération doit interpréter son passé à la lumière de nouvelles découvertes, afin de mieux se connaître et faire des choix intelligents pour l’avenir.13» Le portrait tracé par Daigle est centré essentiellement sur les dirigeants, les enjeux militaires, la colonisation et le développement économique, et le soutien de la métropole. Certes, l’auteur s’attarde au passage à expliquer les méthodes d’endiguement ou la condition paysanne de l’époque, mais ce sont là des intermèdes entre les principaux faits saillants de la politique. Il est aussi question dans son texte, à quelques reprises, de la place de l’Église dans l’Acadie du 18e siècle. Les événements précédant la déportation sont détaillés, tout comme 1755.

26 Le texte de Thériault prend la suite, de 1763 à 1978. Il s’intéresse à l’évolution historique des institutions qui, de locales au départ, en viennent à avoir une plus large portée collective. Si Thériault est attentif au retour des Acadiens après la déportation, c’est véritablement les efforts des Acadiens d’institutionnaliser leur vie collective qui deviennent le fil d’Ariane de son texte, et c’est pourquoi il analyse l’Église, l’éducation, le droit, etc. La vie économique des Acadiens est aussi étudiée, tout comme l’agriculture et les habitudes de vie. On voit émerger au milieu du 19e siècle une conscience collective acadienne (portrait de la communauté dans une narration historique [celle de Rameau surtout, mais aussi d’historiens anglophones comme Haliburton et Murdoch], mise en image littéraire du passé [Évangéline, Jacques et Marie], mise en place d’un journal et d’établissements d’enseignement supérieur, etc.). L’auteur prend soin de replacer cette prise de conscience collective dans le contexte plus large de la Confédération canadienne. La construction identitaire se prolonge et culmine par des événements comme l’affaire Louis Mailloux, la crise des écoles des années 1870 et, surtout, la première convention nationale acadienne en 1881. L’auteur s’attache à comprendre l’importance symbolique et identitaire de cette convention pour la collectivité acadienne. Constatant l’essoufflement du nationalisme dans les premières décennies du 20e siècle, Thériault s’attarde (principalement mais non exclusivement) à la place de la politique durant cette période, et c’est sur cette question qu’il clôt son texte, les années 1960 étant selon lui la période par excellence de la politique dans l’histoire acadienne.

27 Les deux précédents textes, quoiqu’ils aient intégré, chacun à leur manière, quelques aspects des critiques faites par les historiens des années 70, s’efforcent toujours de résumer l’histoire acadienne en tenant compte de données socioéconomiques, certes, mais en accordant aussi une bonne part d’attention au culturel. Ces études découlent de la volonté de l’historien de moderniser le discours et la forme de sa discipline, davantage que de la volonté de l’intellectuel de s’engager dans les débats de sa collectivité, en contraste avec d’autres livres importants de cette période, comme ceux de Régis Brun, Michel Roy et Léon Thériault. Si ces derniers ont tenu compte des critiques adressées (souvent formulées par eux-mêmes) aux discours historiographiques acadiens, ils ont aussi affiché le souci, lorsqu’ils font œuvre d’historiens, d’être au service de l’idéal politique censément nécessaire à l’épanouissement de leur communauté. Ils tâchent d’allier à la tâche de l’historien celle de l’intellectuel.

28 À maints égards, le petit ouvrage synthèse de Régis Brun, De Grand-Pré à Kouchibougouac, est représentatif d’une tendance plus critique de l’historiographie acadienne de l’époque, inspirée par certains postulats de l’histoire sociale. Si Brun n’hésite pas à illustrer ses propos et interprétations par des statistiques démographiques, ou bien par le dénombrement de possessions matérielles, son effort de synthèse se démarque davantage par son franc parti pris pour les classes et la culture populaires. Le sous-titre de son opuscule est parlant : L’histoire d’un peuple exploité. L’auteur, s’inspirant lâchement du marxisme, ou des mouvements de décolonisation, s’attarde souvent aux conditions de vie et à l’expérience quotidienne; la culture matérielle est longuement décrite. S’il s’intéresse aux idéologies, c’est pour mieux en dénoncer les contraintes et l’aliénation. La mise en forme de cette histoire de l’Acadie relativise l’importance de la période pré-1755 et donne une place importante aux interactions des Acadiens avec les Autochtones. S’en dégage un portrait peu conventionnel de l’Acadien, du moins en comparaison de l’image traditionaliste du paysan « docile ».L’individualisme, l’esprit d’indépendance et l’insubordination sont les caractéristiques dominantes de la mentalité acadienne d’alors. Dès 1686 et après, l’administration coloniale française et anglaise accusa les Acadiens d’être trop indépendants et d’avoir des attitudes républicaines – un siècle avant que ce slogan soit mis à la mode lors des Révolutions américaine et française – et de ne reconnaître aucune autorité royale ou judiciaire14.

29 L’auteur porte un intérêt marqué à la période de reconstruction, que Léon Thériault a nommée « l’enracinement dans le silence » (fin du 18e jusqu’au milieu du 19e siècle), et qu’il considère, quant à lui, comme le véritable moment de prise de conscience collective. La période allant de la Renaissance acadienne jusqu’aux années 1960 est perçue par Brun comme ayant été « cent ans d’obscurantisme ». En fait, selon l’auteur, la première moitié du 19e siècle aurait été le lieu d’émergence en Acadie d’un nationalisme populaire, marqué par des conflits avec les communautés et le pouvoir anglophones, guidé par des enseignants de mieux en mieux organisés, et trahi par la suite par l’élite cléricale. De plus, la période qui suit, celle de la Confédération canadienne et de l’arrivée en Acadie du chemin de fer, se traduit par beaucoup de misère pour le peuple acadien – misère qui se prolongera jusqu’à la période de modernisation des années 1960.

30 L’interprétation critique du passé telle qu’on l’a retrouvée dans l’œuvre de Michel Roy, on l’a dit déjà, a marqué son époque, un peu à l’instar de celle de Brun. L’auteur part de l’idée – qui devient vite une obsession – que nous avons été trompés à propos de l’Acadie, qu’on nous a menti, que l’Acadie n’est pas ce qu’on en dit, que ses héros sont en réalité des imposteurs qui ont profité de notre naïveté pour nous assujettir, que la perspective d’une renaissance acadienne est sans fondement puisqu’elle repose sur la fragilité du mensonge, du mythe, de l’illusion, d’une conception erronée de l’histoire15.

31 Pourtant, Roy semble entretenir lui aussi son propre mythe, celui de l’Acadie française. C’est qu’à l’époque de la colonisation, selon Roy, les Acadiens possédaient un territoire leur appartenant en propre. « Entre l’Acadien de 1670 et moi il y a […] une différence fondamentale : lui il avait un espace vital où planter son devenir, élaborer ses rêves, chanter sa vie. Moi, non. L’Acadie est perdue. Je n’ai que la mémoire. Eux ils avaient l’espace. Nous le rêve. Et parfois un tressaillement obscur, comme celui que font les êtres chers à jamais perdus16. » Dans L’Acadie perdue et L’Acadie des origines à nos jours (mais plus spécifiquement dans ce dernier ouvrage), Roy se penche à la fois sur le contexte politique et militaire, les idéologies, les mœurs et coutumes populaires, le développement économique et social, l’histoire religieuse, la culture matérielle des Acadiens, les Amérindiens, etc. On pourrait croire que le portrait que donne Roy du passé acadien est complet, mais son franc parti pris pour le peuple et son mépris des élites, ainsi que les jugements à l’emporte-pièce qui en découlent à l’occasion, rendent partiale son étude. Représentatif de la pensée d’une bonne frange des néo-nationalistes de son époque, Roy est sympathique, advenant l’indépendance du Québec, à la formation d’une alliance entre le nouvel État et l’Acadie.

32 En dépit de perspectives parfois divergentes, le regard posé sur le passé acadien par la cohorte d’historiens-critiques est relativement uni autour de quelques éléments communs. Thériault partage sa tâche d’historien, vouée à la recherche toujours renouvelée d’une compréhension adéquate du passé, avec celle de l’intellectuel engagé. Ses analyses s’engagent dans la voie du témoignage critique. La méditation politique de Thériault débute par cette constatation, en 1971 :Jamais l’Acadie (ou la francophonie des provinces maritimes) ne s’est donnée autant d’institutions culturelles propres à sauvegarder son identité, mais jamais également ne s’est-elle sentie aussi étrangère aux grands mouvements de la pensée canadienne-française (ou québécoise). Jamais aussi l’Acadie n’a connu autant de dynamisme culturel, mais jamais également n’a-t-elle connu un aussi grand vide quant à la définition de son identité, l’identification de ses problèmes et de ses objectifs17.

33 Ce vide, il faut le combler, affirmera l’auteur, par un large questionnement politique. La suite de l’analyse politique de Thériault tourne autour de plusieurs thèmes, dont l’égalité entre les communautés linguistiques, les rapports au politique qu’ont entretenus historiquement les Acadiens, la figure de l’Anglais et sa place dans l’identité (victime) acadienne, l’essor au 19e siècle d’une identité acadienne distincte du reste du Canada français, la quête d’un projet autonomiste pour l’Acadie, ainsi que la place qu’occupe l’Acadie au sein des conjonctures politiques canadienne et québécoise (Thériault manifeste, à l’instar de Roy, une certaine sympathie pour le projet souverainiste québécois), le statut de minoritaires des Acadiens conjugué avec le danger de l’assimilation, etc. La question du territoire est d’une importance particulière pour Thériault, puisque que le projet d’une politique autonomiste acadienne ne peut s’accomplir sans la résoudre. En outre, à l’encontre d’une définition identitaire généalogique de l’acadianité, Thériault en propose une conception plus ouverte, davantage tournée vers des liens culturels et politiques18.

34 Nombreux sont ceux qui ont critiqué La question du pouvoir en Acadie, de Thériault. On a surtout discuté la lecture du passé qu’il présente dans cette œuvre19. Pourtant, on oublie de souligner la grande lucidité avec laquelle Thériault, malgré les éléments néonationalistes qui biaisent son analyse, explique et comprend la situation acadienne contemporaine. Que l’on dépouille l’ouvrage de tout l’appareillage nationaliste (ce que malheureusement peu ont fait), on trouvera une clarté d’analyse et une manière de poser la question acadienne qui est, de loin, la plus structurée et la mieux charpentée de sa génération (exception faite de Hautecœur qui, par convention et appartenance institutionnelle plus que par méthode, appartient au champ de la sociologie).

1.3 La critique faite par la nouvelle vague d’historiens acadiens

35 Au mitan des années 80 arrive une nouvelle génération de jeunes historiens, pressée de se démarquer de ses prédécesseurs. Le rapport que ces nouveaux historiens entretiennent avec leurs « maîtres » est ambigu. Ils reprennent en partie à leur compte leurs critiques, tout en soulignant à quel point leur tentative de dépasser l’historiographie traditionaliste est demeurée en deçà de leurs attentes; mais ils vont plus loin, et leurs travaux ne peuvent être simplement compris comme le prolongement critique des intentions de la génération précédente. Ils insisteront ainsi davantage sur l’importance d’une histoire sociale et refuseront de s’intéresser autant que leurs prédécesseurs à l’histoire religieuse, politique et culturelle.

36 Une première critique importante formulée par cette nouvelle cohorte d’historiens concerne la faiblesse de la diffusion du savoir historien en Acadie. On l’aura remarqué, cette critique avait déjà été adressée par les historiens-critiques; elle est ici reprise et prolongée par la nouvelle génération. Le rayonnement de l’historiographie acadienne est sérieusement limité par bon nombre d’obstacles. Ceux-ci sont d’ordres divers. On peut mentionner les lacunes liées au monde de l’édition acadien, le faible réseau de diffusion des recherches, l’absence de débats20. Il faut aussi mentionner des structures institutionnelles éclatées. Si la publication de recherches a augmenté, les nouveaux historiens s’impatientent devant une diffusion selon eux déficiente (le soutien à la recherche connaîtrait encore aujourd’hui certains problèmes d’organisation21).

37 Un deuxième élément présent dans le diagnostic des historiens-critiques est récupéré par les normalisateurs, mais en étant amplifié. La critique virulente d’un Michel Roy à l’endroit des historiens cléricalistes et nationalistes est non seulement reprise, mais elle est reprise contre lui. C’est à l’idéologie néo-nationaliste que les normalisateurs accusent leurs prédécesseurs de s’être liés de trop près. Dans le portrait qu’il dresse de l’historiographie critique acadienne, Couturier remarque ainsi que la principale tendance est à l’autonomisation de la discipline, à la fois par rapport aux idéologies ambiantes et par rapport aux autres historiographies, québécoise ou des Maritimes (à noter que, dans le cas québécois, Couturier interprète ce désir d’autonomie par la perte d’intérêt des historiens québécois pour l’histoire acadienne dans les années 60). Cette tendance à « l’aseptisation politique » de l’historiographique s’exprime entre autres par un refus d’accepter comme autrefois des historiens amateurs dans les pages des revues universitaires ou dans les colloques. Ainsi, quoique, dans les années 70, les historiens Daigle et Thériault aient tenté de purger les Cahiers de la Société historique acadienne de ses éléments les plus idéologiques (près du nationalisme traditionaliste, catholique et conservateur) pour en faire une tribune à caractère scientifique, Couturier remarque que, après 1979, la revue a repris ses vieilles habitudes. Cela s’explique, selon Couturier, par le fait que l’historiographie acadienne des années 70 étant isolée, elle n’a jamais pu s’émanciper totalement des débats idéologiques qui agitaient la société plus large (au contraire, prétend-il, de la sociologie, une discipline qui aurait davantage réussi dans son entreprise de critique de la collectivité acadienne). L’isolement de la discipline, conjugué avec le contexte minoritaire, aurait fait en sorte de rapprocher l’histoire des idéologies en vogue :l’historiographie acadienne, à des degrés divers, semble relever d’un même cadre national englobant. C’est la nation, plutôt que la société, par exemple, qui est le creuset de l’histoire; c’est le national qui détermine et balise le changement historique. Soyons plus précis : même dans les études qui s’inspirent d’autres cadres fondamentaux, que ce soit l’appartenance de classe ou la position sociale, on ne s’est pas départi du cadre national22.

38 La lecture faite par Couturier (celui, parmi les nouveaux historiens, qui s’est adonné le plus à l’analyse critique de l’historiographie acadienne) des principales études d’historiens-critiques souligne, malgré un effort évident de ces derniers pour se démarquer du nationalisme des historiens des années 60, le maintien de la nation comme cadre interprétatif et idéologique. Les historiens comme Thériault, Roy ou Brun sont à cet égard représentatifs de ce rapport trouble à la nation. Malgré des éléments d’histoire sociale, ces historiens orientent leurs interprétations historiques autour du développement de la nation et conjuguent spontanément dans leurs travaux histoire et idéologie.

39 Il est une autre pomme de discorde entre les nouveaux historiens et leurs prédécesseurs : l’utilisation de l’histoire sociale. Pour les normalisateurs, l’appel à pratiquer l’histoire sociale lancé par la génération précédente d’historiens est resté à peu près lettre morte. Nul besoin de comparer l’historien le plus nationaliste des années 70 avec l’historien le plus empiriste de la nouvelle génération pour s’apercevoir de la différence. Il suffit de comparer le projet des nouveaux historiens avec l’appel à l’histoire sociale lancé par Pierre Trépanier, par exemple (Trépanier, soit dit en passant, exerça une visible influence sur certains de ces historiens [il dirigea les thèses de Couturier, de sa collègue Nicole Lang et de Jean-Roch Cyr] et Couturier se réclame souvent de ses écrits). On se rappellera que Trépanier non seulement réclamait une plus grande place pour l’histoire sociale, mais également incitait les historiens à élever leur niveau d’interprétation et à renouveler les études sur la culture religieuse acadienne. On ne retrouvera rien de tel chez les nouveaux historiens. Le parti pris est franchement pour l’explication, au détriment de la compréhension (on peut aussi remarquer la différence avec la position de Naomi Griffiths, pour qui il était nécessaire de faire alliage des deux types d’analyse du réel). Couturier n’en a pas nécessairement contre l’interprétation historienne; il constate seulement une asymétrie flagrante dans l’historiographie acadienne : il n’y a pas assez de recherches empiriques, et c’est pourquoi la version de l’histoire sociale promue par les normalisateurs sera davantage axée sur une recherche documentaire. « En somme, c’est avant tout les aspects de recherche et d’analyse qu’il faut développer dans l’historiographie acadienne. Si j’insiste sur l’importance de ces éléments, c’est que j’ai parfois l’impression que le deuxième volet de la démarche historienne, l’interprétation, repose sur une documentation fragmentée et fragile23. » C’est, par exemple, en fonction de cette importance accordée à l’histoire sociale que Couturier a écrit un compte rendu critique de la nouvelle édition de L’Acadie des Maritimes, publiée en 1993 et dirigée par Jean Daigle24.

40 Dans un texte portant sur l’historiographie acadienne, Jean Daigle, dont il a déjà été question à plusieurs reprises, qualifie en bloc de « révisionniste » la production savante des historiens acadiens de la seconde moitié du 20e siècle. Sont mis au même niveau, par opposition à l’historiographie traditionaliste, les historiens-critiques, qu’ils soient néo-nationalistes ou non, et les nouveaux historiens des années 80. Bien qu’une certaine continuité existe entre les deux générations d’historiens, il faut néanmoins soulever (ce que j’ai tenté de faire dans les pages précédentes) que le rapport entre les deux en est un davantage de rupture. Tout comme la génération d’historiens-critiques a effectué sa propre rupture face aux historiens de la Société historique acadienne (malgré ce qu’en pense Couturier), les normalisateurs ont rompu eux aussi avec leurs prédécesseurs, en accentuant et en radicalisant l’importance de l’histoire sociale dans leurs analyses historiques. Pour les historiens des années 70, l’histoire sociale n’était pas une fin en soi; elle représentait plutôt un moyen de s’affranchir d’une rigidité interprétative caractéristique des années 60. La grande différence peut-être, c’est que les normalisateurs refusent résolument d’emprunter les voies déjà explorées de la nation; désormais, ce sera l’étude des groupes particuliers et des structures qui constituera le nœud de leur travail. Ils abandonnent à peu près complètement la nation et les autres représentations globales et investissent à fond l’histoire sociale.

41 Voyons maintenant comment le projet historiographique de cette nouvelle vague prend forme.

2. Regards nouveaux sur le passé acadien

42 C’est une histoire sociale « radicalisée » que ces nouveaux historiens proposent, c’est-à-dire « épurée » des éléments que leurs aînés avaient voulu conserver, comme l’histoire politique, religieuse et culturelle. Si les historiens-critiques voyaient dans l’histoire sociale une méthode rigoureuse qui, en s’attardant sur des thèmes comme le développement économique, l’industrialisation ou une lecture de l’histoire à partir de la perspective du peuple au lieu de l’élite, par exemple, aurait permis de transformer l’interprétation savante des phénomènes comme les idéologies, les représentations ou la culture, les normalisateurs quant à eux définissent leur histoire sociale dans un effort explicite de se distancier des études culturelles et de décomposer l’ancienne figure de la nation en différents groupes : femmes, Amérindiens, ouvriers, agriculteurs, etc. Dans cette section, on verra comment cette version de l’histoire sociale, portée par ces historiens normalisateurs, a réussi, certes, à combler certaines lacunes de l’ancienne historiographie, mais a aussi rencontré rapidement des limites inhérentes à l’univocité de son programme, limites qui auraient conduit à un échec (partiel et discutable) de ce nouveau projet.

2.1 Un programme d’histoire sociale en Acadie

43 Les nouveaux historiens optent pour une nouvelle orientation de la recherche historiographique. Une orientation qui se veut double : briser l’isolement et favoriser les études partielles, au détriment des synthèses et ouvrages de vulgarisation25. D’une part, il est intéressant de noter que les nouveaux historiens essaient d’élargir l’espace de diffusion de l’historiographie acadienne, et ce, à rebours de la démarche d’autonomisation entreprise par les historiens des années 70, démarche qui s’était traduite par l’isolement de la discipline à l’intérieur des frontières floues de l’Acadie. Il faut, intime Couturier, présenter l’Acadie à l’extérieur, faire la promotion de son histoire dans les grandes revues d’histoire canadienne (et non québécoise, sauf pour d’occasionnels travaux publiés dans la Revue d’histoire de l’Amérique française; il faudra y revenir).

44 D’autre part, ils favorisent l’historien professionnel, au détriment de l’amateur. L’historien est pour eux un travailleur rigoureux qui préférera les fouilles d’archives ou les constructions de tableaux statistiques aux interprétations globales et aux interrogations générales. Couturier décrit avec conviction l’idéal de l’historien tel qu’il se le représente (le portrait-robot du nouvel historien acadien!) :Avec temps, patience et technique, en procédant par petites touches, minutieusement, une représentation picturale possiblement nouvelle du passé acadien prendra progressivement forme. Prendre le parti du pointillisme signifie travailler à des études ponctuelles, fouillées, soutenues par une solide problématique et appuyées sur des données le plus souvent massives, dégagées d’un éventail de sources traditionnelles et non traditionnelles26.

45 Fuyant les efforts prématurés de synthèse, l’historien doit construire, brique par brique, une connaissance objective et minutieuse du passé acadien. Il va sans dire que le fruit de son labeur sera par voie de conséquence une vision du passé décomposée et morcelée.

46 Deux des trois principales publications de ce courant historiographique représentent bien cette vision parcellisée de l’histoire. Moncton, 1871-1929 et Économie et société en Acadie, 1850-1950 présentent la réalité acadienne sous plusieurs aspects; on y trouve, entre autres, des études portant sur l’industrialisation, le travail chez les femmes, l’application du droit, le développement et la composition des élites, l’urbanisation, la pêche, la colonisation et même sur l’idéologie nationale. Organisée sous l’angle d’une analyse socioéconomique, l’étude de l’objet acadien s’effectue en le décomposant en pièces diverses. Il ne s’agit plus d’études portant à proprement parler sur l’Acadie, mais d’études portant davantage sur les aspects qui la composent (et la décomposent!), dont les appartenances collectives (autres que la nation!) et la stratification.

47 Le troisième ouvrage d’importance de cette nouvelle historiographie s’éloigne en apparence un peu de la perspective socioéconomique des deux premiers, en partie puisqu’il s’agit d’un ouvrage synthèse. En effet, Histoire de l’Acadie, de Landry et Lang, tente d’illustrer des phénomènes peu abordés normalement par ces historiens, comme l’impact des idéologies ou l’histoire politique. La synthèse de Landry et Langprésente les grands phénomènes socio-économiques de l’Acadie des Maritimes sans pour autant négliger le volet politique et institutionnel. Elle vise d’abord à faire connaître le vécu de tout le peuple acadien et non seulement de son élite. Un accent spécial est mis sur la contribution et l’expérience des femmes et des Amérindiens, deux groupes trop souvent ignorés ou encore négligés dans les textes d’histoire acadienne27.

48 Cet extrait montre bien que la part politique et culturelle n’est considérée que par souci de rigueur (et peut-être par diplomatie?), puisqu’il s’agit bien là d’une synthèse, prétendant comme toute synthèse résumer l’essentiel des recherches. On reconnaît pourtant la primauté de l’analyse des structures économiques et l’attention particulière portée aux groupements minoritaires.

49 L’œuvre des historiens normalisateurs de l’Acadie s’articule autour de quelques thèmes récurrents : on présente une Acadie confrontée, comme ailleurs en Occident, à l’industrialisation massive des villes et aux conséquences que le phénomène provoque, dans le monde du travail, entre autres. L’étude d’institutions rarement abordées jusque-là dans le cadre de l’historiographie acadienne est aussi de mise (comme l’éducation ou le droit). Ce portrait renouvelé de l’Acadie examine aussi l’évolution historique des acteurs, mais dans un cadre « a-national », parfois regroupés autour de strates particulières (les élites, les ouvriers) ou des groupes « minoritaires » ou « marginalisés » (les femmes, les Amérindiens).

50 L’urbanisation constitue un maître thème pour les normalisateurs, en particulier pour Daniel Hickey. Thème nouveau d’ailleurs pour l’historiographie acadienne, qui ordinairement, si on en croit Hickey, évitait d’aborder la réalité urbaine, dans la mesure où cette dernière ne concernait pas exclusivement les Acadiens, mais l’ensemble des communautés des Maritimes. C’est d’ailleurs dans un cadre d’analyse maritimien qu’il faut contextualiser l’étude historique de l’urbanisation. L’exemple de Moncton sert bien cette entreprise : ville multiethnique et industrialisée, elle illustre maintes facettes de la réalité maritimienne28.

51 Un de ces changements technologiques importants fut l’introduction du chemin de fer à Moncton. Changement qui eut de nombreux impacts, dont celui de sortir les Acadiens des campagnes pour les amener en ville y occuper divers emplois reliés aux chemins de fer. Les paroisses rurales acadiennes n’étaient plus à l’abri de la croissance économique liée à l’expansion urbaine29. Ce constat contredit l’image rurale et paysanne de l’Acadien. Les Acadiens, selon les normalisateurs, n’étaient pas préservés de l’urbanisation que l’on observait dans le paysage des Maritimes; ils y ont participé, au même titre que les autres communautés, malgré le discours des élites d’alors (ou des historiens!)30. Il importe de noter aussi que, sans toujours être l’objet unique de leurs travaux, l’industrialisation est un thème récurrent chez les nouveaux historiens, ainsi que l’illustre l’ouvrage Moncton, 1871-1929.

52 Une partie des travaux émanant de la nouvelle école d’historiens acadiens s’intéresse aux différents aspects du travail. Dans une étude sur la pêche vers la fin du 19e siècle , Nicolas Landry tente de comprendre à la fois la place occupée par l’industrie dans un contexte régional, ainsi que plusieurs éléments de sa pratique concrète31. L’auteur précise d’entrée de jeu avoir voulu éviter de se référer au discours nationaliste de l’époque, puisque ce discours, axé sur la célébration de la colonisation, ne permet pas de comprendre l’impact bénéfique de la pêche dans l’économie acadienne. Landry s’occupe de rendre compte des méthodes liées à l’activité de la pêche, du prix de vente des prises, des fluctuations du marché, de la production régionale, etc. Les études portant sur le travail publiées par les autres auteurs de cette école procèdent d’une façon semblable. Par exemple, Nicole Lang, dans une étude portant sur l’usine Fraser d’Edmundston, tente de voir comment les changements organisationnels et la stratégie économique de la direction de l’entreprise vont influer sur ses rapports avec les travailleurs, et s’interroge, plus globalement, sur la place et l’influence que les travailleurs de cette usine peuvent avoir dans le processus décisionnel. Comme Landry, Lang retient un nombre important de facteurs dans son étude : les débuts de l’entreprise, l’impact de la guerre, la provenance linguistique et sociale des travailleurs, l’impact du syndicat, les revenus et les tâches des travailleurs, etc. Dans une étude portant sur le travail des femmes dans le contexte de l’industrialisation de Moncton vers la fin du 19e siècle, Ginette Lafleur ne s’éloigne pas beaucoup de la perspective adoptée par les deux auteurs précédents. Elle s’attarde à différents indicateurs : les secteurs dans lesquels les femmes vont travailler, ainsi que l’évolution du pourcentage de femmes dans chaque secteur, l’origine ethnique et linguistique des travailleuses, etc.32 Bref, les nouveaux historiens, lorsqu’il est question du travail, opèrent un peu comme des archéologues ou des orpailleurs : ils cernent leur objet et en précisent minutieusement les contours, retirant petit à petit des éléments idéologiques qui en brouillent la perception.

53 La nouvelle historiographie s’est aussi attelée à explorer le sort des institutions acadiennes du passé, dont l’éducation et le droit. À cet égard, les travaux de Jacques Paul Couturier sont exemplaires. Ce dernier a publié récemment un ouvrage sur l’éducation supérieure dans la région du Madawaska, au Nouveau-Brunswick, ainsi que plusieurs articles concernant différentes facettes du droit acadien à la fin du 19e siècle.

54 Plutôt que d’essayer de comprendre son objet globalement, Couturier s’attarde à l’application des lois durant la période de la prohibition. Dans le Moncton de la fin du 19e siècle, la prohibition, en pleine période d’industrialisation massive, n’était pas sans provoquer des débats. Couturier rend compte dans son article des mesures d’application et des problèmes d’administration de la loi, tout en suivant le fil des événements concernant cette mesure33. Dans d’autres textes cependant, Couturier aborde son objet par différents angles; il s’intéresse à la pratique et à la perception qu’ont les Acadiens du droit34. L’auteur compare les places respectives qu’occupent les Acadiens dans les postes liés à la pratique du droit et constate qu’elles sont négligeables. Cette faible représentation expliquerait en partie, selon l’auteur, le fait que l’application du droit à la fin du 19e siècle se fasse exclusivement en anglais, une pratique qui aura pour effet d’éloigner les Acadiens des tribunaux et autres instances de la justice. Couturier ne s’attarde pas seulement au facteur linguistique et à la représentation qu’ont les Acadiens du droit; il tente aussi d’en comprendre l’organisation juridique, ainsi que sa place dans le plus large contexte socioéconomique. Ce qui se dégage de son étude du droit est une nouvelle image de l’Acadie vers la fin du 19e siècle, une Acadie plus moderne et intégrée au reste des Maritimes, une perspective partagée par la nouvelle historiographie. L’étude du droit donne une nouvelle version de l’Acadie :La communauté acadienne s’y révèle plus complexe, pluridimensionnelle. Plusieurs éléments en attestent : d’abord, la simple présence de conflits, de disputes au sein de la communauté, c’est-à-dire des éléments longtemps négligés par une historiographie souvent engagée dans la recherche d’un consensus nationalitaire; puis, le degré de pluralisme juridique qui semble régner dans la communauté; et finalement, le fait que les litiges ne sont pas traités seulement dans un cadre communautaire, ce qui est le propre des sociétés traditionnelles, mais également par des mécanismes en partie extérieurs à la communauté, mis sur pied par l’État. Ce dernier aspect est lourd de signification. Il semble impliquer que dans le domaine de la justice civile, secteur certes de second plan parmi les grands secteurs de la vie collective mais néanmoins vital pour le gouvernement de la société, surtout en matière économique, il y a intégration subtile mais bien réelle des Acadiens à la société globale néo-brunswickoise à la fin du 19e siècle35.

55 Un mot sur les études portant sur l’éducation. Quelques études ont été produites sur l’histoire de l’éducation en Acadie, notamment par Maurice Basque, Wendy Johnston et Jacques Paul Couturier. L’un des principaux textes émanant de la nouvelle vague d’historiens de l’Acadie portant sur l’éducation est sans doute l’ouvrage de Jacques Paul Couturier. Ce livre se démarque des autres productions de la nouvelle historiographie (sauf dans une certaine mesure de l’Histoire de l’Acadie) par le fait qu’il déborde largement les thèmes et perspectives habituellement adoptés par ces dernières. Y sont abordés entre autres les régionalismes en Acadie, les conflits qui en découlent, la contribution du Collège Saint-Louis à l’identité régionale du Madawaska par la culture et le sport, le rôle important des congrégations religieuses, l’impact des décisions politiques, etc. On sort aussi de l’orthodoxie méthodologique. Certes on retrouve encore des schémas et des statistiques en bon nombre, mais l’analyse n’est pas de nature uniquement quantitative ou « descriptive »; on met ici à profit des entrevues réalisées avec des acteurs importants de l’enseignement supérieur de l’époque (en ce sens, le livre de Landry et Lang se rapproche ici aussi de cette perspective, puisqu’il contient également quelques extraits d’entrevues)36.

56 L’une des caractéristiques de la nouvelle historiographie acadienne consiste en la mise en application de principes déjà souhaitée par les historiens issus des années 70. C’est de « pluralisme » qu’il s’agit ici; démarche souvent associée à l’histoire sociale, il s’agit, dans la lecture que l’historien fait du passé, de tenir compte de points de vue qui ordinairement ne sont pas présents dans les récits historiographiques. On pense au point de vue des femmes, des travailleurs, des minorités ethniques, etc. Il y est souvent question de revenir à l’étude de l’expérience vécue de ces groupes. Quand, par exemple, les nouveaux historiens revisitent en passant des thèmes souvent abordés, comme celui de l’élite acadienne, ils le font de façon à en briser la vision monolithique. L’élite, par exemple, affirment-ils, a toujours été plus éclatée que les historiens n’ont voulu le laisser croire. Et l’on s’intéresse davantage à l’émergence de l’élite et de sa provenance qu’à ce qu’elle peut avoir à dire37. C’est à partir d’une perspective inversée qu’il est question des élites : on cherche à voir les liens et les rapports de ses membres avec la communauté plus large dont ils proviennent. Une telle perspective conduit à se questionner sur la véritable cohérence de ces élites38.

57 On peut juger de l’importance accordée à la présence des femmes dans l’histoire acadienne en soulignant la place qui leur est faite dans l’Histoire de l’Acadie, de Landry et Lang. À chaque chapitre, à chaque période de l’histoire acadienne, on passe en revue la condition des femmes. Et cela est vrai de différents groupes : les Amérindiens (les premiers chapitres seulement), les élites, les ouvriers, les agriculteurs, etc. Une attention particulière est accordée, pour chaque période de l’histoire de l’Acadie, aux différents groupes qui participèrent à son cheminement historique. Contrairement à d’autres thématiques abordées par les normalisateurs, les groupes particuliers ne font pas souvent l’objet d’études en tant que tel, mais le souci d’inclure leur présence se sent presque dans chaque texte produit par cette historiographie. L’attention portée à ces groupes oubliés par l’historiographie constitue moins un des objets d’étude de cette historiographie qu’un souci constant qui accompagne chacune de ses études.

2.2 Le renouveau historiographique en Acadie : un bilan

58 Que dire des résultats savants de la nouvelle historiographie acadienne? A-t-elle réussi son pari, celui d’imposer une nouvelle version du passé acadien, dégagée de « l’obsession » pour la nation et les élites? A-t-elle su dépasser une historiographie que la génération critique n’avait pas su renouveler? Il est bien difficile, d’une part, de ne pas s’enthousiasmer devant l’apport des nouvelles connaissances issues de ce groupe et devant le changement de perspective qu’a ouvert sa conception de l’histoire sociale. Le paradigme adopté par la nouvelle vague d’historiens a permis un nouveau positionnement face au passé acadien et a fait ressortir des réalités qui demeuraient jusque-là tapies dans l’ombre. Mais, d’autre part, ce nouvel éclairage laissait dans l’ombre d’autres éléments tout aussi importants. Le résultat est une nouvelle Acadie, mais dont on a vite fait le tour, faute de quelques interprétations qui pourraient lui donner un peu de vie.

2.2.1 Nouvelles pistes, nouveaux horizons

59 Il n’est pas possible d’ignorer ou de diminuer l’apport de la nouvelle historiographie normalisatrice. Quiconque s’intéresse au passé acadien a désormais accès à un corpus de connaissances et de données inédites. Il est vrai que d’autres historiens avant eux, notamment ceux issus des années 70, avaient tenté d’aborder le passé acadien sous l’angle de l’histoire sociale, mais jamais avec une telle rigueur et une telle minutie. Peu de travaux avant cette nouvelle vague avaient abordé l’industrialisation ou l’urbanisation, ou s’étaient penchés sur l’histoire des femmes ou des ouvriers, par exemple. Le portrait du passé acadien en ressort complexifié et nuancé, surtout si on le replace dans le champ plus large de l’ensemble de l’historiographie acadienne récente, disons de la deuxième moitié du 20e siècle, pour reprendre la division de Jean Daigle. Les nouveaux historiens ont véritablement mis fin au monolithisme dénoncé par certains historiens-critiques. En prenant le parti d’étudier des aspects plus « modernes » de la réalité acadienne, en replaçant ces aspects dans un contexte maritimien, ces historiens répondent en un sens aux historiens-critiques; ils refusent l’autonomisation et l’isolement de la discipline historienne acadienne39.

60 Les nouveaux historiens procèdent à une mise en forme chronologique originale du passé acadien. L’ouvrage de Landry et Lang se démarque d’une chronologie axée autour des événements politiques ou culturels, celle de Daigle et Thériault, par exemple. Si, dans un court texte résumant le passé acadien, Phyllis LeBlanc reprend les grandes périodes ordinairement utilisées (Acadie française, anglaise [jusqu’en 1867] et de la Confédération au présent [1997])40, l’approche de Landry et Lang, dans leur Histoire de l’Acadie, met en place un découpage chronologique qui reprend la périodisation classique concernant la vieille Acadie tout en se démarquant par la mise en forme du passé au 19e siècle. Les différentes périodes sont les suivantes : 1604-1713, 1713-1763, 1763-1850, 1850-1880, 1880-1914, 1914-1950 et 1950-2000, chaque période constituant un chapitre. On voit ici que moins d’importance, en comparaison de la synthèse de Daigle et de Thériault, est accordée par Landry et Lang à l’époque précédant 1755 (deux chapitres sur sept, comparativement à la moitié du texte pour la synthèse L’Acadie des Maritimes). La date de 1850, par exemple, paraît inusitée à l’habitué des études historiques acadiennes (elle est d’ailleurs peu justifiée, les auteurs se bornant à évoquer vaguement les transformations économiques et politiques de l’époque, sans citer d’événement précis41).

2.2.2 Aux limites d’un projet historiographique

61 Refusant l’isolement de leurs prédécesseurs, les nouveaux historiens ont cherché, tout en publiant quelques fois dans des revues acadiennes, à faire connaître l’histoire de l’Acadie à l’extérieur et de l’intégrer aux publications maritimiennes et canadiennes. Dans le cas des Maritimes, plusieurs ont fait paraître leurs études dans Acadiensis.

62 L’entreprise de faire connaître l’histoire de l’Acadie, version socioéconomique, au-delà des frontières acadiennes est à la fois une réussite et un échec. Réussite, puisqu’en effet l’Acadie de ces historiens s’est retrouvée dans moult revues d’histoire savante et régionale, au Canada et en France. Ces historiens auront réussi à propager leur portrait de l’Acadie dans des ouvrages sur l’histoire du Canada, où il est explicitement question de redonner à l’Acadie, comme aux autres minorités, une plus grande place dans le récit canadien (il en sera question dans la troisième section de cette étude). Pourtant, s’ils ont une certaine notoriété, et si une part importante de la jeune production historiographique acadienne s’oriente vers l’histoire sociale, comme l’a soulevé Couturier, peu des résultats de ces recherches sont publiés soit intégralement, soit dans des revues42. À l’extérieur des cercles académiques, la nouvelle conception de l’histoire acadienne ne semble pas s’imposer (et même à l’intérieur, on doute que les historiens plus anciens, ceux formés dans les années 70, aient été influencés par cette nouvelle conception du passé acadien). Il est évident qu’à vouloir se détacher des idéologies néo-nationalistes, leur lecture du passé a fait peu d’adeptes hors des initiés. Couturier voit bien les propres limites de la démarche des nouveaux historiens :Dans un contexte où l’autonomie scientifique demeure fragile en Acadie, où les contours du métier d’historien sont encore mal définis, la nouvelle historiographie s’est surtout préoccupée d’être sociale ou économique avant d’être acadienne. Elle a cherché à établir sa pratique sur des fondements théoriques et méthodologiques avérés. Ce faisant, elle a négligé de proposer son propre modèle d’interprétation de l’histoire acadienne, de crainte d’être acadianisée – lire embrigadée au service d’une cause ou folklorisée43.

63 L’effort de synthèse de Landry et Lang s’inscrit à mon sens dans cet élan, celui de redonner un second souffle au projet initial de ces historiens, dont le bilan s’avère pauvre du point de vue de la redéfinition de la référence collective, malgré l’apport indiscutable à l’avancement des connaissances et une revitalisation de l’image du passé acadien. Je crois qu’il serait possible d’ajouter à l’exercice d’introspection de Couturier le fait que, contrairement aux autres générations d’historiens, la nouvelle cohorte n’a pas fondé de revue. La génération des années 60 a fondé les Cahiers de la Société historique acadienne; au début des années 80, la revue Égalité se met à paraître, en publiant des textes qui abordent la question nationale, thème souvent présent dans l’œuvre des historiens-critiques, mais qui tournent aussi autour de la question politique en Acadie. La mise en place d’une revue, outre l’importance que peut avoir ce médium pour la transmission des connaissances à travers la communauté savante, constitue aussi un acte symbolique fort de légitimation. La revue indique la place qu’occupe une école ou un courant de pensée dans le contexte plus large de la culture savante. En outre, une revue réglerait le problème, plus concret, de la faible publication des travaux d’étudiants de maîtrise et de doctorat s’inspirant de ce courant.

64 Cette absence d’une revue qui puisse représenter les normalisateurs pourrait être expliquée – il s’agit d’une hypothèse – par le rapport trouble que ces derniers entretiennent avec l’Acadie et ses propres définitions identitaires collectives. Je n’en citerai ici que deux indices : en premier lieu, ces historiens ont constamment eu la préoccupation de se démarquer de l’isolement de la cohorte précédente d’historiens. Ils n’ont donc pas eu le souci de publier leurs travaux uniquement en Acadie et pour l’Acadie. Il faut cependant mettre de gros bémols à cette dernière remarque, puisque ces historiens ont tout de même publié de nombreux travaux dans les revues acadiennes ou aux Éditions d’Acadie. Mais ils ne se démarquent pas moins par le fait que, plus que toute autre génération d’historiens, ils ont tenté de situer leurs efforts scientifiques à l’extérieur des frontières de l’Acadie. En deuxième lieu, on peut relever l’absence de l’Acadie comme collectivité globale à l’intérieur de leurs travaux. Bien entendu, il est question de la prise de conscience collective dans l’ouvrage de Landry et Lang, mais sans véritable innovation ou perspective originale; on ne fait que répéter que ce qui a déjà été dit. Ailleurs dans leurs travaux, lorsqu’il en est question, comme dans le cas de Sheila Andrew, on revisite l’essor national de la fin du 19e siècle pour mieux l’interpréter à la lumière de facteurs socioéconomiques, comme dans l’étude de l’origine des membres de l’élite (ce qui remet en cause son unité interne et enlève du poids à la portée de son discours). La quasi-phobie de ces historiens de parler et de développer des thèmes relevant davantage des représentations collectives provient-elle de la peur de l’isolement, qu’ils avaient diagnostiquée chez leurs aînés? Fonder une nouvelle revue d’histoire en Acadie signifierait-il un pas dans la direction d’un nouvel isolement, dans l’esprit de ces historiens?

65 Les nouveaux historiens s’interrogent aussi sur la place qu’ils occupent au sein même de la communauté acadienne. « Il y aurait aussi lieu de s’interroger, ce que nous ne pouvons faire ici, sur la contribution de la nouvelle historiographie à la reconstruction de la représentation collective acadienne, comme l’a fait notamment Jocelyn Létourneau pour le Québec44. » À trop vouloir se désintéresser de thèmes aussi essentiels à la culture acadienne que la mémoire, les représentations politiques ou les phénomènes religieux, thèmes qui ne rebutaient pas leurs prédécesseurs, ils se sont condamnés à se refuser toute contribution à la construction de la référence collective45. Et d’abord parce que, de par la nature de leur production scientifique, la plupart des études rédigées par la nouvelle vague d’historiens ne sortent jamais, outre quelques volumes dont le nombre est modeste, des murs de bibliothèques universitaires et ne sont consultées en majorité que par d’autres chercheurs. Le type d’histoire que ces historiens pratiquent par ailleurs me semble assez éloigné de la conception populaire du passé acadien, de la mémoire collective donc, pour espérer recevoir une réception favorable, ou être assimilé par la société plus large. La pratique d’une histoire aussi « pointilleuse », pour reprendre le terme de Couturier, peut avoir bien des avantages en ce qui concerne la constitution d’un corpus savant, mais elle se condamne à ne pouvoir s’arrimer aux préoccupations du commun des mortels, ni aux représentations du passé de la majeure partie de la population.

66 D’ailleurs, en quoi consiste-t-elle, cette mémoire acadienne contemporaine? L’Acadie mythique, que les historiens comme les artistes des années 70 avaient tenté de remplacer par une Acadie politique, et que les historiens normalisateurs essaient à leur tour de détrôner au profit d’une Acadie morcelée et désenchantée, semble avoir réintégré l’imaginaire. La définition ethnique, folklorique et généalogique est en effet encore bien présente, sinon dominante. Comme les historiens des années 70, les nouveaux historiens combattent cette mémoire mythique, mais avec d’autres armes; les néo-nationalistes voulaient remplacer des discours culturels par d’autres discours, ceux-là politiques, et nourrir l’avenir de l’Acadie. Les normalisateurs se contentent quant à eux d’une tâche plus humble mais nécessaire, celle d’expliquer certaines franges du passé acadien jusque-là inexplorées, patiemment, minutieusement, sans nourrir de projet politique ni mettre en place de discours de remplacement46. L’Acadie moderne, industrielle, urbaine présentée par ces auteurs semble être tout le contraire de l’Acadie folklorique présente dans plusieurs discours contemporains.

67 L’impasse dans laquelle est pour l’instant plongée la nouvelle historiographie, impasse confirmée par sa difficulté à imposer sa vision du passé à la fois à la culture historienne et à la communauté acadienne plus large, ne découle pas seulement de l’éparpillement ou du faible taux de publication, ni simplement du refus d’évoquer la nation (quoique cela puisse avoir une certaine importance) dans ses travaux. Il me semble que les postulats a priori de la démarche épistémologique et méthodologique adoptée par ces auteurs déterminent non seulement la forme et le contenu des productions savantes, mais encore davantage la réception de ceux-ci au-delà du cercle restreint formé par la communauté historienne et académique. Des figures importantes de la culture savante acadienne, comme Joseph Yvon Thériault et Patrick Clarke, ont été assez sévères (surtout ce dernier) envers ces nouveaux historiens47. Ces deux auteurs plaident pour une histoire qui puisse aller au-delà d’une pure factualité historique et puisse ainsi saisir le processus interprétatif par lequel une collectivité se donne, historiquement, une image cohérente d’elle-même – ce qui, évidemment, passe par l’analyse des discours, des idéologies, de la culture, des représentations, des projets politiques, etc.

68 Le pluralisme prôné par les nouveaux historiens (décomposition de la collectivité acadienne en une multitude de groupes, marginaux ou élites) est en corrélation avec le monolithisme épistémologique qu’ils déploient. Le type d’études qu’ils pratiquent et les résultats qu’ils défendent sont intéressants en soi, mais comme le remarque Patrick Clarke, le grand non-dit de cette historiographie est la culture, dont l’importance au sein de toute communauté ou société est loin d’être négligeable. Si les normalisateurs veulent renouveler leur perspective et leur lecture du passé acadien, ils devront s’intéresser à bon nombre de phénomènes qu’ils ont jusqu’ici laissés de côté. Ils seront tenus d’être plus audacieux s’ils veulent, comme le laissent entendre certains textes de Couturier, avoir une plus grande influence à la fois sur leur milieu et sur l’historiographie universitaire; les thèmes qu’ils ont toujours tenté d’éviter, l’histoire politique, religieuse, culturelle, devront être abordés. Ces thèmes rejoignent l’ensemble de l’imaginaire collectif acadien, constituent les éléments essentiels autour desquels se construit une référence48; inclure ces thèmes dans l’étude du passé acadien contribuerait sûrement à assimiler le récit de ces nouveaux historiens à l’intérieur de la trame plus grande de l’imaginaire collectif acadien. S’intéresser aux développements d’un imaginaire national, par exemple, ne signifie nullement, comme semblent le croire certains de ces historiens, exiger l’engagement direct dans les débats de société; il serait possible à mon avis d’aborder tous ces thèmes tout en conservant la perspective de départ, soit l’intérêt pour les phénomènes socioéconomiques. De plus, si les normalisateurs sont sérieux dans leurs intentions de rendre compte du « vécu » des Acadiens du passé, ils devront revoir leurs méthodes, dans la mesure où le vécu ne se résume pas à l’énumération des outils de travail, ni au nombre de têtes de bétail possédées par un agriculteur. Pourquoi, par exemple, ne pas explorer plus avant ces « lieux de mémoire » dont parle Pierre Nora, où la mémoire « s’est électivement incarnée et qui, par la volonté des hommes ou le travail des siècles, en sont restés comme les plus éclatants symboles : fêtes, emblèmes, monuments et commémorations, mais aussi éloges, dictionnaires et musées49 ». Certes, certains de ces lieux de mémoire ont déjà été étudiés, mais ces études sont encore trop parcellaires et incomplètes. Un large chantier sur ce thème (et sur beaucoup d’autres) reste à explorer, d’autant plus que, comme l’ont souvent mentionné Halbwachs et Namer, la mémoire se transmue au gré des interrogations et des intentions que lui adresse le présent.

69 Il serait intéressant de voir aussi en quoi la mémoire collective des Acadiens s’est transformée au cours de l’histoire. Une bonne partie de la critique historiographique récente en Acadie, autant chez les nouveaux historiens que chez ceux des années 70, a souligné le fait que l’histoire en Acadie a été écrite par plusieurs historiens amateurs. Ne serait-il pas intéressant d’étudier davantage ces auteurs, en ayant le souci de comparaison? La mémoire collective acadienne n’aurait-elle pas un poids plus grand chez ces derniers que chez les historiens dits professionnels? Quels ont été les liens entre la mémoire et l’histoire en Acadie?

70 Il faudra voir jusqu’à quel point les normalisateurs tenteront véritablement de renouveler leur perspective et leur approche. Il est d’ailleurs heureux, pour qui souhaite avoir accès à une pluralité de lectures du passé acadien, que les historiens des années 70 soient encore de service. Autant Économie et société en Acadie peut contenir un bon nombre de résultats novateurs et remettre en question certains aspects peu abordés du passé acadien, autant L’Acadie des Maritimes, quoi qu’en disent les historiens normalisateurs, demeure un ouvrage de référence essentiel et brosse un tableau diversifié, « pluraliste », du passé acadien. Le grand apport des nouveaux historiens est le flux de connaissances nouvelles qu’ils rendent accessibles, et c’est déjà plus, je le reconnais volontiers, que bien des synthèses des années 70 ont pu accomplir. Mais, pour l’heure, l’œuvre de ces historiens se caractérise encore trop par son aridité : trop souvent encore, on y trouve un passé sans idées, une histoire sans mémoire, un savoir sans interprétation.

3. Un débat parmi d’autres

71 Les nouveaux regards posés, depuis maintenant bientôt une vingtaine d’années, par les historiens acadiens issus du mouvement de l’histoire sociale doivent-ils être perçus comme étant l’expression d’un débat propre à la culture savante acadienne, ou est-il possible de les lire à la lumière des débats historiographiques québécois et canadiens? Si elle s’ancre dans un contexte savant et local particulier, la démarche de la nouvelle vague d’historiens acadiens peut à maints égards être lue dans la perspective d’un débat qui déborde les frontières de l’Acadie et des Maritimes. Cette lecture comparative permet, avec les nuances qu’une telle démarche impose, de mieux illustrer d’une part les différents thèmes et enjeux que défend cette nouvelle vague, et de voir d’autre part en quoi les critiques québécoises et canadiennes peuvent être pertinentes pour mieux comprendre celle-ci.

3.1 De la nation et de l’histoire sociale

72 Sans nécessairement explorer en détail le débat au sein de la communauté historienne du Canada anglais, il serait néanmoins utile d’en rappeler les grandes lignes et les principaux enjeux, simplement pour mieux, par la suite, situer le discours des nouveaux historiens acadiens.

73 Pour résumer, disons que, en gros, il y a ceux qui font la promotion d’une histoire nationale et ceux qui font la promotion de l’histoire sociale; il semble qu’une position exclue l’autre, et vice-versa. Pour les uns, l’histoire doit se mettre au service de l’unité et de l’identité nationales canadiennes; la cohérence narrative se situe principalement autour de la nation, privilégiant aussi la culture et la politique. Pour les tenants de l’histoire sociale, il faudrait davantage tenir compte des exclus, des marginaux, des minorités, des perdants de l’histoire, des limited identities. L’histoire sociale canadienne tient compte, dans de nombreuses synthèses récentes, de l’histoire des femmes, des Amérindiens, des ouvriers, des régions, etc. Notons que ce type d’histoire s’abreuve largement aux travaux de l’École des Annales50.

74 Le procès intenté contre l’histoire sociale fut inauguré, dans les années 90, par des historiens comme Bliss, Morton et Granatstein, qui n’hésitaient pas à exprimer leur défense du paradigme national. Kareen Latour résume les attaques de ces historiens envers l’histoire sociale canadienne : « Ces derniers, J.L. Granatstein en tête, blâment les historiens des régions et du social (surtout) d’avoir brisé le fil conducteur de l’histoire canadienne en forgeant de nombreux fragments d’histoire ayant peu de liens les uns avec les autres. Selon eux, l’histoire sociale est responsable de l’incohérence, du manque de pertinence et de la perte d’intérêt envers l’histoire canadienne en général51. » Selon cette conception du rôle de l’historien, la plume du savant doit servir une conception unitaire, globale de la nation. L’historien doit contribuer à l’instauration ou au maintien de cette unité nationale. Au contraire, l’historien social se soucie davantage, dans son écriture du récit passé, de rétablir une certaine justice et de réhabiliter la contribution et la place de certains groupes jusquelà absents des livres d’histoire. En ce sens, il participe aussi au travail de mémoire contemporain, qui veut que des groupes dont le passé est douloureux réclament justice par une plus grande reconnaissance dans le présent. Le résultat diffère selon le type d’histoire; s’il est possible de suivre l’évolution de la nation au fil du temps, un peu comme s’il s’agissait d’un personnage, les récits fragmentés que met en scène l’histoire sociale n’apportent pas la même cohérence. Pour un commentateur, l’absence d’effort synthétique quant à la mise en récit du passé canadien et le manque de hiérarchisation des éléments le composant caractérisent cette histoire pluraliste. « Pour les tenants de l’histoire pluraliste, le récit historique idéal du Canada est en effet celui qui épouse et exprime tous les points de vue du pays. Ce récit-modèle est en outre celui qui, du fait même de l’ampleur de sa couverture, colmate les brèches par où d’autres récits, réputés plus "orientés" et moins riches, pourraient faire irruption52. » Ceci ne constitue pas un important reproche pour les historiens sociaux; car c’est justement cette unité (nationale) du récit qui avait relégué dans l’ombre une pléiade de groupes et de minorités. La nouvelle compréhension du passé promue par les historiens du social se veut plus riche, puisque ouverte à la pluralité des points de vue. Il est possible de croire que le débat continuera encore pendant un temps à l’intérieur de la communauté des historiens du Canada.

75 Il faut le dire d’emblée, c’est ce débat qui sert de référence aux nouveaux historiens normalisateurs de l’Acadie, et non d’abord celui du Québec. Certains de ces historiens, ceux du GRHESUM, par exemple, participent directement au débat canadien. L’ouvrage de Jacques Paul Couturier et de ses collaborateurs, Un passé composé, s’inscrit clairement dans le courant des ouvrages dont l’effort de compréhension historique prend le parti des oubliés et des minorités53. L’ouvrage s’inscrit à la fois dans la lignée de l’histoire sociale canadienne et à l’intérieur de la perspective que partagent l’ensemble des nouveaux historiens acadiens; l’histoire est présentée selon la pluralité des points de vue que peuvent en avoir les minorités54.

76 La position adoptée à l’aune du présent débat est prolongée de manière intéressante par Couturier, lorsqu’il fait la recension des livres d’histoire canadienne pour constater le faible rôle qu’y joue l’Acadie. En fait, pour lui, « examiner la représentation des Acadiens dans les ouvrages d’histoire nationale, c’est en effet aussi se demander quelle est la place occupée par les minorités dans l’histoire du Canada55. » Il constate, par sa lecture des différents ouvrages relatant le passé canadien, que la position minoritaire n’est pas seulement un « fait » historique, mais aussi une réalité « historiographique »! Dans les classiques de l’historiographie canadienne (les ouvrages d’Innis, de Creighton et de McInnis, par exemple), il est très peu question de l’Acadie, et lorsque c’est le cas, c’est souvent pour décrire l’Acadie d’avant la déportation, un peu comme si l’Acadie était morte ou s’était tue en 1755. Il faudra attendre la venue d’un nouveau souffle en historiographie canadienne, durant les années 80, c’est-à-dire avec la mode de l’histoire sociale, pour que l’Acadie occupe une place plus honorable dans le cadre des récits nationaux. Cette reprise en charge du récit historique canadien s’incarne dans la parution de quelques titres, dont ceux de Conrad et Finkel, de Bumsted, et de Francis, Jones et Smith. Ces ouvrages tiennent compte de la réalité acadienne, même après la déportation (il faut dire cependant que ce ne sont pas tous les ouvrages d’histoire sociale récents qui accordent la même importance à l’Acadie).

77 Le contexte politique canadien n’est pas étranger, selon Couturier, à cette meilleure place faite aux Acadiens dans les ouvrages historiques. La promotion du multiculturalisme sur la scène politique canadienne aurait fait une plus grande place aux différents groupes ethniques composant la mosaïque canadienne. Les tensions entre le Québec et le ROC (Rest of Canada) auraient aussi joué une part importante – les francophones hors Québec, dont les Acadiens, incarnant la réussite du modèle fédéral. Enfin, le développement interne de l’historiographie acadienne aurait aussi contribué, par le simple poids du nombre des publications, à l’insertion de l’Acadie dans le récit canadien.

78 À noter, par parenthèse, que si le contexte politique des années 90 peut avoir eu une influence sur la place réservée à l’Acadie dans le récit canadien, il expliquerait aussi son recul récent dans certains ouvrages (voir le livre de l’historien Alvin Finkel, Our Lives: Canada After 1945, paru en 1997)56. La présence acadienne est aussi rare dans les ouvrages francophones – eux-mêmes inusités – traitant de l’histoire canadienne. Ceux qui écrivirent l’histoire du Québec ou du Canada français n’ont souvent accordé que peu d’attention à l’Acadie, selon Couturier57. Les quelques ouvrages francophones récents qui ont traité de l’histoire du Canada ont fait plus de place à l’Acadie, celui de Cardin, Couture et Allaire, entre autres (Histoire du Canada : espace et différences), et évidemment celui de Couturier et de ses collaborateurs. L’un des objectifs de ce dernier ouvrage est explicite : redonner ses lettres de noblesse à l’Acadie aux yeux de l’histoire canadienne58. Bref, selon Couturier, si l’Acadie « c’est un détail », comme l’avait dit un des protagonistes du film de Brault et Perrault, c’est que son récit historique compte finalement pour bien peu dans la balance canadienne. Si les choses s’améliorent, notamment avec l’arrivée de l’histoire sociale, beaucoup reste encore à faire.

79 Il est intéressant de constater que la position de la nouvelle historiographie acadienne face à l’historiographie canadienne est similaire à celle adoptée par sa contrepartie maritimienne. Mais il devient encore plus intéressant d’observer, en plus de leurs rapports avec l’historiographie nationale canadienne, les liens qu’elles entretiennent entre elles. Les historiens anglophones des Maritimes, proches de la revue Acadiensis, ont participé au débat historiographique canadien, comme l’ont fait les nouveaux historiens acadiens. L’historien Delphin Muise écrit à ce propos : « Les universitaires des Maritimes, qui dans leur contestation des notions existantes relatives aux réalisations de la nation se sont heurtés au pouvoir envahissant de l’hégémonie du Canada central sur notre histoire, ont la plupart du temps situé la source du problème à l’extérieur de leur région plutôt que dans la faiblesse inhérente à leurs propres communautés59. » Ces historiens, se réclamant de l’histoire sociale, prennent le parti des régions, à l’instar des historiens acadiens. On pourrait croire qu’une certaine complicité existe entre les deux groupes d’historiens, tant leurs approches et leur vision de l’histoire canadienne sont similaires. Ce n’est pourtant pas si simple.

80 Des historiens acadiens de la nouvelle vague ont publié dans Acadiensis les fruits de leurs recherches. À ce sujet, Patrick Clarke60 note que les historiens maritimiens, au nom du régionalisme, thème central de leur argumentation, condamnent l’historiographie canadienne qui place le récit national canadien au centre du passé. « L’histoire plurielle » utilisée par ces historiens pour comprendre leur objet d’étude, les Maritimes, reproduit le discours canadien dominant, discours qui, au nom de la diversité et du multiculturalisme, rend obsolètes ou insignifiantes la position politique du Québec et la « dualité culturelle »; le Québec prend le rang des nombreux autres groupes ethniques qui composent la mosaïque canadienne. Or, l’historiographie maritimienne, face à l’Acadie, reprend exactement la même argumentation, faisant de la communauté acadienne un groupe ethnique comme un autre à l’intérieur du tout maritimien; l’Acadie est aux Maritimes ce que le Québec est au Canada!

81 Les historiens maritimiens, comme les nouveaux historiens acadiens, sont, face à l’historiographie canadienne, des parvenus, pour parler le langage de Hannah Arendt, c’est-à-dire des gens qui doivent nier leur appartenance à la collectivité minoritaire, en faveur de traits propres à la majorité, pour être acceptés de celle-ci. Si les deux groupes sont passablement critiques face à l’historiographie canadienne, c’est… parce qu’ils n’y occupent pas une assez grande place! S’ils s’arrêtaient là, ils ne seraient pas des parvenus, mais ils vont plus loin et adoptent exactement, à l’intérieur du contexte régional qui est le leur, la position canadienne qu’ils dénoncent. Les historiens maritimiens diluent les spécificités historiques et nationales par la formule magique du multiculturalisme; la même position est adoptée par les historiens acadiens de la nouvelle vague. Un des effets de la négation nationale à laquelle ils procèdent est de réduire l’importance historique de l’Acadie dans la diversité maritimienne (paradoxalement, le seul temps où il est possible de croire que les nouveaux historiens reconnaissent la pertinence de percevoir la communauté acadienne comme une nation, c’est lorsqu’ils défendent sa place dans le récit historique canadien). (En regard de ces considérations, on pourrait avancer que l’historiographie acadienne précédente prenait plutôt la position du paria; de là son isolement, décrié par la nouvelle historiographie.)

3.2 Faire de l’histoire en Acadie

82 Si le débat concernant l’historiographie canadienne est centré essentiellement sur le contenu de cette histoire (soit la nation, soit les minorités de tout acabit), pour celui ayant lieu au sein de l’historiographie québécoise, c’est une tout autre… histoire. Si le débat tourne autour de la pertinence de la nation comme catégorie historique, il se distingue de celui qui se déroule dans le ROC par l’attention portée à la notion de « révisionnisme », lancée par Ronald Rudin. On examinera ici les grandes lignes de ce débat, pour ensuite voir en quoi il peut ou non être applicable à la situation des historiens en Acadie.

83 Pour cerner la particularité du courant révisionniste au sein de l’historiographie québécoise, commençons par extraire des textes de Rudin et d’autres commentateurs des caractéristiques censément essentielles. Sur le plan diachronique, l’analyse révisionniste se situe à la suite de praticiens des sciences humaines des années 50 et 60, de diverses appartenances idéologiques mais réunis autour d’un projet modernisateur, et avant ceux qui sont désignés comme « post-révisionnistes » (euxmêmes se désignent parfois comme « uchronistes »), jeunes chercheurs orientés vers une compréhension du passé par l’étude des idées61. On passera outre aux nombreux éléments qui caractérisent ces mouvements pour seulement résumer ceux qui distinguent le révisionnisme. Ces historiens, selon les commentaires qui en ont été faits, se définissent par le rôle et la conception qu’ils ont de l’historien, ainsi que par la démarche qui doit être la sienne. Ils font la promotion d’une pratique professionnelle de l’histoire, menée par un expert en la matière (dont l’exact opposé est la figure de l’intellectuel). Rudin met l’accent sur un certain positivisme et matérialisme propre à ces historiens, au détriment de l’étude de la nation, des idéologies, la politique ou de la religion, par exemple. Si le Québec constitue encore l’objet de cette génération d’historiens révisionnistes, c’est sous le paradigme de la modernité et de la normalité que l’étude du passé est menée. En effet, et on peut inclure à ce propos l’ensemble des sciences sociales au Québec jusqu’à tout récemment (comme le rappelle Joseph Yvon Thériault), on tend à voir le déploiement de la société québécoise dans la grande trame moderne, à l’instar de l’ensemble des sociétés occidentales62.

84 Les critiques en ont contre la réduction imposée par une telle approche : celle de la spécificité du passé québécois, celle du sens du passé. On revient à la posture de l’historien : cette réduction du sens du passé est en partie due à l’acharnement des révisionnistes à expliquer au lieu de comprendre63. Il faut dire qu’à tous ces commentaires, les historiens visés ont répliqué. Certains ont récusé le positivisme que Rudin leur attribuait, d’autres son insistance sur l’importance des institutions, ou encore son projet de dépasser le révisionnisme64.

85 Il en a déjà été mention, les historiens normalisateurs acadiens se réfèrent explicitement aux débats et enjeux ayant lieu à l’intérieur de la communauté historienne canadienne, et très peu, sinon nullement, à ceux des historiens québécois. Pourtant, si les principaux intéressés n’ont pas fait le lien, quelques commentateurs l’ont fait pour eux. À plusieurs égards, ces nouveaux historiens appartiendraient à la grande famille du « révisionnisme », tel qu’il est défini au Québec65.

86 Sous plus d’un aspect, les nouveaux historiens de l’Acadie peuvent être comparés aux historiens révisionnistes du Québec. Je serai bref ici, puisque plusieurs des éléments de comparaison avec les révisionnistes ont déjà été abordés dans la deuxième section de cet article. On a vu en effet dans cette seconde section que la nouvelle historiographie acadienne se caractérise entre autres par l’attention portée aux caractéristiques qui font de l’Acadie du passé une réalité comparable à d’autres sociétés de la même époque. L’Acadie est, selon cette perspective, « normale » et « moderne ». L’Acadie des nouveaux historiens n’est plus celle des conflits militaires et politiques entre les représentants des puissances anglaise et française en Amérique, ni celle d’une population passive ou victime, mais plutôt une réalité socioéconomique grouillante et vivante. C’est l’Acadie de la ville, de l’industrialisation, une Acadie moderne, bref, que ces historiens présentent aux lecteurs, à l’instar de leurs homologues révisionnistes québécois. Un autre trait que la nouvelle vague d’historiens acadiens partage avec ces derniers est l’abandon partiel de la thématique nationale (partiel, puisque ces deux groupes d’historiens réussissent quand même à unir des thématiques propres à l’histoire sociale autour du déploiement historique d’une communauté culturelle ou nationale donnée). On continue à s’intéresser à des événements phares de l’histoire acadienne, mais souvent pour en déconstruire les interprétations précédentes. En général, néanmoins, il est peu question d’éléments nationalistes de l’histoire acadienne dans le portrait dessiné par ces historiens, une caractéristique partagée par les révisionnistes québécois. Ce retrait des historiens face aux discours nationalistes est par ailleurs significatif d’un état de fait plus large, qu’encore une fois il est possible d’appliquer aussi aux révisionnistes québécois, celui de l’étude des discours, des idéologies, des représentations, de la mémoire et de la culture en général. Les deux groupes aiment à privilégier les changements structuraux, économiques, matériels, etc. On l’a vu d’ailleurs dans la seconde section de ce texte, même lorsqu’il est question de thèmes se rapprochant de la sphère des idées et de la culture, on ramène souvent le tout à son aspect matériel ou concret, en ne traitant le contenu de ces thèmes que secondairement ou accessoirement.

87 Un autre lien possible entre ces deux groupes d’historiens est le rapport qu’ils entretiennent avec leurs cultures respectives. Les historiens révisionnistes au Québec incarneraient le rôle de l’historien professionnel du passé, en contraste avec l’historien intellectuel – ou, pour utiliser une typologie fort à propos introduite par Jean-Jacques Simard, les historiens révisionnistes se posent comme étant des savants-experts, alors que ceux de la génération précédente, ceux que Rudin nomme les modernisateurs, correspondent davantage aux savants-espoir, porteurs d’idéaux, débatteurs d’enjeux publics, interprètes de situations collectives66. L’école d’historiens acadiens dont il est question dans le présent texte peut être aussi taxée de révisionniste par sa tendance à se réfugier dans la forteresse des sciences, à l’écart des enjeux collectifs, alors que des auteurs comme Thériault ou Roy, s’ils se sont pliés aux normes de scientificité de leur discipline, n’ont pas pour autant évacué de leur discours toute référence critique aux débats qui animaient la collectivité acadienne.

88 A-t-on assisté à une « normalisation » de la pratique historienne en Acadie, pour reprendre la thèse qu’Ali-Khodja avait jadis appliquée aux sciences sociales67? Pour ce sociologue, une partie des sciences sociales en Acadie, particulièrement la sociologie, était singulièrement critique des institutions et du pouvoir en Acadie durant les années 60. Par le renvoi de professeurs « incompétents » (on jugera : la thèse d’un Even fut d’une grande importance pour le néo-nationalisme acadien, particulièrement pour le Parti acadien; le livre de Hautecœur, élève de Fernand Dumont, est un incontournable dans la sociologie acadienne), l’élite « traditionaliste » tenta de mater le mouvement social contestataire en normalisant les sciences sociales, à savoir : en les rendant davantage conformes à l’idéologie hégémonique de l’époque. On peut dire que les historiens avaient repris la tâche critique dans les années 70. Les livres de Thériault, de Roy et de Brun en témoignent. Mais contrairement à ce qui s’est passé dans le cas des sciences sociales, aucune instance institutionnelle n’est venue tenter de réduire la critique des historiens néo-nationalistes. La fin des discours revendicateurs de ces historiens coïncide avec celle du Parti acadien, en 1982. Au contraire des sciences sociales durant les années 60, dont on tentait de restreindre la portée critique, qui demeura pourtant parce que soutenue par un mouvement social plus large, le discours critique des historiens s’éteint en même temps que le mouvement néo-nationaliste. Les années 80 se caractérisent en Acadie (comme un peu partout en Occident, d’ailleurs) par une transformation de la composition des mouvements sociaux, comme de leurs revendications, souvent orientées par le(s) droit(s)68.

89 Cette dernière remarque est importante car elle permet de s’interroger sur les liens possibles entre l’état actuel de l’Acadie, au plan politique, idéologique et social, et la nouvelle historiographie. Si les historiens-critiques des années 70 en Acadie étaient aussi des intellectuels, des porteurs de projets, la nouvelle génération, elle, s’identifie davantage à la figure de l’expert. Ce n’est pas simple coïncidence qu’elle le fasse justement dans un moment d’éclatement ou de reconfiguration des anciens mouvements sociaux69.

90 L’exercice consistant à comparer la nouvelle historiographie acadienne aux différentes positions occupées par d’autres groupes d’historiens à l’intérieur de débats contemporains canadiens et québécois ne découle pas d’une simple interrogation intellectuelle. Replacer ces historiens à l’intérieur des débats de la société plus large permet de jeter un peu de lumière sur la place qu’entretient l’imaginaire canadien et québécois à l’intérieur de cette culture historienne. Il semble que cette nouvelle génération d’historiens perçoive l’histoire acadienne comme faisant partie du cadre canadien, et dans un contexte régional, maritimien. Les historiographies acadiennes précédentes semblaient plutôt se rapprocher du Québec (ou, dans le cas de l’historiographie « traditionaliste », du Canada français). De nouvelles pistes d’interrogation s’ouvrent ici : quels sont les liens, actuels et passés, que les historiens entretiennent avec les constructions identitaires acadiennes et, dans un deuxième temps, cette allégeance canadienne dont les nouveaux historiens semblent faire preuve est-elle représentative de l’ensemble de la culture acadienne contemporaine?

Conclusion : Un tournant critique pour la nouvelle historiographie acadienne?

91 Le projet des nouveaux historiens de l’Acadie fut de moderniser l’historiographie acadienne. La génération précédente avait aussi caressé ce projet, sans avoir réussi à le mener aussi loin que ne l’ont fait les normalisateurs. Si la génération d’historiens-critiques a tenté d’insuffler à la discipline un souffle d’histoire sociale, tout en conservant des éléments d’études de l’histoire politique, religieuse, culturelle, idéologique, etc., la génération suivante radicalisa la démarche, plaçant l’analyse socioéconomique au centre de la pratique historienne, et oubliant dans une large mesure les représentations et l’événement politiques. Elle critiqua d’ailleurs assez sévèrement la génération des années 70 pour n’avoir pas poussé plus avant le procès des vieilles méthodes historiographiques et avoir toléré la présence des études idéologiques et élitistes au détriment d’une plus grande utilisation de l’histoire sociale. Petit à petit, à partir du milieu des années 80, cette nouvelle école d’historiens acadiens proposa une nouvelle version du passé acadien, davantage axée sur la pluralité des élites et des groupements minoritaires, l’industrialisation et l’urbanisation, la culture ouvrière, etc., et centrée dans un contexte maritimien, au lieu de concevoir l’histoire acadienne isolée des influences extérieures. Plus de 10 ans après leurs premiers travaux, les historiens normalisateurs ont fait le constat à la fois de leur influence au niveau universitaire, particulièrement auprès d’étudiants de maîtrise et de doctorat dont les travaux s’approchaient de leur version de l’histoire sociale, et aussi de leur échec, celui d’avoir été incapables de construire une version du passé acadien qui puisse rallier autant les milieux savants que la culture acadienne en général.

92 La nouvelle historiographie acadienne procédera-t-elle de l’intérieur à un nouveau « tournant critique »? Que l’on considère la remarque suivante de Phyllis LeBlanc : « Modernisation de la discipline (et donc du métier) et étude de l’objet (les Acadiens) dans son contexte social, économique, politique et culturel : voilà le mot d’ordre à suivre pour l’historiographie acadienne et ses artisans70. » L’inclusion dans le discours de ces historiens des notions de culture ou de politique sans connotation négative est rare. Pourtant, LeBlanc et Couturier ont tous deux dû constater l’échec (partiel, parce qu’il faut souligner l’apport considérable de cette école aux connaissances historiques sur l’Acadie, comme aux méthodes et à la rigueur historiographiques) d’imposer leur vision du passé acadien à l’extérieur de leur cercle restreint.

93 Mais est-ce véritablement un échec? Le lecteur me permettra d’en douter. Ce groupe d’historiens est encore jeune et a encore plusieurs années devant lui. De plus, cet échec apparent leur aura peut-être permis de réaliser que certains de leurs postulats de base leur imposaient des limites qui réduisaient inévitablement les perspectives d’analyse qui s’offraient à eux. La politique et la culture sont des facettes intrinsèques de la réalité de toute collectivité moderne, ce qui inclut l’Acadie, et les éviter ne fait qu’appauvrir l’analyse au niveau global. Il semble que les historiens l’aient réalisé; les remarques de LeBlanc citées plus haut et un récent article de Couturier, traitant de l’identité, du régionalisme et des idéologies acadiennes71, indiqueraient-ils une nouvelle orientation pour cette école d’historiens, lui donnant par-là même un nouveau souffle?

JULIEN MASSICOTTE

Notes

1 Outre l’ouvrage central de Rudin, Faire de l’histoire au Québec, Québec, Septentrion, 1998, d’autres textes ont marqué le débat. Parmi une multitude, mentionnons ceux de Fernand Ouellet, « La modernisation de l’historiographie et l’émergence de l’histoire sociale », Recherches sociographiques, XXVI, 1-2 (1985), p. 11-83; de Gérard Bouchard, « L’histoire sociale au Québec : réflexions sur quelques paradoxes », Revue d’histoire de l’Amérique française, 51, 2 (1997), p. 243-269; et de Serge Gagnon, Le passé composé : de Ouellet à Rudin, Montréal, VLB, 1999. Je remercie Jacques Paul Couturier, Jocelyn Létourneau, Martin Pâquet et Jean-Phippe Warren pour leurs commentaires, remarques et critiques, qui ont grandement contribué à l’achèvement de ce texte. Évidemment, je suis seul responsable du contenu. Cet article fut rédigé dans le cadre de recherches doctorales subventionnées par le FQRSC.

2 Naomi Griffiths, « L’École des Annales et l’histoire de l’Acadie », Études canadiennes / Canadian Studies, 13 (1982), p. 118.

3 Il faut avertir le lecteur qu’une des limites de la présente étude est de considérer l’historiographie « traditionaliste » des années 60 seulement comme un repoussoir permettant aux historiens des années 70, dont certains néo-nationalistes (mais pas tous), de légitimer leur discours et leurs approches, sans trop s’efforcer de comprendre les aléas de leur démarche. De plus, je tiens à préciser d’entrée de jeu que je ferai référence aux différentes générations d’historiens acadiens sous les vocables d’« historiens-critiques » pour celle émergeant dans les années 70, et de « normalisateurs » pour celle des années 80. Il s’agit ici d’appréhender ces générations de savants par les rapports qu’ils entretiennent avec leur objet d’étude, l’Acadie et son passé; si la première est critique autant envers sa propre discipline qu’envers la conjoncture acadienne de l’époque, la seconde, sans être dénuée de toute critique, porte l’attribut de voir dans l’Acadie une collectivité moderne, et somme toute normale, loin d’être une exception historique. Mais l’essai au complet sera le lieu de développer ces nuances. Je remercie Jean-Philippe Warren de m’avoir suggéré l’adoption du terme « normalisateur ».

4 Jean Daigle (dir.), Les Acadiens des Maritimes, Moncton, Centre d’études acadiennes, 1980 (une nouvelle version, s’intitulant cette fois L’Acadie des Maritimes, encore dirigée par Daigle, fut publiée en 1993); Michel Roy, L’Acadie perdue, Montréal, Québec-Amérique, 1978, et L’Acadie des origines à nos jours, Montréal, Québec-Amérique, 1981; Léon Thériault, La question du pouvoir en Acadie, Moncton, Éditions d’Acadie, 1982; Régis Brun, De Grand-Pré à Kouchibougouac, Moncton, Éditions d’Acadie, 1982; Jean-William Lapierre et Muriel Roy, Les Acadiens, Paris, PUF, 1983. Notons que Thériault et Daigle avaient aussi collaboré, avec Clarence d’Entremont et Anselme Chiasson, au Petit manuel d’histoire d’Acadie des débuts à 1976, Moncton, Librairie acadienne, 1976.

5 Vol. 6, 2.

6 Ibid., p. 118.

7 Ibid., p. 124.

8 En fait, il s’agit d’une « vieille » nouvelle revue, puisqu’elle existait déjà au début du siècle, de 1901 à 1908. Voir Phillip A. Buckner, « Acadiensis II », Acadiensis, I, 1 (1971), p. 3-9.

9 Griffiths, « L’École des Annales et l’histoire de l’Acadie », p. 114-115.

10 Dans le cas de Daigle, c’est de sa thèse de doctorat qu’il est question, et non du collectif qu’il a dirigé; concernant ce collectif, Griffiths est plus nuancée, reprochant entre autres le caractère artisanal de certains articles.

11 Pierre et Lise Trépanier, « Les récollets et l’Acadie (1619-1759) : plaidoyer pour l’histoire religieuse », Les Cahiers de la Société historique acadienne, 10, 1 (1979), p. 10.

12 Cette critique est développée dans l’article « Clio en Acadie », Acadiensis, XI, 2 (1982), p. 95-103.

13 Jean Daigle, « Introduction », dans Daigle (dir.), Les Acadiens des Maritimes, p. 12. Les deux textes dont il sera question plus loin sont de cet ouvrage : de Jean Daigle, « L’Acadie, 1604-1763. Synthèse historique », p. 17-48; et Léon Thériault, « L’Acadie, 1763-1978. Synthèse historique », p. 49-93.

14 Brun, De Grand-Pré à Kouchibougouac, p. 29-30.

15 Zénon Chiasson, « L’Acadie perdue de Michel Roy », Les Cahiers de la Société historique acadienne, 10, 1 (1979), p. 53.

16 Roy, L’Acadie perdue, p. 166.

17 Léon Thériault, « Réflexions sur la francophonie des Maritimes », Revue de l’Université de Moncton, 4, 3 (1971), p. 33.

18 Thériault, La question du pouvoir en Acadie, p. 60-61.

19 Outre la critique des normalisateurs, des commentaires de cette nature ont été émis par Roger Ouellette dans son compte rendu « "La question du pouvoir en Acadie", par Léon Thériault », Égalité, 8 (1983), p. 111-116; ainsi que Joseph Yvon Thériault, L’identité à l’épreuve de la modernité, Moncton, Éditions d’Acadie, 1995, entre autres.

20 Voir les articles de Jacques Paul Couturier « Faire de l’histoire : la perspective de jeunes historiens », dans Jacques Lapointe et André Leclerc (dir.), Les Acadiens : état de la recherche, Québec, Conseil de la vie française en Amérique, 1987, p. 236; et « Tendances actuelles de l’historiographie acadienne (1970-1985) », Communications historiques / Historical Papers (1987), p. 237.

21 Jacques Paul Couturier, « La production de mémoires et de thèses en histoire acadienne, 1960-1994 : analyse et conjectures », dans Jacques Paul Couturier et Phyllis E. LeBlanc (dir.), Économie et société en Acadie, 1850-1950, Moncton, Éditions d’Acadie, 1996, p. 186-194; ainsi que Phyllis LeBlanc, « Perspectives du Centre d’études acadiennes de l’Université de Moncton », dans Yolande Grisé (dir.), États généraux de la recherche sur la francophonie à l’extérieur du Québec, Ottawa, PUO, 1995, p. 143-147.

22 Couturier, « Tendances actuelles de l’historiographie acadienne (1970-1985) », p. 249 pour la première citation et « Faire de l’histoire : la perspective de jeunes historiens », p. 238-239 pour la seconde.

23 Couturier, « Faire de l’histoire : la perspective de jeunes historiens », p. 238-239.

24 Jacques Paul Couturier, « L’Acadie des Maritimes, Jean Daigle (dir.) » (compte rendu), Revue d’histoire de l’Amérique française, 49, 2 (1994), p. 247-257. Pour une autre appréciation critique de l’ouvrage, on pourra consulter le texte de Serge Côté, « Une Acadie inquiète », Acadiensis, XXIX, 1 (1999), p. 157-194.

25 Couturier, « Tendances actuelles de l’historiographie acadienne (1970-1985) », p. 250.

26 Couturier, « Faire de l’histoire : la perspective de jeunes historiens », p. 238.

27 Nicolas Landry et Nicole Lang, Histoire de l’Acadie, Sillery, Septentrion, 2001, p. 11.

28 Daniel Hickey, « Introduction », dans Daniel Hickey (dir.), Moncton, 1871-1929 : changements socio-économiques dans une ville ferroviaire, Moncton, Éditions d’Acadie, 1990, p. 9.

29 Jean-Roch Cyr, « L’expansion démographique des Acadiens à Moncton avant 1881 : le processus d’urbanisation et ses conséquences socio-culturelles », dans ibid., p. 20.

30 Phyllis LeBlanc, « Une communauté en transition : Moncton, 1870-1940 », dans Couturier et LeBlanc (dir.), Économie et société en Acadie, 1850-1950, p. 151.

31 Nicolas Landry, « L’âge d’or de la pêche à la morue à Caraquet, 1874-1900 », dans ibid., p. 79.

32 Nicole Lang, « Gestion et travail : le cas de l’usine Fraser d’Edmundston (N.-B.), 1918-1946 », dans ibid., p. 153-184; et Ginette Lafleur, « L’industrialisation et le travail rémunéré des femmes : Moncton, 1881-1891 », dans Hickey (dir.), Moncton, 1871-1929 : changements socio-économiques dans une ville ferroviaire, p. 65-87.

33 Jacques Paul Couturier, « Prohiber ou contrôler? L’application de l’Acte de tempérance du Canada à Moncton, 1881-1896 », dans Hickey (dir.), Moncton, 1871-1929 : changements socioéconomiques dans une ville ferroviaire, p. 91-127.

34 Jacques Paul Couturier, « Perception et pratique de la justice dans la société acadienne, 1870-1900 », dans Couturier et LeBlanc (dir.), Économie et société en Acadie, 1850-1950, p. 44.

35 Ibid., p. 75.

36 Jacques Paul Couturier, Construire un savoir : l’enseignement supérieur au Madawaska, 1946-1974, Moncton, Éditions d’Acadie, 1999.

37 Sheila Andrew, « La montée des élites acadiennes au Nouveau-Brunswick, 1861-1881 », dans Couturier et LeBlanc (dir.), Économie et société en Acadie, 1850-1950, p. 19.

38 Ibid., p. 21.

39 Damien Rouet, « Jacques Paul Couturier et Phyllis E. LeBlanc : Économie et société en Acadie, 1850-1950 (Nouvelles études d’histoire acadienne) », Égalité, 39-40 (1996), p. 237-242.

40 Phyllis LeBlanc, « Les grandes périodes de l’histoire de l’Acadie », dans Joseph Yvon Thériault (dir.), Francophonies minoritaires au Canada, Moncton, Éditions d’Acadie, 1999, p. 131-144.

41 Au sujet de cette date de 1850, je ne peux résister à la tentation d’effectuer un parallèle avec le livre de Couturier sur l’histoire canadienne. Le collègue de Landry et Lang procède à une semblable périodisation, mais cette fois pour le Canada. « Le point de départ retenu, 1850, est arbitraire sans l’être véritablement. Il ne s’est rien produit de particulier en 1850. Officiellement, le Canada ne naît pas avant 1867. Pourtant l’année 1850 ouvre une décennie qui se révélera fertile en changements, surtout sur le plan économique. Elle sera témoin des débuts véritables de l’industrialisation, de l’essor du chemin de fer, un puissant instrument de transformation économique, sociale et même politique, et constitue une sorte d’incubateur du Canada moderne » : (Jacques Paul Couturier, en coll. avec Wendy Johnston et Réjean Ouellette, Un passé composé : le Canada de 1850 à nos jours, Moncton, Éditions d’Acadie, 2000 [1996], p. xii). Je poserai la question, qui en même temps pourrait être une hypothèse, suivante : 1) Landry et Lang ont-ils repris, tout en l’adaptant au contexte acadien, la chronologie élaborée par Couturier, Johnston et Ouellette pour leur histoire du Canada? 2) Les historiens normalisateurs ont-ils entrepris de réinterpréter le passé acadien en l’adaptant à un cadre d’analyse plus large, soit celui de l’histoire canadienne?

42 Couturier, « La production de mémoires et de thèses en histoire acadienne, 1960-1994 : analyse et conjectures ». Non seulement Couturier vise juste dans sa description de la situation, mais on pourrait croire que la situation s’applique à l’ensemble des sciences humaines en Acadie. Bien sûr, en histoire comme ailleurs, des ouvrages importants sont publiés, certains auteurs sont plus connus que d’autres. Pourtant, des thèses de maîtrise et de doctorat incontournables ont été produites en Acadie, au-delà des frontières disciplinaires : que l’on pense aux Clarke, Mailhot, Even, Cimino, McKee-Allain, et je pourrais continuer ainsi longuement. N’est-il pas paradoxal, d’autre part (et il faudrait peut-être un jour s’intéresser plus sérieusement à la question), que l’Acadie possède une culture littéraire vivante et reconnue, alors que sa culture savante (sciences humaines), malgré quelques auteurs et ouvrages clés, soit confinée à une vie de bibliothèques universitaires?

43 Ibid., p. 194.

44 Ibid., p. 192, note 11. Pour ce qui est du texte de Létourneau dont il est question (« La production historienne courante portant sur le Québec et ses rapports avec la construction des figures identitaires d’une communauté communicationnelle », Recherches sociographiques, 36, 1 [1995], p. 9-45), l’une de ses conclusions est que malgré un changement de cap important au sein du discours historien québécois, la mémoire collective semble conserver une version du passé où le sujet québécois est principalement une victime. Une semblable analyse de la nouvelle historiographie acadienne mènerait sans doute à des résultats similaires, tant celle-ci dresse un portrait en tous points moderne de l’Acadie, ce qui fait contraste avec le mythe d’Évangéline, qui semble ne s’être jamais si bien porté. Il faudrait faire de plus amples recherches sur le sujet pour saisir les particularités du cas acadien et mesurer la distance qui sépare histoire et mémoire.

45 À cet égard, on pourrait aussi poser la question : quelle contribution à la culture au sens large peut revendiquer l’historien contemporain? De quelle pertinence est son discours aujourd’hui?

46 On peut noter en passant que bien que les normalisateurs tentent explicitement de se distancier de l’idéologie néo-nationaliste, c’est pour la remplacer par une importante idéologie contemporaine, le pluralisme, qui sous-tend leurs œuvres. Tout cela est légitime; quelle discipline ou école des sciences humaines peut véritablement se réclamer d’être « a-idéologique » (idéologie entendue ici dans un sens plus compréhensif, à la Mannheim, que comme faux discours, à la Marx)? Il s’agit simplement de mettre quelques bémols à certaines critiques que les historiens normalisateurs adressent à d’autres mais dont ils sont eux-mêmes affligés.

47 Patrick Clarke, « L’Acadie perdue: Or, Maritime History’s Other », Acadiensis, XXX, 1 (2000), p. 73-91; Joseph Yvon Thériault, « Est-ce progressiste, aujourd’hui, d’être traditionaliste? », dans André Magord (dir.), L’Acadie plurielle, Moncton, Centre d’études acadiennes, Poitiers, Institut d’études acadiennes et québécoises, 2003, p. 679-692. Serge Côté, dans son texte « Une Acadie inquiète », est aussi critique face aux nouveaux historiens, mais du côté des résultats de certaines de leurs analyses et de la manie agaçante qu’ils ont (sauf pour Nicole Lang et Jean-Roch Cyr) de taxer toutes les analyses historiques de la nation de « traditionnelles », simplement du fait que leur objet d’analyse est la nation.

48 En ce qui concerne le concept de référence, outre la dernière partie de la Genèse de la société québécoise, de Dumont, on peut consulter son ouvrage précédent, L’institution de la théologie, Montréal, Fides, 1987.

49 Pierre Nora, « Présentation », dans Pierre Nora (dir.), Les lieux de mémoire, vol. 1 : La République, Paris, Gallimard, 1984, p. vii.

50 C’est un résumé beaucoup trop court et simplifié qui est présenté ici; on perd bon nombre de nuances et de détails qui donnent toute sa couleur au débat. Pour un résumé assez complet des récents développements en la matière, on consultera Kareen Latour, « Quelle histoire pour quel avenir du Canada? Le débat sur la mise en histoire du passé du Canada depuis 1990 », mémoire de M.A., Département d’histoire, Université Laval, 2003.

51 Ibid., p. 114.

52 Jocelyn Létourneau, Passer à l’avenir, Montréal, Boréal, 2000, p. 89.

53 Couturier, en coll. avec Johnston et Ouellette, Un passé composé : le Canada de 1850 à nos jours, p. xi.

54 On pourra consulter les commentaires suivants : Béatrice Craig, « Note critique », Revue d’histoire de l’Amérique française, 51, 4 (1998); et, dans la même revue, Michèle Dagenais, « Note critique », p. 576-577.

55 Jacques Paul Couturier, « "L’Acadie c’est un détail" : les représentations de l’Acadie dans le récit national canadien », dans Magord (dir.), L’Acadie plurielle, p. 44.

56 « Les éléments qui faisaient l’intérêt de l’expérience acadienne n’occupent plus le premier plan dans les débats de société. Dans la même veine, l’évolution récente de l’historiographie canadienneanglaise, ses coups de cœur actuels pour le genre, les normes et les pratiques sexuelles, les Autochtones, etc., relèguent au second plan les thématiques où l’Acadie pouvait s’imposer plus facilement dans la construction d’un récit historique national. » Ibid., p. 57.

57 En fait, Couturier semble faire référence aux auteurs récents. Il aurait pourtant été intéressant de s’attarder à cette indifférence des historiens québécois pour l’Acadie, sur une trame socio-historique. Cette indifférence peut certes se mesurer par la place que des historiens traditionalistes québécois ont accordée aux Acadiens dans les histoires du Canada français, mais il ne faut pas oublier qu’un nombre important de ces historiens ont écrit sur l’Acadie. On se souviendra par exemple des écrits de Robert Rumilly, de Bona Arseneault, d’Antoine Bernard, etc. Là-dessus, voir Fernand Harvey, « Les historiens canadiens-français et l’Acadie, 1859-1960 », dans Fernand Harvey et Gérard Beaulieu (dir.), Les relations entre le Québec et l’Acadie de la tradition à la modernité, Québec, PUL et IQRC, 2000, p. 19-48.

58 Couturier, « "L’Acadie c’est un détail" : les représentations de l’Acadie dans le récit national canadien », p. 67.

59 Delphin A. Muise, « Les Acadiens dans le contexte postmoderne », dans Couturier et LeBlanc (dir.), Économie et société en Acadie, 1850-1950, p. 8.

60 Clarke, « L’Acadie perdue: Or, Maritime History’s Other ».

61 Évidemment, l’ouvrage de Rudin, Faire de l’histoire au Québec, Québec, Septentrion, 1998 (1997), ainsi que Stéphane Kelly, « Introduction », dans Stéphane Kelly, Les idées mènent le Québec, Québec, PUL, 2003. Pour les réactions suscitées par le livre de Rudin dans la communauté historienne du Québec, voir l’article de Sébastien Parent, « Ronald Rudin et l’historiographie dite "révisionniste" : un bilan », Bulletin d’histoire politique, 9, 1 (2000), p. 169-183.

62 Voir la deuxième partie du livre de Joseph Yvon Thériault, Critique de l’américanité, Montréal, Québec-Amérique, 2002.

63 Ibid., p. 203.

64 Parent, « Ronald Rudin et l’historiographie dite "révisionniste" ».

65 Là-dessus, on peut consulter l’article de Clarke, « L’Acadie perdue: Or, Maritime History’s Other », ainsi que celui de Thériault, « Est-ce progressiste, aujourd’hui, d’être traditionaliste? ». Ces auteurs sont par ailleurs, comme nous l’avons mentionné dans la deuxième section du présent texte, passablement critiques face à ces historiens normalisateurs. Un regard plus retenu est donné par Jean Daigle, qui aussi désigne les nouveaux historiens acadiens, comme ceux des années 70, dont il fait partie, comme des révisionnistes. Voir son texte « L’historiographie et l’identité acadienne aux XIXe et XXe siècles », dans Simon Langlois (dir.), Identité et cultures nationales, Québec, PUL, 1995, p. 85-103.

66 Stéphane Kelly affirme que « le révisionnisme rejette la figure de l’intellectuel public, lui préférant celle de l’érudit ». Voir, de Kelly, « Introduction », p. 5. Pour ce qui est de la distinction de Simard, on consultera son article « Le silence des agneaux », Le Devoir, 15 et 16 mars 2003, p. B-5.

67 Mourad Ali-Khodja, « Connaissance et politique : quelques réflexions sur le développement de la sociologie en Acadie », Égalité, 13-14 (1984-1985), p. 219-237. Le résumé présenté ici est trop schématique et ne rend pas justice aux nuances de la pensée de l’auteur.

68 Thériault, L’identité à l’épreuve de la modernité, p. 152.

69 En lien avec tous ces propos, il me semble qu’il serait particulièrement intéressant de s’interroger sur ce qui semble être une particularité acadienne (sans dire que cela n’arrive pas ailleurs, mais il me semble que ce soit beaucoup plus fréquent en Acadie), soit le rôle de l’artiste qui souvent se confond à celui de l’intellectuel.

70 « L’historiographie acadienne (Table ronde) », dans Le Congrès mondial acadien, Moncton, Éditions d’Acadie, 1996, p. 233.

71 Cet article de Couturier est le suivant : « La République du Madawaska et l’Acadie. La construction identitaire d’une région néo-brunswickoise au XXe siècle », Revue d’histoire de l’Amérique française, 56, 2 (2002), p. 153-184.